samedi 3 août 2013

Fratricide

C'est un récit court et un livre de petit format mais ce n'est pas un petit livre. Il faut se ménager le temps, pas très long, de le lire d'une traite, comme on boit un grand verre d'eau lorsque l'on a très soif et qu'alors seul ce liquide peut désaltérer. Il y a une règle bien connue des écrivains : plus un texte est court, plus il doit être parfait. J'ai longtemps cherché lors d'une deuxième lecture attentive, ce qui, dans ce récit était superflu et je n'ai pas trouvé. Peut-être le titre est-il mauvais, qui le cantonne a priori à la sphère des tauromaches alors qu'il touche à l'universalité de la condition humaine. Comme la tauromachie elle-même il est vrai. Il y a beaucoup d'humanité dans ce petit livre. Les hommes ont beau s'y entre-tuer, ils y apparaissent frères. 

On s'éveille à ce livre comme l'un des protagonistes au milieu de l'horreur d'un champ de bataille. Les hommes y sont massacrés, morcelés, ensanglantés, frères de dépouilles. Ces cadavres étaient-ils nécessaires ? Sur les motivations qui ont mené cet homme à la guerre, les raisons les plus évidentes, celles que l'Histoire retiendra, les grandes idées philosophico-politiques ne sont parfois à l'échelle de l'humain que l'écume d'autres raisons plus simples et profondes comme l'amour d'une femme, le souvenir de son corps nu palpitant contre le vôtre, promise à celui qui se montrerait courageux parce qu'elle ne pourrait aimer un homme qu'elle n'admirerait pas. Frère de tous les amoureux dont l'action se détermine pour plaire à la femme convoitée aussitôt gagné par l'angoisse existentielle que ne manque pas de résumer l'interrogation transversale logique : risquer de mourir pour pouvoir aimer ? Faut-il être inconscient pour être un héros ? Faut-il être fruste pour être torero ?
Plus loin sera discriminée la différence de perception du danger, cette peur irrépressible qui vous étreint quand on subit sans rien choisir, à la merci du hasard, et puis la peur qui grandit, qui nous fait nous sentir plus intensément vivant, ce risque mesuré que l'on assume dans le courage puisé au fond de soi. Exactement comme lorsqu'on marche à la tête d'un toro. 
 
Frères d'armes réunis face à l'ennemi, qui se testent et se combattent aussi en une joute psychologique pour se situer par rapport à l'autre ; s'affirmer, déterminer le dominant, l'inspirateur, le grand souci par tant d'homme éprouvé que ni le risque vital ni l'urgence d'une guerre n'arrivent à détourner. 

Frères de sang tués par principe ou assassins par précaution quand déboule un Polonais qui ne voulait peut-être que quelques haricots réchauffés sur la braise. L'horreur de cette incompréhension et mutation de nous-mêmes que révèle la guerre. Alors, quand la mort inexorablement se rapproche, c'est l'essentiel qui remonte à la conscience, pas le fric ni le sexe, non, mais les jeux de l'enfance, la beauté des paysages du pays natal ou les odeurs de la cuisine de la mère qui rassasiait de tant d'amour. Comment s'expliquer une telle dérive alors qu'on avait été nourri si bien ?
Et puis vient le choix suprême, avec un dernier souci peut-être, qu'on se souvienne, laisser une petite trace, tu écriras mon histoire, dis ? Jusqu'à l'assourdissant silence d'une dernière balle, celle de la liberté d'un frère, écho d'un choix personnel discutable d'un frère singulier, d'un frère ennemi peut-être, mais quand bien même... avant tout, d'un frère.
Que ceux qui à la dernière page de ce livre ne se sentiraient pas frère d'Olivier Deck, montent au front de la pensée s'armer de patience. Un jour, ils comprendront.

Editions du Diable Vauvert, 5 euros.

11 commentaires:

Maja Lola a dit…

Après un telle resena il ne reste plus qu'une chose à faire .... s'empresser d'aller lire le livre d'OD !

el Chulo a dit…

Très grand texte c'est vrai. Très mauvais titre. Le titre original était bien meilleur.

Marc Delon a dit…

et quel était-il ?

Anonyme a dit…

Un jour j'ai demandé à Olivier Deck qui était à Nîmes s'il avait appris à utiliser la langue française sous la férule d'un milieu de profs sévères et exigeants, tant son écriture était parfaite. Il m'avait répondu "pas du tout", sans forfanterie, et m'avait gratifiée d'une jolie dédicace accompagnée de dessins petits et animés comme des marionnettes.
Comment douter de la beauté de ce dernier ouvrage bien analysé ici ? On le lira, c'est sûr et on restera à l'affût d'une dédicace.
Gina

Marc Delon a dit…

Ben alors, mais à quoi servent ces $¤$@& de profs ???

el Chulo a dit…

Chutttttttt! faut pas le répéter, mais je suis sûr qu'il y a aussi beaucoup de travail et de réflexion sur l'écriture!

Anonyme a dit…

le titre originel de Deck était :
Adios Cartucho !

Anonyme a dit…

Les profs servent à ceux qui les écoutent, veulent s'améliorer, pas à ceux qui pensent tout savoir.
Je suis sûre qu'Olivier Deck a dû être un élève studieux, soucieux de perfection sans qu'on l'y force. c'est ce que je voulais dire.

Gina

Marc Delon a dit…

et alors donc pourquoi tous les agrégés de lettres qui étaient bien sages en classe, ont beaucoup lu et longuement réfléchi sur l'écriture ne sont-ils pas tous de grands écrivains ?
Je ne crois pas que Montcouquiol ait beaucoup fréquenté l'école... Houellebecq oui, mais pour l'anatomie et la physiologie du hamster et du cheval...
Plus important je pense est le chemin de vie et la "complexion" d'esprit. Et qu'est-ce que cette dernière ?
Et du temps aussi, il faut du temps ! Mais du temps sans génie... ben on se retrouve devant la télé...
Bref (si l'on ose...) c'est une alchimie dont personne n'a la formule ! (ou qu'il l'a donne ici ! ;-)

Anonyme a dit…

les apprentissages, les connaissances complètent, renforcent, conditionnent le talent, sont indispensables, mais on n'a jamais dit qu'ils le remplaçaient.
Gina

el Chulo a dit…

mon cher marc,

je trouve ce commentaire exagéré.
je peux témoigner qu'un prof au travers de Mathilde, peut donner le goût de lire et d'écrire. c'est déjà beaucoup.

Il peut aussi faire gagner du temps, comme tout bon apprentissage sur des points strictement techniques.

il peut aussi apprendre à lire un texte et le commenter.

je pense que montcoucquiol lutte contre ses fantômes. Il cohabitera un jour sereinement et pourra être ce grand écrivain qu'il laisse deviner.

enfin, reste évidemment le talent, ce qui in fine fait la différence.

mais je crois que forcément, un écrivain lit aussi énormément. c'est son carburant!