je me souviens de l'émotion ressentie quand ce texte me parvint. Ce soir, le lisant à nouveau, le frisson qu'il m'inspira est intact. J'aborde ici la révélation de ce qui sourdait bien souvent en moi alors qu'il semblait que tout autour on ne fêtait qu'une réjouissance gratuite. C'est pour ce genre de texte que j'ai posé la question pour savoir, une fois la fête passée, ce qui restait dans l'intimité du psychisme de chacun... En découvrant cette sensibilité j'ai su pourquoi des amis d'enfance comme Nicolas, ou des amis compagnons de tendidos comme François, Jeff, Serge, Gilles, Bernard, Raoul, Renée, Yannick, Frédéric, etc ou même des amis tellement récents que je ne les connais pas encore comme Xavier et Laurent (à peine) ou Ludo (pas encore) ou toi, Jean-Philippe Sauvage auteur de ce magnifique texte, j'ai compris pourquoi ceux que j'admirais comme Martin, Deck, Durand, Montcouquiol, que je les connaisse ou pas, étaient mes frères de sensibilité : parce que tous avec amour et respect, mettaient le toro au centre, trouvaient dans la fascination de ce fauve et la vérité de son combat des réponses qui touchaient à l'universalité. Alors, vu qu'on est des hommes, je ne vous tomberai jamais dans les bras en vous disant que je vous aime, mais, tiens, avant qu'on meure, vous l'aurez au moins lu ici une fois...
''Garapito'' et notre mort en ce ruedo
Jean-Philippe Sauvage
Le toro non fixé, s’est désintéressé de tout le monde. Il a longé la barrière et s’est dirigé vers le picador de réserve auprès duquel se trouvait le Romero. Personne n’a bougé attendant que le matador qui actait reprenne le toro, mais celui-ci ne l’a pas fait. Le toro a fini par arriver sur le Romero qui se trouvait derrière le cheval. Curro Romero qui espérait jusqu’au bout l’intervention de Mora ou de sa cuadrilla, a ouvert sa cape au dernier moment. Au sortir de la véronique, le toro s’est retrouvé sur le cheval qu‘il a encorné au ventre. L’équidé s’est écroulé et le toro l’air de rien, a continué sa route. Panique dans le ruedo ! Curro Vasquez reprend les choses en main et ramène le calme en piste. Pendant ce temps, les areneros essaient de relever le cheval qui baigne dans une mare de sang. Peine perdue, ils renoncent. Un peon puntille alors l’animal pour abréger ses souffrances. En coulisse, on ne trouve pas tout de suite une bâche pour recouvrir, comme le prévoit le règlement, le cheval. Quant au plomb servant à lester celle-ci pour qu’elle ne s’envole pas sous l’effet du vent, si on en a gardé, il doit se trouver au musée. La course se poursuit. Le cheval enfin bâché, repose prés du burladero où il est tombé. A un moment, il se remet à bouger. Ses postérieurs s’agitent comme si, dans un dernier effort désespéré, il voulait repousser la mort. Voyant alors que son office a été mal exécuté, le puntillero enfonce à nouveau sa dague ''en cherchant bien'' pour être sûr, cette fois, de donner la mort. Un murmure dans la plaza a accompagné ces derniers gestes. Ceux du cheval et ceux de l’homme. La course ne s’est bien évidemment pas arrêtée pour autant.
Puis, une fois le toro évacué par l’arrastre, les mules viennent chercher le cheval. Tout Madrid est debout pour lui rendre un dernier hommage. Il sort, tiré par le train d’arrastre, sous les applaudissements, et il s’en faut de peu pour que monte de milliers de poitrines le cri de « Torero ! ».
Quand meurt Montoliu, le cœur ouvert comme un livre par la corne d’un Atanasio Fernandez en plaza de Séville, le père du torero dira :
''Le toro, c’est aussi cela'' Le toro doit donner du bonheur à M. Bonijol empresa de caballos, mais si un jour, un de ses chevaux mourait en piste, il se grandirait en employant les même mots, malgré sa douleur, car je sais qu’il aime ses chevaux, mais aussi la corrida. Je ne suis pas scandalisé par la mort du cheval, je la déplore. Je ne suis pas scandalisé par la mort du torero, je la déplore. D’ailleurs, entre nous, personne n’est scandalisé par celle-ci. Comme si, le toro dans une arène, pour faire plaisir au respectable d’icelle, s’abstiendrait de blesser ou tuer, se retiendrait, et, après un moment d’hésitation s’écrierait tout confus : ''excusez-moi !'' Nous ne sommes pas scandalisés par la mort d’un toro. Cependant, quand meurt en Vic-Fézensac ''GARAPITO'' toro de Palha, c’est pour moi un déchirement. J’aimerais que s’arrête le temps pour admirer encore cette alegria, pour voir encore vivre ce toro pour un combat sans fin, pour une tarde sans fin. Mais je sais qu’il faut qu’il meure pour que, paradoxalement, ce soit encore plus merveilleux. Voir mourir le toro est acceptable puisque c’est souvent et depuis longtemps le toro qui est sacrifié. Nous sommes dans une société plus ou moins civilisée mais où restent dans notre subconscient tous les anciens rites, même préhistoriques. Le cheval n’a jamais été sacrifié : il rendait une fois dressé, beaucoup trop de services à l’homme pour qu’il n’imaginât, à aucun moment de le supprimer. L’homme a pu succomber au culte de Mithra dans lequel à un moment donné le sang du toro immolé est versé sur le disciple pour que ce dernier acquière la force et la vitalité prêtées à l’animal (taurobole). Mais je n’ai jamais entendu parler d’un culte où il était fait de même avec un cheval (hippobole ?). Que le toro meure est acceptable. Mais le cheval, lui, n’a rien demandé. Quant à l’homme, le pauvre, il faut le respecter puisque il se met devant notre fantasme de triomphe. N’émettons alors aucune critique puisque rôde la mort. Taisons nous. Respectueux, humbles et muets, laissons après tout faire même l’inacceptable puisque la mort… Allons, regardez plutôt, tentez d’analysez le toro et la cornada sera peut-être évitée. Je ne suis pas non plus scandalisé disais-je, par la mort du torero. J’ai perdu le ''Nimeno II'' quand il croisa la route de ''Panolero'' de Miura. J’ai mal. Mais, tout aussi paradoxal que cela puisse être, des toros comme ''Panolero'', j’en redemande même s’il y a danger qu’ils me prennent mon torero. Finalement, comme je le remarquais déjà, la corrida en est arrivée pour moi au stade du déchirement. Je l’accepte jusque dans ce que la mort peut avoir de plus bouleversant, de plus irrémédiable. Certainement que ce drame me fait comprendre et saisir beaucoup de choses. Bien assis sur mon gradin, je n’ai plus les pieds qui freinent pour arrêter ce je ne sais quoi ou qui. Je ne ressens plus la peur. Je ne frissonne plus d’effroi. N’allez cependant pas croire que j’attends ou appelle de mes vœux l’accident. Non. Mais quand il arrive, je le reçois sereinement, comme s’il ne pouvait en être autrement à certains moments, pour que vive, malheureusement ou heureusement la corrida de toros. Peut-être après tout, que celle-ci me fait accepter la mort pour mieux me préparer à une prochaine naissance. Et non pas à une prochaine renaissance. Car la corrida ne recommence jamais. Elle n’en finit pas de commencer. Après les clarines sort un nouveau toro. ''GARAPITO'' ne ressortira jamais. Et c’est tant mieux. Comme il ne sortira jamais de ma mémoire. Je reste avec ce grand bonheur fragile qu’il m’a donné un lundi matin de Pentecôte. J’ai peut-être eu de la chance. Une acceptation de la mort. Comme si cette dernière faisait, peu à peu, moins peur. Pendant environ deux heures, je vis avec elle. J’exagère ; je la vois seulement rôder. Normalement, elle n’est pas pour moi. Comme si notre passage sur terre n’était qu’une lidia plus ou moins brève pour apprivoiser la mort. Pour la comprendre. L’appréhender. Résoudre cette inconnue vers laquelle il nous semble, du moment qu’elle se rapproche, aller de plus en plus vite, bien que les ans, les jours, les heures et les secondes restent imperturbablement les mêmes. Alors la mort devient un passage comme un autre. Et s’il importe à l’homme de laisser une trace de son passage sur terre, c’est sûrement fait.
''Paquirri'', ''Yiyo'', d’autres bien sûr, restent en nous. ''Garapito'' de Palha, ''Puntillo'' de Maria Luisa Dominguez Perez de Vargas, l’encierro de Isaias y Tulio Vazquez Roman à Vic en 1990, quelques autres aussi, sont en moi. Ils vivent à jamais. Un jour je vivrai à jamais dans la mémoire de certains malgré mes faiblesses et mes imbécilités. Du moins, je l’espère un peu. Ils seront libres de faire cette démarche, tout comme je suis libre de la faire ou non, de garder ou non, quelques souvenirs dans un coin de ma mémoire sélective. Donc, en fait, il y aura toujours quelqu’un pour se souvenir. Quiconque laisse donc une trace aussi infime ou controversée soit-elle. Mais il y a cependant quelque chose de drôle : si nous apprenons à ''lidier'' la mort, à l’apprivoiser, ce n’est pas nous qui, comme le matador, portons le coup d’épée. Notre lidia nous prépare à le recevoir alors que le matador lidie pour lui, donner le coup d’épée avec le plus de sécurité possible. Nous, au dernier instant, endossons le rôle du toro. C’est nous qui nous retrouvons cadrés, qui baissons la tête, aplomados mais sereins, rendus mais pleins d’amour pour ceux que nous quittons. ''Garapito'' m’a quitté plein d’amour pour moi. Ne riez pas !, parce que c’est vrai qu’il en avait de l’amour pour moi, puisqu’il m’a fait pleurer et me fait pleurer encore. Ce ne peut être autrement. Il ne pouvait que m’aimer pour me donner ce qu’il m’a donné, un éternel bonheur. Mourir ce n’est rien, comme disait le poète. La belle affaire ! Le plus dur c’est de se préparer au dernier instant, pour, au moment du passage, rester digne et ne pas proposer un quelconque spectacle affligeant, signe de notre défaite. Rester digne pour offrir à ceux qui restent la sérénité d’une absence programmée. Offrir pour apaiser leur douleur. C’est ce que mon grand-père m’a offert, finalement. Nous a offert. En grand. Je me rends compte aujourd’hui, à la veille de mes quarante ans, que sa mort fut pour nous un cadeau de la manière sereine dont il l’a menée. Ce fut son dernier message terrestre que je commence à comprendre maintenant au travers de la corrida. Emotion. Révélation au travers des toros.
''Revelarse'', disent les espagnols pour un toro qui se grandit sous la pique et dont personne n’aurait pensé qu’il puisse le faire quelques secondes auparavant. Révélation, grâce ou à cause de la douleur. La corrida ferait-elle que j’arrive à vivre la mort d’une autre manière ? Serait-elle le catalyseur de mes interrogations pour mieux appréhender le caractère inéluctable de ma propre mort et de celle de quelques autres ? Ce ne serait pas rien. Mon passage sur terre serait ainsi plus vivable une fois éliminée la phobie de la mort, pour, sans par ailleurs l’appeler, la sublimer. On en revient toujours au même. Ce sentiment latin de sublimation de la mort, si difficile à saisir pour nous gens du Nord, mais que nous ressentions aussi au 16e siècle et que nous avons oublié pour le noir des ténèbres et du deuil. La corrida c’est la lumière de cinq heures du soir. La lumière à tous les sens du terme, en tant que révélatrice. La corrida met la mort en lumière, lui ôte les ténèbres dont nous la parons parce que elle nous fait peur, parce que nous la trouvons ignoble ou horrible, parce que nous la fuyons. Tranquillement assis sur mon gradin, j’ai, en face de moi, la révélation de la vie. De ma vie. En pleine lumière. Alors si la corrida réussit à me conduire vers ces contrées paisibles, je crois qu’un grand pas vers la sérénité de l’esprit aura été, grâce à elle, accompli. ''Garapito'', combat avec alegria, sans se douter que la mort est au bout de sa course. ''Garapito'', lutte contre la mort avec alegria parce qu’il est toro. ''Garapito'', meurt avec alegria et me donne la leçon. Tout comme mon grand-oncle. Vivre et mourir avec alegria. Pour mieux continuer à vivre ensuite. Non pas pour renaître mais pour vivre encore et toujours. Mon grand-oncle aimait la vie et la vécut avec alegria. Comme pour ''Garapito'' de Palha. Tous deux vivent encore. Et ils vivront après moi puisque restent les écrits. Il le fallait : que ce que la corrida me dit soit accompli ! Le premier trophée ''TIO PEPE'' fut décerné au n°201 de Palha. A ''Garapito''...
''Paquirri'', ''Yiyo'', d’autres bien sûr, restent en nous. ''Garapito'' de Palha, ''Puntillo'' de Maria Luisa Dominguez Perez de Vargas, l’encierro de Isaias y Tulio Vazquez Roman à Vic en 1990, quelques autres aussi, sont en moi. Ils vivent à jamais. Un jour je vivrai à jamais dans la mémoire de certains malgré mes faiblesses et mes imbécilités. Du moins, je l’espère un peu. Ils seront libres de faire cette démarche, tout comme je suis libre de la faire ou non, de garder ou non, quelques souvenirs dans un coin de ma mémoire sélective. Donc, en fait, il y aura toujours quelqu’un pour se souvenir. Quiconque laisse donc une trace aussi infime ou controversée soit-elle. Mais il y a cependant quelque chose de drôle : si nous apprenons à ''lidier'' la mort, à l’apprivoiser, ce n’est pas nous qui, comme le matador, portons le coup d’épée. Notre lidia nous prépare à le recevoir alors que le matador lidie pour lui, donner le coup d’épée avec le plus de sécurité possible. Nous, au dernier instant, endossons le rôle du toro. C’est nous qui nous retrouvons cadrés, qui baissons la tête, aplomados mais sereins, rendus mais pleins d’amour pour ceux que nous quittons. ''Garapito'' m’a quitté plein d’amour pour moi. Ne riez pas !, parce que c’est vrai qu’il en avait de l’amour pour moi, puisqu’il m’a fait pleurer et me fait pleurer encore. Ce ne peut être autrement. Il ne pouvait que m’aimer pour me donner ce qu’il m’a donné, un éternel bonheur. Mourir ce n’est rien, comme disait le poète. La belle affaire ! Le plus dur c’est de se préparer au dernier instant, pour, au moment du passage, rester digne et ne pas proposer un quelconque spectacle affligeant, signe de notre défaite. Rester digne pour offrir à ceux qui restent la sérénité d’une absence programmée. Offrir pour apaiser leur douleur. C’est ce que mon grand-père m’a offert, finalement. Nous a offert. En grand. Je me rends compte aujourd’hui, à la veille de mes quarante ans, que sa mort fut pour nous un cadeau de la manière sereine dont il l’a menée. Ce fut son dernier message terrestre que je commence à comprendre maintenant au travers de la corrida. Emotion. Révélation au travers des toros.
''Revelarse'', disent les espagnols pour un toro qui se grandit sous la pique et dont personne n’aurait pensé qu’il puisse le faire quelques secondes auparavant. Révélation, grâce ou à cause de la douleur. La corrida ferait-elle que j’arrive à vivre la mort d’une autre manière ? Serait-elle le catalyseur de mes interrogations pour mieux appréhender le caractère inéluctable de ma propre mort et de celle de quelques autres ? Ce ne serait pas rien. Mon passage sur terre serait ainsi plus vivable une fois éliminée la phobie de la mort, pour, sans par ailleurs l’appeler, la sublimer. On en revient toujours au même. Ce sentiment latin de sublimation de la mort, si difficile à saisir pour nous gens du Nord, mais que nous ressentions aussi au 16e siècle et que nous avons oublié pour le noir des ténèbres et du deuil. La corrida c’est la lumière de cinq heures du soir. La lumière à tous les sens du terme, en tant que révélatrice. La corrida met la mort en lumière, lui ôte les ténèbres dont nous la parons parce que elle nous fait peur, parce que nous la trouvons ignoble ou horrible, parce que nous la fuyons. Tranquillement assis sur mon gradin, j’ai, en face de moi, la révélation de la vie. De ma vie. En pleine lumière. Alors si la corrida réussit à me conduire vers ces contrées paisibles, je crois qu’un grand pas vers la sérénité de l’esprit aura été, grâce à elle, accompli. ''Garapito'', combat avec alegria, sans se douter que la mort est au bout de sa course. ''Garapito'', lutte contre la mort avec alegria parce qu’il est toro. ''Garapito'', meurt avec alegria et me donne la leçon. Tout comme mon grand-oncle. Vivre et mourir avec alegria. Pour mieux continuer à vivre ensuite. Non pas pour renaître mais pour vivre encore et toujours. Mon grand-oncle aimait la vie et la vécut avec alegria. Comme pour ''Garapito'' de Palha. Tous deux vivent encore. Et ils vivront après moi puisque restent les écrits. Il le fallait : que ce que la corrida me dit soit accompli ! Le premier trophée ''TIO PEPE'' fut décerné au n°201 de Palha. A ''Garapito''...
1 commentaire:
C'est inédit, inattendu et émouvant.
Aller voir une corrida et penser à vivre plus dignement sa propre mort, quelle philosophie! Malheureusement on n'a pas la chance de l'animal!
Gina
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