mardi 24 août 2010

MALETILLAS


De la guerre d'Espagne on connait surtout les photographies de Robert Capa et notamment celle du combattant fauché en pleine course au sommet d'une colline dont on se demande maintenant si elle n'aurait pas été mise en scène. On a en tout cas jamais vu le négatif qui aurait peut-être permis de mieux l'étudier. Certains disent même que la mort de ce soldat serait due à cette photo. Ce combattant ayant posé à la demande de Capa et un tireur isolé en aurait profité.



Mais un autre photographe, Agusti Centelles est sorti il y a quelques années du relatif anonymat où on l'avait laissé grâce à la sortie d'un livre - Agusti Centelles 1909-1985 éditions Actes Sud 30x25,5cm 258p, 55 euros - et d'une exposition présentant son travail. Un travail de photographe engagé et non de reporter venu couvrir un évènement. La différence est argumentée dans un article de Rue 89 dont voici les extraits les plus explicites.








La grande question de l'exposition : c'était quoi, l'engagement ?
Cet accroc à son professionnalisme, (allusion à son refus de couvrir la retirada vers le camp d'internement d'Argelès alors qu'il en était) jamais démenti avant guerre et pendant, est une défaite dans la défaite. Paradoxalement, c'est la preuve d'un engagement total auprès des siens ; d'où la question principale planant sur cette exposition :
C'est quoi, l'engagement ? Ou plutôt, c'était quoi ?
Une réponse est dans un texte formidable du livre accompagnant l'exposition (« un regard juste versus juste un regard ») proposé par l'artiste et théoricien
Joan Fontcuberta :

« Les théories actuelles du photojournalisme ont mis en avant la notion de neutralité. Le professionnalisme se définit même précisément par le refus de la partialité qui nous mènerait à la pure propagande.
Nous trouvons aujourd'hui candides et vaines les tentatives de ces pionniers qui, n'obéissant ni à des codes déontologiques imposés ni à des traités de style, s'en tenaient à leur propre conscience et manifestaient leur humble intention de changer la réalité : la photographie comme outil de transformation du monde. Propagande ? »
Réponse de la photographe nord-américaine Dorothéa Lange citée, dans la foulée, par Fontcuberta :

« Tout ce que croit un individu est propagande. Plus tu crois intensément et profondément en quelque chose, plus grand propagandiste tu deviens. Conviction, propagande, foi, je ne sais pas, je n'ai jamais pu considérer que ces termes étaient pernicieux. » (« Aperture », New York, 1982).


Non, Agusti Centelles n'est pas « le Capa espagnol »
A ce coin de l'histoire, on devine que de nombreux riverains pensent aux photographes de la même époque sur le même terrain, et bien sûr à
Capa. Combien de gazettes ont -et vont encore- qualifier d'Agusti Centelles de « Capa espagnol ».
Raccourci erroné. D'abord il est catalan… Ensuite, Gervasio Sanchez, photographe et journaliste au Heraldo de Aragon, argumente, dans un autre article du livre intitulé le « photographe universel » :

« Trois raisons différencient Centelles de ces dizaines de photographes qui se sont aventurés intensément dans la guerre (d'Espagne) et en ont tiré des images d'une grande justesse :
Ils ont couvert la guerre des autres,
Ils n'ont jamais été inquiétés dans l'exercice de leur métier-
iIs ont bénéficié d'une reconnaissance publique -même si certains moururent très jeunes. »
Autrement dit : la proximité et la sincérité du fait photographique seraient relativisées par le parachutage…
Centelles, c'est bien l'anti-Capa sur toute la ligne. Ava Gardner ne l'attend pas au bar du Ritz de Barcelone. Sa mallette n'est pas une valise mystère. Il ne fera pas un prototype flamboyant, idéal pour la profession et le roman.








On retiendra quand même pour l'anecdote, le point commun de leur mallette perdue. Après la défaite de 1939, comme des milliers d’autres Espagnols, Agusti Centelles prit le chemin de l’exil et fut interné dans le camp de réfugiés de Bram, en France, où il continua à exercer son métier avec des moyens extrêmement précaires. Quand il prit la décision de fuir la France occupée et de retourner clandestinement en Espagne, il fut contraint de cacher plusieurs milliers de négatifs dans une maison de Carcassonne pour protéger l’identité de tous ceux qui auraient pu être reconnus par la police fasciste. (source site jeu de paume)


Il confia donc sa valise à une famille audoise chez qui il alla la rechercher trente-deux ans plus tard. Robert Capa, lui, les abandonne dans son studio parisien en fuyant aux USA, l'entrée des troupes allemandes. Il estimera les avoir perdus et mourra sans les revoir, en 1954. Ces négatifs réapparaitront cinquante ans plus tard dans les affaires d'un général diplomate ayant servi sous pancho Villa au Mexique ! Avec ses négatifs se trouvent ceux de Gerda Taro sa femme et de David Seymour alias "CHIM" avec qui il fondera l'agence Magnum.
Photo 1 : Capa.
Photos 2, 3 et 4 : Centelles







14 commentaires:

Xavier KLEIN a dit…

On a même dit que la première photo, comme nombres d'autres étaient des mises en scène, ce qui se faisait beaucoup à l'époque.

el chulo a dit…

mais oui, mon xavier!

Marc Delon a dit…

??????..... C'est bien ce que je pressentais : Xavier ne passe ici que pour reluquer les photos !!! il ne lit pas les textes, la preuve est maintenant faite !

Maja Lola a dit…

Ces photos largement montrées sont toujours émouvantes. Quelles que soient les questions qui semblent planer sur les éventuelles mises en scène. Il n'en demeure pas moins que le drame qui se vivait était bien réel.
Le texte qui les accompagne me semble très intéressant par les questions qu'il évoque, au-delà de l'image.
Le photographe au regard neutre et dont le recul lui confère une impartialité approuvée déontologiquement ?
Ou celui qui par son acte conscient de prise de vue veut participer à une idéologie ?
Acteur neutre ou militant engagé ?
Spectateur à distance ou témoin actif ?
Selon cette analyse, j'avoue avoir un penchant pour Centelles.
L'anecdote sur les malettes et négatifs de Capa et Centelles et leurs pérégrinations est originale et touchante.

el chulo a dit…

certes maja, mais la guerre d'espagne fut aussi un champ d'essai de la "fameuse communication" politique, et des deux cotés, c'est hélas vrai, et rassurez vous chaque peuple a ou a eu son nain.
je parle aussi, en dehors du nanisme intellectuel, bien plus nocif que l'autre, quoi qu'intimemnt lié, lorsque malheureusement ils convivent, de la censure et de l'imagerie, dont j'ai une collection d'affiches, facilitée par mon cher angel, l'utilisation des ondes de queipo de llano, la négation et le mensonge et la bénédiction de l'église qui plus est.
c'est toujours un immense plaisir de vous lire.

Maja Lola a dit…

Que de choses remuées après le commentaire d'El Chulo. J'ai dans la mémoire de ma rétine (souvenir de petite enfance) les images du NO-DO, un des "outils" de prédilection du caudillo.
La propagande dans toute sa splendeur, même pas subliminale.
Quant à l'église et ses complicités honteuses, elle a perdu de nombreux fidèles qui, la foi chevillée au corps, continuent de vivre cette dernière sans subir la dictature de ses dogmes.

Bernard a dit…

"Acteur neutre ou militant engagé?" a écrit Maja Lola...

Et si on osait la métaphore: toreo de profil, ou en chargeant la suerte?... (autrement dit, la sacro-sainte "neutralité" revendiquée n'est-elle pas, à l'instar de "l'objectivité", une quasi supercherie intellectuelle?...)

A Maja Lola - ou à Chulo: qu'est-ce que le "NO-DO"?... (pardon de ne pas savoir)

Prenez soin de vous - Bernard

Maja Lola a dit…

Pour Bernard :
le NO-DO est l'abréviation de NOticiero DOcumental. Il s'agissait de petits films que toute salle de cinéma devait obligatoirement diffuser avant le film principal et qui diffusait des actualités orientées et propagandistes à la gloire du régime franquiste.
La famille du caudillo y apparaissait d'ailleurs souvent constituant ainsi de la communication "people" où étaient mis en évidence les valeurs morales et chrétiennes que tout espagnol devait suivre en exemple.
Petit clin d'oeil marrant : le caudillo et son épouse étaient surnommés Carmen "collares" et Paco "medallas", leur omniprésence à l'écran étant, vous vous en doutez matière à humour et dérision.

el Chulo a dit…

"collares" parce que la dame carmen polo ne détestait pas choisir des bijoux dans les bijouteries les plus huppées et que, in fine, ces bijoutiers, lorsqu'ils savaient la présence de la dame un peu rapace fermaient parfois leur boutique, plutôt que d'avoir à ne pas "envoyer" une facture..Il en était de même pour les dentistes, la dame avait de grandes dents.
paco aimait les uniformes et les médailles. il se trimballait sur son yacht azor en grand uniforme d'amiral, alors qu'il n'avait pas pu intégrer cette école de l'élite d'el ferrol, et entrait dans les cathédrales sous un dais, faveur exclusivement réservée au pape ou au roi, ce qui lui valut la fureur de segura, par ailleurs intégrite forcené et qui ne fut pas de peu d'influence pour aligner l'eglise au idées du "movimiento" avec son compadre le subtil goma..

Maja Lola a dit…

J'ai terriblement envie de répondre au texte "Pour Maja Lola" de notre Chulo mais je suis encore confrontée à des problèmes techniques. Mais j'avoue que je ne suis pas une référence en matière de technique informatique. Donc, je vais m'adresser à plus compétent que moi pour me tirer ce "lio" !
Hasta prontisimo Chulo.

Bernard a dit…

A Maja lola et Chulo,

Merci pour votre réponse à deux voix, et qui se complètent si bien!... Et qu'il est réconfortant de nouveau de pouvoir constater qu'en (presque) toutes circonstances, notre chère viande humaine sait rire - du moins se moquer - de ses puissants (!) du moment...

Quelque part - comme l'écrivent les journaleux post-modernes, le NO-DO était une sorte de "DODO" (non, Chulo, bien sûr, pas le Dodo de Mada), le "Dodo" des "anges du guet" urbains et moyennageux: "Dormez bien, bonnes gens! Nous veillons sur vous!"...

Veillez bien sur vous - Bernard

el Chulo a dit…

merci gina,

vous ne pouvez pas accéder non plus pu votre fidélité à ce grand Marcos vous l'interdit.

en tous cas, votre mot me touche beaucoup, ainsi que les commentaires toujours distanciés de l'ami largocampo.

el Chulo a dit…

j'attends bien sûr et elle doit s'en douter le commentaire de maja

el chulo a dit…

tu fais bien de préciser ami bernard. sauf que je n'ai rien ni d'un ange ni d'un guetteur.
pour ma seule gouverne personnelle, il m'est important d'aller aussi loin que je peux dans certaines choses. avec mes moyens bien sûr mais c'est le lot de tout le monde y compris hélas des gouvernants dont l'absence de culture, de recul, d'humilité, d'autocritique leur ferait penser qu'ils savent. ce qui me parait stupéfiant!