Estoquer la mort
La passion tauromachique n ‘est pas quantifiable ou, plus exactement, pour la comprendre il faut la vivre ! Le profond respect que chaque aficionado porte à sa majesté le taureau de combat, ainsi que l’admiration sans faille que nous avons pour chaque torero ne peuvent pas s’expliquer par de simples mots. Dès lors répondre à la question « Pourquoi allez-vous voir les corridas ? » n’est pas chose aisée. Peur-être est-il plus simple d’exprimer ce que va chercher l’aficionado que je suis, dans la rencontre des deux solitudes que sont le toro et son matador.
Le premier torero fut l’homme des cavernes qui, régulièrement, abandonnait sa grotte protectrice pour affronter l’auroch. Au cours des premiers balbutiements de l’humanité, lentement mais inexorablement, un concept s’inscrivait douloureusement parfois : l’intelligence était plus forte que la masse musculaire. C’est le fondement même de la tauromachie où la verticalité, remarquablement symbolisée par l’attitude du torero, s’oppose à l’horizontalité, si bien représentée par la charge du toro. La corrida, combat et Art, est aussi symbole. Si la corrida a résisté au temps, c’est qu’elle porte en elle une sérieuse espérance de vérité. Elle symbolise la vie. Comme le toro, l’homme mûrit, grandit avec l’épreuve, aspire à atteindre l’intemporalité dans une bien curieuse corrida dont il sait qu’il ne sortira pas vainqueur. Tout au plus, peut-il espérer que ses faits et gestes plaideront pour sa mémoire. Peut-être, aller aux arènes, c’est aller en quête de vérité… !
Jean Cocteau a écrit : « En tauromachie, il n’y a pas de haine. Il n’y a que de la peur et de l’amour ». c’est vrai ! Jamais un torero blessé, aussi grave que soit sa blessure, ne se plaindra. Chaque torero respecte le toro qu’il combat. Il sait qu’il peut tout lui donner ou tout lui enlever. Y compris la vie !…
Etant responsable de l’antenne médico chirurgicale des arènes de Fréjus et participant régulièrement aux différentes équipes de garde dans les arènes du Sud-Est, j’ai été amené, maintes fois, à m’occuper de toreros blessés : jamais, j’ai bien écrit jamais, je ne les ai entendu proférer une parole désagréable à l’encontre de leur toro. Les exemples abondent. Je me souviens tout particulièrement de CONRADO GIL BELMONTE, horriblement blessé à Fréjus le 14 juillet 1998. ce fut certainement une des cornadas les plus graves jamais survenues en France. La corne avait arraché quasiment tout le haut de la cuisse gauche, avait rompu la veine fémorale et sectionnée la veine saphène interne. Trois trajets, dont un transfixant, labouraient les muscles et l’axe vasculaire de l’infortuné torero. C’est un moribond qui arriva à l’infirmerie ! De ces terribles moments, je me souviens tout particulièrement de la main du matador agrippée à mon bras. De seconde en seconde, je percevait la force de sa main décliner. La bonne organisation de l’infirmerie, la ferme détermination de chacun de nous, l’excellente constitution de GIL BELMONTE ainsi que la chance (sans laquelle, face à un toro comme face à sa propre existence, rien n’est possible ) expliquent l’heureuse évolution de cette affreuse cornada. A peine le matador fut-il déchoqué qu’il murmura plus qu’il ne le dit : « Je veux retourner en piste ». Pas un mot sur la douleur, pas un mot contre son toro ! Il resta dix jours à l’hôpital (dont 3 en réanimation) de Fréjus. Il n’avait qu’une idée : reprendre le chemin des arènes. Des exemples comme celui de CONRADO GIL BELMONTE, je pourrais en citer des dizaines d’autres. Nous sommes à des années-lumières des frasques footballistiques où des sportifs de haut niveau majorent la douleur pour mieux fausser un match. Je n’ai pas à rougir de côtoyer les toreros. Ce sont des hommes qui m’ont enseigné la dignité, vocable qui, à l’époque de la mondialisation et des organismes génétiquement modifiés peut paraître désuet…Raison de plus pour respecter les toreros !
Il m’est aussi arrivé, en privé et une fois dans un festival taurin qui eût pour cadre les arènes de Fréjus, d’avoir la naïve candeur de vouloir toréer. J’ai pu ainsi découvrir une constatation ( mais je me doutais déjà de son existence ! ) : il est plus facile de jouer les revisteros (ce qui m’arrive souvent ) que se croire torero (ce qui m’est arrivé trop souvent !). En tauromachie, la mort et l’inconnue sont les deux invitées permanentes. Comme en médecine ! Cela explique peut-être pourquoi beaucoup de médecins vont régulièrement aux arènes.
En fait, NIMENO II me fit comprendre qu’il y avait une sorte de similitude entre la médecine et la tauromachie. C’était à Fréjus le 20 juillet 1986. au terme d’une corrida de OLIVEIRA IRMAOS très intéressante, il avait avec GALLITO DE ZAFRA et VICTOR MENDES, ses compagnons de cartel, obtenu un grand succès. Le soir venu, alors que nous discutions très amicalement de la course, il me dit, soudain sérieux : « En fait, les toreros et les médecins ont le même but : essayer d’estoquer la Mort ». Depuis la fin tragique de Nimeno II, cette phrase tourne et retourne dans ma tête…
Que trouvez-vous dans la corrida ? Qu’y cherchez-vous ? Quel signifiant contient-elle à vos yeux ? Telles sont les questions que vous posez.
Comment y répondre ? En quelques mots seulement. La corrida n’est qu’humanité. Voilà pourquoi elle est intemporelle. Voilà pourquoi elle est férocement adulée et farouchement rejetée.
Dans un monde évanescent ou la consensus mou est érigé en dogme absolu, la corrida a l’immense mérite de ne pas laisser indifférent… Longue vie à la corrida de toros !
Christian DERBUEL.
Le premier torero fut l’homme des cavernes qui, régulièrement, abandonnait sa grotte protectrice pour affronter l’auroch. Au cours des premiers balbutiements de l’humanité, lentement mais inexorablement, un concept s’inscrivait douloureusement parfois : l’intelligence était plus forte que la masse musculaire. C’est le fondement même de la tauromachie où la verticalité, remarquablement symbolisée par l’attitude du torero, s’oppose à l’horizontalité, si bien représentée par la charge du toro. La corrida, combat et Art, est aussi symbole. Si la corrida a résisté au temps, c’est qu’elle porte en elle une sérieuse espérance de vérité. Elle symbolise la vie. Comme le toro, l’homme mûrit, grandit avec l’épreuve, aspire à atteindre l’intemporalité dans une bien curieuse corrida dont il sait qu’il ne sortira pas vainqueur. Tout au plus, peut-il espérer que ses faits et gestes plaideront pour sa mémoire. Peut-être, aller aux arènes, c’est aller en quête de vérité… !
Jean Cocteau a écrit : « En tauromachie, il n’y a pas de haine. Il n’y a que de la peur et de l’amour ». c’est vrai ! Jamais un torero blessé, aussi grave que soit sa blessure, ne se plaindra. Chaque torero respecte le toro qu’il combat. Il sait qu’il peut tout lui donner ou tout lui enlever. Y compris la vie !…
Etant responsable de l’antenne médico chirurgicale des arènes de Fréjus et participant régulièrement aux différentes équipes de garde dans les arènes du Sud-Est, j’ai été amené, maintes fois, à m’occuper de toreros blessés : jamais, j’ai bien écrit jamais, je ne les ai entendu proférer une parole désagréable à l’encontre de leur toro. Les exemples abondent. Je me souviens tout particulièrement de CONRADO GIL BELMONTE, horriblement blessé à Fréjus le 14 juillet 1998. ce fut certainement une des cornadas les plus graves jamais survenues en France. La corne avait arraché quasiment tout le haut de la cuisse gauche, avait rompu la veine fémorale et sectionnée la veine saphène interne. Trois trajets, dont un transfixant, labouraient les muscles et l’axe vasculaire de l’infortuné torero. C’est un moribond qui arriva à l’infirmerie ! De ces terribles moments, je me souviens tout particulièrement de la main du matador agrippée à mon bras. De seconde en seconde, je percevait la force de sa main décliner. La bonne organisation de l’infirmerie, la ferme détermination de chacun de nous, l’excellente constitution de GIL BELMONTE ainsi que la chance (sans laquelle, face à un toro comme face à sa propre existence, rien n’est possible ) expliquent l’heureuse évolution de cette affreuse cornada. A peine le matador fut-il déchoqué qu’il murmura plus qu’il ne le dit : « Je veux retourner en piste ». Pas un mot sur la douleur, pas un mot contre son toro ! Il resta dix jours à l’hôpital (dont 3 en réanimation) de Fréjus. Il n’avait qu’une idée : reprendre le chemin des arènes. Des exemples comme celui de CONRADO GIL BELMONTE, je pourrais en citer des dizaines d’autres. Nous sommes à des années-lumières des frasques footballistiques où des sportifs de haut niveau majorent la douleur pour mieux fausser un match. Je n’ai pas à rougir de côtoyer les toreros. Ce sont des hommes qui m’ont enseigné la dignité, vocable qui, à l’époque de la mondialisation et des organismes génétiquement modifiés peut paraître désuet…Raison de plus pour respecter les toreros !
Il m’est aussi arrivé, en privé et une fois dans un festival taurin qui eût pour cadre les arènes de Fréjus, d’avoir la naïve candeur de vouloir toréer. J’ai pu ainsi découvrir une constatation ( mais je me doutais déjà de son existence ! ) : il est plus facile de jouer les revisteros (ce qui m’arrive souvent ) que se croire torero (ce qui m’est arrivé trop souvent !). En tauromachie, la mort et l’inconnue sont les deux invitées permanentes. Comme en médecine ! Cela explique peut-être pourquoi beaucoup de médecins vont régulièrement aux arènes.
En fait, NIMENO II me fit comprendre qu’il y avait une sorte de similitude entre la médecine et la tauromachie. C’était à Fréjus le 20 juillet 1986. au terme d’une corrida de OLIVEIRA IRMAOS très intéressante, il avait avec GALLITO DE ZAFRA et VICTOR MENDES, ses compagnons de cartel, obtenu un grand succès. Le soir venu, alors que nous discutions très amicalement de la course, il me dit, soudain sérieux : « En fait, les toreros et les médecins ont le même but : essayer d’estoquer la Mort ». Depuis la fin tragique de Nimeno II, cette phrase tourne et retourne dans ma tête…
Que trouvez-vous dans la corrida ? Qu’y cherchez-vous ? Quel signifiant contient-elle à vos yeux ? Telles sont les questions que vous posez.
Comment y répondre ? En quelques mots seulement. La corrida n’est qu’humanité. Voilà pourquoi elle est intemporelle. Voilà pourquoi elle est férocement adulée et farouchement rejetée.
Dans un monde évanescent ou la consensus mou est érigé en dogme absolu, la corrida a l’immense mérite de ne pas laisser indifférent… Longue vie à la corrida de toros !
Christian DERBUEL.
3 commentaires:
rien n'est pire qu'un torero au sol
. Ce qui domine dans ce texte si sincère de CH. Derbuel, c'est le respect de l'auteur pour l'animal et les toreros. De ces derniers, en tant que chirurgien, il aurait pu penser " Mais que Diable allaient-ils faire dans les arènes?". Mais non, il admire, et en connaissance de cause.
Et ce texte reste très actuel puisque Derbuel évoque, pour les opposer à la grandeur et dignité du torero et de la corrida, les "frasques footballistiques", et tant d'autres spectacles préfabriqués à coups de publicité.
Gina
Si bien dit. Je me souviens bien de ces essais de matador dont parle Christian Derbuel. Il faut beaucoup de pratique, et improviser une cousine en taureau parfois...et faire de belles passes avec une cape en forme de gilet de laine. C est surement comme cela que les matadors commencent eux aussi. Felicitations pour un article plein de verites, meme si elles font mal a certains, il faut savoir qu un matador ne vit que pour cela, et c est une bonne raison pour continuer a voir vivre la corrida.
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