samedi 5 mars 2011

On n'a pas le con d'être aussi droit.


On célèbre Gainsbourg. On récupère Gainsbourg. On nous bourre de Gainsbourg parce qu’il n’y en a plus comme lui, et comme le talent se barre on s’encanaille de Gainsbarre.
Je me rappelle le Gainsbourg que je rencontrais il y a bien longtemps au tabac bordélique qui fait l’angle de la rue de l’Université et de la rue des Saints-Pères, au Bistrot de Paris de la rue de Lille, calé avec sérénité à sa table numéro quarante-six, chez Lipp devant un hareng pomme à l’huile ou encore rue de Verneuil quand j’allais passer des heures à admirer le travail des relieurs de livres de AJB.
Salut. Salut. Ca va ? Ouais.
Et je me rappelle une immense gentillesse.
Je crois qu’il était plus facile aux artistes – on disait « les célébrités » pas « les people »- en ces temps là d’être gentils dans la rue. Les fans, les groupies, les beaufs, les bobos, les gens quoi, savaient se tenir et ne les harcelaient pas. Saint-Germain-des-Prés était un village où tout le monde se connaissait, se croisait en s’appréciant, en se détestant ou même en faisant la pute. Il n’était pas devenu cette réserve naturelle qu’il est aujourd’hui, encombrée d’amerloques, de japonais, de chinois et d’artistes de mes deux qui jouent aux germanopratins à la terrasse du Flore ou de La Palette. Les librairies n’avaient pas encore été remplacées par les infâmes marchands de fringues. Pourquoi y en a-t-il autant d’ailleurs, si c’est pour nous habiller tous du même noir sinistre ?
En déjeunant avec Anna Karina d’une tomate mozzarella sur la petite table de la cuisine, je cherchais à retrouver dans quel pays, dans quel district, sous quel soleil exactement elle avait, avec Gainsbourg, créé cette magnifique chanson. Mais depuis quelques temps déjà, elle ne retirait plus ses énormes lunettes aux verres trop foncés, comme si les Gainsbourg, les Godard et les Vadim avaient brillé à son côté d’un feu trop intense.
J’ai revu Gainsbourg plus tard à Nîmes. J’avais un copain légionnaire –simple soldat du rang- au 2ème REI de cette ville. Il se prénommait Zbignew, il était polonais et n’avait aucune famille, personne, ni en Pologne ni ailleurs. Nous avions bu et sympathisé dans un bar de la Place des Carmes. Lorsqu’il revenait de longs mois de mission, il claquait ses économies en bringues indescriptibles. Il m’appelait pour me dire qu’il était de retour à Nîmes et m’invitait à le suivre dans tous les rades et les bordels de France ! Un légionnaire du rang n’avait droit ni à un compte en banque, ni à un véhicule, ni à une vie de famille. Alors il claquait tout très vite. Ensuite j’ai fait la connaissance du Colonel François qui commandait le 2ème REI de Nîmes. Un géant, une allure pas croyable, adoré par ses hommes qu’il régalait généreusement lorsqu’il faisait la tournée des bars de la ville. Ce qu’il appelait ses « dégagements », c'est-à-dire ses repas dans la salle voûtée de la caserne, suivis des virées nocturnes étaient redoutables. Jusqu’au petit matin nous buvions et, partis une dizaine nous arrivions à l’aube à trois ou quatre seulement. Le colonel, à chaque fois, nous invitait dans sa villa, réveillait sa femme pour nous servir d’autres alcools ! Deux ou trois verres plus tard, il s’éclipsait, revenait vêtu d’un survêtement de sport, s’excusait et partait faire son footing.
Un jour de 14 juillet, le Colonel François eut la malencontreuse idée, alors qu’il défilait sur les Champs-Elysées à la tête de ses légionnaires, de saluer d’une drôle de façon l’une des personnalités assise à la droite de Tonton dans la tribune présidentielle. L’avant-bras droit se tendit entre sa tempe et le ciel et la main gauche vint frapper le biceps droit… Lors de la réception dans les jardins de l’Elysée, un officier supérieur ami vint lui dire que son geste alimentait toutes les conversations et avait agacé Mitterand lui même. Il risquait gros ! Comment s’en sortir ? Un autre officier lui glissa à l’oreille que le seul, présent à cette réception, qui pouvait le sauver, était…Gainsbourg. On trouva Gainsbourg, on lui raconta, il se marra et « pas de problème mon colon, on va aller voir Tonton ». L’artiste présenta le soldat au président qui faisait la gueule. L’artiste plaida. Le soldat se fit tout petit. La mansuétude mitterrandienne parut acquise.
Quelques mois plus tard, le Colonel François m’invita à l’anniversaire de la bataille de Camerone en me confiant qu’il y aurait Serge Gainsbourg. Ce qui n’était pas rien, à l’époque, après l’épisode de « La Marseillaise reggae » et de « La Marseillaise » de Strasbourg ! Mais depuis l’incident du 14 juillet dernier, le chanteur et le colonel étaient copains comme cochon. Et, de vrai, Gainsbourg hilare débarqua à l’aéroport de Nîmes-Garons en fin d’après-midi, fit son cirque parce qu’il aurait préféré une 2CV pour rejoindre la caserne et traversa l’immense cour d’honneur sous les vivats des légionnaires et de la population. Il offrit un whisky de 1928 (son année de naissance) au colon qui lui remit médailles, fanions et certificats de bonne légionnarité et la fiesta commença. Inoubliable. Pour avoir, ce soir là, félicité l’artiste dépenaillé à propos de l’article « On a pas le con d’être aussi Droit » qu’il avait écrit en réponse à Michel Droit qui braillait sottement son indignation à propos de la version reggae de « La Marseillaise », je fus obligé de vider avec lui pas mal de godets. Zbigniew, complètement déchiré, lui parlait en polonais.
Il n’en reste pas moins qu’en 1986, le Colonel François fut, sans tambour ni trompette, exfiltré du 2ème REI de Nîmes et confiné dans des bureaux proches de Paris où il s’ennuya à mourir. Grâce à Gainsbourg, il était resté dans l’armée et avait conservé son grade.
Voila pourquoi la Légion Etrangère ne tire plus sur Gainsbourg et pourquoi Gainsbourg a aimé la Légion Etrangère.

JLB

15 commentaires:

Anonyme a dit…

Génial JLB, j'adore vos histoires!!!

isa du moun

Marc Delon a dit…

et encore... s'il y en a une qui se déclare, pensons aux centaines tapies dans l'ombre qui lappent le JLB comme petit lait...

Anonyme a dit…

Comment "petit lait" ?!
Grand Lait de Candia oui ! avec Oh mes gaz 3, biotruc, fidusmachin et de la crème, oui de la crème.
C'est bien de vouloir lapper, mon frère non violent.
BLJ

Marc Delon a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Anonyme a dit…

Bingo !

Anonyme a dit…

Chère Isa du Moun, moi qui croyais que vous n'aimiez pas le canard ! A l'époque, j'étais tout content et tout ventripotant de mon séjour dans les Landes et vous m'aviez asséné un "de toute façon j'aime pas le canard" qui m'avait laissé coi (ou coin). Je vous ai plainte : pas de toros à la Madeleine et pas de canard le dimanche... S'en était suivi avec d'autres un échange sur les mérites du canard et de l'oie. J'y avais découvert la gauche-canard. En plus je m'étais emmélé les pinceaux avec les deux Isa.
Je vais sans doute revenir au Moun en 2011. Maso ! Dites, et si, hors de portée de fusil de Marc, nous en profitions pour faire connaissance ? Je vous raconterai de jolies histoires. Hein, moun canard ?
JLB

Anonyme a dit…

Toujours partante pour une rencontre, surtout qu'il y aura aussi Palmas, Laurent, Cathy, Rémi, Annie, Marie...
Je n'aime toujours pas le canard, c'est sûr!
Mais "le Canard" au Moun c'est aussi un blog, et là j'aime bien son auteur, même si...
Et Mac Delon, pas envie de revenir au Moun, maintenant qu'on a importé des Nichmois pour nous faire les cartels?

Marc Delon a dit…

je disais tout à l'heure avec d'horribles fautes indignes de la langue française et même de moi, que cette histoire me rappelait une nimoise que Kermite avait pris dans son gouvernement. Du genre responsable mais pas coupable...

légèrement hallucinée question foi, qui disait "christ m'a dit" quand elle parlait de Zézu...

la dernière fois qu je l'avais aperçue, c'était un soir de feria, elle était tombée sur un mec qui avait ce panneau autour du cou :

"je suis puceau, aidez-moi..."

ce qui avait rendu son regard coupable alors que pour une fois, elle n'était pas responsable...!

Marc Delon a dit…

tu te demmerdes toute seule avec JLB maintenant que tu lui as avoué ton admiration zaza-del-moun

et tu sais bien que je vais à Vic quand il y a des cartels à Nîmes...
Pour le flamenco, si, je risque de venir un jour...bon si maray saria ne s'est pas mise au chant entre-temps...

Anonyme a dit…

Je vous sens tous un peu bizarres... Isa du Moun qui parle de "Mac Delon"... Proxo le Delon ? Scoop. Négrier et en plus proxo. Hé bé ! Et Marc qui nous en remet une double couche sur la nîmoise responsable mais pas coupable... Négrier, proxo et gaga.
Je vais finir par ne plus croire en lui = plus de foi...de canard.
JLB

Anonyme a dit…

JLB en juillet, et moi en août. C'est que l'été mounesque d'Isa va être merveilleusement riche, surtout en août !
av d'Isa

Marc Delon a dit…

je précise à ceux qui m'ont envoyé des msg que je ne peux leur répondre : le pc perso est chez le réparateur et vu que je suis trop nul pour avoir "soigné" mes codes...

Anonyme a dit…

Il était une fois... un bel été qui s'annonce au Moun...
Super super!!!

Mac Delon, pour une fois qu'il n'a pas bouffé tes photos, l'ordi a du te bouffer tes textes... Ou quand la technique ne veut pas que tu deviennes un grand artiste...

isa

Anonyme a dit…

"L'été mounesque d'Isa va être merveilleusement riche" ! ou "Une chatte sur montois brûlants". A la miaou ou à la mi-juillet...
Fallo tecnico qui m'explique ce que je ne comprenais pas, Marc.
JLB

Rapace a dit…

Petit détail : c'était un Cognac de 1928 (pas un whisky) que Gainsbourg offrit au Col François du 2e REI. Il y a une vidéo sur YouTube où est filmée son arrivée au régiment.
Le salut adressé à la tribune d'honneur lors du défilé du 14 juillet n'était pas un bras d'honneur, comme décrit dans l'article mais une sorte de salut romain façon Gladiator. Je pense que si ça avait été le cas, même avec l'entregent de Gainsbourg, le Col François aurait eu de très sérieux soucis... 😀