vendredi 6 mars 2015

Gina sous mission : lire Michel

Soumission de Michel Houellebecq (chez Flammarion)
En posant le livre, je crois qu’on est déçu justement parce qu’il y est question de soumission. Pourtant, on lit un roman intéressant ancré dans notre vie d’aujourd’hui (bien que l’histoire débute en 2017), qui intègre au cœur de la narration des réflexions sur la littérature, l’existence humaine, la foi, les religions, et surtout  l’islam et la politique.
En 2017, François, le héros-narrateur et porte-parole de Houellebecq, est un professeur d’université, intellectuellement et professionnellement satisfait après la brillante production de sa thèse sur Huysmans. D’emblée, le roman baigne dans une atmosphère religieuse, occasion pour le narrateur d’évoquer des catholiques convertis  du XIX°S tels que Léon Bloy, Charles Péguy (avec quelques beaux quatrains à la gloire d’une France disparue),  Bernanos, Claudel, mais aussi des insoumis : Barbey D’Aurévilly,   Jean Lorrain (l’enfilanthrope !), Nietzsche « avec son flair de vieille pétasse » et Sartre et Camus, « les Guignols de l’engagement ».
Pendant la période préélectorale où on se borne à éliminer le front national, des crimes sont commis : ils sont passés sous silence. François observe à l’université des jeunes femmes voilées, des barbus qui les accompagnent et surveillent, des enseignants proches de mouvements identitaires mais, dans cette atmosphère bizarre,  le narrateur insiste sur le laisser-faire, l’aveuglement, le silence, la passivité et finalement la complicité des politiques et des médias…  Pour ne pas donner prise au racisme, on refuse d’évoquer les méfaits commis par des voyous se revendiquant de l’islam, on tait les écrits de jeunesse de Ben Abbes,  le deuxième personnage important du roman, beaucoup moins conciliant avec la culture judéo-chrétienne de la France que  ce que ses discours de façade le laisseraient supposer… Les services secrets à travers la voix d’un ex-cadre de la DGSI, ami du narrateur,  semaine après semaine, constatent l’évolution des banlieues et plus généralement du pays entier, mais les membres sont muselés et les agents invités à prendre leur retraite.
 Dans cette atmosphère, le héros se débat avec ses idées noires de « vieux quadragénaire » qui n’a plus le droit d’enseigner. Il doit s’isoler en province d’autant plus que sa seule vraie petite amie juive, Myriam, part se mettre à l’abri en Israël et,  peu à peu l’oublie. Il s’occupe au restaurant ; par chance il apprécie les livres, l’art, la beauté des lieux, du patrimoine (allusion bienveillante à Stéphane Bern),  puis la religion dans laquelle il se réfugie en tâchant de régler sa quête personnelle de la foi sur les traces de Huysmans, son seul allié. Il croit en un Dieu créateur mais même si, de passage à Rocamadour, ’il se prosterne chaque jour devant la Vierge noire ou si,  comme Huysmans, il séjourne dans un monastère,  il retourne vite à l’angoisse existentielle qui le torture en examinant l’absurdité de sa vie, avec la pensée de la mort, de la déchéance, de la solitude du célibataire après la mort des parents. L’alcool, les bons repas traditionnels, les prostituées n’y changent rien.
 Au printemps 2022, le protagoniste dessine un  nouveau  tableau. François Hollande achève son second mandat. Bien qu’il l’ait emporté cinq ans plus tôt contre Marine Le Pen, il est déconsidéré, détesté et ne parvient pas à empêcher la montée en puissance de la Fraternité musulmane, qui, sous la férule du charismatique, intelligent et cultivé Mohamed Ben Abbes, rallie de plus en plus de suffrages. Le second tour de la présidentielle oppose ce nouveau venu à la candidate du FN. Les partis traditionnels de gouvernement (UMP, PS, UDI) se rallient à ce « visage présentable de l’islam ». Et le tour est joué.
 Commence alors la véritable provocation du livre : la société française semble se satisfaire de ce nouvel ordre des choses. Avachie dans le confort émollient de la démocratie et biberonné à un État providence qui pourvoit à tout, elle  glisse presque naturellement vers cette charia douce.  Et voilà comment, démocratiquement, avec l’assentiment de nos élites vivement égratignés par le narrateur, (Pujadas, Christophe Barbier avec «son écharpe en berne », Jean-François Copé et surtout Bayrou, premier ministre qui « est vraiment un crétin, un animal politique sans consistance, tout juste bon à prendre des postures avantageuses dans les medias »,  notre démocratie craque de toute part ; « heureusement, c’est en pratique Ben Abbes qui a tout le pouvoir ».
Alors, c’est la soumission : le protagoniste peut réintégrer la Sorbonne qui impose désormais la conversion à ses professeurs au terme d’un processus qui ne prend que quelques heures. En plus, le narrateur pourra avoir plusieurs femmes (des jeunes pour le lit, des mûres pour la cuisine), et un salaire triplé. Les femmes, elles, sont interdites  de jupes et d’emplois publics,  ce qui permet ainsi l’embauche de centaines de milliers d’hommes et une baisse spectaculaire du chômage. Du côté féminin, nul besoin d’épiloguer sur le mépris de l’auteur qui ne les voit utiles qu’à l’intérieur d’un vieux  couple ; officiellement à la charge de leurs maris, elles seront délivrées de la malédiction du travail et de l’enfer de l’émancipation !
 La dernière phrase, « Je n’aurais rien à regretter. » est, par la  résignation qu’elle exprime, celle que l’on ressent avec le plus d’émotion et à laquelle on a du mal à croire car partout domine une forte  tristesse sous-jacente, même s’il y a des personnages comiques de temps à autre. «  Si l’islam n’est pas politique, il n’est rien » dit cependant  en exergue de la dernière partie, cette phrase provocante  qui semble annoncer  la fin de notre civilisation européenne, de sa culture et de sa démocratie.
Tout est dit avec  « une espèce d’honnêteté anormale »,  dans «  des articles brefs, incisifs, brillants » ou dans le style « clair et synthétique avec parfois une pointe d’humour », que Houellebecq  exige d’un bon écrivain.

6 commentaires:

Maja Lola a dit…

Chère et insoumise Gina,
En bonne femelle mûre pour la cuisine, je ne reconnais à ce livre que la brillante écriture de son auteur.

el Chulo a dit…

Magnifique synthèse Gina. Bravo!

Anonyme a dit…

Ouiiii... et puis dormez tranquille braves gens, tant qu'il est plus "courageux" de présenter le génial vieillard édenté comme islamophobe plutôt que visionnaire...

gina a dit…

Justement, le vieillard qui n'en est pas un, on craint qu'il ne soit drôlement visionnaire. Ne pas oublier cependant qu'il écrit un roman, que la liberté d'expression existe, paraît-il, (on est charlie) et que depuis longtemps dans notre beau pays, on ne fait plus grand cas de la cathophobie.

Merci Lola et Chulo. Par la lecture on oublie sa condition, dit Houellebecq et nous, Lola,pourvu que la "cuisine" nous en laisse le temps !.

Maja Lola a dit…

Mais elle nous le laissera, le temps, Gina.... Tu sais bien que nous n'attendons pas qu'on nous "laisse" (nous risquons d'attendre longtemps) ... nous "prenons" ! ;-))

Pedroplan a dit…

Et vous avez bien raison. D'ailleurs, c'est bien pour ça (sans parler de quelques assaisonnements de notre cru - pas forcément diététiques) que nous préférons la faire nous mêmes, n'en déplaise à Zemmour.