samedi 17 septembre 2011

La Moisson du Lion



Je préviens tout le monde, ce coup-ci il me sera difficile de ne pas sombrer dans le lyrisme...
Il ne fait jamais bon s'aligner à un cartel aux côtés du Juli si l'on n'a pas la rage d'un obsédé face à sa proie, si ne coule pas dans les veines l'animosité belliqueuse d'un centurion ou le déni fier d'un dictateur bédouin névrosé. Si vous n'êtes qu'un jeune homme aussi tiède qu'un candidat socialiste à un pseudo débat, c'est à dire un Talavante ou un Luque certes capables de beaux détails mais en comparaison presque aussi fades qu'un Zalduendo standard face au rugissant Juli, vous ne ferez pas moisson d'oreilles mais gagnerez bien plus que cela : un stage intensif d'enseignement de toreo de haut vol. Le regard effaré de Luque en disait long... Comme une claque dans la gueule, un peu. Une bonne vieille méthode d'enseignement maintenant réprimée par la loi. Celle que m'infligeait frère Pierre, un tortionnaire très pieux dont les pêchés étaient apparemment absous par Dieu, à chaque faute de ma dictée. Difficile de se reconstruire après. Il faudrait mettre en place un suivi psychologique pour les compagnons de cartel du Juli... Une assistance détresse et déprime face au doute de puta madre qui doit les étreindre jusqu'à rendre douloureux les allers-retours en déglutition de leur pomme d'Adam.

Soyons clairs, ce qu'à fait le Juli hier, cette faena importante et mémorable malheureusement conclue par un coup d'épée très en arrière, a été permis - et là on ne sait s'il faut dire "grâce" ou "à cause"- d'une manifeste erreur de casting. Un toro enfin, est sorti ni mou du genou ni prédominé mais retors, singulier, freinant au capote, manso à la première pique mais, alors que l'imbécile inculture de la foule criait déjà au changement de cet exemplaire qui ne souffrait d'aucune tare, niaiserie ou invalidité physique (moi je crois que c'est toi, public à la noix, qu'il faudrait changer) on savait pour en avoir vu des milliers que dans ses tréfonds miroiterait la caste. Bref, une victoire ambulante pour toristas, par cet animal qui n'accréditait pas la théorie pernicieuse que les triomphes majeurs arrivent par les toros qui servent mais bien par ceux qui combattent, qui en attentent réellement à votre vie. "Tren" n'était pas sur les rails très fin de race de ses frères (ben oui mais moi les calembours bidons et les métaphores de pigistes ça m'a toujours fait rire...) Il n'était pas non plus un bison terrorifique mais il était un vrai toro, qui posait des problèmes et qui ne montrait pas de signes de faiblesse.

El Juli reçut "Tren" comme un chef de gare, le premier TGV, (et allez... n'importe quoi...) enfin un jouet neuf et intéressant. On ne le plaindra pas outre mesure que cela soit si rare vu que tout le monde sait maintenant que les figuras imposent leurs élevages fétiches. Bientôt ils toréeront leurs toros dans les arènes qu'ils gèreront, avec leurs frères comme banderilleros. Ah, ça c'est déjà vu ? Bref, à l'heure où il faudrait dégainer du superlatif pour tenter de s'élever à hauteur de cette faena cumbre, je ne possède pas ce que j'ai observé chez le Juli et qui m'a vraiment impressionné au-delà du torero, chez l'homme : cette formidable détermination, cette surhumaine énergie. Ce regard d'aigle, ce visage sanguin, bouillant, explosif, qui dans le patio de caballos ignorait la foule pour se fixer, silencieux, de longues minutes sur la grève dorée d'un ruedo où il rêvait peut-être déjà à son exploit. Quand il est sorti du burladero d'un pas déterminé, il m'a rappelé l'attitude de Tomas au manso de Nunez del Cuvillo de son seul contre six de Barcelona (euh...2009 ?) qui décida d'aller à sa rencontre au mitan de l'arène voyant que ses peones ne pouvaient pas l'approcher le long de la barrière comme il est prudent de le faire lors des tout premiers capotazos. Il s'est approché et, aussi efficace qu'un Thermomix, a absorbé ce toro cru qui combattait, pour nous rendre comme il était programmé, une estouffade de génie, broyée aux petits oignons, tout à la fois traditionnelle et moléculaire, sauce julian con espuma de arte. Je vous passe les passes méprisantes à 45°, les efficaces à 90°, les mains courues à 180° et même les plénitudes féminines à 360° et surtout celles pour lesquelles on en perd son latin et sa géométrie, circulaires inversées, changées, de main, d'angle, d'axe, pour ne parler que de cette inconnue citée de face d'une media-muleta croisée dans le dos, sans aucun avantage donc, et toquée d'une impulsion de l'épine iliaque antéro-supérieure, oui messieurs-dames, alors que Tren chargeait vibrant car méchant. Je vous passe les manoletinas si inélégantes comparées à d'autres mais tellement ''Juliesque'' qu'elles en étaient belles. Amis toristas vous aviez fait le rationnel calcul de ne pas venir vu la bestialité très modérée de l'affiche ? Eh bien vous avez-eu cinq fois raison mais le sixième cas restant, valait le prix du billet. Car votre quête était là, voir un grand torero devant un vrai toro. C'est ainsi, dans ce fol espoir de l'aficion que les organisateurs nous tiendrons toujours un peu par les c.... cols des camisetas.

J'ai raté la photo du jour, celle-là, là-haut, est du premier adversaire, car les bras m'en sont tombés, ballants, au moment où il aurait fallu viser cette libération puissante qu'il exprima d'un rugissement démoniaque lors de l'effondrement de ce toro au sol, un rugissement que j'ai perçu malgré la clameur de la foule, le visage déformé par le hurlement, bouffi, écarlate, gueule béante, tout le corps recruté pour le cri, poussé par deux fois car un seul n'y suffisait pas, jusqu'au dernier millilitre d'air expiré de la plus profonde alvéole, un rugissement si déchaîné, si éperdu qu'il ne pouvait seulement exprimer de la joie. Comme une explosion qui l'affranchissait enfin de l'ennui de tardes affligeantes d'infirmier secouriste alors que pulse dans sa poitrine l'âme d'un belluaire, de ce gâchis artistique et technique si souvent vécu alors qu'il y a tant à se grandir d'être poussé dans ses derniers retranchements, du mal-être des compromissions ordinaires alors que son désir d'absolu rêvait de pureté, des innombrables vueltas merdeuses, coeur en conflit avec la petite voix intérieure qui le traitait d'imposteur, de la satisfaction gênée des resenas élogieuses qui mentaient par omission. Un cri de poumons de nouveau-né qui se déplissent. Un cri de presque noyé dans les grands fonds de la routine qui palmait à grandes vitesse vers la lumière de la surface, négligeant les paliers de décompression pour vite renaître avant que sa poitrine n'explose. Je me rappellerai longtemps de la violence de ce hurlement au moins aussi vibrant qu'une charge de Tren. Il aurait aussi bien pu en chialer. Et nous avec, car ce qui était évident c'est qu'il s'était enfin autant régalé que nous.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

"j'ai raté la photo du jour"...

Enfin, un accès de lucidité chez Monsieur Delon!

Marc Delon a dit…

Boudiouuuu... c'est de la gnognotte ça, comme attaque... faut y aller beaucoup plus franco que ça...

Maja Lola a dit…

J'ai dégusté comme il se doit cette page delonnienne : un cru des meilleurs.

Pas vue, cette corrida. Mais pas de regrets : il vaut mieux lire ta reseña !
Belle faena, Marcos ... Bravo maestro !

Anonyme a dit…

Heureusement que tu es là pour nous faire les resenas,c'est comme si on y était,manque juste le son du lion !!
Merci Marc
Victorina

Marc Delon a dit…

De nada les filles, it's my pleasure de contenter you a little