La Carte et le territoire, prix Goncourt 2010
L’auteur, Michel Houellebecq construit son histoire en trois parties avec deux personnages principaux qui sont pour ainsi dire ses clones. Le narrateur, Jed Martin, photographe de cartes Michelin, puis peintre d’hommes célèbres ou plus humbles. L’autre, c’est Houellebecq, écrivain à succès.
Tous deux sont renommés et s’enrichissent. Ils vivent finalement seuls, les compagnes de Jed l’ont quitté, Houellebecq est divorcé. D’abord exilé en Irlande, après une vie sociale bien remplie à Paris, il retourne dans son territoire, sa petite campagne française, le Loiret. Jed aussi, dans la maison de ses grands-parents dans la Creuse, après le décès de son père architecte qui s’est « euthanasié » à Zurich après passage obligé par une maison de retraite médicalisée.
Jed a besoin de Houellebecq pour préfacer son catalogue d’exposition, ce que l’écrivain accepte sans se presser. En paiement, s’ajoutera un tableau de valeur, son propre portrait, que Jed lui apportera à la campagne. La troisième partie du roman qui aurait pu s’arrêter là, est une intrigue policière habilement enchâssée dans le roman : Jed apprend que Houellebecq a été assassiné et l’auteur met tout son talent à la résolution de l’énigme. Pour une fois la France est en pointe, le cadavre découpé en filaments artistiquement déployés sur la moquette, c’est du Pollock. Jed, aidera à découvrir le meurtrier. D’autres personnages, Jasselin, le policier et sa femme Hélène, forment un couple sans enfant, avec chien, un bichon, et ils sont sur le point, eux aussi de s’en retourner vivre en Bretagne, tandis que mourront aussi, – nous sommes au moins en 2020 – Jed et Beigbeder, l’ami de feu Houellebecq.
Ainsi, nous évoluons dans une belle histoire de carte et de territoire, mais qui vaut surtout, comme c’est toujours le cas chez Houellebecq-auteur, par le regard neuf , incisif ou tendre, porté sur un monde dont publicité, médias, écologie, politiques, artistes, architectes nous imposeraient l’approbation.
La carte, c’est le monde abstrait, froid, technique, infantilisant, déshumanisé, le monde des parleurs, des clowns de télévision, de France-Inter, les prises de parole « pour rien », des cellules psychologiques à tout va, des économistes qui pontifient un jour pour se contredire le lendemain. C’est le monde des murs, des blocs de béton mis à la mode par Le Corbusier et Van der Rohe répartis dans les périphéries des villes, dans les résidences balnéaires à la con pour touristes débiles sous le contrôle de promoteurs foncièrement malhonnêtes et d’une vulgarité presque infinie…
En revanche, le territoire, c’est le monde d’une vie possible, concrète, humaine, le petit village tranquille, c’est le lieu de l’artisanat, des souvenirs d’enfance, des vacances chez les grands-parents, de la communication père-fils rétablie, les arbres, la rivière, l’herbe, le jardin, les intérieurs modestes. C’est aussi l’église où ce prêtre ressemblait un peu à François Hollande, mais contrairement au leader politique, il s’était fait eunuque pour Dieu, pour réconforter de sa parole de moins en moins écoutée car on connaît moins Jésus que Spiderman, pour conférer une humanité à celui qui ne sera pas incinéré (pour nourrir les carpes brésiliennes du lac de Genève), mais enterré, retourné à son territoire, au cimetière.
Pas étonnant que soient largement célébrés dans ce roman, la figure de Jean-Pierre Pernaut et ses titres d’ouvrages à la gloire de la France profonde et des richesses du terroir ; contrairement à Noël Mamère, il ne s’était même pas laissé pousser la moustache. D’autres figures sont l’objet de tendresse. De très belles pages surprennent, qui évoquent la chaleur de Noël quand le vieux père et le fils se parlent, la finesse des femmes si utiles pour établir les contacts, la chanson de Joe Dassin (« On s’est aimé comme on se quitte… »), l’équilibre du couple âgé. Indulgence même pour les policiers : ils marchent mieux au café ou à l’ alcool, mais certains sont sensibles, tout le monde est si prompt à critiquer leur lenteur et leur incompétence !
Comme toujours Houellebecq fait montre de savoir encyclopédique dans tous les domaines, politiques, sociologiques, médicaux. Il peut parler d’art, de peinture et de peintres, de photographie et d’appareil photo, de compagnies aériennes Low-cost, de menus de restaurants, d’oligospermie, d’euthanasie, de bichon, d’automobiles ou de chauffe-eau... On pourrait trouver ennuyeuses ses fiches techniques à la Roland Barthes. Mais, il nous convainc souvent et nous amuse beaucoup, surtout de ses contemporains soudain surgis sous sa plume pour le tourner lui-même en dérision, qui avait pour ennemis à peu près tous les trous du cul de la place parisienne. Pourtant, certains disent c’est un bon auteur… agréable à lire, et il a une vision assez juste de la société…un auteur célèbre, mondialement célèbre même.
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13 commentaires:
merci, ça donne envie, il est sur mes étagères où stagnent quantités de livres qu'il faudrait que je lise...
Je ne savais pas qu'il était ingénieur agronome de formation : pas étonnant le cours sur les particules élémentaires.
Belle resena Gina. D'un livre foisonnant, déroutant, au cheminement souvent éclectique, tu as su tirer avec concision et richesse la matière noble de son contenu. Je suis certaine que ta resena incitera plus d'un(e) à sa lecture.
Au fait, mon choix est fait : le territoire .... Mais aurais-je fait le même choix en d'autres temps ?
bravo gina!
oserai je l'avouer, plutot réluctant à houellebecq, je n'ai pas dépassé la 20 ème page, et on m'avait offert le livre.
désolé les filles!
Houellebecq et les médias.
Pour illustrer et compléter les observations de Marc dans le blog du 9 novembre 2010 (Les Cons courent après Houellebecq), je transcris quelques phrases glanées dans le roman :
« Je suis vraiment détestée par les médias français, vous savez, à un point incroyable ; il ne se passe pas de semaine sans que je me fasse chier sur la gueule par telle ou telle publication »…
Plus loin :
« Allumant France-inter, il tomba sur une émission qui décortiquait l’actualité culturelle de la semaine ; les chroniqueurs s’esclaffaient bruyamment, leurs glapissements convenus et leurs rires étaient d’une vulgarité insoutenable ».
Gina
Ah non, Chulo, c'est pas bien ça, il te faut insister et aller jusqu'au bout. Gina va venir t'expliquer, tavawar...
si gina vient m'expliquer et me tourner gentiment les pages, même 4 par 4, ça ira!
tu penses qu'elle voudra, la"besogneuse"?
Toi, gros vilain, tu es parti pour passer à côté de l'auteur majeur du XXIème siècle...
C'est comme si tu nous disait que Tomas ou Morante te gonfle...
Merci Maja Lola.
Le territoire c'est le lieu où l'on vit, je dirais. Celui qu'on ne se contente pas d'habiter, où on prend le temps de déballer ses cartons et son coeur.
Chulo, Merci. Le roman est à lire quand Mathilde est au collège, quand votre territoire vous appartient.
Ma lecture est forcément très subjective et rapide.
Gina
Compris Chulo ? Tu as vu ? Toi qui arrivait avec tes gros sabots, tête basse, en soufflant fort ton rejet, comme elle t'a "travaillé" par le bas, sans en avoir l'air, toute de "temple" et de finesse... tu es cuit, mon pauvre ! Allez humilie, découvre l'échine et mufle au ras des pages, bois-le...
chère gina,
je m'occupe pas mal avec ce p'tain de blog quand mathilde est au collège.
je fais remarquer au passage que je ne porte aucun jugement, sinon que ce "territoire" n'est pas le mien tout simplement, et j'ose espérer que mon imaginaire m'appartient encore. pas pour longtemps certes.
ceci dit rassurez vous, comme beaucoup je n'arrive pas à lire proust, la seule différence est que je le dis.
une bise à gina
Bien sûr, Chulo que chacun est attiré par ce qui lui correspond et on lit, pas pour la souffrance, mais pour un plaisir que personne ne peut nous prendre.
C'est déjà plus courageux et difficile d'écrire dans un blog, d'avoir idées et compétence, que de promener ses yeux sur le texte des autres.
Mais que seraient les textes sans l'enthousiasme - parfois puéril - des lecteurs ?
Gina
je ne me permettrai jamais de parler de votre enthousiasme en termes de puérilité. même si parfois je vous taquine, j'envie beaucoup votre fraicheur et surtout votre bienveillance jamais démentie.
reste que je considère que la lecture doit être un plaisir, pour le lecteur, et lorsqu'il n'est pas au rendez vous, il vaut mieux refermer le livre, sans d'ailleurs apporter le moindre jugement de valeur. on aime, on n'aime pas, c'est ainsi.
c'est un peu comme une peinture, elle vous parle et vous aspire ou ne vous dit rien. c'est ce dialogue qui compte surtout lorsqu'il se prolonge, je parle d'une peinture, mais aussi d'un livre pour tout ce qu'il vous dit "en creux".
là, maintenant, Morante en direct :
http://www.radiotelevisionandalucia.es/tvcarta/impe/portadaDirecto
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