samedi 7 mars 2009

UNE NOUVELLE DE VIVIANE GATINEAU

En publiant la contribution de Viviane à l'énervante question "Pourquoi allez-vous voir les corridas ?" je me suis rappelé que je l'avais encouragée à participer avec moi, au concours de nouvelles de Mugron. Peut-être quarante huit heures après, je recevais ce texte, "Le Grand Roc". Je suis donc allé fouiller dans les fichiers oubliés de mon ordinateur et j'ai fini par le retrouver. Le voici donc, en exclusivité pour les lecteurs de "Des photos, des m... enfin du blog, quoi... (voilà ce que c'est que de choisir des titres à rallonge, on a toujours la flemme de les retranscrire)
Vous aussi vous "écrivez de toros" ? Si vous voulez nous envoyer vos textes, après "examen" de notre très distingué et sévérissime comité de lecture (Gina et moi...) nous les publierons. Comme quoi entre les "refusés de l'édition" et les "oubliés du tiroir", il peut y avoir une vie !
LE GRAND ROC de Viviane Gatineau

Une odeur de mousse écrasée sous les pas… Après la route et le chemin, les galoches énervées ne sonnaient plus, mais s’écrasaient dans l’enchevêtrement des feuilles… Hiver d’un pays rebelle et fort qui affolait les doigts, ficelait les bouches, pétrifiait les fronts.
Il marchait, têtu contre le vent, cet enfant maigre et pensif. Savait-il, comme
un puits au fond de soi, où le mènerait sa marche ? Loin, bien loin, l’école, ses bancs et son odeur de poêle, loin les paroles du maître et la craie qui crisse au tableau noir, loin le quotidien et l’arrondi du jour. Le bois sentait de plus en plus fort, les feuilles s’épaississaient, une hase détala, éclair de rousseur, un oiseau fendit le ciel, éperdu. Il y avait dans l’air, du profond et de l’obscur, un étonnement. Le garçon marchait, marchait sans savoir vraiment ni vers où ni comment.
Soudain, la chute visqueuse et douce, effrayante, interminable. Une bouche
de terre avait happé l’enfant. Plus d’odeur de feuilles ni de mousse et désormais nulle clarté. Emmuré ? Pas si sûr… Il trouva dans sa poche la boîte d’allumettes qu’il prenait toujours avec lui et tenta une clarté. De grands boyaux s’ouvraient autour de lui, des anfractuosités inquiétantes où l’ocre le disputait au noir. Mouvements karstiques herculéens d’un ventre gigantesque. L’air était respirable et la chute avait été amortie dans l’argile. Mais comment survivre, comment crier, comment sortir de ce lieu inconnu, insoupçonnable ?
En même temps que l’inquiétude commençait à se muer en angoisse, le garçon eût soudain l’intuition d’un destin, d’une confrontation stupéfiante et brutale.
La première allumette éteinte, il rampa un peu, s’assurant qu’il n’y avait pas de gouffre devant lui, tâta les parois pour se rassurer un peu. Il alluma d’autres allumettes. Alors ce fût la cavalcade…
Les cerfs, les taureaux, les chevaux passèrent sur sa tête en galop effréné.
Ses tympans bondissaient sous l’effet de leur course et des odeurs de suint alertaient ses narines. C’était la horde ancienne qui déboulait du roc, et, les yeux effarés, l’enfant s’émerveilla ! Un taureau gigantesque passant à sa portée, il se saisit des cornes, bondit et s’envola. L’air devenait siffleur, la clarté s’accroissait, la cavalcade folle accélérait son train. Plus de trou, plus de roc, mais le large d’une aube ! Un homme au front bizarre voulut s’interposer et il fût emporté, piétiné, écrasé sous l’énorme talonnade archaïque et guerrière.
Le garçon ne lâchait pas les cornes fortes et douces ; son corps plaqué aux muscles de la bête, il se laissait porter vers des lieux innomés. Etrange gémellité. Déjà, dans l’ombre de sa tête et dans son corps contraint par l’effort de la course, s’inscrivaient des signes précis et les fauves hiéroglyphes d’un duo parfaitement réglé.
Ils passèrent pourtant encore mille lieus, où l’espace était néant et le temps
suspendu. Emportés, déchaînés, eux tous, ces animaux, comme le garçon avant sa chute, sans savoir ni vers où ni comment. La migration avait pourtant commencé des milliers d’années auparavant et il avait fallu cette chute visqueuse pour que l’enfant trouvât cette énergie en marche. Le taureau était maître et poursuivait sa course sans sentir le fardeau agrippé à ses cornes. Son pelage était roux, ses yeux larges, ses sabots martelaient l’air qui devenait dur.
Une musique, au loin, se fraya un chemin, cambra un arc-en-ciel et incurva la
trajectoire de la course insensée. Vingt mille personnes en cercle criaient dans une houle forte. Une aire de sable ronde et le ciel pour couvercle. Des couleurs d’oriflammes, des claquements de mains. La musique devint plus forte, puis le silence vint, encore un peu traversé de rumeurs. Le grand taureau chut au centre de ce cercle, ébloui et hagard. Le garçon lâcha prise et roula au milieu des murmures et resta inerte. Mais son regard vivant eut le temps de capter l’approche d’un homme à l’habit rutilant. Il sentit dans le sable quelques odeurs de sang, et se dit qu’un ‘’farol’’ qui fleurissait tout prés devait être l’offrande digne de ce taureau.
Curieusement on ne le voyait plus, mais lui était témoin. Il entrait dans le jeu comme s’il était deux, partagé en cet homme et ce fauve superbe. C’est au ras de sa bouche que piétinaient les pas, au creux de son oreille que résonnait le cite ‘’ Toro, Toro, mira !’’, dans son poignet robuste que pivotait l’étoffe. Les muscles de son dos s’appuyaient sur la pique et ses sabots rageurs accéléraient sa course. Et la constellation écrivait son orbite qui, à chaque seconde, pouvait être brisure. Là-bas, dans le creux sombre, envers de cette arène, un garçon maigre et pensif avait perdu son souffle et, dans son agonie, le grand taureau roux avait réintégré son image aux parois de la grotte.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Un plaisir de se laisser emporter par l'histoire où les songes se succèdent à grande vitesse taurine.
Gina

Marc Delon a dit…

Heureusement il y a au moins quelqu'un ici que l'écriture ne laisse pas coi !