Slam sauvage, certifié limpio
A las cinco y pico
« La muleta à gauche, l’épée à droite, et le coeur bien au milieu »
Me répète El Ciego, qui doit son surnom à un regard vitreux
En cachette, il murmure, derrière ce mince burladero crasseux
Et s’agrippe aux montants, dont le bois rassure les superstitieux
Mon apoderado, un drôle de type, sort tout droit des Baumettes,
Mais dans la cuadrilla, chacun à sa manière, mérite… Perpette
Le pire de tous, c’est Paco, sorti un soir pour acheter des cigarettes
Et que toute sa famille attend depuis, le regard fixé sur la moquette
Dans ce monde curieux où les odeurs de pisse côtoient l’or des Rolex
El Ciego était connu et respecté, égrenant les… "dura lex sed lex"
Jusqu’a ce qu’un jour, ce Miura de Toro, plus bisco qu’un accent circonflexe
Ne dépose pudiquement son oeil sur le sable, comme tranché au silex.
Nous nous étions croisés un soir, dans un bar sombre de Caracas
ll avait prédit mes succès, les filles, les Mercedes et… Les fincas
Nous avions conclu le contrat en buvant du fino, picorant des albondigas
Avant de filer calle Berta, ou les putes, la nuit, se prennent pour la Callas.
Nous rêvions de l’Alfonso 13, du Wellington, des suites du Victoria
Nous rêvions d’articles dithyrambiques, rédigés par Benloch, ou Zabala
Nous rêvions d’avoir un jour le plaisir de raccrocher au nez des Chopera
Mais pour l’heure roulions en BX, rêvant au noir profond des Hispano Suiza
Alors il fallut partir en maletilla, manger du rat pour étouffer la faim
il fallut encaisser les coups bas, les points de suture,… et les drains
Serrer les dents, les poings, et refuser la fatalité, présentée comme une fin
Et aguanter ces 15 août à la maison... Pour ça il fallait un Courage d airain
-------------------
J’avais rêvé au musée du Prado devant les gravures de Goya
Et gardais comme une relique une photo de Manolete, couleur sépia
J’avais rêvé d’Hemingway, Cocteau, Picasso, et de Garcia Lorca
Sans savoir que mon destin était écrit, et que pour moi, ce serait…Guernica
--------------------
Nous voilà aujourd’hui dans cette portative aux gradins grillagés,
Me voilà seul, face à ce toro, qui sent définitivement la toile cirée
Qui cherche à faire de mes genoux un simple jeu d’osselets
Passer sur moi son courroux, et me laisser choir, en pantin décharné
Sans prévenir, à la troisième passe, la foule sursaute, je perçois ses cris
Avant même la douleur qui d’un coup, par la cuisse, m’engloutit
La cuadrilla fait un garrot, m’amène directement à l’infirmerie
Mais pourquoi donc en entrant ici ai-je une pensée pour Paquirri?
Me voila déjà presque anesthésié par l’odeur d’éther du quirofano
Que ma fémorale, en giclant, transforme en silence des agneaux
Les yeux se détournent, on s’inquiète, on chuchote dans mon dos
Et je hurle enfin quand le doigt du docteur fouille la plaie jusqu’aux os.
Dehors j’entends les clameurs, effet surround et dolby stéréo
Car pour l’heure, El Yiyo a tiré un bien meilleur sorteo
A mon tour de plaider, seul, pour mon propre indulto
En priant pour que selon l’adage il n’y ait pas de « quinto malo »
------------------------------
La règle veut que face aux cornes, on se croise, on s’expose
Et le jeu avec soi-même dure jusqu’à ce que la saphène explose
Au mieux, le médecin, in extremis, te sauve d’une thrombose
Mais le pire, ce sont ces tertulias où tu n’es plus le sujet de la glose...
Ce complet bleu il y a presque trente ans qu’il me porte
Et comme Aznavour, je n’imaginais pas finir de la sorte
Dans ce traje, recousu autant que mon corps, du scrotum à l’aorte
Dans cette infirmerie minable, c’est sûr, ce soir, ma carrière avorte
J’ai préféré donner mon corps à l’Art plutôt qu à la Science
Mais c’est avec l’échec que le destin a voulu qu’on me fiance
Etre torero c’était pour moi le moteur, pour échapper à la fuite des sens,
Et ce soir je pleure seul face à mon rêve, dans ce costume Bleu de France
C’est mon coeur qui saigne ce soir, et pour sûr, c’est un peu le vôtre
Vous tous qui rêviez depuis l’enfance de Manolete être l apôtre…
Notre passion est tragique quand on voit dans quels travers elle se vautre
Mais au final, mieux vaut un cauchemar bien à soi que le rêve des autres…
Mira! Passion exsangue, qui s’échappe en geyser de ma fémorale !
Mira! Comme mon Corps explose, comme un Arlequin de Carnaval !
Je regarde une ultime fois ma Viande, qui demain se retrouvera sur l’étal...
Allez!... Dernière pensée pour toi, Islero, à peine embrumée par la douceur létale.
Me répète El Ciego, qui doit son surnom à un regard vitreux
En cachette, il murmure, derrière ce mince burladero crasseux
Et s’agrippe aux montants, dont le bois rassure les superstitieux
Mon apoderado, un drôle de type, sort tout droit des Baumettes,
Mais dans la cuadrilla, chacun à sa manière, mérite… Perpette
Le pire de tous, c’est Paco, sorti un soir pour acheter des cigarettes
Et que toute sa famille attend depuis, le regard fixé sur la moquette
Dans ce monde curieux où les odeurs de pisse côtoient l’or des Rolex
El Ciego était connu et respecté, égrenant les… "dura lex sed lex"
Jusqu’a ce qu’un jour, ce Miura de Toro, plus bisco qu’un accent circonflexe
Ne dépose pudiquement son oeil sur le sable, comme tranché au silex.
Nous nous étions croisés un soir, dans un bar sombre de Caracas
ll avait prédit mes succès, les filles, les Mercedes et… Les fincas
Nous avions conclu le contrat en buvant du fino, picorant des albondigas
Avant de filer calle Berta, ou les putes, la nuit, se prennent pour la Callas.
Nous rêvions de l’Alfonso 13, du Wellington, des suites du Victoria
Nous rêvions d’articles dithyrambiques, rédigés par Benloch, ou Zabala
Nous rêvions d’avoir un jour le plaisir de raccrocher au nez des Chopera
Mais pour l’heure roulions en BX, rêvant au noir profond des Hispano Suiza
Alors il fallut partir en maletilla, manger du rat pour étouffer la faim
il fallut encaisser les coups bas, les points de suture,… et les drains
Serrer les dents, les poings, et refuser la fatalité, présentée comme une fin
Et aguanter ces 15 août à la maison... Pour ça il fallait un Courage d airain
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J’avais rêvé au musée du Prado devant les gravures de Goya
Et gardais comme une relique une photo de Manolete, couleur sépia
J’avais rêvé d’Hemingway, Cocteau, Picasso, et de Garcia Lorca
Sans savoir que mon destin était écrit, et que pour moi, ce serait…Guernica
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Nous voilà aujourd’hui dans cette portative aux gradins grillagés,
Me voilà seul, face à ce toro, qui sent définitivement la toile cirée
Qui cherche à faire de mes genoux un simple jeu d’osselets
Passer sur moi son courroux, et me laisser choir, en pantin décharné
Sans prévenir, à la troisième passe, la foule sursaute, je perçois ses cris
Avant même la douleur qui d’un coup, par la cuisse, m’engloutit
La cuadrilla fait un garrot, m’amène directement à l’infirmerie
Mais pourquoi donc en entrant ici ai-je une pensée pour Paquirri?
Me voila déjà presque anesthésié par l’odeur d’éther du quirofano
Que ma fémorale, en giclant, transforme en silence des agneaux
Les yeux se détournent, on s’inquiète, on chuchote dans mon dos
Et je hurle enfin quand le doigt du docteur fouille la plaie jusqu’aux os.
Dehors j’entends les clameurs, effet surround et dolby stéréo
Car pour l’heure, El Yiyo a tiré un bien meilleur sorteo
A mon tour de plaider, seul, pour mon propre indulto
En priant pour que selon l’adage il n’y ait pas de « quinto malo »
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La règle veut que face aux cornes, on se croise, on s’expose
Et le jeu avec soi-même dure jusqu’à ce que la saphène explose
Au mieux, le médecin, in extremis, te sauve d’une thrombose
Mais le pire, ce sont ces tertulias où tu n’es plus le sujet de la glose...
Ce complet bleu il y a presque trente ans qu’il me porte
Et comme Aznavour, je n’imaginais pas finir de la sorte
Dans ce traje, recousu autant que mon corps, du scrotum à l’aorte
Dans cette infirmerie minable, c’est sûr, ce soir, ma carrière avorte
J’ai préféré donner mon corps à l’Art plutôt qu à la Science
Mais c’est avec l’échec que le destin a voulu qu’on me fiance
Etre torero c’était pour moi le moteur, pour échapper à la fuite des sens,
Et ce soir je pleure seul face à mon rêve, dans ce costume Bleu de France
C’est mon coeur qui saigne ce soir, et pour sûr, c’est un peu le vôtre
Vous tous qui rêviez depuis l’enfance de Manolete être l apôtre…
Notre passion est tragique quand on voit dans quels travers elle se vautre
Mais au final, mieux vaut un cauchemar bien à soi que le rêve des autres…
Mira! Passion exsangue, qui s’échappe en geyser de ma fémorale !
Mira! Comme mon Corps explose, comme un Arlequin de Carnaval !
Je regarde une ultime fois ma Viande, qui demain se retrouvera sur l’étal...
Allez!... Dernière pensée pour toi, Islero, à peine embrumée par la douceur létale.
Jacques Olivier Liby - ''JOL''
11 commentaires:
Waou...!!!
Olé, putain !
eh oui... vous venez d'assister à la naissance d'un genre inédit, le slam taurin. Félicitations au papa.
Kaléîdoscope échevelé, humour déjanté et ravageur. Vie, songe, réalité ... le phrasé chante et enchante.
JOL, vous m'épatez.
Et, pour que ce SLAM ne rappelle pas ceux de Grand Corps Malade, vous allez jusqu'à l'affirmation d'un autre état (du corps) :
"Donner son corps à l'Art plutôt qu'à la science". OLE !
Par ce narrateur en Manolete d’autrefois ou d’aujourd’hui, entre son enfance et son éducation, jusqu’à sa mort en fin de poème, en passant par ses rêves, qui sont de toutes les vies,- même des plus humbles -, surgissent des images précises, des souvenirs de lecture attendrissants, prometteurs ou tragiques. Tout est remarquablement donné à voir. Mais quand l’inculture doit s’incliner devant d’insaisissables allusions, restent l'enchantement des mots, leur exotisme, la dureté des syllabes, ou leur claquement et leur percussion qui suggère dès le titre, l’estocade finale.
JOL, bravo. Ils ont assurément "donné leur corps à l'art".
Merci Marc, pour cette surprise de feria.
Gina
Merci Jol et bravo encore pour ce texte !
Je n'ai pas ton talent donc je ne m'essaierai pas au genre, mais comme dirait l'autre "Olé, putain! quel style!"
Un abrazo, fuerte
ole ,épatée ,déjanté ce phrasé corps vidé ne plus penser
c'est gagné , ça me plait ....JOL
Y
Pas du tout aficionada mais quand même touchée ! (on doit dire "piquée" ?). Je n'attends plus qu'une chose : l'entendre déclamé...
Sandrine
Réponse à Sandrine : moi aussi.
Gina
Encouragée par son auteur, me voici lancée pour commenter.
Non moins de cinq couleurs pour mettre en ligne ce poème : j'imagine en fond d'impression le traje, le costume traditionnel du torero.
Je m'incline devant la présentation soignée. Des strophes, ça sent la tradition ; eh bien oui et non dans le fond !
Qu'est-ce qu'un slam sauvage ? Derrière cette création linguistique, d'aucuns y verraient peut-être mieux le slam banlieusard. Ce texte me change radicalement de ce que j'entends en Rhône-Alpes. Je m'en réjouis, preuve que le territoire, la culture colorent le slam. Ce n'est pas un avis – rappel à l'ordre signifié par sonnerie de trompette au matador qui ne tue pas l'animal dans le délai réglementaire imparti - aux slammeurs étriqués, mais un rappel : le slam peut et doit être divers. Ce texte a gagné sa diffusion, ne serait-ce que pour promouvoir cette idée.
Qu'est-ce qu'un slam sauvage ? Cela mérite réflexion ; représente-t-il l'identité camarguaise, nos identités rurales, le combat par la plume ?
Qu'est-ce qu'un slam taurin ? Désormais, je sais répondre. Le concept est très intéressant.
Merci à JOL pour ce partage libre, écrit et oral - diffuser et prêter son texte pour la mise en voix - : c'est assez rare pour être souligné. JOL fait honneur à ses objectifs culturels. Il réussit à inviter de façon dynamique la poésie parmi d'autres arts au service d'une cause, culturelle elle aussi.
Le ton métissé est donné d'entrée de jeu ; exercice linguistique difficile, auquel je me suis moi-même essayée l'an dernier. Pour faciliter la tâche aux futurs lecteurs, je vous livre ci-après le fruit de mes propres traductions. Je laisse le soin de la poursuite concernant le français !
Le métissage se retrouve dans l'approche créative : on assiste à la rencontre entre une technique scripturale, un terroir et une revendication sous-jacente.
a las cinco y pico : à cinq heures et quelque
muleta : tissu rouge fixé sur un bâtonnet dont se sert le matador pour fatiguer le taureau avant de lui porter l'estocade
burladero : palissade
apoderado : fondé de pouvoir, manager
cuadrilla : équipe qui assiste le matador
fino : xérès très sec
albondiga : boulette de viande
maletilla : apprenti torero
quirofano : bloc opératoire
sorteo : tirage au sort
indulto : grâce
tertulia : réunion informelle au cours de laquelle un thème particulier est abordé
Quelqu'un peut-il éclairer ma lanterne pour les mots et expression ci-dessous ?
bisco, chopera, quinto malo :
Avec JOL, j'entre de plein fouet dans l'univers tauromachique, qui m'est étranger et difficilement compréhensible. Tout est fort : les vocables, les idées, les images.
Bravo pour le maniement, l'excellence - très peu de fautes en tous genres relevées – de ce texte qui vient nourrir la littérature contemporaine. La récompense est méritée : c'est du haut vol qui vole la vedette au slam urbain !
Pour RECOMPENSE.
Le mot "bisco" (ou vizco) signifie strabisme ou yeux qui louchent.
"Chopera", dans ce texte, est le nom propre d'une célèbre famille d'empresarios taurins espagnols.
Pour le nom commun, chopera est un endroit planté de chopos (peupliers)
"Quinto malo" fait référence au 5ème toro. On dit que les éleveurs avaient pour habitude de choisir comme 5ème toro le meilleur.
Petit clin d'oeil : en Amérique latine, le "quinto" désigne de façon populaire et argotique la virginité féminine.
Un saludo.
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