mardi 21 septembre 2010

Depuis son Ipad...1

Je suis un bon garçon quand même, plein de délicatesse envers vous, mes lecteurs… Car j’imagine aisément combien je vous lasse parfois, avec mes histoires capillo-tractées, mes tics de langage, mes digressions permanentes, mes pirouettes à la vas-y que-je-me-crois-malin et ma fausse virtuosité. Alors, l’autre jour, quand j’ai aperçu sa moustache rieuse, j’ai pensé à vous reposer de ma prose de temps en temps. Je me suis approché de lui et aussi sec, j’ai mendié :
Antoine, tu crois que je pourrais passer tes articles du journal, dans mon blog ?
Peut-être faut-il d’abord que je vous explique que le vainqueur du prix Hemingway a quelques charges et devoirs dont celui de commettre un article quotidien durant les jours de feria dans le journal local. Evidemment le sieur Martin s’en est plus que bien tiré – sa modestie (naturelle) dut-elle en souffrir – moi, j’adore, j’admire, et pire, je pleure ensuite quand je m’aperçois dans la glace… Bon enfin c’est comme ça, je dois être meilleur que lui à plein de trucs si ça se trouve, tiens le rizotto aux cèpes, tu le fais le rizotto aux cèpes, toi, gros malin… ? Ah ! Pfff... si ça se trouve, il le fait mieux que moi...

Du coup, emporté par sa générosité, grisé par l'attente de la cohorte, il m’a donné l’intégrale des textes parus dans le Midi-Libre. C'est vrai, vous autres, de Paris ou du Sud-Ouest, pourquoi vous résigneriez-vous à ne pas le lire ? Peut-être ne les publierai-je pas tous, ça dépendra de la tolérance de mon ego : vais-je supporter longtemps les superlatifs à un autre adressés, dans mon blog perso à moi où je pisse journellement copie pour bien marquer mon territoire ? Rien n’est moins sûr, surtout si vous me suppliez de le faire…

Voici donc le premier texte de sa série au titre générique high-tech. Désolé Antoine, sur le net on ne trouve de toi que cette petite photo floue…
Circulaires


C’est un vers de Willie Nelson, dans sa chanson On the road again (« Like a band of gypsies we go down the higway »), que les toreros pourraient fredonner. Car ils sont bien, eux aussi, des gens du voyage, comme les rempailleurs de chaises et les diseuses de bonne aventure, comme les chiffonniers et les laveurs de pare-brise, allant sans cesse d’une pointe à l’autre de la rose des vents pour les besoins du métier, courant un bout de chaque rayon de la boussole et retour au point de départ, Séville, les Saintes-Maries ou Timişoara. On appelle ça le nomadisme circulaire, dont le poète antillais Edouard Glissant (qui doit se demander ce qu’il vient faire dans ces histoires) a dit qu’il « s’accomplit quand le mouvement de trajectoire s’abolit ». Pile la description d’une passe en redondo parfaite. Oui, les toreros sont ce genre de rabouins, et les affiches des ferias seraient leurs livrets de circulation.
Mais, on ne sait pas pourquoi, on a, ces temps-ci, le sentiment diffus, et pas si réconfortant, que ni la vocation tauromachique ni l’état pérégrin ne jouissent d’une popularité énorme dans certaines sphères de nos sociétés. Là, on prend des dispositions parlementaires ; ici, on publie des circulaires, et notons au passage la fâcheuse ambivalence de ce mot. Bref, on voit bien que c’est une sale morve qui pend au nez de tout ce qui pourrait s’offrir comme alternative aux modes de vie prescrits. Pour ne rien dire de ce qui attend les écervelés qui trouveraient malin d’être à la fois torero et gitan. Rafael de Paula, Curro Caro, Antón Cortés, planquez-vous, ils sont devenus fous !
Bon, parlons plutôt des choses qui défâchent. Il n’aura échappé à personne que Manitas de Plata, le caraque le plus célèbre du monde, va se produire ce soir devant la Maison Carré. L’évènement est d’importance et je voudrais, si on me le permet, rapporter pour l’occasion un souvenir personnel.
C’était, il y a quelques années, par un après-midi magnifiquement ensoleillé de 31 décembre. N’ayant pas d’autre programme en vue, ma voisine et moi (je dois ici faire une minuscule révélation : en réalité, ma voisine et moi partageons bien plus que les quarante centimètre de planche de ce banc des arènes) décidons d’aller faire une promenade au bord de la mer. Sur le quai du port de la Grande Motte, voici Manitas, tiré à plusieurs poignées d’épingles, pardessus Dior, gant de cuir fauve à une main, chevalière comac au petit doigt de l’autre. On se salue, on se congratule, on décide d’aller boire un café par là. On parle. De choses. Du pardessus. De la guitare décorée par Picasso qu’on lui a volée. Et d’autres. Du studio. Il s’est mis en tête de me vendre son studio avec vue sur la plage. Pour finir de me convaincre, il lâche, avec sa tronche de sachem sioux (les curieux pourront vérifier, sur les photos du Far-West, sa ressemblance avec le chef oglala Old Man Afraid of His Horse) :
« Tu te mets sur le balcon et tu vois passer toutes les gadji à poil ».
Évidemment, je n’avais pas le premier sou pour lui acheter le studio. Mais si je l’avais eu, je crois que j’aurais signé sans hésiter. Par à cause des gadji à poil. Juste pour la beauté paradoxale de l’argument. En une phrase, le génie analphabète des six cordes venait de formuler une notion inconcevable, une abstraction qui se refermait sur elle-même de façon, oui, circulaire : l’immobilier nomade.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

un génie de l'alphabet formule une notion circulaire avec la littérature nomade

Marc Delon a dit…

Merci Antoine de nous entraîner si bien dans cette succulente impasse logique qu'est l'immobilier nomade. Manitas de plata est en effet assez baroque pour inspirer de tels oxymores.

Maja Lol a dit…

Joli texte qui nous rappelle, dans nos vies sédentaires et installées, que d'autres mondes, évasions, et horizons prometteurs peuvent se vivre. Mais surtout comme nos regards peuvent être critiques et peu tolérants.
Les gitants, authentiques dans leurs gestes, leurs attitudes, gais, tristes, naturels, spontanés nous dérangent dans nos certitudes aseptisées.
J'ai toujours été fascinée par le regard à la fois curieux, heureux, ingénu, voire enfantin de Manitas. Il était en effet très présent à la Grande Motte dans les années 70 et donnait avec générosité de sa présence et de sa compagnie avec chaleur et spontanéité. Les jolies filles ne le laissaint pas indifférent : son regard pétillant et coquin était son état "naturel".
Vendredi soir, devant la Maison Carrée, la scène étant trop loin pour voir si ce regard était le même. Seule sa crinière blanche, son costume immaculé et le son de sa guitarre rappelaient que le gitano était toujours là, dans le sens de la marche.

Anonyme a dit…

Pas très conforme , en effet à L'idée qu'on se fait de la vie nomade va fort mal avec l'exiguïté d'un studio à la Grande Motte. Pas étonnant que Manitas ait voulu s'en défaire.
Il savait pourtant laisser se balader son regard et son argument devrait inspirer poétiquement - pour une fois -, les agences immobilières.

Gina

Anonyme a dit…

Merci, et surtout à toi, Marc, pour toutes ces amabilités sans doute un brin excessives (le rizzoto aux cèpes est l'une parmi les milliers de choses que tu fais certainement mieux que moi). Pour le reste, juste une précision : je ne crois pas que Manitas ait vraiment eut l'intention de me vendre son studio. Il avait simplement, ce jour-là, une envie débordante, une envie torrentielle, de parler.
A bientôt
AM

Anonyme a dit…

C'est gentil de nous faire partager les belles choses qu'on trouve dans ton canard local, merci!

isa du moun