jeudi 24 septembre 2015

RIP par PEYRE

Voici une visite commentée des Rencontres Internationales de la Photographie par Henri Peyre fondateur de l'incontournable site galerie photo le site des photographes à grand négatif de haute résolution, moyen format et grands formistes



Que voir en Arles ?

Suite à ma visite (forcément incomplète) en Arles, quelques observations et recommandations :
D’abord j’avais cessé d’aller en Arles il y a déjà 2 ans, en ayant définitivement assez qu’on tente de façon éhontée de nous faire prendre des vessies pour des lanternes : je trouvais que les tirages étaient dans l’ensemble d’une médiocrité détestable, que le porno chic en grand format ne pourrait jamais devenir le fondement de l’art et qu’on pouvait difficilement nous faire croire qu’il y avait tous les ans 30 nouveaux génies de 22 ans en photographie. Bref, je m’étais détourné de la foire-à-lancer-les-petits-copains.
En revenant en Arles cette année, entraîné par un ami resté plus positif et curieux que moi de ce qui pouvait encore s’y faire, j’ai eu l’heureuse surprise de trouver un niveau infiniment meilleur que celui sur lequel j’étais resté.
Il y a vraiment de belles choses à voir cette année. Je fais ci-dessous la liste d’un certain nombre de travaux qui valent qu’on parle d’eux… et, vraiment, je reviendrai l’année prochaine.

Eglise Sainte-Anne (01 sur le plan officiel) :
Kou Inose – très beau travail sur le rêve et l’angoisse. Il y a à l’achat dans l’espace un livre sur l’auteur qui présente bien. Mais hélas, les noirs des reproductions sont cramés.
Issei Suda – De très jolis petits tirages sur l’idée de la préciosité et du peigne (évidemment c’est un raccourci insolent). Il n’y a pas que le grand dans la vie. Etre petit peut aussi être une qualité admirable.

Stephen Shore – je croyais connaître ce photographe qui a eu beaucoup de réussite dans sa jeune carrière. J’y voyais un type assez bon sans plus, incroyablement favorisé par des circonstances exceptionnelles. Je pensais qu’il avait tout tiré de l’influence de glorieux ainés et qu’il devait le meilleur de son travail à la nostalgie de la peinture d’Hopper, dont il a la souffrance. J’ai nuancé mon jugement devant une très belle série que (honte à moi) je ne connaissais pas. C’est à l’Espace Van Gogh ; c’est la série Archeology (de 1994). C’est manifestement à la chambre 20x25, en noir et blanc. En 20x25 la profondeur de champ est réduite, en photographie documentaire on photographie ce qui va disparaître, et le noir et blanc est plutôt bien pour illustrer ce qui est monochrome. Les moyens employés par Shore sont donc en parfait accord avec le sujet : des tranches de niveaux archéologiques juste dégagées sur des chantiers de fouille. C’est tout bonnement magnifique. J’ai enfin vu quelque chose de génial chez Shore. Quand il y a accord de la forme au fond le boulot est forcément sublime.

J’ai eu ce choc 2 autres fois durant la visite : devant les daguerréotypes de Mustapha Azeroual dans le parcours OFF du festival (à la Maison Molière, rue Molière) : je connaissais quelques travaux antérieurs de ce photographe qui me laissaient dubitatifs : c’étaient des trucs raffinés à en être ampoulés enrobés dans un discours bien trop suave pour persuader. Là on n’est pas dans l’ampoulé mais directement dans l’ampoule et c’est excellent : Mustapha photographie des éclairs de flash au daguerréotype et cela donne comme résultat que pour une fois on voit ce qui d’habitude nous aveugle : l’ampoule allumée s’est inscrite, le temps de l’éclair, très nettement sur la plaque argentée. Voir et ne pas voir, c’est aussi ce qu’offre ce support bizarre qu’est le daguerréotype. Du coup il y a accord parfait entre la forme et le fond. La suavité de Mustapha reste dans le choix délicieux d’un encadrement délicat et est là parfaitement à sa place. C’est un travail superbe.

J’ai eu ce choc une troisième fois devant de Markus Brunetti à la Grande Halle (15) : Il y a là, faites par ce photographe qui vient de la publicité et voit les choses en grand, les plus belles églises d’Europe en représentation parfaitement rectifiée, sans soleil, sans touriste, sans poteau et sans voiture, dans des jours gris qui auraient plu à des Becher assez bêtes pour photographier des châteaux d’eau alors qu’ils auraient pu photographier ce qui avait de la valeur, hein, et le tout imprimé par Epson sur les plus grandes laizes possible. Donc un effet cathédral pour des cathédrales, et une façon mécanique d’allier la richesse du chef d’œuvre à la richesse du détail qui marche parfaitement. C’est un travail irréprochable, qui ne prend pas de risque et est mené avec conscience et même foi. Un travail de bénédictin vraiment, un bénédictin qui voudrait nous faire publicité de sa ferveur et qui y arrive parfaitement. Je parierais volontiers qu’il y aura des conversions.

J’ai vu encore de fort belles choses. Il y avait en particulier toute une série de portraits posés absolument sublimes de Paul Tournachon dit Nadar (fils) dans l’exposition Oser la Photographie au Musée Réattu : attention, il faut les trouver : c’est caché dans un meuble à tiroirs. Entre parenthèse quand on sort de cette exposition on continue de saluer le travail de cadrage de Cartier-Bresson, mais la confrontation avec la sensualité des tirages d’Adams est vraiment mortelle pour le français. Il y a des gars qui font des images (et bien, sans conteste) mais il y en a d’autres qui font de la photo.

Je voulais aussi dire que j’ai vu un magnifique tirage d’un portrait de Marcel Duchamp à New York (1948) par Irving Penn. C’est un tirage gélatino-argentique viré au selenium, acquis par la MEP en 1992. On trouve cela à la Chapelle du Méjean (22) qui présente les acquisitions de la MEP. Franchement, ça peut se mettre chez soi (Mon ami m’a dit : « oui mais c’est un peu cher » et presque j’aurais trouvé qu’il exagérait de parler comme cela).
Par contre, pour la cinquantième fois j’ai fait l’effort de me replacer devant des Avedon qui étaient là en me motivant le plus que je pouvais pour essayer de trouver que la composition est belle, le point de vue décapant, les images pleines de force et tout ce qu’on me dit à chaque fois. Cela n’a, une nouvelle fois, pas marché. Je continue de trouver que les portraits d’Avedon sont simplets, plats et sans intérêt, les tirages me semblent vulgaires et je trouve que ce bonhomme n’a aucun sens du rapport de la forme au fond. (Là mon ami est consterné, la prochaine fois je ne dirai rien, c’est inutile de casser le bonheur des autres).
Dans la même exposition je me suis arrêté devant un immense dessin de Jean-Olivier Hucleux (1923-2012). Cela date de 1993 ; c’est un portrait de Robert Frank à la mine de plomb d’après une photographie de Marc Trivier. Pas de doute, c’est bien plus intéressant que la photographie originale. On regarde longuement le dessin en appréciant la façon dont le dessinateur a subtilement cherché de la matière dans les basses lumières. Un vrai travail d’orfèvre qui indique plus qu’un long discours comment on devrait traiter des images noir et blanc dans Photoshop.
Toujours dans le même lieu, j’ai aimé revoir des tirages de Joël Sternfeld. Pas de doute c’est un type qui aime donner à voir et il y a en particulier un tirage extraordinaire où l’on voit un pompier s’emparer d’une courge dans une grange tandis qu’à l’arrière-plan le camion de ses collègues est en action, arrosant ; toute échelle déployée, la ferme en feu.

Je voudrais enfin saluer le travail très intéressant et déjà classique de Marco Maria Zanin sur des Cathédrales Rurales (Cattedrali Rurali), nom qu’il donne à des ruines de fermes abandonnées au milieu des champs. C’est du très grand format, dans une veine documentaire pas tout à fait frontale. C’est très au point et vaut le détour, on peut même acheter, c’est pas cher et c’est sûr que cela prendra de la valeur. C’est au bas de la rue du 4 septembre, trottoir de gauche avant d’arriver sur le coup de midi à la place Voltaire, qui est bien le meilleur endroit de la ville quand on veut manger à peu près au frais.

1 commentaire:

"Jiès Arles" a dit…

Bonjour, Très intéressante vision explicitée des RIP d'Arles ... à ce propos, on ne dit pas "en Arles" mais "à Arles" ... ce n'est pas comme Avignon, Cité Papale" ... Salut Marc et j'attends la suite de tes visites à domicile ... touchantes, émouvantes, drôles ... bref du "Delon" pur jus de kiné ... Jacques