J.M.G Le Clézio
C'est un roman difficile à raconter à première vue. Mais l'année où Le Clézio reçoit le prix Nobel, - et comme dans ce blog nous avons déjà eu notre voyage éclair au Sahara -, on résiste mal à l'évocation de ce roman où progressent deux récits typographiquement séparés.
L'auteur, cet "homme mêlé", ce grand voyageur passionné, observateur des peuples, de leur histoire et de leurs moeurs, évoque dans le premier, un peu autobiographique et historique, les ancêtres de sa femme Jemia et des personnages ayant vraiment existé. Ce récit concerne la colonisation du Sahara occidental, obligeant les "Hommes bleus", épris de liberté, à fuir. C'est donc la vraie histoire des Nomades du Sahara, vaincus par les Français entre 1909 et 1912. On assiste à leur grande marche vers la ville sainte de Smara, à leur errance dans le désert, à celle des troupeaux épuisés conduits par Nour, puis regroupés ensuite pour repartir pleins d'espoir vers le Nord, pays des terres et de l'eau. Dans le Nord, encore chassés par l'impitoyable guerre que leur mènent les Chrétiens et à cause de la méfiance des gens de ville contre "les hommes bleus", ils sont contraints à un nouvel exode qui les conduit, pleins d'espoir, vers Marrakech. C'était sans compter sur l'armement des Français, la trahison des gens des villes, l'action des puissances de l'argent et le délabrement de leur armée. Après leur défaite, les derniers « hommes bleus », libres, retournent au désert.
Le deuxième récit totalement fictionnel, raconte l'histoire d'une toute jeune fille, Lalla, née dans des baraquements proches du désert. Elle se transplante en Europe, à Marseille et découvre notre civilisation des années quatre-vingt, date de l'écriture du livre. C'est un voyage initiatique pour l'héroïne qui est une descendante de ces gens du désert. Vivant d'abord dans "une cité" de cabanes de planches dans le désert avec sa tante Aamma qui l'élève, à proximité de la mer, elle est heureuse, aime explorer sa région, savourer la nature en compagnie du berger Hartani, écouter des histoires de Naman, le pécheur qui connaît les belles villes d'Europe et lui raconte l'histoire des "hommes bleus", ses ancêtres . Elle aime ses balades d'enfant sauvage et ses menues tâches à accomplir.
Dans une grotte, elle s'unit à Hartani, son ami d'enfance et se retrouve enceinte.
L'auteur raconte ensuite la vie de Lalla à Marseille dans un appartement exigu, son travail dans une fabrique de tapis, puis dans un hôtel, sa rencontre avec un petit voleur, Radicz, qui devient son ami. L'héroïne affronte la vie précaire des immigrés, le refus d'un mariage-vente forcé, la fuite encore et la rencontre d'un photographe qui en fait une cover-girl célèbre. Mais l'argent ne la tente pas : elle danse et en proie à l'ivresse de cette danse (qui évoque le flamenco), elle entend de nouveau l'appel du désert où elle s'en retourne et met au monde sa fille.
On comprend donc qu'il y a des corrélations entre les deux textes : des effets d'écho, de miroir, renvoient d'un récit à l'autre. Histoire d'une jeune fille immigrée d'un côté, histoire de Nomades d'un autre. Lalla est de la même origine qu'eux. Les deux récits ont des personnages importants et des marginaux. Le grand principe d'unité, c'est le désert, Désert, qui fidèlement au roman, s'écrit sans article. C'est d'abord de l'espace géographique qu'il s'agit, du Sahara marocain. Nous y suivrions le déplacement réel des Nomades sur une carte avec des toponymes qui évoquent toutes les variétés géographiques du Maroc, oueds, pistes, vallées, palmeraies. Lalla, elle, y vit , on ne sait pas où, exactement. Le désert est merveilleusement montré avec les beautés de la hamada sans végétation, une faune rare de serpents et de scorpions à laquelle s'opposent les ergs couverts de dunes, puis les oasis cultivées qui attirent les mouches, les guêpes, les hommes, diverses tribus, divers types ethniques ; on sait tout sur les hiérarchies, les religions, la répartition des tâches. Ce désert reste bien entendu, une zone sèche, aride, balayée par le vent avec la terre nue, des torrents desséchés, des dédales de pierre sèche, la quête éperdue de l'eau, la pauvreté des herbes maigres, piquantes, quelques euphorbes ou acacias, la lumière excessive et de grandes amplitudes de températures.
Mais Désert est aussi comme un être abstrait, sacré : il est silence, immobilité, absence, immensité, liberté. Tout au long du roman, Le Clézio évoque la lumière, le silence, soit infini, soit dur, oppressant venu du sable, du ciel dégagé de nuages ou d'oiseaux, des collines, de la nuit, silence blanc ou dense. Il imprègne les hommes dont il durcit les lèvres et la langue, "l'eau bue par Nour installait au fond de son coeur le silence et la solitude des dunes et des grands plateaux de pierres". Dans ce silence, la communication entre les hommes même nombreux, est très réduite d'autant plus qu'ils souffrent et se taisent "comme s'ils n'avaient plus la force d'aimer ... pleins de lumière quand le soleil brûle au centre du ciel vide, et glacés la nuit aux étoiles figées". Ce désert, personnifié dès le début du roman, manifeste son rejet des hommes, les fait souffrir, les tue "à coups de lumière ou de vent mauvais, puis efface son crime en les engloutissant sous les vagues de sable."
Mais, paradoxalement, les initiés au désert ne se perdent pas, et le vent, ennemi s'il en est, symbolise la pureté, "il lavait tout, effaçait tout" comme la lumière liée au feu qui a le même pouvoir.
Ce Désert a un rôle mythique car il vit en dehors du temps linéaire et du progrès. Finalement il incarne comme un être sacré, fascination et terreur.
Mais Désert, c'est aussi la ville où l'on se perd, son organisation vide d'humanité, l'indifférence, l'inattention à la souffrance les uns des autres, un retour impossible pour les hommes à des valeurs d'amour et de compassion ; ils sont prisonniers de leur quartier, ils sont destinés à l'exploitation, à la faim, à la peur, à l'isolement dans cet Enfer moderne que découvrent tous les personnages marginaux, exclus qu'affectionne Le Clézio. La ville, c'est le vide, le manque d'amour, un espace de désolation et de mort pour les esclaves du paraître que sont devenus les citadins. Finalement, les Nomades retournent au désert après un passage désastreux dans le bruit et les fureurs de l'histoire et Lalla revient aux confins du désert pour donner la vie. Désert est donc un roman qui dénonce, mais qu'on oublie l'histoire, qu'on la trouve touffue puisqu'elle est "double", que les noms arabes se mémorisent mal, on reste imprégné des motifs musicaux récurrents, la danse des Nomades, la chanson et la danse de Lalla qui contribuent au tissage des deux récits. La musique des mots qui se répètent, des leitmotivs introduisent la lenteur du rythme en phase avec l'étendue immense et monotone, la lumière persistante et le vent inlassable. Le Clézio, comme dans de nombreux autres de ses romans ne se presse jamais et ne nous presse jamais d'abandonner ce qui est beau. On sort de la lecture et de notre monde, envoûtés par la poésie. GINA
L'auteur raconte ensuite la vie de Lalla à Marseille dans un appartement exigu, son travail dans une fabrique de tapis, puis dans un hôtel, sa rencontre avec un petit voleur, Radicz, qui devient son ami. L'héroïne affronte la vie précaire des immigrés, le refus d'un mariage-vente forcé, la fuite encore et la rencontre d'un photographe qui en fait une cover-girl célèbre. Mais l'argent ne la tente pas : elle danse et en proie à l'ivresse de cette danse (qui évoque le flamenco), elle entend de nouveau l'appel du désert où elle s'en retourne et met au monde sa fille.
On comprend donc qu'il y a des corrélations entre les deux textes : des effets d'écho, de miroir, renvoient d'un récit à l'autre. Histoire d'une jeune fille immigrée d'un côté, histoire de Nomades d'un autre. Lalla est de la même origine qu'eux. Les deux récits ont des personnages importants et des marginaux. Le grand principe d'unité, c'est le désert, Désert, qui fidèlement au roman, s'écrit sans article. C'est d'abord de l'espace géographique qu'il s'agit, du Sahara marocain. Nous y suivrions le déplacement réel des Nomades sur une carte avec des toponymes qui évoquent toutes les variétés géographiques du Maroc, oueds, pistes, vallées, palmeraies. Lalla, elle, y vit , on ne sait pas où, exactement. Le désert est merveilleusement montré avec les beautés de la hamada sans végétation, une faune rare de serpents et de scorpions à laquelle s'opposent les ergs couverts de dunes, puis les oasis cultivées qui attirent les mouches, les guêpes, les hommes, diverses tribus, divers types ethniques ; on sait tout sur les hiérarchies, les religions, la répartition des tâches. Ce désert reste bien entendu, une zone sèche, aride, balayée par le vent avec la terre nue, des torrents desséchés, des dédales de pierre sèche, la quête éperdue de l'eau, la pauvreté des herbes maigres, piquantes, quelques euphorbes ou acacias, la lumière excessive et de grandes amplitudes de températures.
Mais Désert est aussi comme un être abstrait, sacré : il est silence, immobilité, absence, immensité, liberté. Tout au long du roman, Le Clézio évoque la lumière, le silence, soit infini, soit dur, oppressant venu du sable, du ciel dégagé de nuages ou d'oiseaux, des collines, de la nuit, silence blanc ou dense. Il imprègne les hommes dont il durcit les lèvres et la langue, "l'eau bue par Nour installait au fond de son coeur le silence et la solitude des dunes et des grands plateaux de pierres". Dans ce silence, la communication entre les hommes même nombreux, est très réduite d'autant plus qu'ils souffrent et se taisent "comme s'ils n'avaient plus la force d'aimer ... pleins de lumière quand le soleil brûle au centre du ciel vide, et glacés la nuit aux étoiles figées". Ce désert, personnifié dès le début du roman, manifeste son rejet des hommes, les fait souffrir, les tue "à coups de lumière ou de vent mauvais, puis efface son crime en les engloutissant sous les vagues de sable."
Mais, paradoxalement, les initiés au désert ne se perdent pas, et le vent, ennemi s'il en est, symbolise la pureté, "il lavait tout, effaçait tout" comme la lumière liée au feu qui a le même pouvoir.
Ce Désert a un rôle mythique car il vit en dehors du temps linéaire et du progrès. Finalement il incarne comme un être sacré, fascination et terreur.
Mais Désert, c'est aussi la ville où l'on se perd, son organisation vide d'humanité, l'indifférence, l'inattention à la souffrance les uns des autres, un retour impossible pour les hommes à des valeurs d'amour et de compassion ; ils sont prisonniers de leur quartier, ils sont destinés à l'exploitation, à la faim, à la peur, à l'isolement dans cet Enfer moderne que découvrent tous les personnages marginaux, exclus qu'affectionne Le Clézio. La ville, c'est le vide, le manque d'amour, un espace de désolation et de mort pour les esclaves du paraître que sont devenus les citadins. Finalement, les Nomades retournent au désert après un passage désastreux dans le bruit et les fureurs de l'histoire et Lalla revient aux confins du désert pour donner la vie. Désert est donc un roman qui dénonce, mais qu'on oublie l'histoire, qu'on la trouve touffue puisqu'elle est "double", que les noms arabes se mémorisent mal, on reste imprégné des motifs musicaux récurrents, la danse des Nomades, la chanson et la danse de Lalla qui contribuent au tissage des deux récits. La musique des mots qui se répètent, des leitmotivs introduisent la lenteur du rythme en phase avec l'étendue immense et monotone, la lumière persistante et le vent inlassable. Le Clézio, comme dans de nombreux autres de ses romans ne se presse jamais et ne nous presse jamais d'abandonner ce qui est beau. On sort de la lecture et de notre monde, envoûtés par la poésie. GINA
8 commentaires:
merçi, gina. trés prosaîque. la continuité continuelle.
Oui, merci à gina de nous donner si bien, l'envie de lire
une belle note de lecture. libraire señora gina ?
en tout ca, bieeeeeennn, como se dice en plan callejon.
ludo
Marc, faites-nous donc profiter encore de votre propre raid saharien, et de photos.
Je sais que vous manquez de temps.
Un jour, je complèterai avec un autre désert.
Gina
Non Gina n'est pas libraire elle est "Super lectrice" : 300 livres par an, qui dit mieux. Certains finissent bouffés par leurs chats, Gina, elle, finira ensevelie sous ses livres...
Chez elle, pour arriver jusqu'à son bureau, il faut passer les couloirs de profil en rentrant le ventre puis ramper sous des tunnels de pages, enjamber des tomes, escalader des encyclopédies et surtout, surtout faire gaffe à ne pas provoquer d'avalanches de dictionnaires. Balise Argos conseillée pour surfer sur son océan de livres.
euh....pour le désert en photo Gina c'était prévu, pour essayer de prolonger l'effet de votre "resena"
Je précise que la visite de mon bureau est gratuite, difficile d'accès,- Marc a raison -, mais pas dangereuse.
Gina
Merci pour cette chronique, et merci à Marc pour ces photos du Sahara. Ca fait du bien, et on s'y terrerait bien quelque temps...
En revanche, je mettrais plutôt Le procès-verbal comme oeuvre majeure, sinon unique, de notre cher Prix Nobel.
Yannick
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