J'ai suivi les recommandations de Campos y Ruedos et suis allé voir le très vivant reportage du blog de Manon d'où je tire ces deux photos qui illustrent parfaitement "sa vie, son oeuvre et ses combats". Ce sourire aux lèvres qui de façon assez incompréhensible au premier abord, s'agrandissait toujours proportionnellement au danger. En réfléchissant un peu, comment ne pas admettre qu'il faut de nos jours beaucoup d'humour et d'autodérision pour accepter de faire carrière face aux toros dans la terrain de "l'esprit Prométhéen de résistance et de défi au destin". Et puis en dessous, malgré le geste auguste de l'empereur victorieux, les yeux fermés de l'humilité qui peinent à contenir l'émotion d'une sortie réussie. Fouillant dans mes souvenirs pour alimenter cet article, j'ai finalement cédé à la facilité en reproduisant ce qu'en écrivait Paco Aguado. Dans ce texte apparait très bien quel trait d'union a incarné Espla qui au XXIè siècle encore nous donne à voir certaines des caractéristiques du toreo du XIXè. Espla un ancien chez les modernes, donc.
Si, une anecdote authentique et savoureuse quand même, avant de reproduire ce texte : un ami en goguette en Andalousie il y a fort longtemps, passablement éméché depuis une semaine, se retrouve encore au comptoir d'un bar au sortir d'une corrida, dans une ruelle autour de l'arène. Il entame la discussion avec un type qui se désaltère aussi et ils commençent tous deux à mener tertulia sur ce qu'ils viennent de voir.
Première Manzanilla (clin d'oeil à Martin...)
Le problème est qu'ils ne sont d'accord sur rien, n'arrivent à se rejoindre sur aucun des détails discutés. Des visions totalement différentes, des points de vue impossibles à rapprocher. Ils s'écoutent à tour de rôle avec force dénégation du bonnet, chacun souriant ironiquement au discours de l'autre qui apparait érroné au plus haut point.
Deuxième Manzanilla.
Fait péter la tournée jesus. Ca marche. Car on n'en est pas moins urbain pour autant et l'on se disputerait presque aussi pour payer plus souvent quà son tour la tournée, comme si cela revêtait le moyen de prouver à l'autre la véracité de l'argutie. Comme la ponctuation du coup de gong marquant la fin d'un round juste après une prise de points acquise par uppercut perfide. Mais l'ami est tombé sur un coriace : les arguments s'enchaînent, logiques et étayés et le gosier encaisse aussi sans broncher les verres de tord-boyau andalou.
Troisième Manzanilla.
C'est la guerre France-Espagne. Oui, on a peut-être omis de signaler que l'ami est français et le type rencontré, ibère. C'est dire qu'il a sa fierté congénitale et qu'il n'entend pas vraiment se faire expliquer sa fiesta brava nationale par le complexe de supériorité français. Un complexe imbibé qui plus est. Remettez-nous ça, Jesus. Ca marche. Bien servi. Esso es.
Kâbrièmeuh Panztamya.
L'ami français est en difficulté : KO debout. Déjà qu'il possède évidemment moins bien la langue de Cerveza, enfin Cer... quichotte là, qui a écrit Sancho Garcia ou Sergent Panza on ne sait plus, ce qui nuit à l'éclairage de son désormais liquéfié postulat, il se rend compte que l'autre aficionado est vachement fortiche en corrida. A la fin, n'y tenant plus, à court d'arguments, il tente le tout pour le tout, l'argument assommant :
- Putain, mais t'étais où, toi, pour avoir vu tout ça de travers, t'étais trop mal placé peut-être..., aux andanadas ?
- Moi ? entre les cornes coño ! j'étais le torero !
Et là, le type lui tend la main : Luis Francisco Espla, encantado !
Surgit de la nuit des temps de Paco Aguado.
Surgit de la nuit des temps, c'est de là que parait avoir surgi ce Luis Francisco Espla habillé comme dans une gravure de la Lidia, avec ses épaulettes larges, ses boutons de passementerie, ses favoris courbés et sa démarche désinvolte. Certains disent non sans un certain mépris, qu'il apprit à lire avec El Cossio, alors qu'en réalité il fit pratiquement ses premiers pas pour esquiver les charges d'une petite becerra, comme le montre un tendre film du NO-DO qui traîne encore par-là. C'est depuis lors que s'est déroulée la longue et lumineuse tauromachie de ce torero d'Alicante polyvalent, intelligent, agile et habile comme un sauteur crétois, maître et seigneur de la scène brûlante des arènes.
Il est possible que cette ancienne toreria formelle qu'il distille soit une philosophie à elle seule, que de cette maîtrise totale de la dialectique du terrain et de l'espace, base de la tauromachie du dix-neuvième siècle, surgisse ce concept qui nous fait rétrocéder dans le temps et dans lequel il se complait. Encyclopédique, connaisseur de l'intrahistoire du toreo et récupérant les suertes et les formes d'antan, Espla contribua clairement, par exemple, à la rénovation du tercio de banderilles en des années où il était quelque peu décadent. Star des cartels des spécialistes, il donna à la suerte des banderilles un sens plus spectaculaire, comme une fin en soi, l'intégrant à ce sens global de la lidia en tant que création continuelle. A la cape, il dépoussiéra aussi des scènes qui avaient été oubliées de longue date, du quite de la "mariposa" aux suertes à deux avec son frère Juan Antonio, même si cela occultait sa maîtrise lors de la lidia dans le premier tercio où il aimait à provoquer le toro, de manière un peu démagogique, comme un metteur en scène. Magicien authentique du quiebro et du toreo de jambes, il n'eut jamais par contre, un grand niveau artistique à l'heure d'utiliser la muleta. Peu profond, mais torero "ancien" dans le sens qu'il utilisait le leurre devenu aujourd'hui fondamental comme un simple instrument de préparation à la mort, instant pour lequel il ressortit des méthodes ancestrales, comme cette manière habituelle de citer "a recibir" à distance.
Précisément par ce manque de modernité à la muleta, qu'il cherche à dissimuler avec des ornements et cette montera anecdotique bien calée, est la preuve de son intelligence, celle qui lui a permis de se maintenir, avec l'étiquette de torero différent, autant d'années qu'il l'a voulu et a un rang plus que digne. Curieux et cultivé, peintre et écrivain, il a été capable de décider de la destinée de sa carrière en des temps de commercialisation, autant lorsqu'il a quitté l'affiche des banderilleros quand elle était exploitée à outrance par les empresas, que pour se réfugier dans les corridas dures en préservant sa rémunération : tel un objecteur de conscience qui aurait offert son aide à la Croix Rouge les jours de grande circulation sur les routes. "Ancien" aussi en cela, jusqu'au point de défendre les autres toreros au détriment de ses propres intérêts.
Je terminerai par la "déclaration de châtiment", sorte de doblone verbal, qu'il infligea aux jounalistes venus à sa sortie d'hopital pour couper court à l'interwiev désirée après qu'il fut très grièvement blessé à Céret, leur coupant les deux oreilles et la queue en quelques mots :
- Je ne suis pas du genre à éclabousser toute l'Espagne du sang de mes blessures.
Si c'est pas torero, ça !
Olé y Olé !
1 commentaire:
Il faut la développer cette histoire de comptoir, du genre "qui ne s'invente pas" comme on dit
Benjamin
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