samedi 10 octobre 2009

Désert Américain



Oublions un temps le Sahara marocain souvent évoqué dans ce blog et envolons-nous vers le Far-West aux noms enchanteurs, Sonora Desert, Mohave Desert, Joshua Park, Arizona, California, Utah. On connaît les belles images de relief érodé rouge, ocre, beige clair, saupoudré de buissons épineux ou d'arbres ou d'herbes épineuses sur de grands espaces que des heures de route exposent au découragement du touriste. A perte de vue, une falaise escarpée, sculptée, surmontée d'un roc extravagant, puis d'autres qui ont changé de couleur, toujours aussi dressées avec la même arrogance fière, puis, au lointain, des pitons noirs volcaniques, des falaises plus claires et soudain des amas infernaux de boulders en déséquilibre, roulés, entassés ou éparpillés, rouges ici, gris anthracite là-bas, et la route, elle, avec des ondulations souples, qui offre sa perspective montante, ascendante, droite, déterminée, infiniment illimitée...
Les étendues sablonneuses rappelant le Sahara sont rares, on les appelle dunes et ce sont des curiosités signalées aux visiteurs. Des tempêtes de sable se soulèvent en beaux nuages ocres qui parfois interdisent toute circulation routière.
Mais le plus souvent pourtant ce sont la végétation et la faune qui assurent la particularité de ces déserts.
L'Arizona, au sud, avec le désert du Sonora est le royaume des cactus candélabres, ou saguaros, - à prononcer soyaro, là-bas, si vous voulez qu'on vous comprenne-. Il pousse parmi des buissons de créosote et s'accompagne d'une variétés d'herbes toutes épineuses et fleuries de mars à août, plus ou moins hautes, fines toujours charnues comme nos figuiers de barbarie.
Si on quitte le Sonora pour se diriger vers la Californie, le désert change, les ocotillos ont remplacé les saguaros et vers le Joshua Park, parmi les éboulis granitiques, des arbres comme de grands conifères de montagnes, pelés par endroits présentent des bouts de tiges recouverts d 'épines. Superbes. Vers le nord de l'Arizona, vers Flagstaff et les montagnes, le saguaro peu à peu est remplacé par des figuiers de barbarie géants, puis par d'autres variétés d'agaves qu'on retrouve au nord, vers l'Utah, et le Nouveau Mexique, et selon les ondulations de la route, des bouquets de buissons épineux vert foncé, puis au ras du sol des clairs, et des pins ponderosos (ce nom !) et d'autres dont les pommes de pin ont des écailles épineuses, le pinion pine, le douglas, le bruce... qui se partagent différemment l'espace, selon les directions ou selon l'altitude.
Parmi ces plantes, une curiosité, le tumbleweed, cette herbe qui, une fois sèche, roule, poussée par le vent, effraie les chevaux dans les films mais aussi dans la réalité, s'accroche aux clôtures avec plus d'efficacité que des barbelés. C'est dans cette flore que vit le coyote ; on l'entend souvent et on peut réussir au moins une fois à le rencontrer tout comme le roadrunner, ce coucou, tueur de serpents que la paresse fait courir mais empêche de voler...

La prose poétique d'Yves Berger ressuscite merveilleusement tout ce coin des USA dans La Pierre et le Saguaro.
Décédé, il y a cinq ou six ans, l'écrivain que j'avais rencontré au Carré d'Art nimois, à l'occasion du Salon de la biographie avait présenté son Dictionnaire Amoureux de l'Amérique (et malheureusement quelques bien-pensants détenteurs de vérité – unique - l'avaient attaqué dans ses sentiments).
On vient de rééditer chez Grasset l'ensemble de son oeuvre et notamment La Pierre et le Saguaro où se situe la plus belle peinture de ce Sud-Ouest américain , (disons plutôt Far West) qu'il parcourut, à cheval et à pied dans ses coins les plus reculés, profonds ou élevés, car ces déserts s'enfoncent dans les arroyos et les canyons, ou grimpent haut sur les confins des Rocheuses. « La terre...des béances à sec, des rios à sec, des arroyos à sec, des canyons, des entonnoirs, des marmites, des chaudrons, mille plaies, balafres et cicatrices ; au ciel où tout s'élance répondait la terre où tout se creuse pour une soif jamais étanchée. »
L'émerveillement de son parcours jaillit dans toutes ses phrases où il s'exclame constamment que la beauté est dans tout, qu'il en ressent une émotion joyeuse, mélancolique, ou triste. Car, comme chez Le Clézio, chez ceux qui parcourent ces déserts ou qui y séjournent, la contemplation renvoie à la condition de l'homme, sa petitesse, le grain de sable qu'il représente à l'échelle du temps géologique qui a vu les dinosaures, ou devant les effets de l'érosion qui a pris son temps pour tout sculpter ou arrondir. Le Colorado « cela fait dix millions d'années qu'il la travaille (la terre), ronge, desquame, écaille, délite, décompose et enfin brise, couche après couche, de sorte que plus il s'enfonce dans le canyon qu'il creuse, plus il révèle l'ancienneté de la terre...»
Et on ne contemple pas sans s'intéresser aux habitants, à leur histoire passée et présente.
Les tribus indiennes, Navajos, Utes, Hopis, Zunis sont éléments du décor. Les voici disséminées à perte de vue, vivant de ces deux ou trois vaches au kilomètre carré, qu'on aperçoit, points noirs piquetant une terre claire, elle-même pointillée d'un vert tout pâle. De temps en temps, un long camping-car, a mobil home , seul au pied d'une falaise à la John Ford, avec des chevaux parqués près des voitures, des « trucks », aussi nombreux que dans des entrepôts. Ou bien ces habitations se regroupent, s'alignent, se disséminent, s'accompagnent parfois d'une cabane en planches, d'un vieil hogan, d'une vraie maison basse américaine, coquette avec toujours, des voitures, beaucoup de voitures. On est dans les réservations. Vie misérable ? Non, les Indiens choisissent cette liberté de l'espace, disent-ils, parfois ils continuent à refuser l'électricité, parfois ils ouvrent des casinos très lucratifs, - tous les contrastes sont permis. Les éoliennes, seules dans le lointain, moulinent pour l'eau, la lumière, et la poésie. « comment tant d'espace à jamais infranchissable, immuable tel le destin d'un Hopi des plateaux, comment ce que nous connaissions de l'été violent, de l'hiver âpre et comment la vision de rares silhouettes sorties sans raison de leur cabane et perdues là-bas dans le lointain de la plaine, gorges de l'enfer et trous d'espaces surchauffés par les mesas rassemblées pour un encerclement des hommes et des choses, pour un étouffement de l'air, oui comment ce spectacle pouvait-il susciter en nous, avec la tristesse et l'admiration une espèce de paix ? »
Ailleurs, une oasis dresse ses palmiers, soit de grands plumeaux élancés, soit comme à Palm Spring, banlieue de Los Angeles, de grands barbus inclinés ou desséchés par le vent. Ou alors, des feuillus, le cottonwood, le plus célèbre dans lequel le Navajo va sculpter ses cachinas. Des Indiens habitent parfois ces oasis dont ils font payer l'entrée ; ils ne manquent pas d'offrir à la vente leurs poteries, leurs cachinas et leurs turquoises.

Yves Berger en homme de science, anthropologue, poète et philosophe fait revivre ces déserts, reconstruit et enrichit toutes ces images de westerns au crible de ses émotions et mieux que quiconque nous transporte dans les air lines de son enthousiasme.
GINA

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Je précise que le texte "La Pierre et le sagaro" n'est pas un roman, mais un récit de voyages, une synthèse de séjours de l'auteur dans l'ouest des USA. En revanche tous les autres textes du recueil présenté ici sont des romans.

Merci Marc pour m'avoir permis cet hommage à la mémoire d'Y. Berger qui aurait aimé, je crois, l'esprit de ce blog.

Gina