dimanche 24 mai 2009

MAUVAISE NOUVELLE...


L'organisation du prix Hemingway annonce que les nouvelles finalistes pour 2009 sont :


Feria de Glace ; L’étoile et le soleil noir ; Maestros et mozos ; Corrida parisienne ; Taureau Blond ; L’aficionado ; El nino azul ; Going to the Rodeo ( Rodéo) ; John de Vauvert ; Le pyjama de lumière ; Taureau taureau ; Les 7 vies de Lluvia ; Bufalorida ; Sanctuaires ; Le vieux taureau ; Mon frère d’ A ; Pentecôteavic ; L’année du boeuf ; Rendez-Vous ; Le frère de Perez ; Deux oreilles et un coeur.


La mauvaise mienne n'y figurant pas, autant que je vous l'inflige tout de suite et qu'on n'en parle plus. Voici donc :




"La Mouche de Sa Majesté"







Pepin, d’un revers de main agacé, chassa la mouche qui chatouillait son front perlé de sueur. Elle vrombit une seconde près de son tympan avant d’aller ricocher nerveusement sur la vitre. Il la suivit du regard. Quoi de plus bêtement obstiné qu’une mouche ? A chaque impact, elle s’affolait un peu plus, reprenant son élan pour buter de plus belle, plus excitée qu’à la tentative précédente, bientôt affolée d’être prisonnière de l’espace surchauffé entre la fenêtre et le rideau. Elle s’en échappa pourtant, volant enfin au long cours, guillerette sous la rotation lente des pales poussiéreuses du ventilateur de plafond en opérant de brusques changements de direction pleins de décision qui semblaient obéir à un ordre impérieux. Puis elle vint se poser sur les pieds du cadavre et enfin sur son nez.

C’est vrai que ça sent les pieds, ici, pensa Pepin réceptif au message subliminal tandis qu’il constatait avec effroi l’entrée de l’insecte dans la narine gauche. Il hésita longtemps à intervenir tout en surveillant l’orifice nasal puis avisa un crayon de papier bien appointé qui traînait sur la table de nuit et s’en saisit. Contournant le grandiose lit à baldaquin de bois foncé et torsadé, il se courba au-dessus du visage du mort, main levée, crayon profilé, attendant recibiendo la sortie du diptère zélé.

Soudain, on toussa derrière lui. Il se redressa d’un bond, constatant que toute la famille du défunt était entrée en silence foulant l’épaisse moquette de laine, et le regardait mi-consternée, mi-interrogative.

C’est la mouche ! dit-il levant les mains au ciel avec la bonne foi d’un footballeur Italien essayant de se disculper d’une faute évidente.

La famille éplorée investit la chambre, encercla le lit et il en profita pour s’éclipser à reculons. Sa mission pour les pompes funèbres Ramon y Ramon était accomplie. Il exercerait maintenant son second métier, peon de cuadrilla et se rendrait place Santa-Ana à l’hôtel Reina Victoria pour rejoindre le torero qu’il devait habiller.

Dans les salons autour du hall, de beaux messieurs en costume sombre et mocassins de cuir lisaient leur journal dans des fauteuils profonds, s’épiant de temps à autre d’un coup d’oeil furtif, décoché par-dessus les colonnes imprimées. Au comptoir du bar, de belles femmes croisaient et décroisaient leurs jambes gainées de soie dans un crissement léger qui électrisait leurs interlocuteurs et prenaient appui de leurs hauts talons sur les repose-pieds en inox des tabourets. Il ignora cette population représentative de tous les palaces du monde pour s’enquérir du numéro de chambre du maestro.

Euh… vous parlez de celui qui est venu s’habiller, monsieur ?
Oui, c’est ça.
Alors…deuxième étage, chambre 226, monsieur…

Il monta dans l’ascenseur avec une de ces créatures irréelle qui planta ses yeux verts emplis de mépris dans les siens jusqu’à les lui décrocher de son décolleté. Encore une de ces logiques féminines hermétiques aux hommes : à quoi bon découvrir ''jusqu'au fils'' (Hasta el hijo, au nom du père, du fils...) ce qu’il était interdit de regarder ? Et le col roulé alors, c’est pour les chiens ? Puis il se renfrogna. Ces femmes-là n’étaient pas pour lui, elles ne s’intéressaient qu’aux toreros. A croire qu’il fallait avoir du sang sur les mains pour parcourir leurs merveilleux paysages. Pourquoi prenaient-elles le droit de vous toiser, énième mystère du genre féminin que Pepin renonçait à percer.

Il frappa à la porte de la chambre et entra. A l’intérieur l’ambiance était lourde, les mines graves. On s’y croisait sans mot dire, chacun à son occupation. Pepin reconnaissait bien là, cette tension qui précède le grand voyage vers le monde paisible des rêves de taureaux. Le costume de lumière, sur une chaise, comme d’habitude. Un rayon de soleil en frappait les épaulettes qui éclaboussaient les murs de pépites colorées. D’abord les chaussettes, roses. Plutôt une couleur pour poupée Barbie, se dit-il, en lui enfilant la première. Etonnant parti pris que de vêtir la virilité de rose pastel mais dans ce monde qui trouvait normal de tuer des bestiaux de six cents kilos avec un chiffon et une épée, poser la question aurait été déplacé. Les deux autres subalternes s’ennuyaient ferme, discutaient à voix basse, poussant parfois de profonds soupirs.

C’est le matador qui avait tenu à la présence de toute l’équipe. On assistait autrefois au lever du Roi, eh bien, il y avait de nos jours l’habillage du torero. La problématique du pantalon était réelle. Il fallait placer les attributs virils d’un côté et ensuite soupeser littéralement l’homme dans le vêtement empesé pour qu’il l’habitât convenablement. La rigidité n’aidait pas. Le picador appuyé sur le chambranle d’une porte s’évadait par téléphone portable interposé. Avec sa petite amie, sans doute, vu ses sourires béats qui lui donnaient cet air niais, anachronique dans la solennité du moment. Car affronter cette solitude n’était pas donné à tout le monde et la gravité de rituels immuables y préparait un peu. Seul pour cette course, pas une mince affaire ; qui, pour lutter contre six anges noirs, six taureaux, six ambassadeurs de l’au-delà, qui, pour envisager pareille éventualité sinon les toreros ?

Pepin en se dépatouillant maladroitement du problème de ses gros doigts de paysan et des tout petits boutons de la chemise blanche, pensa que c’étaient quand même de drôles de types, ceux qui s’habillaient de lumière. Après quoi couraient-ils, au fond ? Après la gloire ? La fortune ? L’aventure ? Les décolletés profonds et les jambes interminables ? Parcourant la planète taurine de place en place, cherchaient-ils à parfaire la connaissance d’eux-mêmes en révélant les mystères de l’animal fascinant ?

Durant le rituel de l’habillage, par respect, on observait le silence. Il fit claquer les bretelles sur les épaules du torero pour estimer leur tension. Adéquate. Pendant qu’on brossait une dernière fois la veste, Pepin jeta un œil sur la place Santa-Ana depuis la grande fenêtre. Des gitans débraillés et gueulards à la figure presque noire, mimaient une faena, selon le sang qui baignait leurs coeurs, sans contrôle ni modération, tout dans l’excès et le paroxysme, décomplexés, libres, sauvages, affranchis de toute bienséance et de la réprobation tacite des passants outrés. Il était fascinant de les voir ainsi démontrer au bas de l’hôtel où descendaient des maestros pleins de maîtrise retenue, la joie de leur aficion éclose en une spontanéité juvénile. Les gitans n’avaient pas honte de leur enfance et aucune bégueulerie ou affliction ne les empêchaient de la retrouver. Malgré tout, on s’apercevait vite que leur interprétation glissait vers la satire du statut de matador, qu’elle ne représentait pas seulement avec naïveté leur admiration. Des malins ces types, dans leur inculture.

Ne restaient plus que les zapatillas à chausser, facile, et la chaquetilla à enfiler, plus ardu. Mais maintenant enfin, il était habillé. Pepin était fier, il en avait fini avec cette corvée. Comme quoi, avec du fric, on pouvait tout s’offrir, y compris ce genre de mascarade…
On referma le couvercle du cercueil. Il eut le temps d’apercevoir la mouche s’y glisser. Celle-là au moins n’emmerderait plus personne. L’extravagant Salvador Valdano Torres de Ybarguen mourrait certes en torero, mais finirait en terreau pour asticots. Il y avait une justice. Toute la cuadrilla embauchée pour l’occasion sortit en quête d’une bière plus rafraîchissante. Pepin rechigné, cracha dans le premier caniveau traversé :

Quelle honte… ! Mourir en torero alors qu’il a clampsé dans son plumard sans avoir jamais eu les couilles de se foutre devant un toro… Sin Verguenza !

Les autres opinèrent du chef sans émettre de commentaire. La mort, on ne la contrariait pas. Ils marchaient vite, absorbés dans leurs pensées, droit vers la Casa Patas. Des nuées de cyclomotoristes casqués, avec de grosses lunettes facettées bourdonnaient alentour en essaim nauséabond excité par l’orage. D’épais nuages bouchaient le ciel, il faisait lourd, les chemises collaient à la peau, l’air de la capitale était irrespirable, des odeurs putrides montaient des ruelles jonchées d’ordures et d’excréments. Un vrai temps de mouches.


7 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci pour la nouvelle.
On ne saurait la comparer à celles qu’on n’a pas lues, mais si une nouvelle se caractérise par l’ensemble qu’elle forme , bien compact avec une chute à surprise, c’est une réussite. L’imagination ne fait pas défaut, on n’a jamais l’impression d’avoir déjà vu ou lu et on aime le clin d’œil à Golding du titre. Le thème de la corrida ne s’impose jamais systématiquement, il apparaît de-ci de-là par d’habiles petites touches qui la définissent, avec le torero, son costume et la cérémonie de l’habillement, son courage, ses buts poursuivis, connaissance de soi, fascination de l’animal, l’Espagne et ses gitans. Tout y est dit, mais sans longueur, sans ennui, avec humour, légèreté même si la mort plane et obscurcit ce ciel orageux de la vie futile et vaine qui se termine dans un beau costume d’indifférence.
Gina

Marc Delon a dit…

BÔôooooahaa.... c'est Gina tsé...
je lui passe son commentaire parce que à force de les lui sucrer, elle me menace de fâcherie définitive... Mais bon, ça compte pour du beurre, je suis son grand ami voyez... Cela n'a qu'une valeur affective (mais c'est bien d'être aimé ! ) en même temps vous ne pouvez pas vous approcher d'une jeune maman à la maternité et lui dire que son bébé est moche...
Ben là, c'est pareil... plus fort même, puisque je ne suis pas son bébé... Alors, j'aurais écris "pipi-caca" que ça lui aurait super plu à Gina ! Génial aurait-elle dit...
Donc n'ayez crainte je reste lucide...

Anonyme a dit…

Désolée, mais je suis objective au plus haut point Marc, et j’aime le détour léger et badin que vous empruntez pour bien traiter d’un sujet grave.

Gina

Marc Delon a dit…

gnagnagna....

Anonyme a dit…

Ben moi j'ai vu venir la fin pire qu'un feuilleton de TF1 (que je ne regarde jamais en plus)...
Heureusement que tu as écrit et que tu écriras des trucs mieux, beaucoup mieux, formidablement mieux...
Dimanche à Vic si tu veux m'éviter, ou me reconnaître, avant la course, entre la statue et le bar...
isa du moun

Skeb' a dit…

mouais, en même temps, avoue que ça ne casse pas des briques ton papier...trèèèès, troooooopppppp trooooppp descriptif, je me suis fait ièch...je ne te mets pas un D comme Delon mais un C comme Corvée

de l'haleine bon sang !

bzzzzzzz bzzzzzzzz

Anonyme a dit…

on aurait aimé une historiette simplette, pas de description, pas de réflexion, un fait divers un peu enjolivé, facile quoi!