mercredi 4 mars 2009

POURQUOI ALLEZ-VOUS VOIR LES CORRIDAS ?




LE SONGE

Viviane Gatineau





Il y eut d’abord quarante années ou presque sans taureaux , sans corridas , dans une étrangeté de lieu et de tradition totale.

Les images de la presse, je les trouvais insoutenables. En Périgord, les seuls taureaux que je voyais étaient au milieu des vaches laitières, reproducteurs, dangereux, ‘’tueurs d’hommes’’. Quand j’eus treize ans, je fus éblouie par les grands taureaux d’ocre, immobilisés sur les voûtes de Lascaux.
Les années passant, la Provence devint mon lieu d’ancrage et, un jour, des amis Nîmois, connaissant mes démesures et ma passion pour l’art, m’emmenèrent dans la grande arène. Je ne connaissais rien, je ne savais rien, et l’adhésion fut immédiate, comme une rencontre sourde et sonore, attendue et imprévisible avec ce qu’il y avait de plus profond en moi. Emilio Munoz, Espartaco et Manzanares étaient au cartel, c’était en 1984. Les taureaux ? Je ne sais plus, j’ignorais alors l’importance qu’avait l’élevage, sa spécificité ses qualités et ses défauts. Forfanterie et noblesse d’Emilio Munoz foulant le sable comme pour une parade amoureuse âpre et solaire, cercle magique dans tous les sens et tous mes sens. Le sang n’était plus le sang, la cruauté transcendée dans une catharsis, constamment évoquée dans mes études littéraires, à propos de le tragédie grecque, mais dont je n’ai compris charnellement le sens que ce jour là. Je suis une intellectuelle, mais je plonge mes racines dans l’humus de ma terre et l’odeur des bouses a accompagné mon enfance.

Alors j’ai voulu savoir, j’ai interrogé, lu, couru les tientas et les capeas à travers la Camargue hivernale, parlé avec ceux qui savaient. Le Tio Pepe m’a honorée de son affection et de son amitié les dernières années de sa vie à Arcachon, et j’ai pu vérifier profondément à travers lui, qu’il n’y avait pas d’antinomie fondamentale entre humanisme et ‘’Aficion a los toros ‘’, que ce n’était pas s’adonner à un rituel morbide que d’aller à la corrida. Petit à petit ma passion s’est consolidée, s’est étayée. Le cante jondo du Flamenco était en moi depuis longtemps, et l’Espagne mystique et flamboyante, baroque et barbare, nue et tranchante, et aussi noble et profonde, à la démesure déstabilisante des figures noires de Goya.

J’ai contaminé ma fille, mon fils, mon compagnon, par le songe énorme dans lequel j’étais entré. Je suis donc allé à la corrida en famille, puis seule, lorsque je l’ai été, trouvant dans cette situation même , une jouissance particulière à suivre mon propre fil, à m’immerger à l’avance dans une sorte de préparation imaginaire, à être à la fois au milieu des autres et séparée. Résonances avec les flux de mon sang et la part violente et maîtrisée de mon âme. Concomitance de la vulgarité et de l’aristocratie, odeur de boue et envol d’une cape, sueur et sang ; le vacher qui devient seigneur, et le seigneur brigand de bas étage, les alternatives du vrai et de l'esbroufe, de la lividité et de l’éclat - mauvais goût et art suprême, clinquant et couleur pure, crépuscules purpurins - opéra - grand oeuvre au noir !

Je suis allée à Séville pendant la Feria et Munoz a rejoint Triana "a hombros" ! Je suis allée à Sanlucar et sur les bords de la Marisma, j’ai vu les Miuras et les étranges huttes de branchages sur lesquelles se juchent les frontaux des taureaux qui se sont entretués, j’ai vu les nids d’hirondelles en forme de couronnes d’épines au-dessus des stalles des chevaux. Et le lieu mythique était chargé de toutes les images qu’on porte en soi et n’offrait en même temps que l’image paisible d’une finca andalouse.

La corrida, c’est pour moi le son cuivré de mes troubles intimes et de mes confusions, en même temps que le paraphe absolu de la maîtrise.




8 commentaires:

Anonyme a dit…

c'est vraiment bien cette série.
merci pour le partage.

ludo

Anonyme a dit…

Viviane,

"Le son cuivré de mes troubles intimes et de mes confusions"... Parfois, les mots n'ont nul besoin de faire sens pour être compris: leur sonorité seule suffit à les signifier - un peu comme si elle et ils se suffisaient à eux-mêmes...

Merci à vous pour ce songe - Bernard

Anonyme a dit…

L'élégance de l'écriture n'exclut pas l'enthousiasme ni la sincérité.
Un plaisir.
Gina

Anonyme a dit…

Quand est-ce que tu vas le faire ce p*** de livre???
isa

Anonyme a dit…

je retients essentiellement , car la phrase est trop belle , les deux dernières lignes. il est dit "le son cuivré" et le paraphe absolu de la maîtrise , c'est extraordinnaire en mots . poètique et intimiste à la fois . le texte , en lui-même est sincère, prenant et réaliste de convictions et de passions . d'ailleurs, je pense sincèrement , dans ce blog on lit de beaux textes et nous voyons de belles photos. Enfin un blog pouvant apporter des connaissans aux simples "quidames" que je suis en ce qui concerne le milieu tauromachique . je ne pensais pas que les aficionados pouvaient être aussi "poètique" . Merveilleuse idée d'avoir instauré et réalisé ce blog pour démystifier la corrida .

Marc Delon a dit…

merci à tous, pour Viviane, etc...

Ce P****n de livre, Isa du Moun, ne se fera plus, planté qu'il a été par "l'autre inhibé du Moun", ton ami éditeur, qui après m'avoir dit les yeux dans les yeux qu'on allait le faire, n'a finalement n'a jamais su seulement me dire oui, non ou merde à mes nombreuses relances pluri-annuelles. Enfin rien qui fasse avancer le projet et plus grave, rien qui permette de le libèrer vers d'autres cieux éditoriaux (parce que moi je tenais ma parole, je le lui réservais...). C'est la raison pour laquelle on peut venir le lire ici sur le blog et gratuit, encore ! (relire le tout premier post introduisant la motivation de ce blo-blog...)
et non, soit tranquille je ne m'inscrirais pas au forum de la bronca... ;-)))

Anonyme a dit…

Ce p***** de livre ?

Anonyme a dit…

C'est un terme affectueux...

isa du moun