dimanche 30 octobre 2011

Gambas y Bigoudis


Dans l'escalier déjà, ça sentait l'Espagne à plein nez. Cette odeur inimitable qu'on ne respire que là-bas. Celle qui évoque les couleurs de la paella. Du jaune orangé au rouge sang. Pardon pour la catalogne sécessionniste. Avec un peu de chance cela vient de la cuisine de Mari-Carmen que je visite ce matin. Oui, pas de doute, devant sa porte l'effluve s'intensifie. Je sonne. J'entends des bruits de casseroles qui s'entrechoquent, puis la porte s'ouvre sur une constellation bigarrée et fumante de bigoudis au safran. Yaya Mari-Carmen semble se déplacer enveloppée d'un nuage de cette fragrance puissante qu'elle diffuse autant qu'elle l'absorbe. Après les civilités d'usage, je l'entreprends.

Mouscoulacion, Equilibracion, Coordinacion.

Au loin, traversant le long couloir, erre parfois l'ombre fantomatique de son mari qui nous jette des regards jaloux. Pour une fois qu'il n'est pas le centre d'intérêt majeur... Cette odeur me rappelle les vacances de ma petite enfance, à Lloret del Mar du temps où ce n'était qu'un tout petit village de pêcheurs.


  • Mais qu'est-ce que vous faites à manger madame M... ça sent booooonnn... !

  • Aaaah tu entends Antonio ? El Kiné diga qué ça sent bon chez toi... il me reproche de ne pas assez cuisiné... loui il fé rien, il attend toute la journée qué zé loui fasse tout, bou comprené... es facil... pero jé soui vieja y cansa ahora...

  • Montrez-moi ce que vous préparez !

  • Si ! Venga en la cocina... cé oun arroz de gambas...

    et elle soulève le couvercle en me poussant le dos pour que je le sniffe en surplomb.

  • Ouaah, ce que ça sent booooooonnnn ! Comment vous faites ?

    Yaya Mari-Carmen sourit, toute fière...

  • Zé fé rebenir les gambas dans un pé d'houile d'olive, pas longtemps, hein... zé lé dékrotik... dékzorkique... como se llama ?

  • Décortique !

  • Si ! Esso es ! Pero bou laissé la queue , et jé lé mé dé côté. Jé remé dans la paella les kracapaces... les karatapax... krzacrapassss

  • Carapaces !

  • Si ! La décorticacion de las gambas, quoi... y las cabezas ! Muy importante las cabezas, no olvido ! Zé mé ma tomat', l'aïl, du poivre et du safran et juste un trait de vino blanco al final, Barbadillo por ejemplo... et ça coui, et ça coui, à petit à petit, quieto... bou écrasé bien las cabezas de temps en temps, bou remoué, tranquillo... à peti feu, petit à petit, bou laisse mijoté que tou pé fèr tes bigoudis pendant ce temps, tou mé bien du vrai safran...encore... jusqu'à ce qué cé soit tout bien... como diga ? Com...

  • Compoté ?

  • Si ! De la compot'. Ensouite bou lé mixé un pé ma pas beaucoup, et bou lé passé bien écrasé dans l'asiatique, là, tou sé ?

  • … ? aaah... le chinois ?

  • Si ! Qué cé una passoira francese...

  • Si... oun Chin-tok !

  • Mé qué bou mé fète rire mésié délong... !

  • Je pourrais pas le goûter ? Avec une petite cuillère à café ?

  • Ziiiiiii.... bien sour...


Et là, yaya Mari-Carmen prend sa louche et m'en file une rasade à noyer un gosier sec.


      • Ohalalalaaaaa... extraordinaire... quel suc ! Dantesque !

      • No... dans le riz, cé l'arroz qué bou fé cuire là-dedans ! Y al final, bou rajouté les gambas dedans, ayyyy qué es bueno...

      • Tu vois qué cé bon dé soucer la gambas !

        Fait son mari, derrière nous, appuyé à l'embrasure de la porte, goguenard, un sourire salace à la bouche...

Mari-Carmen la honte aux joues, aussi orange que sa bisque, le fusille du regard et j'ai soudain peur que ses bigoudis ne quittent sa tête sous l'impulsion de la colère et lui criblent sa face ravie. Elle le toise enfin et l'achève de cette maxime définitive :

- De la tête à la queue, pour soucer la gambas, encore faut-il qu'elle soit fraîche !

28 commentaires:

Anonyme a dit…

Il nous a fait le coup plusieurs fois le Marc. Vous n'avez jamais rien trouvé de suspect ? Hé bé moi je vais vous désiller les quinquets. Ca fait plusieurs fois qu'il nous raconte qu'il est allé soigner des mémères cuisinières chez qui la popote sentait bon. Avec un culot et une insolence que l'on ne rencontre que chez les professions libérales (les médecins, les avocats,les notaires et les huissiers font la même chose) il fourre son nez au-dessus des casseroles et même, il goûte !
Mais avez vous remarqué que pas une fois la mémère (la plus part du temps étrangère) ne l'a invité à partager le repas ? Bien sûr qu'elle est gentille la cuisinière : elle a pas le choix si elle veut être bien soignée. Pelota ! Pelota ! C'est ça l'avantage des professions libérales.
Et cette façon de photographier les indigènes indigents dans leur milieu naturel... Comme l'explorateur chez les negros ou pire même les colons au Congo Brazaville. Quelle impudeur ! Mais comme il est dans l'exercice de sa profession libérale, il ne risque rien, l'indigène ne dira rien. Elle subit mais elle moufte pas. Ah Ah ! c'est pas aussi risqué qu'avec Conchita qui avait porté le pet illico presto.
Je continue ou tu m'invites à manger ?
JLB

Marc Delon a dit…

Continue, je t'envoie des croquettes empoisonnées par la poste.

Maja Lola a dit…

Tu aurais pu attendre que la brave yaya enlève ses bigoudis pour la photo ... quitte à changer le titre de ton texte.

Au fait, pourquoi tes patientes espagnoles sont-elles toujours des terreurs envers leur maris ?
Ah ! Je sais : c'est parce qu'elles foooondent en te voyant et ne peuvent plus supporter la présence de leur brave moitié quotidienne !!! Ay que tio .....

Marc Delon a dit…

Parce que les vieux couples sont toujours exaspérés et la nouveauté toujours idéalisée, voyons...

Anonyme a dit…

Des croquettes au vinaigre ?
Pouah !
Par la Poste en plus ? Je vais les recevoir dans un mois parce que le service public et les fonctionnaires, aujourd'hui, quelle honte ! (qu'est ce qu'il faut pas faire pour becqueter !).
Pas croquettes sinon moi couic.
JLB
PS : oui oui Maja Lola, bien vu le coup du mari terrorisé chez ces pauvres expatriés ! Et un de plus.

Maja Lola a dit…

Ah bon .... que les vieux couples ?
Bon, si tu nous faisais un autre portrait en changeant un peu de géographie .... histoire de laisser un peu tranquilles mes braves "pays".
Parce que les boulettes empoisonnées se livrant régulièrement par la poste en ce moment, tu risques d'en recevoir avant d'avoir le temps d'en envoyer à JLB. Ce qui te mettrait fort mal en point pour lui mitonner un de tes mets succulents à la date mémorable de son invitation.

Anonyme a dit…

Tout y est dans ce texte, mine de rien, une image de la France profonde (Lola!), attachée à ses valeurs, à sa mentalité simple et besogneuse, à son sens aigu de l'économie, à ses traditions, où le vieux conjoint à l'intérieur d'un couple-longue durée mais oxydable, espère toujours corriger l'autre.
Et le charme des professions libérales (médicales?) où le praticien ne mesure pas son temps pour mettre son nez partout et savourer...tout...
Gina

Anonyme a dit…

Marc devra actualiser son vocabulaire : la dame ne porte pas "les bigoudis" - il y a bien plus d'un demi-siècle qu'ils ont disparu -, mais des rouleaux avec des piques !
Gina

el Chulo a dit…

ma què la paella con las gambas cé pas la paelle dé valencia, cé oun paella de ricos!pour professioon liberal!

isa a dit…

qQel bobo ce JLB !
Marc et moi on tire nos revenus de la même clientèle et c'est grâce à ces gens qu'on se rappelle qu'on est que des êtres humains , avec leurs petites misères et leurs grands bonheurs...
Sa petite chronique de soins à domicile ,elle est craquante de bonté humaine, touchante de vérité quotidienne,ce n'est pas une expédition ethnologique en terra incognita menée par un nanti en mal d'amusement.

Anonyme a dit…

I started a joke, Isa, just a joke.
Alors, pas de violons corporatistes siouplait.
JLB

Maja Lola a dit…

Et voilà que la réponse de JLB nous ramène aux Bee Gees de 68 avec "I started a Joke" ... du sirop pour la nostalgie et de la douceur pour ce jour de Toussaint. "I started a joke wich started the whole world crying ..."

Marc, tu n'aurais pas pu trouver un écrin plus glamour pour immortaliser cette superbe plante ? Ton esprit de provoc' légendaire, claro, ... d'un goût plus que discutable.
Je retourne écouter Robin.

Anonyme a dit…

Encore une fois, Isa, j'approuve vos propos sur les "soins à domicile" ; si seulement l'auteur voulait bien nous entendre!
Gina

pedroplan a dit…

Sauf que l'huissier, il part avec la casserole

Anonyme a dit…

Je suis bien embêté parce que d'une part j'approuve Maja Lola qui trouve la photo de la belle plante sur la tombe d'un goût douteux, d'autre part parce que l'autre jour j'ai signé un contrat chez Assurobsek avec, en option, un toit de plastique transparent. Je vous jure, Maja Lola, je n'ai pas pensé une seconde qu'une belle plante pourrait s'asseoir sur mes restes et provoquer mes désirs posthumes. C'est juste pour voir Marc Delon, repentant, venir déposer entre les chrysanthèmes les mets les plus raffinés (ça se fait en Inde et ailleurs).
Et puis, dites, Maja Lola, vous avez pensé à Brassens qui, enterré sur la plage de la Corniche, se serait payé des millions de fesses ?
Y a t-il une vie après la mort ?
Pardi ! Je veux mon neveu !
JLB

Anonyme a dit…

Superbes gambas ! Enfin gambettas... piernas, quoi...

Biiiiiieeeen Marc. JLB se "traverse", car où mieux aimer la vie que devant l'évocation de la mort ? Très belle association au contraire, très tauromachique : la prééminence de l'idée du désir face à l'inéluctable fin contestée jusque dans ses confins (en un mot et pour que ça rime...)

Piputo qu'à pas mal au dos

Maja Lola a dit…

Bonne analyse JLB. Mais je pense que les morts sous les tombes auraient trouvé mille fois plus jouissif de se payer des fesses de leur vivant et que toutes fesses, aussi belles soient-elles (ce qui est le cas ici) pourraient s'abstenir de se poser sur une pierre tombale de manière aussi désinvolte et ..... inutile, sauf bien sûr pour les mâles émus du présent blog. C'est déjà ça. Et comme ça met très en forme M. Piputto qui philosophe "tauromachique", je reconnais humblement que vous me trouverez certainement à côté de la plaque (RIP);

Anonyme a dit…

On commence par être à côté de la plaque, Maja Lola, et puis un jour on se retrouve dessus. Et pour le dessous, ben c'est plus le repos éternel !
JLB

Anonyme a dit…

Brève de la soirée :
nous avions, jusqu'à ce jour, l'expression "se faire empapaouter".
Maintenant nous avons "se faire empapandreouter".
Athènes m'a toujours fait chier. J'ai toujours préféré Spartes.
Bon, on se grouille de le faire ce repas avant de n'avoir plus un rond ?
JLB

el Chulo a dit…

les spartiates, vous voulez parler des chaussures JLB?

Anonyme a dit…

Tout à fait Chulo ! Chaussures sympas parce qu'avec, on ne peut pas filer de coup de pied au cul douloureux. Plût au ciel que mon père ait préféré les spartiates aux Pataugas ! Je m'en serais évité... Remarquez, vers chez vous, il y a des sandales qui ne doivent pas faire bien mal non plus. Pas loin de chez moi il y a les bigatanes, molles également. Il parait que bientôt on crapahutera avec des Tongs : de plus en plus mous les mecs !
Tiens, à propos de bigatanes et donc de Catalans, grâce à vous Chulo, j'ai retrouvé un domaine viticole assez remarquable : le Clos des Fées à Vingrau (66) Après avoir bu un jour son génial "La petite Sibérie" je l'avais oublié. Et pourtant ! Bon, "La petite Sibérie" est à 200Euros la fiole (mais comme disait ma grand-mère "on en boirait -ou on en mangerait- sur la tête d'un mort). Comme je ne suis pas démocrate je n'ai pas honte de boire ce vin aussi cher. Merci Chulo d'avoir rappelé à mes papilles cet excellent souvenir.
PS : je peux apporter du "Clos des fées" (moins cher Hé ! Ho !)pour le repas.
JLB

Maja Lola a dit…

Non Chulo, je crois que JLB veut parler des spartes (habitants de Sparte) ....
Les spartiates, fort jolies sandales par ailleurs, étant réservées aux pieds ailés (et aérés) en été. Et le qualificatif à des dépouillements de confort extrêmes.
Allons bon. Voilà que je me mets à répondre à des questions qui ne me sont pas destinées .... Quelle pipelette je fais !
Con su permiso, señor JLB.

Anonyme a dit…

Marc m'a tellement dit du bien de vous, chère Maja Lola, qu'en écoutant votre ramage, je laisserai sans doute tomber mon fromage lorsque nous agaperons ensemble.
JLB

Anonyme a dit…

Par ici on dirait qu'on "en mangerait sur la tête d'un pouilleux ...."

Ogresse nîmoise en cothurnes

Marc Delon a dit…

'tain vous travaillez tous à la poste ou à la MGEN ou quoi ? A 16h30 les comments se déchaînent...

Anonyme a dit…

Tea time, perhaps ?

Pipelette nîmoise en westons

Anonyme a dit…

A 16h30 nous on goûûûte Môsieur !
La merienda del bloguiste.
Leonidas (aux amandes)

Marc Delon a dit…

Tsssss... et après on implore le Dieu cellu M6 c'est ça ?