samedi 13 novembre 2010

A cause de vous

C’est de votre faute. Depuis que mon engouement pour l’écriture quasi quotidienne dans ce blog s’est révélée, j’ai abandonné une écriture plus ambitieuse, celle des projets d’édition. Je me satisfais de la petite ration facilement débitée au jour le jour, qui génère son lot de retours instantanés dont je me contente. A tort. Dans ce qu’il devient ridicule d’appeler ''mon premier roman'' terme générique pour le truc que je ne trouve pas le temps de finir, il y avait quelques idées. Je les vois sortir peu à peu dans les livres des autres. J’avais fait de JP Pernaud un de mes héros… Tout comme Houellebecq dans son dernier livre. Ok, sûrement en moins bien, je vous l’accorde. Pas encore lu. Mais si j’ai bien compris, le sens général de l’utilisation de ce personnage était semblable… D’un côté, avoir eu une idée en commun avec l’illustre, n’est pas déplaisante. D’un autre côté, ces pages-là sont maintenant inutilisables – plagiat, qu’ils diraient – et le remaniement que cela impose recule d’autant la possibilité de le finir…

J’avais aussi un chapitre ''Erections perdues'' où je parlais de cet été pénible, d’adolescent soumis au bombardement hormonal, passé à plat ventre sur le sable du Grau du Roi encerclé par des jeunes filles magnifiques et quasi nues à écouter l'obsédant tube de Patrick Coutin :

‘’J’aime regarder les filles qui marchent sur la plage’’ pendant qu’on tentait tant bien que mal de disperser dans les profondeurs de la dune, des érections inextinguibles qui laissaient le dos brûler au soleil, ce qui valait à ma mère le soir venu de me décorer de fines tranches de pomme de terre censées éteindre le feu du ciel :


J’aime… j’aime regarder les filles qui marchent sur la plage
Les hanches qui balancent et les sourires fugaces
Leur poitrine gonflée par le désir de vivre, etc…

Pénible et fascinant tord-boyaux qui allait crescendo pour atteindre l'insoutenable lorsque les accords de guitare étaient torturés par la pédale de distorsion dont Coutin abusait.

Il y a une image qui m’a particulièrement marqué et que j’ai toujours en tête : c’était les jours de vent et de vagues. Ces jours-là, elles nous mettaient au supplice : elles entraient dans l’eau prudemment, on voyait leur joli dos s’éloigner à contre-jour et puis soudain, la vague arrivant, elles s’en protégeaient par une soudaine volte-face ensoleillée, cambrant les reins pour amortir l’impact de la vague froide, nous présentant ainsi idéalement leur seins fermes et doux à la fois. Avec quelle intensité notre regard était alors capté par cette éclosion magnifique au cœur de la corolle d’écume qui frappait leur dos, personne ne le disait aussi bien que Patrick Coutin. On se demandait alors comment obtenir de les abriter dans nos mains. Que fallait-il leur dire pour être élu ? Quel sésame y donnait accès ? Quelle formule magique nous libérerait de cette douleur qui hantait nos jours et nos nuits ?

Je pensais que cela me ferait de bonnes pages. Et puis l’autre jour on m’a tendu un petit livre : ‘’Nouvelles sous Ectasy’’ de Beigbeder et dans ‘’L’homme qui regardait les femmes 1’’ il écrit ceci :

L’hymne des plages, selon moi, n’est pas Sea, Sex and Sun de Serge Gainsbourg mais plutôt ‘’J’aime regarder les filles’’ de Patrick Coutin.

C’est une chanson magnifique : « j’aime regarder les filles qui marchent sur la plage/ Quand elles se déshabillent et font semblant d’être sages. » Chaque fois que je m’allonge sur du sable, j’entends cette ode à la frustration sexuelle, cette apologie du voyeurisme balnéaire. Je pense à ces milliers d’après-midi écrasants, passés à observer les demoiselles dorées en monokini, à Bidart, Biarritz ou Saint-Tropez, sans jamais oser les aborder. Je suis convaincu que ces innombrables heures de contemplation timide ont fait de moi l’ignoble obsédé sexuel que je suis devenu.


« Leur poitrine gonflée par le désir de vivre/ leurs yeux qui se demandent : mais quel est ce garçon ? » Il y a un crescendo violent dans la chanson de Coutin qui traduit bien l’impuissance exaspérée du vacancier hétérosexuel, anéanti par la chaleur, cerné par une atroce beauté incontrôlée. Les filles gambadent, soulèvent le sable brûlant, crient des prénoms de garçons plus bronzés que lui. Elles sortent de l’eau les tétons mauves ; les poils taillés de leur sexe se collent contre le slip de bain. Elles embrassent des surfeurs australiens, ou des disc-jockeys camarguais. Elles ignorent les garçons malingres et verdâtres qui lisent des livres, la bite enfoncée dans leur serviette éponge. Elles ne remarquent même pas ces admirateurs tétanisés, trouillards de la veste, ces amoureux muets, ces aigris romantiques. Merci à Coutin d’avoir rendu hommage à la douleur silencieuse de l’été.



Pourquoi laisse-t-on les filles de seize ans se balader en liberté sur les bords de mer ? Leur gorge tendue, leurs fesses cambrées, leurs lèvres heureuses de sucer un esquimau à la fraise, leur colonne vertébrale soyeuse, leurs clavicules fragiles, leurs cheveux mouillés, leurs dents blanches comme l’écume, leur fente étroite, leur langue fraîche, la marque blanche de leur maillot, leurs petits pieds aux orteils vernis, leurs seins en adéquation avec ma main…

J’aime écrire les filles. Que faire quand on tombe amoureux de cent filles à la fois ? Leurs nombrils sont des piscines remplies d’huile solaire. J’avais seize ans quand ça a commencé. Maintenant j’en ai le double et rien n’a changé. J’écris ça à Formentera, en juin 1997, ma fiancée est à mes côtés et pourtant, cette malédiction continue : toute ma vie je scruterai le défilé de l’innocence cruelle.
Aujourd’hui que je suis un grand écrivain tiré à dix mille exemplaires, je n’oublie pas que vous m’avez brisé le cœur, bande de petites garces.


Alors du coup je pense à une solution : attendre encore, puisque je ne trouve pas le temps de le finir ce P----- de roman et quand j'aurais vu défiler tout ce que je croyais nouveau, je n'aurais plus quà le jeter. Ca fait chier, non ?

5 commentaires:

Anonyme a dit…

« Attendre encore », alors que le temps n’en finit pas de nous essouffler… no comment.

Ce blog ne nuit en rien à votre écriture, au contraire.

« ...je regardais cette bonne bouille franchouillarde de Jean-Pierre Pernaut présenter le ‘’JT’’ de treize heures ». Marc, j’ai lu ces mots quelque part , j’espère qu'ils vous évoquent quelque chose encore…et je suis impatiente de comparer avec ce qu’écrit Houellebecq pour savoir si vos deux sensibilités s’accordent sur les mêmes détails.
Gina

Maja Lola a dit…

Si je comprends bien, tu t'estimes "coiffé au poteau" parce que tes sujets d'inspiration sont traités par BEG et HOUELL.
Mais, cher Marcos, l'inspiration est libre et plurielle et personne n'en détient l'exclusivité. Tout au contraire, c'est la diversisté de son traitement qui est enrichissante.
Et puisque tu parles de plagiat, notre cher HOUELL. "tire une casserole" concernant son dernier ... Alors, tu vois ? Personne n'est épargné.
Et vu la manière sensible et belle avec laquelle tu abordes ces souvenirs adolescents, ce serait dommage de baisser la plume (dussions-nous nous abstenir de blog).
Adelante !

Marc Delon a dit…

Bon alors c'est Pernaut ou Pernaud ? Pernod.

Anonyme a dit…

Mais comme tu es le seul kinécrivain, personne d'autre que toi ne saura mieux parler des petites vieilles que tu visites, ou des gitans moins bavards que leurs perroquets...

isa du moun

Marc Delon a dit…

je crois qu'Isa a raison sauf que des Kinécrivains il y en a d'autres... Gina