dimanche 29 mars 2009

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Au diable vauvert

Parution 17 avril 2009
Collectif
Arequipa, Pérou, le 12 novembre 1934
Quatrième recueil du Prix Hemingway, il rassemble les meilleures nouvelles du Prix 2008.

Nouvelles 280 pages – 18 € ISBN 978-2-84626-186-9 VAU 1812 Diffusion CDE-SODIS

Sommaire

Zocato, lauréat du Prix Hemingway 2008, Arequipa, Pérou, le 12 novembre 1934
Dan O’BRIEN, La grâce des taureaux
Antoine MARTIN, Topographie de l’enfer
Séverine GASPARI, Faire revenir la viande…
Gérald GRUHN, Torero, pointure 36
Nadège VIDAL, Sparring partners
Ricardo VASQUEZ-PRADA, Le train des figuras
Marc DELON, Les Haies de Cactus
François GARCIA, Mon oncle, le dimanche
Michel JELTSCH, Vegas arenas
Aubert DE MOLAY, Torero ! Torero ! Torero !
Jean-Paul DIDIERLAURENT, Canicule
François CAPELIER, Ernest des Cévennes
Nicolas ANCION, Fin de course
Georges FLIPO, La maison des ombres
Louis GIVELET, Corrida transgénique
Céline ROBINET, La première sera la dernière ?

Un serial killer, un handicapé braqueur de feria, une veuve de matador vengeresse mais fine cuisinière, un cow-boy revêche égaré au pays des gardians, des mercenaires du virtuel face à l’épreuve des cornes… Une grande cuvée en 2008 : pas moins de dix-sept nouvelles inédites situées dans l’univers de la tauromachie, signées par des auteurs de toutes nationalités, dont la variété de ton, de style et de sujets séduira tous les lecteurs. Recueil le plus divers et le plus surprenant à ce jour, ouvert par un texte lauréat éblouissant de maîtrise et de concision, il illustre incontestablement la richesse symbolique, imaginaire, artistique et humaine de la culture taurine.

Le lauréat 2008Zocato, apodo de Vincent Bourg, a été torero dans les années 70 avant de devenir le journaliste taurin incontournable qui fait les beaux jours de la tauromachie sur Canal+ ainsi que sur les antennes de France3 Aquitaine et la plume flamboyante des chroniques de Sud-Ouest. Il a publié en 1997 aux éditions de Faucompret un recueil, Les Contes de Zocato.
Il participait pour la première fois au Prix Hemingway.

Le Prix Hemingway

Créé en 2004 par l’association Les Avocats du Diable Vauvert, Simon Casas Production et les éditions Au diable vauvert, le Prix Hemingway récompense chaque année de 4 000 € et d’un abonnement à la feria de Nîmes offerts par Simon Casas Production, la nouvelle inédite d’un écrivain français ou étranger en français, anglais ou espagnol.sur le thème de la tauromachie, son univers ou sa culture.
Cette année, le jury est composé de : Laure Adler, présidente, entourée de Michel Cardoze, Jacques Durand, Marianne Lamour, Jacques Maigne, Marion Mazauric, Jean Nouvel, Eddie Pons, Simon Casas, parrain fondateur du prix, et Zocato, lauréat 2008.

Le Prix Hemingway sera remis au prochain lauréat lors de la feria de Pentecôte de Nîmes, le vendredi 29 mai 2009 à 21h30 sur la piste des arènes, après la corrida.

CATALOGNE

Coeur froid
Les Yeux du Stade


Celui qui est mort vous salue



Jeunes pousses




Cremat






samedi 28 mars 2009

La Pensée du Jour

Aucune passion ne supporte d'être née dans le mystère. La chute ne peut être que brutale. L'être se tourne alors vers la poésie, refuge et substance de toutes les incompréhensions du monde. La poésie est cette intelligence humble du monde faisant partie du mystère. Elle devient cet état de précision aussi fiable que la balance de l'invisible, une sorte de mathématique de l'extrême sensibilité qui vise juste même quand elle est pleine de larmes. Pas de compromis. La poésie est de ce fait impossible, je veux dire, intenable. Nous ne faisons que nous approcher - en silence - de son profond et irradiant mystère. La poésie est une physique de l'émotion parce que les mots - même chargés de douleur - doivent être à leur place avec la justesse de l'inexplicable.

Tahar ben Jelloun

http://www.taharbenjelloun.org/

jeudi 26 mars 2009

CARNET DE RUEDOS



LARMES DE SABLES


Il pleuvait ce jour-là sur le ruedo Cérétan.
Sans tomber dans les pièges de l’écriture tauromachique que sont l’envolée lyrique ou le discours apologétique, je crois que l’on peut écrire et souffrir de lire que toréer compte sans doute parmi les réalisations les plus difficiles. Vous n’êtes pas d’accord ? Peut-être n’avez-vous pas essayé. Sinon, cela se comprend quand on regarde les prétendus détenteurs de la plus grande maîtrise. Dans le toreo, il y a un truc spécial. Quelque chose qui ne s’explique pas et rend le toreo possible ou pas.
Heureusement, tout ne s’explique pas. La tauromachie résiste bien aux traités logiques et aux réponses péremptoires. Des tombereaux de toreros se sont interrogés sur leur échec. Pourquoi cela ne passait plus, pourquoi la solution pourtant identifiée ne s’appliquait pas, comment allait-on de la facilité à l’impossibilité, sans reconnaître ce qui avait changé. De ces deux pieds, le pourquoi et le comment, vacillants du déséquilibre du doute, ils se contentaient alors de traverser les publics, nus et décriés, d’une marche automatique, sans fierté ni gloire, feignant d'ignorer les sifflets brûlants, esquivant les coussins rageurs, seulement mus par le réflexe archaïque d'une déambulation de traversée de désert particulièrement solitaire et cruelle, avec ces foules pour témoin.
Il pleuvait ce jour-là sur le ruedo Cérétan et au milieu de la sciure épandue pour absorber les flaques, José Luis Bote sortait du désert. Il faut admettre que les toros lui infligèrent plus de dunes ingrates à gravir que d’oasis où s’épanouir…
Il est ce qu’il convient d’appeler un torero durement châtié. Fémorale sectionnée et saphène dilacérée lors de sa cornada de San Martin de Valdeiglesias, foie et pancréas contusionnés avec dégât du duodénum pour celle de Benidorm, dizième et onzième vertèbres dorsales luxées et fracturées avec dégât de la dure-mère et contusion médullaire pour celle de Madrid ce qui depuis affecte la mobilité de ses jambes. Excusez du peu, excusez la précision, voilà pour les principales.
Mais ce jour-là, enfin, ça fonctionnait à nouveau. Malgré les frayeurs antérieures, le corps meurtri et la douloureuse boîterie, tous ces stigmates d’une périlleuse vie de torero du monton, ''El rey del temple'' comme on l’appelait dans sa province au temps de sa splendeur, toréait a gusto. Planté devant son toro, sous une fine et insistante pluie, il s’y accordait sereinement et prenait enfin du plaisir. Il en prenait, et plus important encore, il entendait ce murmure émaner de gradins stoïques sous l’averse, qui lui indiquait qu’il en donnait.
Comment les spectateurs n’ayant pas connu les affres de son parcours se seraient-ils doutés de l’émotion vécue de cette sortie du désert ? Mais moi, bien à l’affût au travers du puissant et impudique téléobjectif, je vis très distinctement que la délivrance était belle. Il vivait enfin les mirages qui lui étaient si souvent apparus. Même la sciure se souvient d'avoir absorbé les grosses larmes chaudes d’une grande carcasse d’homme qui toréait secoué de sanglots sous la pluie. José Luis Bote ruisselant de l’eau bienfaisante de l’oasis de la réussite, touchait au but, se régalait soudain de dattes gorgées de soleil, frémissait d’aise à l’ombre des palmiers qui s’inclinaient pour le saluer dans la brise fraîche, recevait la caresse de femmes hospitalières aux yeux de velours, José Luis Bote parvenait à nouveau à toréer et, l’auriez vous cru, il en pleurait.

mercredi 25 mars 2009

HISPANIQUE ESPAGNE

Du 18 Mars au 24 Mai se tient au Pavillon Populaire de Montpellier, que peina que Nimes n'ai pas su organiser ça, une exposition que je suis impatient d'aller voir.
Quinze photographes espagnols dont quelques pointures indiscutables comme Alberto Garcia Alix ou Isabel Munoz ou le grand Ortiz-Echagüe nous donnent leur vision de leur pays sur des thèmes aussi intéressants et variés que l'esthétique flamenca, les nains toreadors, l'antique Espagne, les arènes populaires, dix regards sur la transition, l'Espagne magique etc...

lundi 23 mars 2009

"ROOTS" de Lucien CLERGUE



ROOTS
The Gipsy Kings and their journey.
Je remarque depuis quelque temps que les derniers livres de photographies que j'ai achetés sont tous en noir et blanc. Le numérique nous l'a enlevé et lorsqu'il s'y essaye, il reste loin de s'approcher des rendus obtenus en argentique. Il me manque, le noir et blanc, et les tirages barytés et le contact du papier, de sa "main", de sa profondeur... aussi vais-je m'y remettre. Quand j'ai aperçu cette couverture aux noirs profonds et aux blancs purs, lorsque j'ai avisé le thème, lorsque j'ai vu qui en était l'auteur, je l'ai vite emporté.
Au sujet de l'auteur tout d'abord. Il semble écrit que l'on n'est pas prophète en son pays comme l'indique le proverbe. Qu'en ai-je entendu de tièdes propos sur son compte, dans la région. Eh bien, après avoir vu ce livre, je pense qu'on aurait bien aimé le mettre au compteur d'une "oeuvre" personnelle, on aurait bien aimé pouvoir réussir comme Lucien Clergue ; des photos tièdes, on n'en a pas trouvé et l'âme gitane de ces années cinquante est à chaque page remarquablement ressuscitée ! Si l'on rajoute des considérations techniques vaguement déplacées - car l'on peut être artiste avec un "Holga" (appareil photo en plastique), un sténopé ou un portable même-, par exemple le fait que des optiques d'il y a soixante ans, Zeiss certes, (il travaillait à l'époque avec un Rolleiflex) permettent un meilleur résultat que des Reflex d'aujourd'hui à quatre mille euros que l'on aura toute la peine du monde à revendre six cents dans deux ans, il y a de quoi être écoeuré/stimulé -rayez la mention qui vous laisse froid- et courez acquérir ce livre pour sa chaleur, humaine et tonale.

SANS FILTRE



J'ai entendu couiner les paumelles de la porte d'entrée plusieurs fois en des allers retours rapides. Je ne les lubrifie pas : leur musique me renseigne sur les allées et venues du cabinet. Si ça couine doucement et dans toute l'amplitude de la porte, une amplitude qui m'est indiquée par la succession reconnue des notes de cette plainte, c'est une personne âgée ; elles entrent lentement, précautionneuses, scrutant le seuil pour vérifier qu'il n'y a rien à enjamber afin de ne pas suivre mes conseils - montez les genoux, soulevez les pieds, attaquez le sol par le talon - qui amélioreraient leur déambulation et elles continuent au contraire à patiner sur le sol en ce glissé perpétuel qui les rassure tant, puisqu'il les visse au vécu sécurisant du plancher des vaches. Leur chute - et donc parfois leur mort -, vient de leur panique à refuser d'être aérien, de leur volonté d'enfouir les pas dans cette terre qui les recouvrira bientôt pour de bon, à force de freiner, car leur centre de gravité passera en avant de leur point d'équilibre et elles se fracasseront lamentablement sur le sol. Eh oui, vieux, il faudra marcher en torero, prendre le risque du décollement de la semelle pour tenter de maîtriser la cornada de la chute.
Mais là, il s'agit de nombreux allers retours rapides et heurtés comme si chacun voulait empêcher le suivant d'entrer, des jeunes donc, et tout de suite un brouhaha emplit la salle d'attente aussitôt transformée en volière. Des voix de femmes qui parlent fort et chuchotent, pouffent de rire, s'interrompent, déplacent les chaises, tapent des talons, feuillettent les revues, commentent les photos, font sonner de leur exhubérance des bracelets et des colliers et chuinter des étoffes, habitent tout l'espace du cabinet soudain transfiguré. Du fond de la dernière cabine où je termine un massage, j'enregistre toutes ces informations de façon réflexe, si bien qu'avant de découvrir qui peuple la salle d'attente, j'ai déjà mon idée. En l'occurence, je sais déjà qu'il s'agit de femmes, qu'elles sont nombreuses, au moins trois ou quatre, pas discrètes, mal élevées. En me lavant les mains, je penche pour la version suivante : des adolescentes seront venues accompagner une copine redevable de mes services...
Pronostic déjoué : elles sont quatre, entre vingt et trente-cinq ans. Gitanes. De la pointe de leurs talons à l'extrémité de leur chignon, gitanes jusqu'au bout des ongles. Des foulards, des tatouages, de grosses épingles de toutes sortes plantées dans les cheveux. Assez belles, féminines, sexy au premier regard, vulgaires même -mauvais genre- aurait dit ma grand-mère, dans leur tenues aux couleurs bariolées et léopards, sauf qu'elles ne font pas vulgaires ou sexy parce qu'elles les portent avec candeur et sans apprêt, comme le prolongement naturel de leur peau. Dès que je suis apparu, elles se sont tues. Leur peau est brune et leur regard noir, elles sentent plutôt fort, leurs membres ne sont pas très nets, un peu comme si elles avaient dû pousser leur voiture après une panne. Elles me dévisagent, je les interroge d'un menton inquisiteur pointant hors du col officier de ma petite blouse blanche bien repassée. Deux mondes s'observent.
- Kiné ... ? finit par risquer celle qui tient une ordonnance à la main
- Patiente ...? ironisè-je... Bonjour... Oui... c'est pourquoi ?
La plus jeune pouffe de rire en se cachant avec les mains tandis que sa voisine d'en face lui colle un coup d'escarpin dans le tibia.
- Monsieur, j'ai mal au dos, monsieur... donne-lui le papier du docteur...
dit enfin la plus réservée des quatre, celle que j'avais instantanément choisie comme m'inspirant le plus de sympathie. Un détail, c'est aussi la plus belle. Pourtant il lui manque des dents, devant et en bas ! Mais quelle race dans le visage, quelle fierté avec ses joues creusées, ses pommettes hautes, ce regard qu'il est presque insupportable de soutenir. La seule qui n'est pas maquillée. Ses yeux sont fatigués, noirs, humides, qui me scrutent intensément peut-être pour savoir si je mérite sa confiance. Elle a relevé ses cheveux, ses clavicules saillent, plus pâles que ses épaules brunes et creusent des fossettes. Elle est très mince, ses articulations sont fines, elle ne sait trop comment se tenir pour ne pas avoir mal. Je réalise qu'elle est au bord des larmes. Elle souffre. C'est je crois, ce qui rend son visage si beau tant qu'elle ferme sa bouche édentée. Elle aurait presque une dimension religieuse, on dirait une pénitente en pèlerinage, une vierge noire, quelque chose comme ça. Elle est toute tordue sur sa chaise mais rien ne semble lui ôter sa noblesse. Je l'imagine, payo que je suis, dans tous les clichés : marchant dans la poussière du Rocio, dansant dans les flammes, entrant dans la mer en retroussant ses jupes.
-Oui, venez, entrez mademoiselle, suivez-moi dans mon bureau.
Les quatre se lèvent comme une seule et investissent mon petit bureau, deux assises, deux debout, toutes scrutant les murs couverts de photos (nus et tauromachie) qui semblent les fasciner. J'interroge la patiente pour avoir ses renseignements, une me coupe et demande à propos de la photo qui représente José Tomas toréant et sur laquelle mon nom figure :
-Tu torées monsieur ?
-Noooon... c'était l'affiche d'une expo, moi je suis le photographe, pas le torero !
-Tu n'es pas courageux toi, monsieur ?
-Voilà ! C'est ça !
Elles éclatent de rire. Sauf elle. je lui dis que, si elle est disponible, je peux la prendre tout de suite, une patiente venant justement de se désister. Qu'elle en profite, si elle a mal. Elle acquiesce. Je la guide jusqu'à la cabine du fond, la moins éclairée, celle où j'emmène les pudiques et les timides, jusqu'à ce que je réalise, salle d'attente dépassée, que les trois autres sont toujours sur nos talons. Je fais une soudaine volte face qui fait piler la colonne suiveuse et j'indique sans équivoque qu'elle doivent nous attendre, le doigt pointé dans la direction opposée. Là, c'est ma patiente qui sourit.
La serviette repliée en trois sous le nombril pour délordoser la portion lombaire, le drap de papier étiré, le coussin demi-rond pour les chevilles, installez-vous, à plat ventre et en petite culotte, je sors en tirant le rideau pour qu'elle s'installe, repassant devant les accompagnatrices dont ma mimique se moque au passage, à lire tant d'incompréhension dans leurs yeux. Je laisse toujours s'installer les gens seuls, cela m'occasionne d'incessants allers retours inutiles mais je pense qu'ils préfèrent qu'on ne surprenne pas leur nudité, surtout pour la première séance alors qu'on ne se connait pas encore.
Je retourne dans la salle d'attente, repassant en revue les soeurs, cousines ou copines qui ne se font pas attraper une deuxième fois et jouent les blasées le nez dans les revues. Comme une personne sur deux, ma patiente s'est installée à l'envers, la tête sur le coussin des chevilles. Je lui indique la bonne position : toujours à plat ventre, mais dans l'autre sens, oui la tête légèrement en bas et les pieds sur le coussin. Je ne ressors pas, je lui indique comment pivoter et descendre pour ne pas avoir mal, puis remonter. Mais elle me fixe les yeux dans les yeux et agit à sa façon, une façon plus douloureuse pour son lumbago mais durant laquelle elle se dévoile moins. Je sais le moment délicat et la piètre opinion qu'elle aurait de moi si je laissais glisser mon regard et je ne quitte pas ses grands yeux noirs, ses yeux par lesquels elle va me tenir durant toute la séance.
J'allume la grosse lampe et cinq cents watts infra-rouges colorent sa peau d'une incandescence de plus. Je descends l'élastique de la petite culotte, les fessiers se contractent. Elle n'est pas détendue. Je retrouve à la palpation l'étage douloureux et commence à lui passer les ultra-sons. Je lui montre le coussin de visage encastré dans la table, l'ôte et lui indique que pour ne pas se tordre le cou elle peut se mettre ainsi, la face dans la découpe. Elle préfère se tordre le cou et me regarder, capter mon regard de son oeil aux abois pour vérifier qu'il ne vagabonde pas. Je sens bien que pour elle, je suis un homme avant d'être un Kiné. Au bout d'un moment, je lui demande si l'infra-rouge n'est pas trop chaud, puis si les ultra-sons ne l'irritent pas trop. Non, merci. Un grand fessier hésite à se relâcher, redescend, s'aplatit puis s'arrondit à nouveau indiquant sa contraction... et recommence. Je lui parle, lui demande comment c'est arrivé, donne une alternative au mouvement incriminé, vous avez quel âge -vingt-quatre ans- je lui en donnais dix de plus, vous n'avez pas d'enfants - si, quatre, pourquoi ?- non, comme ça, pour parler... ça doit vous donner beaucoup de travail ! Oui, surtout seule. Quelques minutes silencieuses suivent où seul le tic-tac de la minuterie de la lampe occupe le silence. De temps en temps je vais croiser son regard, étonné qu'il ne me quitte jamais. Puis, j'éteins les ultra-sons, détourne le réflecteur de la lampe, mets de l'huile de massage à l'Arnica dans la creux de ma paume et débute le massage. Elle lâche un soupir puis se reprend instantanément, l'oeil plus en alerte que jamais. Je remonte jusqu'à ses épaules, les place en les rabaissant, fais lâcher à ses mains les montants de la table puis je pétris ses trapèzes supérieurs, consciencieusement, jusqu'à ce que je les sente ramollir, j'empaume une à une ses petites omoplates de mes grosses pattes chaudes et les fais tourner doucement jusqu'à ce que la tension des fixateurs cède, sa respiration est plus ample et ses fesses se sont relachées, elle est détendue, elle m'a accordé sa confiance, je peux revenir sur les lombaires. Son oeil est différent mais je ne comprends pas vraiment ce qu'il exprime. J'ai bien une hypothèse, un peu comme si pour la première fois, on parlait doucement à quelqu'un qui se serait toujours fait engueuler. N'importe quel professionnel du massage aurait bien sûr suscité le même effet. Et puis il y a des jours où je masse mieux, où j'ai plus envie, où je suis moins fatigué, avec des grains de peau qui me plaisent plus. Ses contractures sont réduites, son dos délassé, son oeil étonné. Quelqu'un l'avait-il déjà touchée avec bienveillance et respect ? Normalement, quoi. Elle a cligné une fois de cet oeil gauche, une seule fois, et sa lumière n'était plus la même. Elle part. A jeudi alors... à jeudi ! Elles sont parties. Le silence est devenu assourdissant. La salle d'attente sentait la fleur d'oranger, il y avait des écorces de "Pipas" qui jonchaient le sol, des revues aux pages déchirées, des papiers de bonbons, des miettes de brioche. Gitanes. Je suis retourné dans la cabine pour jeter le drap de papier. A l'emplacement de sa tête, il était mouillé. Dolores, "celle qui souffre", avait pleuré.
Je ne l'ai jamais revue. Sa soeur, oui. Sa soeur est revenue deux jours après :
- Monsieur... tu veux pas la marier ma soeur... monsieur ?
J'ai souri. Mais cela n'a pas suffit. Elle insistait. J'ai dû répondre. Non.
Je n'ai jamais compris pourquoi répondre ''non'' m'était apparu contrariant, ni comment il était possible que j'ai pu trouver belle, une fille à qui il manquait des dents.
la photo est de Lucien Clergue et est issue du livre "Roots'' que je présenterai bientôt.

vendredi 20 mars 2009

TEXTE CULTE...


Ou tatouage cu-cul ?

Les Pensées du Jour...

L'Histoire est a priori amorale ; elle n'a pas de conscience. Vouloir mener l'Histoire selon les maximes du catéchisme, c'est laisser les choses en l'état.
Celui qui comprend et pardonne - où donc trouvera-t-il un mobile d'action ?
Arthur Koestler
1905-1983
Les principes sont faits pour être violés. Etre humain est aussi un devoir.
La fidélité n'avait rien de commun avec le souvenir : on pouvait oublier et être fidèle et on pouvait se rappeler et être infidèle.
Aimer, c'est se voir comme un autre être vous voit, c'est être amoureux de sa propre image déformée et sublimée.
Graham GREENE
1904-1991

EJACULAT : LES RESERVES PAPALES


Mgr Ratzinger est allé en Afrique benoîtement déclarer l’approche de l’Eglise concernant la vie rêvée du spermatozoïde irréprochable. Figurez-vous qu’il est comme nous, le Pape, contre le préservatif. Ah oui mais nous, c’est pour les toros, car comme le remarquait Camposyruedos en son temps, cela affuble ces magnifiques fauves d’un air niais quasi-incompatible avec leur statut et l’imaginaire suscité, sans parler des problèmes d’éthique engendrés par ce qui revient à une manipulation frauduleuse de l’intégrité du toro, selon les vétérinaires. Pas rien.

Le pape a donc déclaré que l’utilisation du préservatif était dangereuse et augmentait les risques de sida. Et tout le monde de s’insurger, hurlant à la contre-vérité médicale. Mais, c’est que les gens, pour la plupart, n’arrivent pas à se projeter dans le psychisme papal.
Et c’est un athée qui vous le dit. Enfin, athée, j’en sais rien… par paresse en tout cas et par grande méfiance… J’attends de mourir pour savoir, ouvert à tout ! In vivo, je pencherais plutôt pour l’entourloupe intellectuelle de grande envergure, génératrice de haine et d’oppressions et responsable de millions de morts : franchement quel bilan ! La religion depuis la nuit des temps, aura plus tué que le sida, ça c’est sûr ! ‘’Marrant’’ cette haine latente des chapelles ayant toujours prétendu prôner la tolérance. Alors on me dit : mais ça c’est pas la religion, c’est l’homme ! Ah, ben oui et alors ? C’est quand même à lui qu’elle s’adresse, non ? Et quand on voit dans les tribunes d'un stade l’effet sur le supporter de l'appartenance à telle ou telle équipe, on comprend mieux les ravages du pré carré des croyances inébranlables ! Aussi, me suis-je toujours méfié des religions et quand des prédicateurs ambulants sonnent à mon portail, ils sont vite reconduits car à ce sujet je suis très prétentieux : je n’aime pas qu’on m’indique comment penser. Rien que leur style vestimentaire me débecte, tiens d'ailleurs !
Et le système est mal conçu aussi ; puisqu’il est basé sur le péché et la pénitence, c’est en enfer qu’il faudrait envoyer les vertueux, qu’ils souffrent d’approcher enfin quelques diablesses car en tant qu'hommes, ils ont sûrement été plus hypocrites ou refoulés que vertueux, allons ! Il suffit de lire dans la presse les scandales sexuels qui secouent parfois le clergé… je n'échafaude pourtant pas la première crucifixion... mais comment pourrait-il en être autrement ? Ce ne sont que des hommes, eux aussi.
Et c’est au Paradis qu’il faudrait envoyer tous ces aficionados-gastronomes, jouisseurs impénitents, amateurs de plaisirs variés pour qu’ils s’ennuient à mourir, éternellement, épurant leur âme parmi d’insipides anges asexués.

Je prétends pénétrer le psychisme papal ! Oui, la manipulation du préservatif est plus dangereuse et risquée que l’abstinence, c’est une évidence ! De plus, il serait un expert, il saurait qu’en Afrique un préservatif se prête et peut servir à toute une pena ! C’est ce qu’il dit, Benoit XVI, et c’est imparable, mais personne ne veut comprendre. Vu sa situation, il lui est impossible d'encourager les rapports fréquents seulement motivés par ‘’la passe plaisir’’…
‘’C’est l’amour qui passe’’ vous lancent les jeunes femmes à travers la porte de votre chambre d’hôtel en Afrique… Alors, passez et... trépassez ? Non… mais le pape se doit de promouvoir un autre type de rapport, plus profond, basé sur l’admiration et la confiance réciproques, l’attente et la fidélité, soit un comportement moins enclin à la sédation rapide des pulsions sexuelles ordinaires, (rien que de l’écrire ça me fait de l’effet…) il est donc bien dans son créneau. Le schisme est philosophique : ce point de vue est celui qu'il préconiserait… une sorte d’idéal catholique… vers lequel tout appendice devrait tendre... encore faudrait-il que nous soyons tous animés d'une noble spiritualité, d'une sagesse infinie, tous capables de nous nourrir de concepts vertueux éloignés des innombrables friandises coupables et autres tentations charnelles. C'est vers ce point de vue sans doute que la théologie nous guiderait… si seulement on s’adonnait inlassablement comme des moines, - enfin plutôt des pasteurs, (hé,hé…) -, à cette recherche. Or nous ne sommes que de pauvres pécheurs faillibles et parfois si sensibles à un manque d'amour inconditionnel, que par l'adoption de ce point de vue, serait enfin jugulée notre douleur de vivre avec toujours, par ailleurs, la proie d'un désir qui nous taraude. (j'explique bien, hein...?) Je ne suis donc pas offusqué que le rôle du pape se cantonne à indiquer la température de couleur de la lumière du bout du tunnel : on n’a jamais prétendu que la voie de la spiritualité était facile. Frère Benoit est dans son rôle. Par contre qu’un médecin catholique tienne les mêmes propos serait proprement choquant, bien sûr.

Le hic, quand même, c’est cette exigence un petit peu surhumaine… préférer croire à la très hypothétique possibilité pour un homme de s’élever à un tel niveau de sagesse au détriment d'un risque vital avéré pour des millions d’autres qui en sont incapables : quelle responsabilité Mgr Ratzinger, je n’aimerais pas être à votre place quand vous priez ! Mais bon, puisque après tout vous êtes en communication directe et privilégiée avec le Tout Puissant, vous devez bien vous arranger.


Au fait, y-a-t-il une position officielle de l’Eglise concernant la corrida ? Je n’en connais pas mais je remarque que les pays qui lui sont favorables sont catholiques. C’est logique, il faut vraiment croire aux miracles pour s'y rendre encore. Si un pape de la ''bien pensance'' nous conseillait de ne plus fréquenter l’arène, nous en serions aussi inhibés qu'un spermatozoïde par la lueur émouvante perçue dans l'oeil d'une femme désirée.

Alors tentez plutôt, votre Sainteté, un aphorisme original, tout de crudité consensuelle :
Ne baisez plus, mécréants, faites l’amour, c’est plus jouissif !
Et déjà, quels progrès vous noteriez !!! Mais bon… qui, à part les allumés de Dieu pour supporter qu’on leur dicte leur propre conduite ? Et en ces temps de disette spirituelle et de crise de foi, peut-être vaudrait-il mieux accueillir les brebis les plus égarées que de les chasser en les triant sur le volet ?
BÔOah d’t’façons, t’sé, j’disais ça comme ça en passant, un billet d’humeur inspiré par l’actu, quoi…
(digression : lorsque j’écris ‘’t’sé’’, Gina m’envoie un email des USA pour me dire : Marc, il y a une faute, il faut écrire ‘’t’sais’’ ! C’est fou, non ? et si j’aime la zique phonétik des mo môa t’sé ? ben elle prend la mouche, Gina ! (tsais-tsais of course)
Sinon je me suis considérablement rapproché du Paradis l'autre jour : j’ai fait ma BA, j’ai emmené un moine bénédictin de Nimes-ouest à Nimes-est. Si ! En stop. Avec la robe noire et la tonsure et la croix argentée sur la poitrine. Super sympa ! Ce type avait rédigé une maîtrise de physique, avant de rentrer dans les ordres, (cela pourra toujours lui servir pour en sortir plus facilement ) on a parlé de la crise, de la vie, etc... court mais intense ! Et bien , vous savez quoi ? Il n’est pas impossible que j’aille faire une retraite de quelques jours dans son monastère ! Ca vous en bouche un coin, hein ? Loin de tout, près de soi, sonder un peu son for intérieur, manger peu et en silence en écoutant l'évangile selon Saint Marc, se promener tout seul dans la nature (en fumant un gros cigare qui ne ferait plus chier personne), assister ou non aux offices, loin des femmes et des toros, des saveurs, des couleurs et du brouhaha, des polémiques taurines de la blogosphère, se coucher avec le soleil, se lever avec les poules, n'en manger aucune, pas de pub, de TV, de PC, de MP3 et 4, d'Ipod, de bluetooth, de Wifi, de DS… ah ? Hein ? Eh oui, je suis comme ça, moi : multiplier les expériences avant de mourir ! Et pour écouter sa petite voix intérieure, celle qui se met à l’écriture, ce doit être le top non, tout ce silence épais ?

photo issue de la campagne de pub des préservatifs Billy Boy

dessin humoristique emprunté au site http://www.hammam-ensa.com/

mercredi 18 mars 2009

Tienta dans les Alpilles


Comme certains qui s’imaginent qu’un aïoli se prépare en ajoutant de l’ail à une mayonnaise, beaucoup pensent que toréer c’est enchaîner des passes avec style, et beaucoup d’autres encore feignent de le croire, prétendant au passage qu’il n'y a pas d’art sans transgression des règles, histoire de le justifier. Si ce fut vrai pour les impressionnistes face au dogmatisme des écoles classiques, ce pourrait être le point de départ réjouissant d’une philosophique digression en matière tauromachique. Mais ce sera pour une autre fois.
On peut se demander si l’inculture de jeunes toreros ne va pas jusqu’à nier carrément la notion pourtant élémentaire de ''mettre la jambe''. Remarquez, tout concorderait : nombre de toros sortant des chiqueros pré-dominés, l’esthétisme serait le seul souci, le seul objectif à atteindre. Et j’en viens à penser de plus en plus que, dans certains milieux, outre une boutade, c'est un acquis de base. Il est des anecdotes édifiantes, nous le verrons plus loin. Il apparaît le plus souvent qu’il est devenu inutile de déterminer la structure logique d’une faena pour parvenir, dans une progression calculée, à dominer l’animal, et l’on cherche à placer d'emblée le sempiternel enchaînement dont la prestidigitation en cas de succès, démontre alors la maîtrise. Ensuite, déplacement aidant et effet de style dissimulant, la jambe de sortie est effacée face au "référentiel taurin'' à éduquer. Bien souvent, la seule passe engagée, suerte chargée, jambe en avant, débute la série jusqu’à l’étirement arrière total, n’obligeant donc en aucune façon la trajectoire de la charge, mais facilitant au contraire son évitement. Ces séries sont copieusement applaudies par la grande majorité d’un public qui, à la sortie des arènes, vous taxe d’une sorte d’intégrisme snob, boudeur de plaisir :
''Comment ? Mais tu n’as pas vu ? Tu parles bien d’aujourd’hui ?...Tu y étais au moins ?''
Dans le petit matin encore blême, que le soleil printanier transperce difficilement, une petite arène de campo toute pimpante de ses planches de bois fraîchement remplacées, abrite trois toreros. Un retraité, Victor Mendez, un d’alternative de peu de contrats et un novillero. Les deux derniers bien gominés. Sur un sable neuf, ratissé comme un jardin japonais dont l’ambition présomptueuse serait de vous ramener à la paix intérieure, ils esquissent à tour de rôle avec le même sérieux qu’un jour de corrida, des passes calmes, indolentes et douces. Calé au soleil, j’entends le frottement du tissu lourd sur le sable propre. Un chuintement qui berce, accompagnant la léthargie à laquelle nous soumet ce soleil quand il nous sort doucement de l’hiver, et on s'y abandonnerait volontiers, réchauffé par la douceur du bois tiède, contemplant vaguement les typiques enrochements de calcaires blancs qui affleurent partout dans le paysage des Alpilles.
Mais la première vache sort, trait noir qui jaillit, bousculant le bel ordonnancement des traces symétriques du ratissage d’un méthodique anonyme aficionado à la ''zénitude''. Après deux rencontres cloutées par le piquero maison, Victor Mendez sort, un peu enrobé, grisonnant, volontaire, grisé aussi par l’événement ; il se régale de toréer et se donne au maximum dans toutes les situations. Après avoir passablement fatigué la vache, il la laisse en pâture aux jeunes loups que sont censés représenter ces toreritos qui ont tout à prouver. Changement de registre, les loups n’ont pas faim, ne dévorent point mais suçotent du bout des lèvres, toréent selon l’époque, pour le miroir, peut-être complexés par l'énergie du ''vieux'' à moins qu'il ne soit de mauvais goût de se commettre à de tels enthousiasmes.
A la troisième vachette, Victor n’en peut plus, il bout et tel un volcan qui a fait sauter son bouchon, refait irruption dans le rond, crache son magma, brûle de sa foi les penchants tièdes du toreo moderne :
''Mais qu’est-ce que tu fais ? Où elle est ta jambe ? On la voit pas ! Avance-la ta jambe contraire ! Tu l'effaces plutôt ! Elle est toujours en arrière ! Regarde ! Donne-lui envie de charger ! Tu le fais à la première, pourquoi tu continues pas ? Donne-lui envie ! Déclenche-la, avance dans son terrain ! Mets la jambe, putain !''
Dans la foulée, Victor lui a arraché la muleta et pétri d’aficion, démontre. Il torée, ''s’engraine'' et se régale. Pourtant, des trois, c'est lui qui pourrait être blasé et fatigué... Des toros, lui, il en a tué des centaines et pas des moindres, écumant toutes les plazas où l’on servait les plus retors. Il ne m'a certes pas toujours régalé, mais le coeur à l'ouvrage et l'aficion au corps ne manquèrent jamais. D'évidence, il a conservé intacte l'énergie du combattant. Les jeunes loups, faméliques - on sait maintenant pourquoi -, esquissent un sourire gêné de pucelle courtisée.
Victor Mendez, hors de souffle, hirsute et dégoulinant de sueur, regagne l’abri de planches par le burladero où je me tiens, me croise, se frotte à moi dans l'étroitesse du passage. Je sens son odeur, sa chaleur, son essoufflement, son effort qui oblige au respect ; je croise le regard d'un faciès trahissant encore l’état de concentration, d'investissement et de détermination qui l’habitait devant la vache, l’oeil un peu fou d’une lueur fixe. Il est de constitution moyenne mais après sa prestation, il me semble très grand et imposant. Il flotte en sa faveur comme un mélange d’acquiescement admiratif et de consternation pour ''qui-vous-savez’’, les deux autres, dont la moindre des mèches est toujours impeccablement solidaire du reste du scalp. Un grand torero a dit un jour que le summum de la maîtrise était de toréer sans le besoin ultérieur de laver son costume et de se recoiffer… Ces toreritos ont dû le croire, en oubliant le détail qui tue : c’est un objectif de fin de carrière ! Il ne s’atteint qu’après moult roustes, tampons et déchiquetages ! Qu'après quelques mètres de cicatrices, quelques admissions hospitalières, quelques infirmières séduites.
Des applaudissements éclatent soudain et l' évidence pour tout le monde, c’est qui est torero et qui ne l’est pas et vraisemblablement ne le sera jamais. Le pellizco, c'est Victor-le-matador qui nous l'a refilé.

samedi 14 mars 2009

UN JOUR JE PARLERAI MOINS






On ne le verra plus dans le Vercors sauter à l'élastique, ni voler des amphores au fond des criques, il ne fera plus la cour à des murènes, il ne fera plus l'amour, il fait le mort désormais.
Alain Bashung nous a quittés.
photo france 2

vendredi 13 mars 2009

POURQUOI ALLEZ-VOUS VOIR LES CORRIDAS ?

je me souviens de l'émotion ressentie quand ce texte me parvint. Ce soir, le lisant à nouveau, le frisson qu'il m'inspira est intact. J'aborde ici la révélation de ce qui sourdait bien souvent en moi alors qu'il semblait que tout autour on ne fêtait qu'une réjouissance gratuite. C'est pour ce genre de texte que j'ai posé la question pour savoir, une fois la fête passée, ce qui restait dans l'intimité du psychisme de chacun... En découvrant cette sensibilité j'ai su pourquoi des amis d'enfance comme Nicolas, ou des amis compagnons de tendidos comme François, Jeff, Serge, Gilles, Bernard, Raoul, Renée, Yannick, Frédéric, etc ou même des amis tellement récents que je ne les connais pas encore comme Xavier et Laurent (à peine) ou Ludo (pas encore) ou toi, Jean-Philippe Sauvage auteur de ce magnifique texte, j'ai compris pourquoi ceux que j'admirais comme Martin, Deck, Durand, Montcouquiol, que je les connaisse ou pas, étaient mes frères de sensibilité : parce que tous avec amour et respect, mettaient le toro au centre, trouvaient dans la fascination de ce fauve et la vérité de son combat des réponses qui touchaient à l'universalité. Alors, vu qu'on est des hommes, je ne vous tomberai jamais dans les bras en vous disant que je vous aime, mais, tiens, avant qu'on meure, vous l'aurez au moins lu ici une fois...
''Garapito'' et notre mort en ce ruedo
Jean-Philippe Sauvage


Le toro non fixé, s’est désintéressé de tout le monde. Il a longé la barrière et s’est dirigé vers le picador de réserve auprès duquel se trouvait le Romero. Personne n’a bougé attendant que le matador qui actait reprenne le toro, mais celui-ci ne l’a pas fait. Le toro a fini par arriver sur le Romero qui se trouvait derrière le cheval. Curro Romero qui espérait jusqu’au bout l’intervention de Mora ou de sa cuadrilla, a ouvert sa cape au dernier moment. Au sortir de la véronique, le toro s’est retrouvé sur le cheval qu‘il a encorné au ventre. L’équidé s’est écroulé et le toro l’air de rien, a continué sa route. Panique dans le ruedo ! Curro Vasquez reprend les choses en main et ramène le calme en piste. Pendant ce temps, les areneros essaient de relever le cheval qui baigne dans une mare de sang. Peine perdue, ils renoncent. Un peon puntille alors l’animal pour abréger ses souffrances. En coulisse, on ne trouve pas tout de suite une bâche pour recouvrir, comme le prévoit le règlement, le cheval. Quant au plomb servant à lester celle-ci pour qu’elle ne s’envole pas sous l’effet du vent, si on en a gardé, il doit se trouver au musée. La course se poursuit. Le cheval enfin bâché, repose prés du burladero où il est tombé. A un moment, il se remet à bouger. Ses postérieurs s’agitent comme si, dans un dernier effort désespéré, il voulait repousser la mort. Voyant alors que son office a été mal exécuté, le puntillero enfonce à nouveau sa dague ''en cherchant bien'' pour être sûr, cette fois, de donner la mort. Un murmure dans la plaza a accompagné ces derniers gestes. Ceux du cheval et ceux de l’homme. La course ne s’est bien évidemment pas arrêtée pour autant.
Puis, une fois le toro évacué par l’arrastre, les mules viennent chercher le cheval. Tout Madrid est debout pour lui rendre un dernier hommage. Il sort, tiré par le train d’arrastre, sous les applaudissements, et il s’en faut de peu pour que monte de milliers de poitrines le cri de « Torero ! ».
Quand meurt Montoliu, le cœur ouvert comme un livre par la corne d’un Atanasio Fernandez en plaza de Séville, le père du torero dira :
''Le toro, c’est aussi cela''
Le toro doit donner du bonheur à M. Bonijol empresa de caballos, mais si un jour, un de ses chevaux mourait en piste, il se grandirait en employant les même mots, malgré sa douleur, car je sais qu’il aime ses chevaux, mais aussi la corrida. Je ne suis pas scandalisé par la mort du cheval, je la déplore. Je ne suis pas scandalisé par la mort du torero, je la déplore. D’ailleurs, entre nous, personne n’est scandalisé par celle-ci. Comme si, le toro dans une arène, pour faire plaisir au respectable d’icelle, s’abstiendrait de blesser ou tuer, se retiendrait, et, après un moment d’hésitation s’écrierait tout confus : ''excusez-moi !''
Nous ne sommes pas scandalisés par la mort d’un toro. Cependant, quand meurt en Vic-Fézensac ''GARAPITO'' toro de Palha, c’est pour moi un déchirement. J’aimerais que s’arrête le temps pour admirer encore cette alegria, pour voir encore vivre ce toro pour un combat sans fin, pour une tarde sans fin. Mais je sais qu’il faut qu’il meure pour que, paradoxalement, ce soit encore plus merveilleux. Voir mourir le toro est acceptable puisque c’est souvent et depuis longtemps le toro qui est sacrifié. Nous sommes dans une société plus ou moins civilisée mais où restent dans notre subconscient tous les anciens rites, même préhistoriques. Le cheval n’a jamais été sacrifié : il rendait une fois dressé, beaucoup trop de services à l’homme pour qu’il n’imaginât, à aucun moment de le supprimer. L’homme a pu succomber au culte de Mithra dans lequel à un moment donné le sang du toro immolé est versé sur le disciple pour que ce dernier acquière la force et la vitalité prêtées à l’animal (taurobole). Mais je n’ai jamais entendu parler d’un culte où il était fait de même avec un cheval (hippobole ?). Que le toro meure est acceptable. Mais le cheval, lui, n’a rien demandé. Quant à l’homme, le pauvre, il faut le respecter puisque il se met devant notre fantasme de triomphe. N’émettons alors aucune critique puisque rôde la mort. Taisons nous. Respectueux, humbles et muets, laissons après tout faire même l’inacceptable puisque la mort… Allons, regardez plutôt, tentez d’analysez le toro et la cornada sera peut-être évitée.
Je ne suis pas non plus scandalisé disais-je, par la mort du torero. J’ai perdu le ''Nimeno II'' quand il croisa la route de ''Panolero'' de Miura. J’ai mal. Mais, tout aussi paradoxal que cela puisse être, des toros comme ''Panolero'', j’en redemande même s’il y a danger qu’ils me prennent mon torero. Finalement, comme je le remarquais déjà, la corrida en est arrivée pour moi au stade du déchirement. Je l’accepte jusque dans ce que la mort peut avoir de plus bouleversant, de plus irrémédiable. Certainement que ce drame me fait comprendre et saisir beaucoup de choses. Bien assis sur mon gradin, je n’ai plus les pieds qui freinent pour arrêter ce je ne sais quoi ou qui. Je ne ressens plus la peur. Je ne frissonne plus d’effroi. N’allez cependant pas croire que j’attends ou appelle de mes vœux l’accident. Non. Mais quand il arrive, je le reçois sereinement, comme s’il ne pouvait en être autrement à certains moments, pour que vive, malheureusement ou heureusement la corrida de toros. Peut-être après tout, que celle-ci me fait accepter la mort pour mieux me préparer à une prochaine naissance. Et non pas à une prochaine renaissance. Car la corrida ne recommence jamais. Elle n’en finit pas de commencer. Après les clarines sort un nouveau toro. ''GARAPITO'' ne ressortira jamais. Et c’est tant mieux. Comme il ne sortira jamais de ma mémoire. Je reste avec ce grand bonheur fragile qu’il m’a donné un lundi matin de Pentecôte. J’ai peut-être eu de la chance.
Une acceptation de la mort. Comme si cette dernière faisait, peu à peu, moins peur. Pendant environ deux heures, je vis avec elle. J’exagère ; je la vois seulement rôder. Normalement, elle n’est pas pour moi. Comme si notre passage sur terre n’était qu’une lidia plus ou moins brève pour apprivoiser la mort. Pour la comprendre. L’appréhender. Résoudre cette inconnue vers laquelle il nous semble, du moment qu’elle se rapproche, aller de plus en plus vite, bien que les ans, les jours, les heures et les secondes restent imperturbablement les mêmes. Alors la mort devient un passage comme un autre. Et s’il importe à l’homme de laisser une trace de son passage sur terre, c’est sûrement fait.
''Paquirri'', ''Yiyo'', d’autres bien sûr, restent en nous. ''Garapito'' de Palha, ''Puntillo'' de Maria Luisa Dominguez Perez de Vargas, l’encierro de Isaias y Tulio Vazquez Roman à Vic en 1990, quelques autres aussi, sont en moi. Ils vivent à jamais. Un jour je vivrai à jamais dans la mémoire de certains malgré mes faiblesses et mes imbécilités. Du moins, je l’espère un peu. Ils seront libres de faire cette démarche, tout comme je suis libre de la faire ou non, de garder ou non, quelques souvenirs dans un coin de ma mémoire sélective. Donc, en fait, il y aura toujours quelqu’un pour se souvenir. Quiconque laisse donc une trace aussi infime ou controversée soit-elle.
Mais il y a cependant quelque chose de drôle : si nous apprenons à ''lidier'' la mort, à l’apprivoiser, ce n’est pas nous qui, comme le matador, portons le coup d’épée. Notre lidia nous prépare à le recevoir alors que le matador lidie pour lui, donner le coup d’épée avec le plus de sécurité possible. Nous, au dernier instant, endossons le rôle du toro. C’est nous qui nous retrouvons cadrés, qui baissons la tête, aplomados mais sereins, rendus mais pleins d’amour pour ceux que nous quittons. ''Garapito'' m’a quitté plein d’amour pour moi. Ne riez pas !, parce que c’est vrai qu’il en avait de l’amour pour moi, puisqu’il m’a fait pleurer et me fait pleurer encore. Ce ne peut être autrement. Il ne pouvait que m’aimer pour me donner ce qu’il m’a donné, un éternel bonheur.
Mourir ce n’est rien, comme disait le poète. La belle affaire ! Le plus dur c’est de se préparer au dernier instant, pour, au moment du passage, rester digne et ne pas proposer un quelconque spectacle affligeant, signe de notre défaite. Rester digne pour offrir à ceux qui restent la sérénité d’une absence programmée. Offrir pour apaiser leur douleur. C’est ce que mon grand-père m’a offert, finalement. Nous a offert. En grand. Je me rends compte aujourd’hui, à la veille de mes quarante ans, que sa mort fut pour nous un cadeau de la manière sereine dont il l’a menée. Ce fut son dernier message terrestre que je commence à comprendre maintenant au travers de la corrida. Emotion. Révélation au travers des toros.
''Revelarse'', disent les espagnols pour un toro qui se grandit sous la pique et dont personne n’aurait pensé qu’il puisse le faire quelques secondes auparavant. Révélation, grâce ou à cause de la douleur.
La corrida ferait-elle que j’arrive à vivre la mort d’une autre manière ? Serait-elle le catalyseur de mes interrogations pour mieux appréhender le caractère inéluctable de ma propre mort et de celle de quelques autres ? Ce ne serait pas rien. Mon passage sur terre serait ainsi plus vivable une fois éliminée la phobie de la mort, pour, sans par ailleurs l’appeler, la sublimer. On en revient toujours au même. Ce sentiment latin de sublimation de la mort, si difficile à saisir pour nous gens du Nord, mais que nous ressentions aussi au 16e siècle et que nous avons oublié pour le noir des ténèbres et du deuil. La corrida c’est la lumière de cinq heures du soir. La lumière à tous les sens du terme, en tant que révélatrice. La corrida met la mort en lumière, lui ôte les ténèbres dont nous la parons parce que elle nous fait peur, parce que nous la trouvons ignoble ou horrible, parce que nous la fuyons.
Tranquillement assis sur mon gradin, j’ai, en face de moi, la révélation de la vie. De ma vie. En pleine lumière. Alors si la corrida réussit à me conduire vers ces contrées paisibles, je crois qu’un grand pas vers la sérénité de l’esprit aura été, grâce à elle, accompli. ''Garapito'', combat avec alegria, sans se douter que la mort est au bout de sa course.
''Garapito'', lutte contre la mort avec alegria parce qu’il est toro. ''Garapito'', meurt avec alegria et me donne la leçon. Tout comme mon grand-oncle. Vivre et mourir avec alegria. Pour mieux continuer à vivre ensuite. Non pas pour renaître mais pour vivre encore et toujours. Mon grand-oncle aimait la vie et la vécut avec alegria. Comme pour ''Garapito'' de Palha. Tous deux vivent encore. Et ils vivront après moi puisque restent les écrits. Il le fallait : que ce que la corrida me dit soit accompli !
Le premier trophée ''TIO PEPE'' fut décerné au n°201 de Palha. A ''Garapito''...

jeudi 12 mars 2009

SOIREE SEXISTE A L' IT

N’importe quoi : elles écrivent de toros maintenant ! On est plus tranquille nulle part, même au bistrot, au rugby ou à la corrida, elles nous scotchent ! P’tain je vous jure, fais chier ! A la corrida l’autre jour, y’en a une, elle me tapote l’épaule et dans l’illumination hypocrite de son sourire pseudo tolérant elle me distille, mielleuse :

- Pardon monsieur, vous pourriez éteindre votre gros cigare ?

Quelle inculture… ! Elle est pas belle celle-là ? Eteindre un cigare à la corrida ! Mais reste devant ta télé, à stimuler l’accumulation des acides gras poly-insaturés dans ta culotte de cheval, tu sais, comme celui que tu hues quand il rentre avec le gros monsieur qu’est vilain avec le gentil toro ! On t’a pas brancardée de force pour venir jusqu’ici que je sache ! Occupe-toi en exclusivité de ta mytose adipocytaire en bâfrant tes macarons et laisse-nous étudier les caractéristiques de cet encaste auquel tu n’entraves que oualou ! Quelle inculture crasse que de demander l’extinction d’un module de grandes feuilles mythiques de la Vuelta Abajo ! C’est ça ma chérie, j’en parlerai à mon torcedor quand j’aurai le temps ! Merde, alors !

- Non.

Que je lui rétorque distinctement, élégamment, sobre et déterminé… en me roidissant d’une imperceptible contraction des haubans musculaires para-vertébraux qui, pour êtres longilignes n’en sont pas moins d’une remarquable tonicité, ce qui me donne tant de prestance dans la posture quand je fume tandis que je pouffe avec distinction la volute de fumée suivante vers le ciel, de l’air inspiré de l’écrivain qui va extorquer de la singularité de son bel esprit, la phrase immortelle…
Alors là, mes aïeux, qu’est-ce que j’avais pas dit ! J‘me suis fait traiter de tout ! Mais alors… de tout : Que mon cigare était à l’évidence un substitut phallique dont la taille devait être inversement proportionnelle à la longueur de mon pénis, que ma mère aurait dû se trouver honteuse d’enfanter un tel goujat, qu’il faudrait que je m’étouffe avec, et patati et patata… elle trouvait plus ses mots tellement elle en cherchait d’évocateurs ! C'est-à-dire qu’elle posait la question mais d’évidence n’admettait pas d’alternative, voyez ? Et comme son mari lui obéit à la maison, elle en était toute retournée de cette opposition scandaleuse.
Me retournant, je lui ai confirmé que tant qu’elle resterait mon horizon visuel immédiat, mon pénis par ailleurs si doux et performant, doux comme la cape soyeuse qui emballait mon cigare et performant comme (bon, enfin, abrégeons malgré le souci de véracité qui anime ce compte rendu, inutile de créer des frustrations) ne risquait effectivement pas de frétiller vers la moindre expansion majestueuse (quelle constante plus prégnante pour un écrivain que d’ambitionner sans relâche de locuter précis ? mmm ? ) et pluriquotidienne qui est à même de le caractériser, pourvu que la science des stimuli soit parfaitement maîtrisée par la partenaire à combler de bonheur indicible, et puis, je lui ai soufflé dans le nez une putain de mega bouffée de Montechristo n°4 micronisée, version aérosolique ultrasonnée qui a pénétré le lobe troisième du nom et inférieur gauche du poumon droit jusqu'au tréfonds du segment termino-basal de Jackson-Huber qui l’aura dégoûtée en une inhalation, du délabré Cuba et de son caudillo, toute militante de gauche caviar qu’elle était ! Elle en tousse encore…
Eh ben maintenant elles écrivent de toros ! Si ! Voyez-vous ça !!! J'vous demande un peu ! Pitié pour nos vessies ! Est-ce que nous, par exemple, nous rédigeons des traités tels que ‘’Comment réussir sa gelée d’arbouses ?’’ ou bien ‘’Le Boutis en trois leçons’’, hein ? Non. Qu’est-ce qu’elles y ‘’capitent’’ au toro ? Mmm ? Taureau d’ailleurs, elles l’écrivent…. ! Wouarfff ! Et le plus beau, elles se réunissent entre elles ! Faudrait p’têt y aller en ‘’Tootsie’’ ou carrément se faire émasculer tant qu’on y est ? Alors voilà, JEUDI 19 MARS à partir de 20 H à l’IT restaurant, rue Auguste à Nimes, y’aura que d’la souris, d’la meuf ,d’la gonzesse, d’la poulette, que d’la prose utérine, de la logorrhée gynoïde, d’la considération matriarcale, lue, toujours par des femmes évidemment, on allait pas faire rentrer le loup dans la basse-cour ! Tout le monde aurait admiré sa robe. Bon alors comme dit l’autre, me concernant, du rimmel aura coulé sur les ridules oculaires de ces ‘’jeunesses’’ avant que j’y emmène mon puro de Cuba ! Et d’abord, Le Guellaut, pourquoi qu’on l’a pas invitée elle, hein ? Oui, Catherine, la régionale, là, libraire sur Arles, à trente-cinq kilomètres, elle avait piscine ou quoi ce soir là ???
Remarquez, allez-y vous, sûrement qu’elle écrit bien Nadège Vidal, sinon Verdier hein, éditeur exigeant s’il en est, ne l’aurait pas prise, pensez… Moi je lui avais bien envoyé une ou deux nouvelles à Mariou en lui demandant si par hasard ça lui donnait envie d’en lire d’autres, mais nada, pas même répondu un non massif ou dédaigneux, rien, comme si je n’existais pas… Vous vous rendez compte du préjudice pour un lego de nécrivain ? Une fois, je l’ai entendu dire qu’il détestait qu’on dise que l’Edition ne répondait pas aux auteurs : ben alors, ch’ti pépère, réponds ! Car nous autres, éconduits, non plus ! Il pourrait répondre, qu’on reçoive enfin un retour autorisé qui nous changerait du ‘’GENIAL’’ des amis et du ‘’N’IMPORTE QUOI’’ des aigris, un retour qui serait compétent, qui nous en apprendrait sur nous-mêmes, qui nous indiquerait dans quelle direction travailler. Je sais pas moi, un truc chaleureux et personnalisé genre :
''Votre manuscrit matricule 5278 n’a pas été retenu pour inadéquation à notre ligne éditoriale’’. Déjà, ça mettrait du baume au cœur.
Et Séverine Gaspari, elle a pas un gentil regard tout doux, peut-être ? Il paraît, mais ce sont des bruits de chiqueros, hein, qu’elle et moi, lors de la précédente édition du prix Hemingway, on se frôlait…. Rrrrouououuuuu….. on était au coude à coude, épaule contre épaule…. Tout près l’un de l’autre… la victoire devait se jouer entre nous…, coucou Séverine, c’est moi… alors moi, ça me flatte parce qu’elle est agrégée de lettres quand même… paraîtrait que cela n’a rien à voir avec le génie de l’écriture… je veux bien… mais ça peut pas nuire quand même, si ? Ouais, enfin tout ça pour que Zocato, outsider publi-relationnel jovial et conférencier truculent et consensuel (le genre Domecq ‘savez… pas un Santa-Coloma…) nous coiffe sur le poteau ! (je dis ‘’coiffe’’ mais je pense ‘’baise’’…) Avec son pastiche de quarante mots… Pfff si c’est pas malheureux, le prix Hemingway remporté par un plagiaire ! Ah ben si… regardez dans le dico, le pastiche, c’est constitutif du plagiat ! Ca fait chier, hein ? Quoi ? Je suis mesquin, rancunier, je l’ai en travers depuis un an ? Meuh non…. Pffff… m’en fous…. Quoique, putain, quatre mille euros, c’est pile-poil ce que m’a coûté l’entourage de bois de ma piscine, cette année-là…(que je suis vulgaire !) J’espère au moins qu’elle était gérée, la forêt exotique ! C’est bizarre, Séverine j’ai l’impression qu’elle s’appelait Gasparini et non Gaspari : elle n’aura pas voulu finir sur une négation peut-être… Gaspari ça tend vers plus loin, c’est ouvert, qu’est-ce qu’il a fait Gaspard, hein…i ? Tandis que Gasparini ça retombe, c’est fini. Mais, je crois plein de choses qui n’ont jamais eu lieu… Un autre truc très contrariant avec le prix Hemingway, c’est que j’ai beau être intimement persuadé que je ne le remporterai jamais, ça me retient quand même un peu. Parce que moi, le week-end de Pentecôte j’aime aller à Vic. J’aime pas plaindre les toros. Donc c’est parfait, en début de semaine on voit des bons toros sur Nimes et quand les toros pour Parisiens débarquent, je me fonds dans le rural, dans le foie gersois pendant que tout le monde s’échange sa carte de visite à l’Ipé en sirotant les coupettes de champ’ à dix roros. Ah non, pardon… l’Ipé c’est le bois de ma piscine… l’hôtel c’est l’Impé. Oui parce que ‘’Impérator’’ c’est trop long à prononcer en temps de féria. Il a raison, Philippe Val, ce sont des avinés les aficionados, on va pas lui faire un procès parce qu’il dit l’évidence… même si c’est sur France Inter… Puis faire un procès à un polémiste y’a rien de plus con… Y’a qu’à voir chez les ventres bleus à Aigues-Mortes où le pastis est servi au jerrycan ! Chai pô ce que j’ai cet aprem… m’arrêterai plus d’écrire… mes patients brûlent, là-bas au fond du cabinet sous les infra-rouges... ressortent supra-rouges... j'écris, j'écris, c’est comme une prière tibétaine, en moins spirituel je le concède, ça déroule non stop, écriture automatique au fur et à mesure des idées qui affluent. On boit encore plus sévère dans le sud-ouest…. Le lendemain y’a des ‘’comme morts’’ sur les trottoirs… z’ont même pas pu rejoindre la tente des pompiers… coma éthylique, face dans les graviers. Moi, ça m’impressionne. J’ai peur des lésions irréversibles… C’est couillon je trouve… avec les soixante euros qu’ils ont bus ils auraient pu se payer une place dans l’arène, boire et manger et voir un truc plus essentiel que des filles habillées de sacs poubelles et chaussettes de rugby qui les singent pour faire la fête avec eux : quid de l’érotisme si on s’attache à gommer les différences ? Puis elles sont costaudes hein, les meufs là-bas … c’est pas des lianes… t’as pas intérêt à leur déplaire, parce que si elles te mandalent… adieu l’indolence des cervicales… (vais être bien reçu moi, tiens, là-bas…) Donc faut y aller pour les toros, pour le foie et la tourtière et pour la gentillesse de l’habitant. Et sa traîtrise aussi, avec le fameux pousse-râpière presque directement injecté en intra-veineuse qu’ils t’inoculent juste avant que les condés t’arrêtent… Alors ça me retient parce que je me dis, bon, le vendredi soir, ils donnent le résultat du prix et moi si je me suis déjà élargi vers l’Ouest, c’est pas poli et pour une fois que j’aurais pu bomber le torse... D’un autre côté, cette année, vu que je viens de me mettre le petit monde de l’édition à dos dans cet article…y’a de quoi être plus serein… me suis d’ailleurs pas foulé cette année pour la nouvelle… la précédente se terminait par l’arrivée des mouches, j’ai commencé là où ça finissait : par les mouches ! Et quand on sait ce qui les attire le mieux… BZZZZ, que j’aurais pu l’appeler… Avec un peu de chance, je ne serai pas finaliste, cette année. Au début, j’étais super raisonnable, je me disais, bon, vu que tu joues maintenant dans la cour des grands, des gens régulièrement publiés, si déjà t’es finaliste, dis-toi que, à ton niveau, t’as gagné ! Mais à force d’être finaliste, tu deviens gourmand t’sé ?
Vous rendez-vous compte qu’un jour, on sera battus par des femmes au prix Hemingway ? Non ? Eh bien si, les hommes, mes frères ! Alors autant aller s’y préparer pour n’en point trop souffrir, à l’IT restaurant le jeudi 29 mars à 20 H ! Moi, suis pas dispo, vous me raconterez… j’ai un module cubain à finir…. Quatre mille euros… ça fait bien mille cigares, ça… je pourrai en enfumer des cohortes d’emmerdeuses, au fil des ferias ! Y’a des meufs dans le jury ?


dimanche 8 mars 2009

L'Oeuvre Majeure du Nobel 2008

DESERT

J.M.G Le Clézio



C'est un roman difficile à raconter à première vue. Mais l'année où Le Clézio reçoit le prix Nobel, - et comme dans ce blog nous avons déjà eu notre voyage éclair au Sahara -, on résiste mal à l'évocation de ce roman où progressent deux récits typographiquement séparés.
L'auteur, cet "homme mêlé", ce grand voyageur passionné, observateur des peuples, de leur histoire et de leurs moeurs, évoque dans le premier, un peu autobiographique et historique, les ancêtres de sa femme Jemia et des personnages ayant vraiment existé. Ce récit concerne la colonisation du Sahara occidental, obligeant les "Hommes bleus", épris de liberté, à fuir. C'est donc la vraie histoire des Nomades du Sahara, vaincus par les Français entre 1909 et 1912. On assiste à leur grande marche vers la ville sainte de Smara, à leur errance dans le désert, à celle des troupeaux épuisés conduits par Nour, puis regroupés ensuite pour repartir pleins d'espoir vers le Nord, pays des terres et de l'eau. Dans le Nord, encore chassés par l'impitoyable guerre que leur mènent les Chrétiens et à cause de la méfiance des gens de ville contre "les hommes bleus", ils sont contraints à un nouvel exode qui les conduit, pleins d'espoir, vers Marrakech. C'était sans compter sur l'armement des Français, la trahison des gens des villes, l'action des puissances de l'argent et le délabrement de leur armée. Après leur défaite, les derniers « hommes bleus », libres, retournent au désert.
Le deuxième récit totalement fictionnel, raconte l'histoire d'une toute jeune fille, Lalla, née dans des baraquements proches du désert. Elle se transplante en Europe, à Marseille et découvre notre civilisation des années quatre-vingt, date de l'écriture du livre. C'est un voyage initiatique pour l'héroïne qui est une descendante de ces gens du désert. Vivant d'abord dans "une cité" de cabanes de planches dans le désert avec sa tante Aamma qui l'élève, à proximité de la mer, elle est heureuse, aime explorer sa région, savourer la nature en compagnie du berger Hartani, écouter des histoires de Naman, le pécheur qui connaît les belles villes d'Europe et lui raconte l'histoire des "hommes bleus", ses ancêtres . Elle aime ses balades d'enfant sauvage et ses menues tâches à accomplir.
Dans une grotte, elle s'unit à Hartani, son ami d'enfance et se retrouve enceinte.
L'auteur raconte ensuite la vie de Lalla à Marseille dans un appartement exigu, son travail dans une fabrique de tapis, puis dans un hôtel, sa rencontre avec un petit voleur, Radicz, qui devient son ami. L'héroïne affronte la vie précaire des immigrés, le refus d'un mariage-vente forcé, la fuite encore et la rencontre d'un photographe qui en fait une cover-girl célèbre. Mais l'argent ne la tente pas : elle danse et en proie à l'ivresse de cette danse (qui évoque le flamenco), elle entend de nouveau l'appel du désert où elle s'en retourne et met au monde sa fille.
On comprend donc qu'il y a des corrélations entre les deux textes : des effets d'écho, de miroir, renvoient d'un récit à l'autre. Histoire d'une jeune fille immigrée d'un côté, histoire de Nomades d'un autre. Lalla est de la même origine qu'eux. Les deux récits ont des personnages importants et des marginaux.
Le grand principe d'unité, c'est le désert, Désert, qui fidèlement au roman, s'écrit sans article. C'est d'abord de l'espace géographique qu'il s'agit, du Sahara marocain. Nous y suivrions le déplacement réel des Nomades sur une carte avec des toponymes qui évoquent toutes les variétés géographiques du Maroc, oueds, pistes, vallées, palmeraies. Lalla, elle, y vit , on ne sait pas où, exactement. Le désert est merveilleusement montré avec les beautés de la hamada sans végétation, une faune rare de serpents et de scorpions à laquelle s'opposent les ergs couverts de dunes, puis les oasis cultivées qui attirent les mouches, les guêpes, les hommes, diverses tribus, divers types ethniques ; on sait tout sur les hiérarchies, les religions, la répartition des tâches. Ce désert reste bien entendu, une zone sèche, aride, balayée par le vent avec la terre nue, des torrents desséchés, des dédales de pierre sèche, la quête éperdue de l'eau, la pauvreté des herbes maigres, piquantes, quelques euphorbes ou acacias, la lumière excessive et de grandes amplitudes de températures.
Mais Désert est aussi comme un être abstrait, sacré : il est silence, immobilité, absence, immensité, liberté. Tout au long du roman, Le Clézio évoque la lumière, le silence, soit infini, soit dur, oppressant venu du sable, du ciel dégagé de nuages ou d'oiseaux, des collines, de la nuit, silence blanc ou dense. Il imprègne les hommes dont il durcit les lèvres et la langue, "l'eau bue par Nour installait au fond de son coeur le silence et la solitude des dunes et des grands plateaux de pierres". Dans ce silence, la communication entre les hommes même nombreux, est très réduite d'autant plus qu'ils souffrent et se taisent "comme s'ils n'avaient plus la force d'aimer ... pleins de lumière quand le soleil brûle au centre du ciel vide, et glacés la nuit aux étoiles figées". Ce désert, personnifié dès le début du roman, manifeste son rejet des hommes, les fait souffrir, les tue "à coups de lumière ou de vent mauvais, puis efface son crime en les engloutissant sous les vagues de sable."
Mais, paradoxalement, les initiés au désert ne se perdent pas, et le vent, ennemi s'il en est, symbolise la pureté, "il lavait tout, effaçait tout" comme la lumière liée au feu qui a le même pouvoir.
Ce Désert a un rôle mythique car il vit en dehors du temps linéaire et du progrès. Finalement il incarne comme un être sacré, fascination et terreur.
Mais Désert, c'est aussi la ville où l'on se perd, son organisation vide d'humanité, l'indifférence, l'inattention à la souffrance les uns des autres, un retour impossible pour les hommes à des valeurs d'amour et de compassion ; ils sont prisonniers de leur quartier, ils sont destinés à l'exploitation, à la faim, à la peur, à l'isolement dans cet Enfer moderne que découvrent tous les personnages marginaux, exclus qu'affectionne Le Clézio. La ville, c'est le vide, le manque d'amour, un espace de désolation et de mort pour les esclaves du paraître que sont devenus les citadins. Finalement, les Nomades retournent au désert après un passage désastreux dans le bruit et les fureurs de l'histoire et Lalla revient aux confins du désert pour donner la vie.
Désert est donc un roman qui dénonce, mais qu'on oublie l'histoire, qu'on la trouve touffue puisqu'elle est "double", que les noms arabes se mémorisent mal, on reste imprégné des motifs musicaux récurrents, la danse des Nomades, la chanson et la danse de Lalla qui contribuent au tissage des deux récits. La musique des mots qui se répètent, des leitmotivs introduisent la lenteur du rythme en phase avec l'étendue immense et monotone, la lumière persistante et le vent inlassable. Le Clézio, comme dans de nombreux autres de ses romans ne se presse jamais et ne nous presse jamais d'abandonner ce qui est beau. On sort de la lecture et de notre monde, envoûtés par la poésie.
GINA

samedi 7 mars 2009

Jean Paul Journot : Adieu Petit Nono





Je peux dire que Jean Paul Journot et moi nous nous connaissions "de vue". C'est vraiment le terme adéquat. Même si je n'ai pas grand loisir de me promener dans Nîmes, je le croisais à l'occasion, un peu partout. A croire que nous avions les mêmes circuits et nous supposions donc tacitement avoir des goûts en commun. A l'entour des arènes de la région principalement, puis dans notre ville, aux halles, au marché aux puces, à la brocante, sur les boulevards de l'écusson. A force de se croiser, on a échangé un sourire de connivence au début et puis on s'est salué normalement et un jour, aux puces, d'où je repartais avec cette photo ronde, il arriva en face de moi en pointant un doigt dans sa direction. Je la lui montrai : vous avez-vu ce que j'ai trouvé ? Un beau derechazo de Christian avec une dédicace d'Alain qui remercie un toubib d'avoir soigné son frère... Jean paul Journot la jaugea une seconde et puis je pus me rendre compte de l'aficion qui l'animait. A moi, qui ne retiens bien souvent d'une course qu'une vague impression, une émotion, un détail, il précisa de quelle blessure, de quelle course, de quel cartel, de quels toros, de quelles circonstances, de quelles lésions, de quel chirurgien il s'était agi. J'étais stupéfait, un vrai savoir encyclopédique ! Tout juste s'il ne m'indiqua pas la couleur des cheveux de l'infirmière.


Ces jours-ci, j'avais lu qu'il donnait un spectacle, "Petit Nono" que je comptais aller voir. Je regrette de n'en avoir pas eu le temps. Il n'en aura donné que trois représentations : un matin, le journal nous apprenait qu'il avait tiré sa révérence. Je constatais alors que cette nouvelle m'attristait comme s'il avait été un de mes copains parti trop vite, dont je ne croiserai plus la tête familière dans le paysage nimois. Aussi ai-je voulu vous en parler. On ne devrait jamais reporter au lendemain ce que l'on veut dire ou faire. C'est de ce laconique pessimisme que je ne voulais pas ternir ma phrase du message "C'est le Printemps" d'il y a peu ; quoi de plus triste que de mourir au printemps où tout renait ; aujourd'hui, je la termine :


Quand les crépuscules de la maestranza seront bleu marine et emporteront dans le même maelström les parfums des femmes et les volutes des havanes, chaque faena, chaque émotion, passe après passe, estocade après estocade, nous fera petit à petit admettre que bientôt la mort viendra nous prendre.


C'est ce que je voulais écrire.


Je joins l'article de Roland Massabuau paru dans Midi-Libre (ainsi que la photo) qui retrace son parcours :

Jeudi soir, il avait donné, au Télémac, devant une salle pleine et secouée de rires une nouvelle fois, la troisième représentation de son spectacle Petit Nono, one man show humoristique et truculent inspiré de la vie nîmoise et de ses habitants, et ses sketches, toujours liés à l'actualité, avaient encore confirmé toute l'imagination, la verve et les intarissables ressources de son imagination. Quelques heures plus tard, Jean-Paul Journot décédait, victime d'une crise cardiaque.Très attaché à sa ville et à ses racines, le comédien, aficionado dès son plus jeune âge et doté d'une infaillible mémoire relative aux innombrables corridas auxquelles il avait assisté, était un homme de culture et de spectacles.Brocanteur et collectionneur d'oeuvres d'art, féru de littérature, Jean-Paul Journot avait eu, dès son enfance, une fascination pour la scène. Plus tard, sur les plateaux de théâtre ou devant les caméras, il eut maintes occasions de vivre sa passion.Participant à une vingtaine de productions musicales, tournant dans des films réalisés par Claude Lelouch (La belle histoire) ou Jean-Paul Rappeneau ( Le hussard sur le toit) et des productions télévisées, le comédien nîmois avait également joué dans de nombreuses pièces et adaptations théâtrales, sous la direction d'Antoine Bourseiller notamment.Personnage nîmois, il avait, l'été dernier, au musée du vieux-Nîmes, proposé un spectacle intitulé Anecdotes nîmoises, avant-goût de ce Petit Nono qui vient de le voir, avec drôlerie, émotion et sensibilité, dire adieu à sa ville.

UNE NOUVELLE DE VIVIANE GATINEAU

En publiant la contribution de Viviane à l'énervante question "Pourquoi allez-vous voir les corridas ?" je me suis rappelé que je l'avais encouragée à participer avec moi, au concours de nouvelles de Mugron. Peut-être quarante huit heures après, je recevais ce texte, "Le Grand Roc". Je suis donc allé fouiller dans les fichiers oubliés de mon ordinateur et j'ai fini par le retrouver. Le voici donc, en exclusivité pour les lecteurs de "Des photos, des m... enfin du blog, quoi... (voilà ce que c'est que de choisir des titres à rallonge, on a toujours la flemme de les retranscrire)
Vous aussi vous "écrivez de toros" ? Si vous voulez nous envoyer vos textes, après "examen" de notre très distingué et sévérissime comité de lecture (Gina et moi...) nous les publierons. Comme quoi entre les "refusés de l'édition" et les "oubliés du tiroir", il peut y avoir une vie !
LE GRAND ROC de Viviane Gatineau

Une odeur de mousse écrasée sous les pas… Après la route et le chemin, les galoches énervées ne sonnaient plus, mais s’écrasaient dans l’enchevêtrement des feuilles… Hiver d’un pays rebelle et fort qui affolait les doigts, ficelait les bouches, pétrifiait les fronts.
Il marchait, têtu contre le vent, cet enfant maigre et pensif. Savait-il, comme
un puits au fond de soi, où le mènerait sa marche ? Loin, bien loin, l’école, ses bancs et son odeur de poêle, loin les paroles du maître et la craie qui crisse au tableau noir, loin le quotidien et l’arrondi du jour. Le bois sentait de plus en plus fort, les feuilles s’épaississaient, une hase détala, éclair de rousseur, un oiseau fendit le ciel, éperdu. Il y avait dans l’air, du profond et de l’obscur, un étonnement. Le garçon marchait, marchait sans savoir vraiment ni vers où ni comment.
Soudain, la chute visqueuse et douce, effrayante, interminable. Une bouche
de terre avait happé l’enfant. Plus d’odeur de feuilles ni de mousse et désormais nulle clarté. Emmuré ? Pas si sûr… Il trouva dans sa poche la boîte d’allumettes qu’il prenait toujours avec lui et tenta une clarté. De grands boyaux s’ouvraient autour de lui, des anfractuosités inquiétantes où l’ocre le disputait au noir. Mouvements karstiques herculéens d’un ventre gigantesque. L’air était respirable et la chute avait été amortie dans l’argile. Mais comment survivre, comment crier, comment sortir de ce lieu inconnu, insoupçonnable ?
En même temps que l’inquiétude commençait à se muer en angoisse, le garçon eût soudain l’intuition d’un destin, d’une confrontation stupéfiante et brutale.
La première allumette éteinte, il rampa un peu, s’assurant qu’il n’y avait pas de gouffre devant lui, tâta les parois pour se rassurer un peu. Il alluma d’autres allumettes. Alors ce fût la cavalcade…
Les cerfs, les taureaux, les chevaux passèrent sur sa tête en galop effréné.
Ses tympans bondissaient sous l’effet de leur course et des odeurs de suint alertaient ses narines. C’était la horde ancienne qui déboulait du roc, et, les yeux effarés, l’enfant s’émerveilla ! Un taureau gigantesque passant à sa portée, il se saisit des cornes, bondit et s’envola. L’air devenait siffleur, la clarté s’accroissait, la cavalcade folle accélérait son train. Plus de trou, plus de roc, mais le large d’une aube ! Un homme au front bizarre voulut s’interposer et il fût emporté, piétiné, écrasé sous l’énorme talonnade archaïque et guerrière.
Le garçon ne lâchait pas les cornes fortes et douces ; son corps plaqué aux muscles de la bête, il se laissait porter vers des lieux innomés. Etrange gémellité. Déjà, dans l’ombre de sa tête et dans son corps contraint par l’effort de la course, s’inscrivaient des signes précis et les fauves hiéroglyphes d’un duo parfaitement réglé.
Ils passèrent pourtant encore mille lieus, où l’espace était néant et le temps
suspendu. Emportés, déchaînés, eux tous, ces animaux, comme le garçon avant sa chute, sans savoir ni vers où ni comment. La migration avait pourtant commencé des milliers d’années auparavant et il avait fallu cette chute visqueuse pour que l’enfant trouvât cette énergie en marche. Le taureau était maître et poursuivait sa course sans sentir le fardeau agrippé à ses cornes. Son pelage était roux, ses yeux larges, ses sabots martelaient l’air qui devenait dur.
Une musique, au loin, se fraya un chemin, cambra un arc-en-ciel et incurva la
trajectoire de la course insensée. Vingt mille personnes en cercle criaient dans une houle forte. Une aire de sable ronde et le ciel pour couvercle. Des couleurs d’oriflammes, des claquements de mains. La musique devint plus forte, puis le silence vint, encore un peu traversé de rumeurs. Le grand taureau chut au centre de ce cercle, ébloui et hagard. Le garçon lâcha prise et roula au milieu des murmures et resta inerte. Mais son regard vivant eut le temps de capter l’approche d’un homme à l’habit rutilant. Il sentit dans le sable quelques odeurs de sang, et se dit qu’un ‘’farol’’ qui fleurissait tout prés devait être l’offrande digne de ce taureau.
Curieusement on ne le voyait plus, mais lui était témoin. Il entrait dans le jeu comme s’il était deux, partagé en cet homme et ce fauve superbe. C’est au ras de sa bouche que piétinaient les pas, au creux de son oreille que résonnait le cite ‘’ Toro, Toro, mira !’’, dans son poignet robuste que pivotait l’étoffe. Les muscles de son dos s’appuyaient sur la pique et ses sabots rageurs accéléraient sa course. Et la constellation écrivait son orbite qui, à chaque seconde, pouvait être brisure. Là-bas, dans le creux sombre, envers de cette arène, un garçon maigre et pensif avait perdu son souffle et, dans son agonie, le grand taureau roux avait réintégré son image aux parois de la grotte.

vendredi 6 mars 2009

Là-bas...

Sac de noeuds
Embarquement imminent

Nano-épicerie


Aileron de requin