mardi 9 février 2016

Les Délices de Tokyo de Naomi Kawase



Il y a haricot rouge et haricot rouge. Il ne faut pas confondre, même si les deux sont des Phaseolus Vulgaris. Ça se respecte un haricot rouge. On ne l’achète pas en conditionnement industriel dans le sirop des adjuvantes merdes anti-quelque chose qui le privent de sa texture et de son goût (tant qu’on peut encore mettre des accents circonflexes il faut en profiter…) mais c’est sûr, ça a un coût (Pôm pôm pidôô…).


Dans la vie, il faut savoir ce qu’on veut : respecter le haricot rouge, se respecter soi-même, régaler les gens avec des Dorayakis d’anthologie et gagner sa vie honnêtement, ou produire facilement du bas de gamme. En fait cela dépend de votre complexion d’esprit. Cédez-vous  à la facilité en toute joie ou aimez-vous le travail bien fait même s’il vous en coûte en temps et efforts ? Mac Do ou trois étoiles Michelin ? Domecq essoufflé d’imposture triomphante ou tio meurtrier de respect, à réduire ? Gagner du temps ou de l’argent ? Etre fier de son travail ou s’accommoder de sa médiocrité ?


Alors bien sûr, la qualité, c’est beaucoup plus contraignant. C’est la veille qu’il faut mettre à tremper les haricots dans l’eau pure et, à l’aube, qu’avec égards, on doit les présenter au sucre puis respectueusement, en les convainquant, leur proposer de confire à basse température dans toute la progressivité d’un temps long. Dans le cuivre d’un chaudron. Les touillant parfois, sans jamais les écraser, avec une spatule en bois, puis les couvrir comme on protègerait son enfant du froid, respectant le secret qui les lustre de ce rougeoiement nacré et fondant. Il n’y a pas d’autre solution. C’est le respect du produit, c’est l’amour du travail bien fait, c’est l’amour respectueux de la nature, c’est peut-être, tout bonnement, l’Amour, tout court. Au final, par le seul fait du temps qui s’écoule et la somme de ces détails, se bonifient les choses, maturité et sentiments humains compris.


Rien à voir avec le Chili con Carne que vous assène votre belle-sœur le dimanche au prétexte qu’elle appartint aux jeunesses communistes à vingt ans où elle lut trois poèmes de Pablo Neruda…


C’est tout cela qu’amène Tokue (Kirin Kiki au civil ! ) avec sa recette de garniture de Dorayakis, à Sentaro, taiseux gérant d’un kiosque de rue. Et bien plus encore, par sa présence douce et mutine, son insistance gentille et obstinée, comme celle d’une maman envers son petit. Curieuse, cette volonté de travailler quand on a largement passé l’âge légal de la retraite. Et de son dévouement laborieux à déprimer un syndicaliste CGT, que dire ? Cela cache-t-il un secret ? 


Et puis il y a cette jeune fille timide et désorientée qui trouve peut-être dans l’odeur de la pâte ‘’An’’ de Sentaro la sécurité qu’elle n’a pas ailleurs. Trois générations, trois personnages qui se trouvent pour échapper au confinement de leur isolement et qui vont s’aimer parce que quelque chose les unit. Mais quoi ? Vous écrierez-vous en chœur, toujours sagaces, même si ça m’agace. Vous le découvrirez en déportant vos postérieurs sous la voûte des cerisiers en fleurs pour jouir de la nostalgie profonde de ce conte poétique qui, s’il est aussi mal éclairé qu’un restaurant vietnamien, n’en illumine pas moins la délicatesse de subtils sentiments humains.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Eh voilà... j'attendais ''Jane got a gun'' et la marque des sous-vêtements et j'ai ''les délices de Tokyo'' avec la recette des Dorayakis... ce type n'est pas fiable... ça doit être nippon ni mauvais ces pains aux haricots...

gina a dit…

Pas fiable, c’est vrai, mais on finira par la connaître la marque du caleçon qui va encore nous épater, attendons l’occasion.

En tout cas, ce compte rendu m’épate par le long détour plein d’humour et de fantaisie qui nous amène en douceur à vivre une histoire simple et poétique.