mercredi 17 mars 2010

Du toro à l'âne





Pour ne pas faillir à la mission taurine de ce blog, je ne résiste pas à cette évocation par Juan Ramon Jimenez dans Platero et moi, de ce beau texte classique qui valut à son auteur le prix Nobel en 1956. (on se rappelle bien sûr, que Platero est un âne)



La corrida



Sais-tu, Platero, ce que venaient faire les enfants ?
Ils venaient voir si je les laisserais t'emmener cet après-midi. Mais rassure-toi ! Je leur ai dit qu'il ne fallait même pas y songer...



Ils étaient comme des fous, Platero! Car le coeur du village ne bat plus que pour la corrida. Depuis l'aube, la fanfare, qui maintenant détonne époumonée, joue devant les tavernes, tandis que les voitures et chevaux montent et descendent la Rue Neuve. Derrière chez nous, dans la ruelle, on prépare pour la quadrille le ''Canari'', cette guimbarde jaune qui fait le bonheur des enfants. Déjà tous les patios se sont dépouillés de leurs fleurs pour les offrir aux présidentes. Et, dans les rues, je voudrais que tu voies déambuler tous ces lourdauds, avec leurs larges sombreros, leurs blouses, leur cigare, et leurs relents d'alcool et d'écurie...
Vers deux heures, Platero, en cet instant de solitude et de soleil où le jour est pareil à un trou de lumière, tandis que matadors et présidents s'habilleront, nous sortirons, toi et moi, par la petite porte du corral, et nous irons, longeant la ruelle, dans la campagne.



O qu'elle est belle, la campagne, en ces journées de fête où tout le monde la délaisse! C'est à peine si l'on aperçoit, dans une jeune vigne ou dans quelque jardin, un tout petit vieillard incliné sur les grappes vertes ou penché sur l'eau pure... Au loin s'élèvent, comme une couronne burlesque au-dessus du village, la clameur rauque des spectateurs, les applaudissements, la musique des arènes, tout un vacarme qui se perd tandis que nous marchons, d'un pas tranquille, vers la mer... Et notre âme, Platero, se sent alors la véritable reine de ce qu'elle possède par la grâce de son sentiment, la reine de ce grand corps sain de la nature qui, respectée, offre à celui qui le mérite, le spectacle serein de sa beauté resplendissante et éternelle.



Juan Ramon Jimenez

7 commentaires:

el chulo a dit…

gina, vous êtes une coquine!

tres beau texte et aussi très belle traduction.

j'ai aussi tendance à aller voir ailleurs.

Anonyme a dit…

Il est poétique ce texte. La corrida ne vaut que par la campagne où le bruit et l'agitation nous renvoient.

Olivier

Anonyme a dit…

D'accord, mais en peu de mot tout est dit et tout accentue - on l'imagine bien – la paisible marche avec ce petit âne, loin des sentiers battus, mais sur des chemins familiers !

Gina

Maja Lola a dit…

Et Platero nous emmène vers des choses simples, loin du tumulte.
Qui n'a pas vécu ce besoin parfois viscéral de s'extraire au tumulte.
La fête, le bruit, l'agitation nous sont nécessaires pour se sentir vivants et partager avec les autres. Mais, comme toute cette agitation devient parfois sans intérêt devant la majesté de la nature, lorsque celle-ci sait nous renvoyer sa sérénité, sa beauté et sa profondeur ... Celui qui sait apprécier ces différentes émotions , passer du rire aux larmes, de la joie éclatante à la sérénité apaisante, détient une part de bonheur et de plénitude.
Maja Lola

Anonyme a dit…

Je viens de relire mon "Jimenez" et je le trouve encore plus beau "O qu'elle est belle la campagne (pas électorale!) en ces journées...
Je précise que Seghers a réédité l'ouvrage en 2008 ou 09 et il existe un CD. Je m'étonne qu'Isa n'en ait pas parlé. A moins qu'elle nous recherche une autre belle corrida.

Gina

el chulo a dit…

c'est bien gina!

platero m'accompagne depuis longtemps, tout comme, oserais je l'avouer, le petit prince, et ceci d'autant plus que ma petite malgache de fille de 12 ans s'y intéresse, maintenant.

c'est une excellente idée que tu as eue, même si elle pourrait donner d'autres idées aux taurins ou aux antis. mais, savent t'ils lire?

avec ta permission et celle de ton epoux, je t'embrasse gina.

Anonyme a dit…

Merci à tous deux.
Tout est très vrai. La petite Chulo a de la chance.

Gina