Christine Janin, l'auteur de ce livre, je l'ai rencontrée quelquefois sur des sentiers de randonnée, qui me doublait de son poids plume et m'abandonnait son éclatant sourire et ses propos encourageants. Pour ceux qui n'en ont pas entendu parler, c'est une grande dame, connue pour ses activités de médecin au service des enfants cancéreux et leucémiques. Elle dirige depuis 1999 l'association « à chacun son Everest » et dans son centre de Chamonix rassemble des malades pour les changer d'air, et leur offrir le grand air, celui des sommets qu'elle affectionne d'autant plus qu'elle fut la première Française à atteindre l'Everest. en 1990.
Au printemps 1997, elle veut atteindre le Pôle Nord et associe à ce voyage des écoliers malades et leurs instituteurs. Une dizaine d'enfants d'hôpitaux devront la rejoindre à son arrivée.
D'où cet ouvrage où au fil des jours, du début mars à mai 97, Christine Janin livre son carnet de bord, raconte sa progression dans le désert glacé de l'océan Arctique en traîneau (une pulka) qui peut aussi servir de radeau, à partir de la Sibérie avec un coéquipier russe, Sergueï.
OBJECTIF POLE NORD
Vaincre le pôle pour les enfants,
(publié chez Albin Michel en 1997)
Cheminer sur de la glace, c'est comme franchir des dunes de sable et sûrement pire. Le vent constitue ici « des crêtes » de glace dont il faut tester sans arrêt la résistance puisque selon la température, la banquise fond. Chacun doit tirer sa pulka en se penchant, tirant, jouant des hanches, ou au contraire en poussant, descendant et contrôlant la glissade et les tendons. Parfois, ces crêtes sont de véritables murailles car soulevées dans une gigantesque éruption, les glaces se retrouvent cassées, enchevêtrées, figées à la verticale.
Christine et Sergueï circulent à skis, parfois à pied malgré les ampoules, à cause de la corne aux talons, les plaies aux cuisses ou quand les fixations des skis ne résistent pas. L'impression de ne pas avancer, et même de reculer est fréquente, la banquise dérive. Sa position est à contrôler sans arrêt.
... nous traversons un lac gelé, après avoir testé la résistance à coups de bâton...Les blocs de glace...font penser à des sorbets recouverts de vodka...Nous nous accoutumons aux craquements de la banquise qui se meut à vive allure au gré du vent et des marées. Les plaques de glace projetées les unes contre les autres se chevauchent...Nous faisons la trace à tour de rôle...
Le problème de ce raid ce sont les bras d'eau ; l'un s'avéra aussi large que le lac d'Annecy et la progression s'effectua alors dans un dédale de crêtes et de lacs, parmi les traces d'ours, à la recherche de voies. Ils faillirent alors se séparer :
des tonnes de glace se déplacent à vive allure...Sergueï franchit avec aisance un chenal relativement étroit. J'attends qu'il ait rejoint l'autre rive pour passer à mon tour. C'est alors que le chenal s'élargit sous mes pieds. La large veine d'eau se transforme en un torrent infranchissable, charriant d'énormes blocs de glace...Nous voilà donc séparés et c'est terrifiant...
Les corvées sont nombreuses et minutieuses : les bivouacs sont à constituer avec soin dans une tente à arceaux, de deux mètres sur un mètre cinquante, poids supplémentaire que Sergueï transporte sur sa pulka-. Les duvets sont à trois couches - mais gèleront quand même -, oie sur le corps, synthétique au milieu et fourrure polaire légère en surface. Le réchaud sert à réchauffer l'atmosphère encore ne faut-il pas être à court de fuel. Il faut brosser les vêtements et les duvets avant de rentrer dans la tente ou d'en sortir, faire fondre le col polaire quand il est gelé et tient debout. Les mises en route sont difficiles aussi : obtenir de l'eau de neige fondue, la dégeler ensuite. Tous les matins, tôt, l'un est chargé de la tente, du fuel, de l'enroulement de l'antenne radio, l'autre de la ligne anti-ours qui ne doit pas comporter de noeuds et qui déclenche un pétard dans le pire des cas. Chaque objet doit retrouver sa place précise sur les pulkas.
Il leur fait franchir au moins quinze kilomètres par jour pour honorer le rendez-vous de mai avec les jeunes - c'est rarement possible, le rendez-vous avec les enfants faillit être manqué, l'accès au pôle retardé soumis qu'il fut aux exigences de la banquise qui avait dérivé de cent kilomètres vers le sud et l'ouest – et puis il faut survivre par moins quarante ou cinquante degrés.
Parfois s'installent le découragement, le doute, la peur de ne pas réussir, le mal aux pieds, le froid dans des chaussons glacés, la sueur qui gèle, les tempêtes avec les « jours blancs », des marches de dix-sept heures pour gagner dix kilomètres, le dégoût des aliments, l'idée de mort et même l'envie de mourir. Dans cet « enfer blanc », même le calme Sergueï finit par désespérer de réussir et se remit à fumer!
Et les ours! Le jeudi 3 avril, tintamarre de casseroles, une ombre sur la tente : c'est un ours qui cherche à manger, tourne, renifle, farfouille, tourne encore, ne disparaît qu'au bout de demi-heure. Le mardi 8, même scénario, même bruit, même angoisse jusqu'à cinq heures du matin. Ils devront l'effrayer avec leurs armes !
Pourtant, dans cette osmose avec le grand beau désert blanc qui se dore ou se teinte de rose, de gris ou de blanc blanc, la joie l'emporte, les souffrances, les inquiétudes rapprochent les deux coéquipiers, conscients de leur infinie petitesse, de leur exiguïté d'humanoïdes ne communiquant qu'avec peu de mots dans une amitié généreuse et grandissante.
« Cet océan si grand, si blanc, si isolé du reste du monde, si dur pour l'être humain, efface la réalité des choses. L'océan Arctique imprime en moi la blancheur de son désert. Sur ce blanc, mes pensées prennent du relief. J'invente, je crée un monde où s'éliminent d'elles-mêmes les scories de la pensée. J'ai envie de faire le vide et surtout de vivre avec la nature qui m'offre des paysages dont je ne me lasse pas, différents au-delà de chaque obstacle, toujours inattendus.»
Sitôt victorieuse de ce pôle conquis par le coeur et les tripes, C. Janin se sent nostalgique de cette vie polaire « légère et bien rythmée », de ce face à face avec les éléments rudes et grandioses, qui s'avère toujours plus doux qu'avec les humains. Elle sait que l'attend un quotidien plus difficile parmi ses malades mais elle nous dit plus que jamais que le corps est une étonnante mécanique aux ressources illimitées quand l'auto-conviction le stimule.
Gina
4 commentaires:
je l'ai vu parfois à la télé. j'aimais son sourire et ses yeux capable de soutenir le soleil dans les glaces, et peut être bien d'autres choses.
pour le reste, gina, toujours un plaisir de vous lire, dans ces sujets d'espoir que vous trouvez en toutes choses, même beigbeder.
c'est dire!
j'envie votre enthousiasme, votre surement (peut être) fausse ingenuité, et cette aptitude que vous semblez avoir de l'instant, et je l'espère, pas de ses apparences.
il est vrai que le "don de soi" se note vite dans un texte, la dissertation académique est autre chose. et je ne parle pas de vous, quoique j'aimerais bien que vous vous lachiez sans inermédiaire, par exemple, un texte d'humeur, carrément méchant ou indigné.
J'ai toujours eu une difficulté à comprendre quel était le fabuleux moteur qui pouvait pousser un être humain à affronter une nature aussi hostile. Ces efforts surhumains, ces douleurs physiques à la limite du supportable, ce courage, ce mental d'acier ... tout cela reste un mystère pour moi.
Cependant, quelques phrases bien ciselées en fin de texte me mettent sur la (une ?) voie :
"sur ce blanc, mes pensées prennent du relief, je crée, j'invente le monde ..."
C'est comme si les rudes combats menés (et gagnés) permettaient une élévation de l'âme, bien au delà du corps meurtri. Je l'interprète comme l'atteinte d'un mysticisme, non pas contemplatif et stérile mais porteur de force et d'espoir pour d'autres combats ...
Quel sera l'éclairage de Marc sur son désert actuel à lui ? Il sera intéressant de le découvrir au retour de son périple.
J'ajouterais que Christine a enchaîné les sept plus hauts sommets sur tous les continents...
Ses exploits sont, je dirais, une métaphore de sa vie, un équilibre efforts/ plaisirs.
Que répondre à El Chulo? Que ses remarques me surprennent... mes enthousiasmes sont la partie émergeante de ma banquise dérivante...
Gina
Gina, tu nous parles de pôle nord, comme si on avait bien besoin de ça en ce moment !
Olivier
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