lundi 15 novembre 2010

Voyage au campo 6




Merlusse Repsol y Migas
Samedi. Mauvaise nouvelle : le pont submersible de la ganaderia Zalduendo, est infranchissable, visite annulée. C’est un peu difficile à croire, ici il ne pleut pas fort et nous sommes quelques-uns à douter. Pour connaître un peu le mundillo, on imagine sans peine le coup de fil qui a pu couper court :
-Dis moi, ton groupe là, finalement ça ne m’arrange pas du tout qu’il débarque aujourd’hui… tu ne pourrais pas leur trouver un autre os à ronger ?

Sauf que, après réflexion, je crois qu’on a été médisants, que le mundillo campero n’a pas les mêmes travers que l’autre et que c’était vraiment impossible. Je le sens comme ça. A force de veiller à n’être point naïf parfois, on se fourvoie sur les gens qui ne sont pas tous des entourloupeurs. J’entends déjà les cyniques qui me souhaitent la bienvenue au pays des bisounours.

La ganaderia de remplacement – il y en aurait vingt-cinq en Extremadure – se nomme Castillejo de Huebra et la finca, ‘’Zamarril’’. Origine Urquijo via Felix Cameno, création 1924. Un des quatre fers qui appartient à la famille Sanchez Cobaleda. Chaque fer étant associé à un encaste différent : les Terrubias paturent à Munoz près de Salamanca et sont d’origine Santa Coloma via Martinez Elizondo. Les « Patas Blancas » sont à la finca Santa Maria à Moraleja et ici à Zamarril se trouvent les Murube de Castillejo de Huebra et les Murube Atanasio de José manuel Sanchez.

La première caractéristique de cette ganaderia est qu’elle possède la ‘’remorque’’ la plus pourrave que le campo bravo ait jamais proposée à un groupe de visiteurs, de Villasequilla de Yepes jusqu’à Tananarive où Nicolas Ancion dans ‘’Brume’’ vous entretiendra de Zébumachie (Le Diable Vauvert). Un plateau rouillé et défoncé, deux ridelles sur quatre présentes, dont une qui a oublié depuis des lustres le concept d’angle droit. Elle verse vers l’extérieur, indiquant vers où il sera plus aisé de tomber. La pluie est fine mais persistante. Les trois quarts font la grève de la ‘’remorque’’ qui, d’évidence ne présente pas les conditions minimales de sécurité, pour éviter de charger les cabinets de chirurgiens orthopédistes pas nombreux dans la cambrousse extremena… Grève hélas boycottée par les jeunes qui se sentent de tenter l’aventure. Il partent semi-fléchis sur leurs jambes comme des surfeurs en s’agrippant les uns aux autres comme des… gens qui ne voudraient pas être éjectés au milieu de toros bravos… le premier col du fémur n’est pas loin. Au retour ‘’GG’’ en profite dans son espagnol alternatif qui fut jadis sa langue maternelle, pour préciser un peu le sentiment général :
- Senor ! falta una remorqua de securidad, porqué cuando una senora se peta la rodilleta muy facilmenta con su os-toreo-porosa, ben… vosotros muy emmerdado despues, entiendares ?

- Si, si !

Fait le type… qui a compris que ''GG'' n'était pas homme à être contrarié... tout va bien, bien sûr qu'on se comprend… Et hop tout le monde remonte dans le car espagnol aux sièges mieux conçus, coques en ''S'', qui font gagner dix bons centimètres pour les jambes… Et pourquoi un car espagnol…. ? Me rétorquez-vous soudain machinalement, votre sagacité n’ayant pas été prise en défaut ? C’est que la réglementation française en matière de transports en commun est poésie dont les muses sont les chauffeurs…. Vous imaginez donc l’inspiration sécuritaire, anti ''esprit flamenco espagnol'': nos chauffeurs ne peuvent travailler samedi et dimanche et on semble le découvrir sur le moment. Les Espagnols nous ont donc fourbi un autre car et sans supplément siouplait. Mais j’ai omis un détail en ce qui concerne la première journée de visite : on l’avait finie à 18 H mais il fallut attendre 21 H pour qu’un chauffeur ait le droit de reprendre le volant ! C’est la loi… qu’ils nous dirent, pas plus de 18H sur 24 soit neuf heures pour chacun, temps déjà consommé : je sens que je vous dégoûte de plus en plus des transports en commun. Oui mais vous êtes marrants : 490 euros tout compris… vous ne voudriez pas avoir des chauffeurs jeunes, cultivés, gentils et serviables, aussi, pour ce prix. Y'a une justice, quand même... C’est bien simple, sur mon compte en banque, je ne me suis même pas aperçu que j’avais payé.

L’après-midi, en remplacement de Zalduendo que l’on devait voir le matin, je ne sais pas si vous suivez… nous avons roulé assez longtemps dans des gorges désertiques, il n’y avait même pas la moindre touffe d’herbe à chameaux du grand erg oriental algérien en bord de rivière, pour atteindre la ganaderia de El Cubo, du côté de Trujillo. Alors là, si on prend l’élément remorque comme unité de comparaison, il y avait la remorque la mieux défendue, la plus sûre de la planète des toros. Super bien défendue, barreaudée jusqu’à 2,30m de hauteur. Là, jérôme a dit :

- vous préférez celle-là ? Parce que là, si un toro saute dedans, pour le faire sortir….

Mais bon, c’est un camarguais, il fait des blagues de gardian…
El Cubo, si vous voulez conserver une idée romantique des ganaderos, n’y allez pas. Y’a un vieux livre qui existe ''Les Ganaderos romantiques'' j’aimerais bien le trouver d’ailleurs. El Cubo c’est Dallas. El Cubo pour moi, n’est pas une ganaderia espagnole, c’est un ranch texan. A coups de milliards, - de pesetas – ce type s’est construit au milieu de nulle part un caprice de richissime. Des arènes couvertes dont le sable est aussi bien peigné qu’un jardin japonais, vous savez ceux qu’on doit ratisser fin, jour après jour pour atteindre la zénitude, et ben tout comme. Attenant, un grand salon vitré, chauffé, climatisé pour regarder confortablement ceux qui en bavent au centre de la piste. Et pas un pilier, autoportante la toiture de l’arène, illuminée, climatisée, sonorisée, arrosage automatique, toilettes japonaises avec douchette de bistoukette à l’eau de rose intégrée, et goupillon anal rotatif et pistonnant à vitesse variable et usage unique bien sûr. Une débauche de fric à faire pâlir les ganaderias historico-mythiques. Pablo Romero à côté, c’est le tiers monde, un campement provisoire pour paillettes taurines réfugiées… mais tellement plus émouvant avec leurs vieux piquets de bois et leurs barbelés rouillés que ces kilomètres de barrières rutilantes dont le coût total doit représenter à peu près le revenu généré en un an par un puits de pétrole saoudien… Ils ne payent pas le fer en Extremadure ou quoi ? ‘tain ! Dix ans que j’habite ma villa sans avoir pu encore trouver le budget des garde-corps de la terrasse : le vide menace toujours.
Donc voilà… A voir une fois, pour oublier que ça existe. Le proprio, lui, est bien évidemment tout fier, qui a connu le temps où il avait une paire de galoches cloutées pour Noël et s’il pouvait, il les recouvrirait de feuilles d’or, ses barrières, car il est loin, très loin, de l’idée pseudo néo-romantique d’un bloggueur français à la noix qui serait infoutu de donner le moindre ballot de paille à manger à ses bious…
Et à midi ? Je ne vous ai pas parlé de l’étape restauration… je ne voudrais pas vomir une deuxième fois, faut dire. Tenu par un ancien véritable matador de toros dont j’ai bien sûr oublié le nom, et dont je n'ai pu espérer que très peu de temps qu'il soit meilleur restaurateur que torero, nous nous sommes rendus dans le chantier de la Plaza Mayor éventrée de Caceres, au restaurant ''El Pato''. Igual que El Cubo : oubliez. Là-bas, personne ne s’emmerde avec la notion super abstraite de ''gastronomie'' : tu sais faire cuire un œuf, tu montes ton restau. Il a fallu se coltiner pour obligation de couleur locale, les fameuses migas qui ne servent qu’à te faire dégueuler si jamais t’en as besoin. Donc tout le monde s’est abstenu, personne ne tenait au projet. Pourtant j’aime le gras… mais là…non. Les pauvres, c’est ça qu’ils bouffaient, au siècle dernier, mais parce qu’ils y étaient obligés tu vois, alors que nous, les riches, c’est juste par snobisme qu’on pense y goûter… Après, le plat suivant ? Pour équilibrer un peu, tu fais des frites comme t’es restaurateur, tout le monde aime les frites, pourquoi tu t’emmerderais... des bonnes vieilles frites ramollies, refroidies, réchauffées et spongieuses d’huile rance, dégueulasses quoi, que tu accompagnes d’une sorte de ragoût mais pas ragoûtant pour deux sous, sec, ''pimenté castizo''; tout a le goût du chorizo là-bas… et à la fin, le même fameux gâteau qu’on te sert depuis ton arrivée en Extremadure, qui change seulement de couleur : vert vomi, mauve funéraire ou jaune pisseux : Vous savez qu’on n’est pas malheureux en France des fois ???
Et encore a-t-on pu ici bénéficier d’un cadre accueillant…. Parce que le hall de gare impersonnel éclairé au néon, de la station essence Repsol où j’eus un face à face douteux avec une merlusse noyée dans une sauce épaisse, j’vous raconte à peine… Bon… 9 euros le repas, même qu’en tournant le menu c’était moins cher : 6 euros mais tu comprenais encore moins ce que tu allais manger. Mais non, on avait même pas à le payer : c’était compris aussi ! Là, c’est pas ''GG'' qui a conseillé Jérôme, je me suis permis une observation : tu vois Jérôme, à ceuss de Turitoros, tu devrais leur expliquer que tous les Français que nous sommes préféreraient payer 600 euros plutôt que 490 et se régaler à tous les repas, enfin je crois… parce que là, déjà que c'est un peu le bordel leur voyage, ça soutient pas le moral...
Sauf que c’est vachement difficile à faire comprendre à un espagnol, ça. Oui, chaque fois qu’ils venaient te demander si c’était bon, ben… soit tout le monde se regardait en souriant et en opinant du bonnet, soit il s’en trouvait un plus hypocrite ou plus poli pour dire « oui, oui » vu que la demande était tellement naïve et de bonne foi. Parce que à quelqu’un de gentil et de bonne volonté et qui a une toute autre culture culinaire que la tienne résultant de plusieurs siècles de souci constant de recherches gastronomiques inlassables, impossible à expliquer en dix minutes, tu peux pas lui dire :



- c’est de la merde, t’sais…de la vraie merde, ton restau !




C’est pas possible. Comprendrait pas. Alors tu fermes ta gueule et tu te déplaces avec ton Ercéfuryl. Comme tout le monde… Le Japon s'occupe du reste. Alors le mec, pénétré de l'idée que la bouffe te satisfait pleinement, de joie il te plante un flamenco de sa création :

- Olé ! tu fais, pendant que dans ton ventre la merluze a repris sa nage à contre courant.

On clique sur les photos pour les agrandir...






C’était le jour de Guadalest, la merluze Repsol… à l’issue du repas il n’y avait que le mayoral qui était content, il continuait à chanter… faut dire que celle dont je n’ai même plus le droit de prononcer le prénom mais – deux indices au passage – qui commence par ‘’A’’ et finit par ‘’E’’ était toute proche… alors le type il a fini par toréer avec la nappe, galvanisé. Je le comprends. Enfin, un peu moins, maintenant. En tout cas, je progresse, j’ai commencé ma punition, mes cent lignes-paragraphes :


Plus jamais, ni je ne publierai son image, ni je ne parlerai d’elle, écrirai ou simplement évoquerai la ci-après dénommée par baptême ‘’Aurélie’’, elle que l’on imaginait complice et amusée et au beau regard de laquelle souvent on se raccrochait, pour égayer un peu la tristesse et l’austérité des paysages extrêmes et durs de l’Extremadure. On y voyait briller les lumières de l’Orient et les complaintes andalouses, ignorant encore tout du mirage abritant la froide indifférence des loups.







Bruno Bontempelli dans ‘’L’attouchement’’ (Grasset) :



« J’ai commencé de l’attoucher.

Ce corps dépourvu de tout apprêt, ce corps vierge, animal, était un festin. On n’aurait pas eu plus faim devant les mets les plus exquis. C’étaient l’émail du raisin, le velours de la prune, le lissé du miel, la souplesse et le grain de la pâte d’amande, c’étaient la fermeté de l’olive et la chair du pain de seigle, le suc des rôts et le cœur des figues, l’or des tourtes et l’ambre du vieux vin, c’était la manne mise par l’éternel à portée des hommes en guise d’avant-goût de l’Eden.


La peau cuite au soleil avait épanoui ses couleurs et ses arômes. Je humais la cannelle, le poivre et le gingembre ; je goûtais des yeux l’onguent brun dont elle semblait couverte, ses ocres de sumac, ses violets de pavot et ses dunes de sable noir où scintillait une fine mosaïque de cristaux minuscules. Cette peau sentait le chaud ; pourtant elle était fraîche… »

11 commentaires:

Anonyme a dit…

Ah là je compatis!!! Les mauvaises routes, les odeurs dans le bus, le manque de sommeil, les réflexions sans humour, c'est rien par rapport la mauvaise bouffe, parce que mal bouffer y'a rien de pire, enfin pour un(e) sudouestien(e) du moins!!!
Mais bon, puisque tu avais le joli sourire de "celle qu'il ne faut pas nommer" en ligne de mire...
isa du moun

Maja Lola a dit…

Tout à fait d'accord pour la bouffe Isa du moun. Surtout lorsqu'on a la chance d'avoir une grastronomie qui figure au patrimoine mondial immatériel de l'Humanité ! Non mais ...
En tout cas la rudesse du voyage inspire à Marcos des cent lignes très poétiques. Un cancre créatif ou penaud ?
El flamenco de l'Antonio Gades local a dû être un moment fort.
Quant à "el espontaneo" du torero de salon sponsorisé par Optic 2000 je lui trouve un petit air de Richard Gotainer (jeune, bien sûr).
Bel extrait de "L'attouchement". Tu t'inities à la caresse jusqu'à l'extase ? De la part d'un kinénîmois c'est .... un peu inquiétant. Non ? Ah mais c'est vrai ! Tu es cent pour cent pro !

Anonyme a dit…

Bonjour Marc,

Un second voyage est en train de se mettre en place pour le mois de mai.... Emilio "El Patto" t'a mis ton assiette de MIGAS de côté !

Et il faut quand même reconnaitre que tu a un don certain pour "noircir le tableau" ! Apart les migas et un certain excès de sauce et de graisse dans l'ensemble ça allait !

Mais pour ceux qui seraient interressés par un voyage de plus "grand standing" nous sommes aussi capable de l'organiser et même pour un groupe plus réduit !

Un abrazo

Jérôme

Anonyme a dit…

On sait bien que dans tous les voyages, on n’a pas la nourriture de chez soi, et pas forcément des plats exotiques à notre goût. Mais le but n’était-ce pas, d’abord, une lecture de tout ce qui éveille la curiosité ?
Entre les gens rencontrés, l’espace géographique ou humain ou animal - dont finalement on n’a pas appris grand-chose -, ces récits de Marc, sans doute exagérés dans le sens du pittoresque et de l’aventureux, nous donnent des envies de partir voir comment c’est ailleurs.

On a bien aimé les photos, on aime bien celle de GG, marrante, - on s’interroge sur ce qu’il fait ou raconte, est-il en train de jouer au foot? -, mais une carte jalonnant le trajet, pour les nuls, n’aurait pas été superflue.

Gina

Marc Delon a dit…

Salut jérôme...

Pour toi qui est un jeune pro du reportage en recherche de vérité donc, et pour tous les pragmatiques, une précision importante :

Ce qui est lu ici n'est pas la vérité ! Ce n'est rien que mon ressenti subjectif ou pire, ce que j'ai trouvé amusant d'écrire en toute liberté pourvu que ça m'éclate (comme ils disent, chez les jeunes...)

Au bilan global, rassure-toi, même si je pointe ou invente ce qui m'a ''amusé'', ce buzz delonien sur une escapade au campo devrait donner plus envie que pitié. Car si de nobles voyageurs ont eu des expériences dans de plus smarts conditions, comme je l'ai vécu aussi, par tout petit groupe, dans la voiture du ganadero, pour le raconteur que je suis, le groupe en car donne infiniment plus de matière...

Marc Delon a dit…

eh oui mais Gina vous êtes intelligente, vous, et vous parlez comme une enseignante, qui veut savoir et comprendre. Mais nous on aime ''voyager con'' sans autre but que bâfrer et parler toros en se contrefoutant de la géographie. On est vilains, hein...

Sinon, oui, dans le mille ! ''GG'' est en train de se livrer à ce que l'on appelle l'épreuve des pénalties : comme les flèches le lui indiquent, il va devoir plonger à gauche ou à droite, selon la fantaisie du tireur. Le texte est prêt mais pas encore finalisé...

Anonyme a dit…

Mais non, tout ce qu'on trouve sur internet n'est pas vrai!Ce n'est pas la vraie vie, ici encore moins qu'ailleurs...Et qui vous dit, Jérôme,que le Marc Delon qui écrit ici est celui que vous connaissez? Vous avez des preuves? Moi, il me fait tellement rire que je sais que c'est lui, isa du moun aussi je pense...
isa

el chulo a dit…

Pas mal en effet pour un professeur besogneux.

une bise Gina

Maja Lola a dit…

Mais Monsieur "GG", qui semble avoir beaucoup d'humour, a certainement compris que les clins d'oeil sur le blog et les allusions (un peu gauloises parfois) font partie du décor ! C'est ce qui donne toute la saveur à cette aventure. Les anecdotes que nous sert Marc et sur lesquelles nous rebondissons font partie du voyage. Ce serait bien triste de ne résumer ce dernier qu'à l'énoncé de la plaquette publicitaire.

Marc Delon a dit…

Il faut retourner lire les commentaires sur "Voyage au campo 2" où se révèle une nouvelle copine, pour se rendre compte à quel point certains peuvent me faire ronronner d'aise. Rrroârrrrr...rrr...rôrrrr
Tigrou.

Maja Lola a dit…

Une nouvelle copine ? Et pourquoi pas un nouveau copain. Qui t'en voudrait d'avoir joué les matous. Allez, va, tu ne nous dis pas tout ...