
Un ami m'a rapporté l'autre jour une amicale dispute qui l'avait opposé lors d'un dîner en ville, à un non photographe qui prétendait que "maintenant, de toute façon, faire des bonnes photos était à la portée du premier imbécile venu, vu qu'avec le numérique et sa gratuité de fichier couplée à des moteurs allant jusqu'à huit images secondes, rien ne pouvait se rater"
Il se peut tout d'abord qu'un "imbécile" ait un don particulier pour quelque chose, j'ai connu à l'armée un presque débile qui a fini tireur d'élite. Dès le premier jour, il tirait mieux que les instructeurs. Mais, bon...
Déjà il s'agit ici, en tauromachie, le plus souvent, de photo d'action, d'instantanés de faenas où l'on pense peu, ne choisissant une fois placé, ni son angle ni sa lumière. Mais quand même, mieux vaut connaître le sujet si l'on veut, au coup par coup, déclencher l'obturateur au bon moment, dans le ventre de la passe, quand sa maturité éclot, ni trop tôt, ni trop tard. Et comme le sujet se déplace, il est bon d'anticiper son cadrage pour capturer le groupe toro/torero là où il se sera légérement décalé quand le ventre de la passe sera atteint. Encore qu'on puisse s'essayer à un style différent - on le voit avec "Solysombra" chez CyR en ce moment, qui coupe volontairement les têtes ou les corps de ses sujets, en un parti pris différent pour voir la corrida autrement, ce qui peut être désagréable et incompréhensible à beaucoup mais permettre à certains de créer l'image mentale de cette suggestion plutôt que d'en subir l'éternelle convention.
La préparation de la passe va déjà donner à celui qui sait, le nom de celle-ci et sa "déroulante cinétique", et il pourra anticiper pour déclencher judicieusement. C'est, je pense, la façon dont la plupart des photographes du callejon travaillent. Ils sont pourtant équipés de moteurs et de boitiers numériques.
De plus, l'idée que ce serait nouveau est archi fausse : cela fait bien longtemps, des décennies, que les moteurs existent et même des dos pouvant abriter du film pour 250 vues. Certes c'est plus cher, quoique... à voir en un bilan général car un bon appareil argentique se gardait deux ou trois fois plus longtemps que les vite remplaçables boitiers numériques.
Si un photographe travaillait comme ça, sans distinction, à l'aveugle de son moteur, il n'aurait quand même rien solutionné : il lui faudrait encore être capable, sur les centaines de photos prises, de sélectionner LA bonne. La meilleure d'entre elles. Sans connaissance du sujet, cela lui serait difficile. Il n'aurait pas été capable de "voir" dans son viseur, il lui faudrait "voir" dans un immense embarras du choix, pas beaucoup plus simple ! C'est ce qui arrive un peu à Xavier (blog la Brega) avec sa série de portraits du torero dont j'ai oublié le nom - pas Aguilar, l'autre - sur fond de briques rouges quand il nous met toute cette série où chaque photo n'apporte rien à la précédente ; il devrait n'en sélectionner qu'une, la meilleure, plus explicite pour rendre compte du "Waiting for the bulls" anxieux. Si les textes se résument, se dégraissent, se cisèlent, les séries de photos, aussi. Il l'a quand même repérée puisqu'il la traite différemment, en noir et blanc ( la première, un profil de trois quarts)
Le photographe qui voudrait s'assurer de ne pas rater l'instant crucial pourrait même, pourquoi pas, s'improviser cinéaste, capturer les images exclusivement au ralenti pour en augmenter le nombre à la seconde, puis projeter son film et évaluer, isoler, choisir très finement ses arrêts sur images - ses photos - les plus réussies. Le problème serait à mon avis plus compliqué, il l'aurait fatalement la bonne photo, mais la façon de voir, "l'oeil" du photographe, non seulement ne serait en rien garanti mais pire aurait encore plus de mal à s'exercer dans cette pléthore d'images.
Un exemple ? Parce qu'il est tard, enfin... tôt, parce que j'en ai trente mille dans mon PC, j'ai ici, par rapport à mon texte, mal choisi la photo d'illustration qui parle plus de posture statique que de mouvement et de "ventre de la passe" !