mardi 6 octobre 2009

HORS SAISON

La lumière était crue, les filles presque nues. Elles se déplaçaient, déhanchées du déséquilibre de cette déambulation précautionneuse sur les galets brûlants de la plage qui martyrisaient leurs petits pieds. On pouvait les rattraper. Parfois un garçon les dépassait en courant – même pas mal – pour plonger dans l’eau sous leurs yeux – même pas froide – , de préférence en les éclaboussant. Leurs longs cheveux ondulaient dans la brise chaude. Elles replaçaient sans cesse cette mèche rebelle derrière une oreille attentive. Leur peau fleurait le monoï, enveloppe exotique et délicate de satin luisant sous le soleil. Elles l’étalaient sur leurs membres fuselés de gestes doux qui se perdaient dans l’au-delà. Allongées, elles se retournaient nonchalamment, postures fugaces fanées aussi vites qu’écloses à nos regards subjugués, soulignant de spectaculaires aspects de leur anatomie. On imposait l’impassibilité à nos traits, on feignait l’indifférence tandis que se réprimaient secrètement d’interminables érections dans le sable chaud. Certains vécurent des amours vite consommées, d’autres restèrent tenu en haleine par le rêve et l’inhibition. D’autres crurent au grand amour, eurent cette chance d’oindre eux-mêmes le monoï sur les peaux fantastiques. Ils les embrassèrent goulûment sur la terre, sous l’eau, dans l’air des nuits de pleine lune et au bord de la piscine, sous le parasol dont le cercle d’ombre délimitait exactement leur bulle de félicité, isolée du monde et de ses cyniques réalités. Des instants précieux avant la mort. Avant qu’un fils ne rechigne à payer l’entretien de leur tombe. Et puis les orages éclatérent, les matins se levèrent plus froids et la brise plus agressive. Et puisque, été consumé il ne servait plus à rien, vacanciers partis, amours envolées et nuages efficaces, il a préféré sombrer dans la piscine, noyer sa mélancolie, mouiller toile et mât et faire un peu nager ses baleines. Hors saison.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Le suicide de ce parasol me fait souvenir d'un poème de Lamartine mis en musique par Brassens et qui s'appelle: Pensée des morts; .En voici quelques extraits:

Voilà les feuilles sans sève
Qui tombent sur le gazon,
Voilà le vent qui s’élève
Et gémit dans le vallon,
Voilà l’errante hirondelle
Qui rase du bout de l’aile
L’eau dormante des marais,
Voilà l’enfant des chaumières
Qui glane sur les bruyères
Le bois tombé des forêts.
...
L’aube n’a plus de zéphyre
Sous ses nuages dorés,
La pourpre du soir expire
Sur les flots décolorés,
La mer solitaire et vide
N’est plus qu’un désert aride
Où l’œil cherche en vain l’esquif,
Et sur la grève plus sourde
La vague orageuse et lourde
N’a qu’un murmure plaintif.
...
C’est la saison où tout tombe
Aux coups redoublés des vents ;
Un vent qui vient de la tombe
Moissonne aussi les vivants :
Ils tombent alors par mille,
Comme la plume inutile
Que l’aigle abandonne aux airs,
Lorsque des plumes nouvelles
Viennent réchauffer ses ailes
À l’approche des hivers.
...
C’est un ami de l’enfance,
Qu’aux jours sombres du malheur
Nous prêta la Providence
Pour appuyer notre cœur ;
Il n’est plus ; notre âme est veuve,
Il nous suit dans notre épreuve
Et nous dit avec pitié :
Ami, si ton âme est pleine,
De ta joie ou de ta peine
Qui portera la moitié ?

C’est l’ombre pâle d’un père
Qui mourut en nous nommant ;
C’est une sœur, c’est un frère,
Qui nous devance un moment ;
Sous notre heureuse demeure,
Avec celui qui les pleure,
Hélas ! ils dormaient hier !
Et notre cœur doute encore,
Que le ver déjà dévore
Cette chair de notre chair !
...

beau n'est ce pas?
ce n'est pas Gina qui me contredira...
isa

Marc Delon a dit…

merci à Isa et Bernard (publié dans "Mort deux fois" ) pour ces contributions poétiques