mercredi 8 septembre 2010

Pourquoi allez-vous voir les corridas ?


Eugène, gros et gras, jovial bonhomme sourire toujours rivé aux lèvres, costume gris strict et cheveux gominés. Un grand-père comme on en souhaite à tous les petits garçons pour qu’ils deviennent à coup sûr, aficionados.
Impliqué, je ne sais pas ou plutôt je n’ai jamais su, à trois ou quatre ans on oublie dans le cercle fermé de ces messieurs du mundillo bordelais, il m’emmenait aux arènes du Bouscat. Lieu déjà magique, empli de fumée de gros cigares et où l’on parlait une langue pour moi encore inconnue.
Il m’asseyait, les jours de courses, dans une pièce, son bureau je crois, d’où je pouvais tout à loisir regarder, par une lucarne un petit enclos où étaient enfermées de drôles de bêtes noires. Pourquoi j’aimais ? Même Dieu ne le sait peut-être pas ? L’odeur du foin ou celle de la bête brute ? Le brouhaha des hommes empressés, plus loin le hennissement des chevaux. Et l’âge avançait .

Vers cinq ou six ans, peut-être plus, quelle importance, j’ai eu des fourmis dans les jambes et j’ai osé m’aventurer hors de la pièce toujours emplie de monde et de fumée. Doucement, sans bruit, j’ai vu ce que l’on m’appris plus tard être des cabestros : énormes pour moi, avec des cornes immenses.
Pourquoi j’aimais ? Peut-être pour les doux yeux de ces bêtes fatiguées par d’incessants aller-retour, cloches au cou. A sept ou huit ans j’ai pu entrer dans le cirque et voir défiler sur le sable des pantins aux vives couleurs. J’ai appris les vives réactions de l’immense foule et vu rentrer des chevaux que l’on recousait à la hâte.
Pourquoi j’aimais ? Déjà je devinais, la sueur, le courage, les ors et la musique, le soleil, les hourras ou les coups de colère... Vers douze ans, juste pour aller voir une course, ce fut mon éducation taurine entre Paris et Bordeaux en Fiat 500 avec ma mère, exceptionnelle, passionnée elle aussi, m’enseignant les bases de ce qui devait être, de ce qui est devenu depuis cinquante ans une passion envoûtante.

Pourquoi j’aimais et même pourquoi j’aime ? Parce-que vraisemblablement c’est l’ultime messe païenne à laquelle on puisse assister. Le sacrifice en trois actes d’un splendide fauve tout entier élevé pour le combat face à l’intelligence de l’homme, frêle, engoncé dans son habit de soie. L’école du courage bien sûr mais aussi et surtout celle d’une certaine modestie où tant de jeunes s’engouffrent mais dont bien peu seront élus.

J’aime pour le don de soi du belluaire ; l’art sublime de Joselito, l’artiste ;
L’humilité de celui qui perd ou le triomphant sourire de celui qui terrasse.

J’aime pour la route sinueuse, poussiéreuse qui conduit aux élevages ou les larges avenues qui mènent aux arènes pour voir Lilian, l’ami, affronter un Miura.

J’aime enfin parce-qu’il me faut remettre en cause, tous les jours en fin d’après -
midi, ma logique, ma théorie, ma pratique ou mon jugement de telle ou telle action, puisque sans cesse et jusqu’à la fin de mes jours, hommes et toros réapprendront à se mesurer sur le sable doré d’une quelconque arène, réinscrivant ainsi sur le tableau noir de mes rêves, une équation nouvelle qu’il me faudra résoudre.

Pierre CHARRAIN

9 commentaires:

Anonyme a dit…

Voici un aficionado qui reconnaît tout ce qu'il doit à l'enfance, à l'éducation, aux gens qu'il aimait et bien sûr à sa mère et qui nous enchante à si bien retrouver ses curiosités et ses impressions d'alors évoluant au fil des années.
Son analyse de l'aficion telle qu'il la vit adulte, précise, concise, inachevée reste sincère et bouleversante.
Un beau texte, Marc, merci.

Gina

Marc Delon a dit…

Ce Génépi ça vous réussit pas...

Maja Lola a dit…

Je ne comprends pas, Marc, pourquoi tu brandis toujours ce Génépi envers Gina. Même si elle en a surconsommé sur les sommets, elle a le droit de donner son point de vue et sa sensibilité sur ce texte. En tout cas, je n'y décèle aucun mirage alcoolique dans son analyse du texte, moi.
A propos Gina, avez-vous pu aller écouter J.-L. Trintignan au "9" ?
Il nous a régalés de poèmes sur les libertaires Vian, Desnos, Prévert : un temps suspendu dans une flottaison délicieuse.

el Chulo a dit…

toujours adorable gina.
et message personnel à cette même gina, maja y est arrivé!!!!!!!!!!!!!!!!
youpi, donc c'est possible non?

Marc Delon a dit…

C'est parce que ça suffit la montagne maintenant, faut qu'elle rentre !

Anonyme a dit…

Malheureusement je n'étais pas à Nîmes, Maja Lola.J'ai beaucoup de peine à abandonner les Alpes, les sentiers et les sommets. Pour la feria, j'y serai.
J'embrasse d'avance tout le monde.

Gina

el chulo a dit…

ah, vian, maja lola!

Maja Lola a dit…

Vous allez donc nous revenir fraîche et reposée. Il était temps car Marc se languit de vous. Et moi je me languis de ses textes qu'il a semble-t-il laissés en "stand-by". Mais peut-être est-il très accaparé par la Féria d'Arles ?

Maja Lola a dit…

Chulo, tu as raison de l'évoquer. L'immense Vian a été servi ce soir-là par l'immense Trintignant. Après un "Déserteur" grave et émouvant récité devant un premier rang d'auditoire composé de bien-pensance d'élus locaux (décalage original), il nous a emportés de sa voix grave et profonde vers d'autres voyages.
"Je voudrais pas crever", "Pourquoi je vis", "Elle serait là, si lourde" ....
au coeur d'un jardin où le temps semblait s'être arrêté, intimiste à souhait, dans une lumière propice au rêve et à l'émotion.
Un beso, Chulo