vendredi 26 juin 2009

LA FAIM



Il était l’heure. Il devait être l’heure depuis un bail, déjà. A mon esprit défendant, moi, si sensible et réceptif, j’étais réduit à mes entrailles. Elles me soumettaient violemment aux affres de la faim. Mon corps tout entier mobilisé se tordait, sujet de ce besoin incoercible, comme piqué, percé, traversé, pourfendu de part en part de pointes mal forgées, rougies et acérées. Ma personne était seulement réduite à un estomac en proie au manque cruel, ce qui empêchait toute autre fonction de s’exercer. Plus d’âme ou d’intelligence, qu’une totale, ravageuse et indomptable pulsion sauvage : la faim. J’aurais pu mourir ou tuer pour que cela cesse. Mordre, avaler, déglutir et basta. Les organes nobles ? Le cerveau ? Foutaise ! Laminés eux aussi par l’hydre impérieuse, le monstre résolu des tréfonds dont la prégnante volonté de satiété anéantissait tout autre projet intellectuel ou organique. Toutes les ramifications de la satisfaction vitale à combler déchaînaient de hurlantes sirènes convergeant dans mon ventre torturé, d’abord étouffées par les méandres intestinaux avant de galoper toujours plus vite vers la sortie, cette bouche tordue par les cris originels, les angoisses primaires, les aspirations primales. Je n’étais plus un être, rien qu’une douleur, rien qu’un cri, qu’un égocentrisme digestif, rien qu’un tube. Il apparut soudain, penché sur moi, épanoui, rose, tendre, juteux, tiède, goûteux, suintant et disponible, je le mis en bouche avec délice et avidité pour ma première tétée.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

La mélodie de "la faim" et l'image du Bonheur.