jeudi 13 octobre 2011

Midi-Libre, Garrigues et ses Barbares





Je me souviens très bien de la première fois où je me suis battu. C'était au Collège Feuchères sur l'avenue éponyme, j'avais tout juste onze ans, en plein "Mai 68". Je venais de la très religieuse école de Saint Jean Baptiste de la Salle où mes parents avaient tranquillisé leur conscience en me confiant aux bons soins des "frustrated brothers", des frères religieux névrosés qui promenaient leurs soutanes noires et nauséabondes entre les rangs terrorisés de nos petits bureaux vierges de tout gribouillis gravés ce qui aurait été à l'époque tout bonnement considéré comme du gravissime vandalisme valant exclusion. Dans cette école d'ailleurs, on ne peut pas vraiment dire que la rédemption s'acquérait dans la douceur : frère Pierre irait aujourd'hui en prison à donner aux lascars ses dérouillées publiques, sur l'estrade, devant toute la classe. Pour vous donner une idée de la rébellion que manifestait le plus irrécupérable, il s'agissait pour lui non pas d'immoler le prof par le feu ou de le larder jusqu'au blêmissement à coups de Zulfikar comme il est couramment pratiqué de nos jours, mais seulement de marquer le plus d'indifférence possible à la ration de tartines non beurrées qui s'abattait sur sa caboche, une ration plus dense qu'aucun anti-corrida n'en recevra jamais de toute sa vie, même en ayant séjourné à Rodilhan tout pénétré de l'idée qu'il allait sauver l'humanité de sa barbarie grâce au seul dépôt enchaîné et contrariant de son auguste fessier sur le sable de l'arène de ce pueblo désormais mythique.

Mais revenons à Feuchères... Enfin, tentons, car il faut désormais pour ce faire, passer par la petite Camargue vu que le cabinet d'Archi en charge du projet AEF qui à l'époque ne signifiait pas "Allez, Evacuez, Fissa !" mais "Arènes, Esplanade, Feuchères" a choisi d'emmerder toute une ville qui ne peut désormais plus faire le tour de ses boulevards du centre. Merci les archis qui ne vivent pas à Nîmes et personne pour s'en apercevoir avant que d'être emmerdé et que s'écroule l'économie du centre ville déjà désertifié sous les coups de boutoir d'un Trambus retors à l'allumage dont il faudra que je vous reparle un jour. Ah oui, Nîmes c'est space, en ce moment...

Donc... - ben quoi, vous les adorez mes parenthèses - le type qui m'avait dans le nez à Feuchères, peuchère. Un costaud, un trapu, bréviligne et musclé, qui avait choisi le grand échalas souple au vent que j'étais comme souffre-douleur, bouc-émissaire, victime expiatoire... c'est bon vous avez capté ou je vous en rajoute un pour la route parfois tortueuse de l'entendement ? Il m'en a fait baver des mois durant : insultes, bousculades, menaces, brimades, diffamations... des mois durant, je vous dis !

Et puis un jour, "Mai 68", l'envie de se libérer, la fraîcheur du vent de la révolte, l'envie d'un coup d'éclat, et ce type toujours sur mon dos, à me harceler. C'était dans le long couloir ou se tenait une armoire qui abritait les cartes de géo. Il me suivait, on était seuls. Juste après un virage comme celui de la calle estafeta où échoue centrifugée toute l'Armada des cuirassés, j'ai senti que je virais à un état second, tout bouillait en moi, j'ai fait demi-tour puis un pas de côté tandis que j'armais mon petit bras de gisclé. Ce fut un mouvement parfait, harmonieux, efficace. Dans mon poing, toute la haine accumulée depuis des mois et toute l'injustice du monde à venger, mes pieds bien en appui, le poids du corps bien transféré dans mon bras. Gisclé peut-être, mais au sprint le plus rapide, le plus nerveux et ce poing qui arrivait à toute allure. J'ai entendu distinctement péter son nez, éclater sa lèvre, gicler sa dent, taper sa tête sur le granito du couloir. Ensanglanté et sonné, il s'est mis à pleurer en reprenant connaissance, lui le caïd, comme un enfant qu'il était, comme un bébé, comme une sous-merde. Je devais ressembler, tétanisé que j'étais, à un démon ou à quelque chose d'approchant car ses yeux exprimaient la peur nue. Il était à ma merci, j'ai hésité à frapper à nouveau ; l'option c'était un grand coup de talon en pleine poire pour finir de lui éclater définitivement la gueule ; le tuer, c'est de ça que j'avais envie, moi le gentil garçon bien élevé ; à un poil de le faire, je me suis retenu longtemps en le dévisageant sans le moindre mot. Le temps que la haine résiduelle que j'éprouvais s'échappe de moi comme le courant par les trémulations, après que vous ayez été foudroyé . Il avait peur de mourir, j'en suis sûr.

Ca a fait un foin du tonnerre, ça a quasiment remis en question l'enseignement religieux de St J-B de la Salle où on a recontacté les dirigeants pour se renseigner sur moi et où l'on allait d'incompréhension en incompréhension parce que avant la 6e où quand même je découvris les filles en cette première année de mixité au collège, excusez le traumatisme, j'étais plutôt le premier de la classe que le bourrin du radiateur. Les assurances sont intervenues, le tortionnaire est passé par le Samu, j'ai été convoqué par la terrorifique surveillante générale, madame Bonicato, parfaitement, je me souviens encore de son nom, qui boitait bas et avait une paupière paralysée et en comparaison de laquelle Martine Aubry évoque la grâce sautillante de la biche mutine, le vol aléatoire et léger du papillon Sablé des Sainfoins et les prairies où se butine le miel toutes fleurs... Plutôt Alcatraz que le bureau de madame Bonicato d'où l'on doutait ressortir vivant, quand on était élève de sixième à Feuchères en 68...

Et bien sûr, malgré les insultes, bousculades, menaces, brimades, diffamations hargneuses endurées des mois avec stoïcisme, j'ai eu tort sur toute la ligne, le barbare c'était moi, moi, qui fut durement sanctionné évitant de justesse à ma famille la honte de l'exclusion grâce à la tourmente soixante-huitarde. Ce jour-là, j'ai su que la justice pouvait ne pas être une valeur absolue. Trente ans après, le hasard a voulu que je croise ce type sur un trottoir de Marseille.

C'est lui qui a baissé les yeux.

11 commentaires:

el Chulo a dit…

putain, je ferai gaffe avant de t'engueuler, bwana marcos! pas envie d'y laisser mon nez, mes dents ni mon intégritév physique!
treve de plaisanterie, très bon texte!

Anonyme a dit…

La colère se ressent encore dans le ton et l'écriture qui en perd le souffle jusqu'à l'orgueilleux triomphe de la dernière phrase.
C'est spontané, vivant, ça s'extériorise au point que Hervé Bazin lui-même n'en reviendrait pas.

Gina

Marc Delon a dit…

Pour avoir un idée du combat opiniâtre que livrent les zantis il faut aller lire les courriers batailleurs qu'ils adressent aux politique c'est là, en fin de leur portada :

http://www.anticorrida.com/politiques/francois-hollande-ne-se-mouille

Xavier KLEIN a dit…

Marco,
En cas de "patac", les "artistes" procèdent ainsi:
1°) Le dégrossissage, tel que tu le fis selon les canons les plus pur.
2°) Le fignolage, qui contrairement à la dentelle de Bruges, s'effectue au saton, mieux et plus raffiné à la santiag.
Je regrette que ton expérience métaphysique ne t'aie pas conduite au nirvana du 2°)
Quelques restants de principes chevaleresques mal placés, sans doute!
Ceci dit, je suis comme toi sujet au coïtus interruptus du 2°)
Abrazos

Maja Lola a dit…

Notre enfance nous forge Marc.
Qui n'a pas ravalé sa rage (ou ses larmes) en espérant un jour prendre sa revanche ?

Bravo. Beau texte sur ce petit garçon qui se rebelle et s'affirme.

La dernière phrase est une sobre et victorieuse touche finale.

isa a dit…

Il y a quelques anachronismes dans cette histoire...le SAMU date de 1970, avant il n'y avait que des SMUR.
A moins d'avoir un an d'avance ,tu es entré en 6eme en septembre 68, en mai 68 tu étais au cm2 ou en 7eme.
On aurait du t'inscrire dès l'âge de 4 ans dans un club de judo,tu aurais su gérer l'abruti sans passer pour un vaurien .Grâce à l'apprentissage du code moral de cet art martial, tu aurais appris à rester calme, tu aurais appris à combattre sans écumer de rage....tu n'aurais peut être même plus vu la corrida avec le même œil...
Mais on ne peut pas réécrire le passé.

Marc Delon a dit…

Et peut-être même que c'était un uppercut du gauche que je lui ai donné et non un crochet du droit...

Anonyme a dit…

De nos jours, le lycée Feuchères aurait fermé durant une semaine, un psychologue maigre, voûté et barbu aurait installé une cellule évidemment psychologique, la Bennicato se serait immolée par le feu, s'accusant d'incapacité à faire régner l'ordre, Luc Chatel aurait rappliqué dare-dare et Cecilia Sarkozy-Bruni aurait décidé de mettre son futur gnard dans une école privée en Suisse.
F. Hollande, aurait promis que le port du casque de gardien de hockey sur glace serait obligatoire dès 2012. Marine Le Pen aurait déclaré que l'élève avait mérité la raclée puisqu'il n'était pas blanc (forcément, s'il a ensuite émigré à Marseille, c'est qu'il est noir ou arabe).
Que se passa-t-il en 1968 -que l'auteur préfère occulter- à la suite de cette flambée de violence delonesque ? La France fut saisie de stupeur. De Gaulle parla de chienlit à Feuchères. Yves Montand et Simone Signoret organisèrent une pétition nationale contre la violence dans les écoles. Le général Massu prépara ses paras à marcher sur Nîmes. Finallement, un rouquin prit les choses en main et fit une révolution au mois de mai. A Nîmes même, l'émotion publique ne fut pas au diapason de l'hystérie nationale. Il faut dire que Nîchmes était en ce temps là une ville où il ne se passait strictement rien. Une pégoulade et deux corridas pour la Feria et basta. Le maire de l'époque, communiste stricto sensu, se contentait de planter quelques arbres chaque année. C'était un type exemplaire : il vivait dans un appartement plus que modeste, était d'une honnêteté scrupuleuse, d'une gentillesse exquise et ne pétait pas plus haut que son cul.Il s'en fichait pas mal, Emile Jourdan, d'un baston à Feuchères.
Nîchmes était une ville calme, circulez y avait rien à voir.
Mais le petit Delon, élevé sous le père, allait attiser le vent des tempêtes et des révoltes.
D'où la mutation du SMUR en SAMU ou en SGLURP.
JLB

Anonyme a dit…

A bé oui, vu sous l'angle de JLB ça change tout. Et si on rajoutais les jeux de boules aux arbres plantés ?
Brave Mimile avec sa pipe au café de la mairie : on en fait plus des comme lui.
C'est peut-être la découverte de la mixité qui a tourneboulé delon au point de lui faire péter un plomb.
Quelle plaie ces filles : ça met le souk partout. Et les Martine sont les pires il parait.

La Belle Respire

Anonyme a dit…

Ce texte nous a fait ressentir des injustices qu'on a subies aussi de la part d'adultes tout-puissants, qu'on n'a pas oubliées, dont on souffre encore car on n'a même pas eu le droit ou le talent d'en parler.
Lola, c'était formateur, tu as raison. Mais Marc avait su régler ses comptes et il vient de s'offrir une catharsis de plus.
JLB, j'aime cette liste de conséquences qui auraient accompagné l'incident, un bon retour sur l'histoire.J'ajouterais qu'aujourd'hui, marc aurait eu Conseil de discipline, exclusion, inscription dans un nouvel établissement, étiquetage dans une catégorie de "forte tête" à surveiller, plainte des professeurs qui se méfieraient, "celui-là..." Et désespoir des parents qui soutiennent ou qui en rajoutent et ainsi de suite...
Gina.

Anonyme a dit…

Le petit me fait remarquer : on dit une baston, pas un baston. ok
Je le sentais pas ce cap gallois au moment des hymnes : tendu à l'extrème, tronche d'abruti, il n'a eu aucun attention pour le gamin qui était à côté de lui, alors que Dusautoir a gardé la main sur l'épaule du gosse qui l'accompagnait. Na !
JLB