lundi 29 juin 2009

LE GALA DE DANSE

Bon alors, comment on les place les bras ? On a répété pourtant, qu’est-ce qu’elle nous a dit déjà ? Comme ça ? Ouverts en delta et souriante parce qu’on a reconnu mémé dans la salle ? Ou toute pensive et déjà pleine de grâce d’une brassée certes pas assez courbe mais au moins symétrique, poignets fléchis, mains en pronation ? Mine contrite et bras en suspens peut-être, ni ouverts, ni serrés, ni en l’air, ni en bas - si on pouvait être ailleurs… - et quitter cette allure d’échassier désailé… Tiens ben moi, chui pas très concerné mais j’leur fais le V de la victoire si ça leur fait plaisir, mais pour le sourire ils repasseront, j’le sens pas là… Sont nulles ou quoi, les autres ? Moi je regarde le chorégraphe dans la coulisse et je vois bien qu’il faut éclairer le plateau de mes chandeliers brachiaux… n’importe quoi…

Branle-bas de combat, c’est le gala. Le gala de fin d’année où les professionnels vont montrer aux parents le bien fondé de la cotisation demandée pour dégrossir leur progéniture. Dans la salle, tout le parterre est acquis à la cause des artistes en herbe. Les mamans sont en talons hauts et petites robes fleuries, bijoutées-maquillées-décolletées car l’heure est grave : la grâce et la féminité du nom que l’on porte est en jeu et doivent se répondre de la scène à la salle en ce couple mère-fille si fusionnel et conflictuel. Les papas ont déployé l’artillerie lourde : le dernier cri High-tech numérique est en batterie. Parfois le camescope repose sur un pied entre les jambes et le compact trône dans l’autre main.

- Vous avez quoi vous ? Ah…. Moi c’est un Canon !
- Aaaaah… dix millions de pixels, le vôtre ? Moi, quatorze…

Papi a chaussé ses deux bananes auriculaires car il a l’impression qu’il voit mieux ainsi et mamie a rajusté son râtelier avec « fixodent » tandis que le collier de perles qui jadis chutait élégamment entre ses seins peine à ne pas être un ras du cou étrangleur. Eh oui mamie, on ne peut pas tout avoir, les goûters en Avignon chez le very cosy ‘’Simple Simon’’ et ses bons gros gâteaux à la crème, et un cou de Karen, vous savez les femmes-girafes ? Vous avez choisi les gâteaux et c’est éminemment respectable d’autant que papi peut compléter, question perles, pour l’année prochaine.
Dans ce genre de spectacle, on s’emmerde grave devant la gaucherie généralisée des enfants des autres et on s’éclaire soudain dès que la silhouette de sa petite apparaît :
Dieu comme elle est belle ! Franchement, hein, rien à voir avec le fait que ce soit ma fille, mais regardez comme elle est rayonnante au milieu de toutes ces petites mal coordonnées… ‘Reusement qu’elle est là pour le groupe !
Et vas-y que j’applaudis à tout rompre, c’est ma fille à moi !!! Même que j’lai enfanté en accouchement sans douleur vu que c’est ma femme qui s’en est chargée. C’est pas pour dire mais il faut être objectif : elle les enterrait toutes, vous avez vu ? Cette grâce, cette interprétation bien sentie, cette beauté… C’est bien simple on aurait dit qu’elle était seule sur scène…
Bon, voilà, ça c’est fait, on peut ranger les apn, c’est aux autres maintenant, même plus besoin d’applaudir, on va discrètement fermer les yeux et se reposer. Si seulement j’étais pas entouré par les beaux-parents, je rejoindrais la buvette… Quoique, la plus alcoolisée des boissons servies ici, c’est le Fanta citron : pas glop….
Mais soudain les petites filles graciles et fragiles ont fait place aux jeunes filles toniques, jarrets d’acier et poitrine haute, fessiers bombés et regards de velours et là… dans l’oeil des pères, luit comme un léger regain d’intérêt. Plus exactement, l’œil débonnaire et bienveillant s’est instantanément mué en prunelle de loup en chasse. La houle des corsages captive, les reins cambrés fascinent, et tout à coup c’est la révélation :

On aime la danse !

Et soudain, c’est le drame : un roulé-boulé aussi inattendu qu’exhibitionniste, quasi érotique, révèle à tous les papas les belles fesses fermes et juvéniles des moins pudiques, en panoramique technicolor… en toute innocence, ce qui est, nous en conviendrons nous qui connaissons la vie, d’autant plus troublant… les papas du premier rang ne s’en relèveront d’ailleurs pas de sitôt et un accompagnement psychologique sera nécessaire pour verbaliser le traumatisme. Je dois dire que ce n'était pas la plus élégante des péripéties dansées qu'il ait été donné de voir... De plus, la plus jolie -comme par hasard- avait oublié sa grande culotte noire à la maison semble-t-il...
Le photographe n’a pas raté ça pensez… et encore, il n’a pas mis la plus… Olé-Olé… et a flouté les visages… pas fou… les procéduriers sont aux aguets !

Moi, si c’est ma fille qui fait ça, je raye de la carte tous les représentants de la gent masculine en âge de fantasmer sur la jeunesse ! A commencer par le chorégraphe !! T’aimais la danse ? Eh ben oublie ! Une balle dans le bulbe et basta !!! Au 11,43 et balles blindées. Méthodique dans les travées, stoïque dans les rangées. Je nettoie, je purifie. A la Corse : T’as vu ? T’as pris ! (ta bastos…) J’ai pas fais la septième merveille du monde pour que son intimité soit vue en gros plan par un parterre de bien-pensants hypocrites et refoulés, si ? Non !




























samedi 27 juin 2009

LE REPAS



Le jour n’était pas encore levé. Marcel ouvrait la voie, gravissant le serre d’un pas sûr, écrasant les herbes aromatiques de la draille qui menait au sommet. Je suivais, le nez dans les effluves de thym, de sauge et de romarin, exhalés par sa progression. Mon souffle était court, le fusil lourd. La bretelle de cuir sciait mon épaule. J’avais quinze ans, c’était ma première passée aux grives. Il m’avait réveillé par un énigmatique ''ne bois qu’un café, si nous sommes adroits nous mangerons là-haut''. Mes pas roulaient des cailloux, butaient contre des racines, bruyants et maladroits. Lui, avançait agile et silencieux, survolant le dénivelé. Sur la crête, une boule incandescente embrasa l’horizon mauve des collines varoises. Le vent se leva, balançant mollement les têtes des grands pins, saluant notre arrivée. Mille questions affleuraient, mais essoufflé par l’effort, soufflé par tant de beauté, j’investis le poste désigné par son index impérieux. Deux heures plus tard, un feu de bois odorant crépitait entre les pierres tandis que nous plumions les grives tuées. Marcel y jeta des baies de genièvre puis cueillit une herbe qu’il nomma ''pèbre d’ail'' dont il enveloppa amoureusement les petits oiseaux. Ses gestes étaient précis et respectueux. Il les mit à cuire à braise morte. Leur délicat fumet emplit aussitôt nos narines de délectables promesses. Leur chair goûteuse et parfumée, raffinée et sauvage à la fois, condensait toute l’authenticité du terroir qui les avait nourris, ravissant mes papilles trop jeunes et inexpérimentées pour réaliser qu’elles dégustaient peut-être là, le meilleur repas de leur vie. Un goût émouvant et vrai : celui du bonheur de l’amitié à la table grandiose de la nature. Au dessus de nos têtes, passaient quelques retardataires dont on devinait le vol furtif, les yeux mi-clos, la tête renversée dans le soleil, repus.

vendredi 26 juin 2009

LA FAIM



Il était l’heure. Il devait être l’heure depuis un bail, déjà. A mon esprit défendant, moi, si sensible et réceptif, j’étais réduit à mes entrailles. Elles me soumettaient violemment aux affres de la faim. Mon corps tout entier mobilisé se tordait, sujet de ce besoin incoercible, comme piqué, percé, traversé, pourfendu de part en part de pointes mal forgées, rougies et acérées. Ma personne était seulement réduite à un estomac en proie au manque cruel, ce qui empêchait toute autre fonction de s’exercer. Plus d’âme ou d’intelligence, qu’une totale, ravageuse et indomptable pulsion sauvage : la faim. J’aurais pu mourir ou tuer pour que cela cesse. Mordre, avaler, déglutir et basta. Les organes nobles ? Le cerveau ? Foutaise ! Laminés eux aussi par l’hydre impérieuse, le monstre résolu des tréfonds dont la prégnante volonté de satiété anéantissait tout autre projet intellectuel ou organique. Toutes les ramifications de la satisfaction vitale à combler déchaînaient de hurlantes sirènes convergeant dans mon ventre torturé, d’abord étouffées par les méandres intestinaux avant de galoper toujours plus vite vers la sortie, cette bouche tordue par les cris originels, les angoisses primaires, les aspirations primales. Je n’étais plus un être, rien qu’une douleur, rien qu’un cri, qu’un égocentrisme digestif, rien qu’un tube. Il apparut soudain, penché sur moi, épanoui, rose, tendre, juteux, tiède, goûteux, suintant et disponible, je le mis en bouche avec délice et avidité pour ma première tétée.

mercredi 24 juin 2009

vendredi 19 juin 2009

Est-il absurde de désirer l'impossible ?


Relativement obsédé par les toros et amateur d'absurde, j'ai entendu à la lecture de ce sujet du Bac :

Est-il absurde de tuer un fauve de six cent kilos assez brave pour ne jamais renoncer à vous ouvrir le coeur en deux ou vous arracher un testicule, avec un chiffon et une épée ?

J'avais spontanément répondu non, pensez, moi le spécialiste de la quête voire de la quéquette impossible-non j'explique pas- j'étais même parti pour vous rédiger ma copie et puis j'ai entendu parler du site webpédagogique et je me suis mis à "complexer" illico. Ceuss qui savent, les profs, quand même bien moins rigolos que moi-dans les deux sens du terme- s'étaient déjà chargés du corrigé. Voici donc la copie de madame la prof philo de Montélimar, Mme... enfin c'est précisé sur http://www.webpedagogique.fr/


Les notions au programme : Désir, volonté, raison, bonheur.






La problématique : Est-il rationnel de désirer l'impossible (conforme aux exigences de la raison et à nos intérêts) ? Est-ce raisonnable au regard de la dualité de l'Homme : être de raison et être de désir ? Les difficultés / pièges à éviter : Bien définir le désir en le distinguant du besoin et de la volonté raisonnable.Bien définir l'impossible qui peut être l'interdit, mais aussi le contradictoire, l'illimité (désirs ni naturels, ni nécessaires, d'Epicure), ou le simplement non encore réalisable de fait.






Les références pertinentes : Platon - Le désir comme manque Hegel - Sur la passion et ses vertus Descartes - "Il vaut mieux changer ses désir que l'ordre du monde"EpicureLes stoïciens






Le plan possible :

I. Oui, (il est absurde de désirer l'impossible) au sens de mauvais calcul, d’illogique, d’irrationnel, le but apparent du désir étant le plaisir et de parvenir à la satisfaction.

A. L’impossible, c’est ce qui n’est pas accessible dans le réel ou ce qui est contradictoire en soi. Ex : immortalité pour des êtres mortels, don d’ubiquité pour des êtres finis. Dès lors désirer l’impossible c’est la garantie de ne pas obtenir l’objet du désir. Donc souffrance garantie auquel on ne peut aspirer en tant qu'être de désir, être sensible.

B. On ne peut s’investir dans un projet que l’on sait irréalisable : dépense stérile d’énergie et limite de l’imaginaire. On ne peut désirer l’impossible si on le sait vraiment impossible. Le propre du désir, c'est qu'il se représente son objet comme possible. Reconnaître que la chose est impossible, c'est donc ne pas pouvoir la désirer.

C. Ce serait donc un comportement irrationnel. Or si l’homme est un être de désir, il est aussi un être de raison. Donc, il faudrait s’en tenir au possible !
II. Mais ne serait-il pas déraisonnable de s’en tenir au possible ? Non, il n’est pas absurde ( au sens de déraisonnable) de désirer l’impossible.

A. Contrairement à ce que soutiennent Descartes, les sagesses antiques (épicuriens et stoïciens) qui invitent à ne désirer que le possible, on peut considérer que s'en tenir aux désirs du possible est une approche bien médiocre du désir. Réduire le désir à une volonté raisonnable ou aux besoins, ce n’est plus vraiment être dans le désir ;

B. Le désir est un « moteur » : ne désirer que le possible, c’est se contenter de ce qui est : Désir, pouvoir de transformer, de tendre vers une perfection. Chez l’homme l’utopie est nécessaire, sans elle pas de progrès dans l'histoire et ailleurs.

C. ne désirer que le possible, c'est être garanti de parvenir à satisfaction et donc arriver vite à bout du désir. Or on peut penser que le plaisir est dans le désir donc ne désirer que le possible, c'est se condamner à l'ennui, à la souffrance paradoxalement. A vouloir y échapper, on la crée.

III. Si tout désir est désir de l’impossible, il est vraiment absurde de renoncer au désir de l’impossible !

A. Le sujet présuppose que l’on puisse désirer autre chose que l’impossible. Or l’objet du désir peut être considéré comme étant l’impossible : Obtenir une reconnaissance (Hegel), retrouver la plénitude perdue ( mythe de l'androgyne), la quête d’absolu, accéder au bonheur, ce qui est recherché à travers tous les désirs : le bonheur inaccessible (Freud, Platon)

B. Le sujet présuppose que l’on peut bien cerner la différence entre possible et impossible. Le désir repousse les limites du possible.

C. C’est donc peut être absurde de désirer l’impossible, mais c’est le lot de l’homme déchiré entre désir et raison et le désir peut être au service de la raison (Exemple désir de vérité à l’origine des sciences de la philosophie etc....), au service de la transformation de ce qui est, de l'histoire, des progrès de la science et de la technique.





Conclusion : ce qui serait donc absurde, ce serait donc ne pas désirer l’impossible, car ce serait alors ne plus désirer du tout.


Et voilà ! Qu'est-ce que je disais...? Imparable, non ?

ANTICHRIST de LARS VON TRIER



L’introduction de l’histoire est vite posée. Dans du noir et blanc, de la sépia, plutôt. Tout est en gros plan. Un couple interprété par Charlotte Gainsbourg et William Dafoe, (les seuls personnages du film, avec leur enfant) fait l’amour avec passion, sur le sol de la cuisine, au lit. Leur fils, trois ans, ou moins, est insomniaque et, perplexe, assiste silencieux à la scène primitive. Il joue calmement près des parents enlacés, fait tomber des sculptures posées tout près, puis se saisit de sa peluche, la fait flotter au-dessus du vide par la fenêtre d’où ils disparaissent tous deux.
Suivent les funérailles et le deuil qui occupent tout le développement du film.
Les deux parents s’isolent dans un chalet de montagne, Eden, situé dans une zone marécageuse, boisée, envahie de ronces et de fougères, autrement dit peu riante (même si la pellicule est maintenant en couleur) : la mère sortant de clinique psychiatrique après des soins peu efficaces, prétend le mari psychanalyste, qui entreprend de mieux la soigner même si c’est contre-indiqué et s’il doit céder aux intenses désirs amoureux de sa femme.
Il lui demande donc de revivre ses émotions, son angoisse, ses peurs, son deuil et nous assistons avec elle à la souffrance, aux fantasmes, aux rêves, nous nous soumettons aux ordres plus ou moins inquiétants et fantasques du thérapeute s’adressant à l’inconscient de sa femme. On assiste aux progrès, mais les reproches fusent parfois, de sa part, puis de la sienne. Tout devient de plus en plus sinistre, dehors dans la nature obscurcie et même noircie, sous les arbres, dans la boue, sous des rocs. Dedans, quand on observe les gravures et peintures du grenier où se mêlent sorcellerie, dessins diaboliques, messages infernaux : des voix humaines, des cris d’animaux, loups, oiseaux ajoutent à la peur, à la nôtre aussi. Fantastique et réalité s’entrecroisent dans une atmosphère qui se détériore dans le couple aussi, malgré le désir amoureux fougueux et féroce qui oblige l’homme à satisfaire la femme qui ira jusqu’à le mutiler. C’est un horrible beau film, parfois insoutenable, avec des gros plans inattendus, ni pornographiques ni érotiques, simplement réels –. D’un réalisme total.
Charlotte Gainsbourg, on la redécouvre, en grande star.
GINA

jeudi 18 juin 2009

CARNETS DE RUEDOS



VAYA TORERITO !



Les toreros, cuadrillas sur les talons, quittent la piste sous les huées ou les vivas de la foule selon leur fortune du jour. Celui qui a triomphé ralentissant sa déambulation pour jouir des acclamations, celui qui a échoué pressant le pas, sous couvert du succès de l’autre, pour raccourcir la bronca qui écorche un orgueil à ravaler par les oreilles, tympans saturés de la stridence des sifflets. Déjà, les valets d’arènes se sont remis au travail, ratissant la piste. La clique range ses cuivres. Des sept mille spectateurs des arènes de Vic, il reste quatre ou cinq cents retardataires qui ont un peu de mal à se convaincre que voilà, pour cette année, c’est bien fini. C’est alors que profitant des portes entrebaîllées il apparaît : un petit bonhomme d’un mètre, six ans au plus, foule le sable de la plaza, montera vissée sur le crâne, engoncé dans un habit de lumière, le menton fier. Un murmure d’amusement parcourt les gradins. Après avoir défilé et salué une présidence virtuelle comme il se doit, il se plante au centre du ruedo muleta pliée au coude gauche et montera levée de la dextre, pour brinder à la ‘’foule’’ son toro en un parfait pivotement sur lui-même à l’issue duquel il la jette négligemment par dessus son épaule. Elle retombe malencontreusement offerte au ciel. D’un geste de briscard que le sort ne peut contrarier, il la retourne avec métier, de la pointe de son épée. L’étonnement sur les visages succède à l’amusement. C’est que ce matador-là, devient crédible. Sa gestuelle est précise, ses attitudes exactes. Si crédible, que la clique de l’arène a ressorti les cuivres des étuis quand elle a vu la faena commencer par la droite, jambe avancée, muleta planchada et main basse. A chaque passe, résonnent maintenant d’enthousiastes « Olé ! » peut-être les plus sincères de l’après-midi. En bas, dans le terrain du toro brave, au centre de l’arène, un tout petit homme a abandonné son corps qu’il ploie sous la contrainte de la trajectoire idéale. Le menton est tombé, la lèvre tordue, le rythme adéquat, le replacement sûr. C’est bien simple : le toro, on le voit. Le paso doble soufflé avec entrain des poumons de rougeauds et paternalistes paysans gersois, peine à couvrir la détermination du torero. Car d’en bas, synchrone du toque de la muleta, s’élève à chaque passe, d’une voix claire de filet d’eau de source, la force torrentielle d’une passion. « Hey Toro…, Toro Hey ! » Changement de main par derrière, naturelle enchaînée main courue, pecho toreando profond rematant la série. Oreilles, queue, vuelta et sortie à hombros : Véridique, 36°, touffeur tropicale, 1/14ème d’arène le foie en crise, flics hilares, flaques d’averses et Flocs à venir.

lundi 15 juin 2009

POURQUOI ALLEZ-VOUS VOIR LES CORRIDAS ?



Hubert Salignon

Corrida, ce mot déjà sépare et quelquefois unit.

L’entendre c’est déjà entrer dans la fin attendue de l’hiver, c’est aussi, chargé de promesse, dans la vibration sonore et visuelle, le premier paseo jusqu’à l’arrastre. Mais encore – face ou plutôt de l’autre côté d’un monde qui conserve, qui duplique, qui unifie – la corrida s’invente à chaque fois échappant à la monotonie de la répétition. Rite, elle n’a d’autre souci en l’inscrivant que d’y échapper.

Jamais deux fois la même chose mais toujours la chose même, elle éconduit le conservateur jusqu’à la limite extrême du dessaisissement, pour à chaque instant tenir ensemble la rupture et la continuité, la chance et le dessin, l’écart et la durée.

Moments suaves où l’indécis et la force s’articulent, le rythme est prolongé jusqu’au moment fatal de l’entrée à matar. Dans l’inconnu qu’elle ouvre, l’avoir vu, n’est jamais répété, il s’efface dans son temps, seul le sable en garde la trace dans un palimpseste ocre.

Rébarbative aux rationalités elle n’est le reflet de rien, ni du social, ni du politique, ni de l’histoire, ni de l’esthétique. Tout au contraire l’habit de lumière d’un côté et le noir de l’autre, diffracte, pulvérise ou absorbe.

Parfois, au détour d’une naturelle, elle nous fait entrevoir à l’extrême condition de l’être qu’un événement unique, révèle en un éclair notre finitude sublimée.

Quelques toreros nous conduisent à cette limite en la repoussant.

dimanche 14 juin 2009

Voyage en Espagne

de Théophile Gautier
Extrait
Le pavé est en petits cailloux comme celui de toutes les villes d'Espagne, mais il est rayé, en manière de trottoir, de bandes de pierres assez larges sur lesquelles la foule marche à la file ; le pas est toujours cédé aux femmes en cas de rencontre, avec cette exquise politesse naturelle des espagnols même de la plus basse classe. Les femmes de Séville justifient leur réputation de beauté ; elles se ressemblent presque toutes, ainsi que cela arrive dans les races pures et d'un type marqué : leurs yeux fendus jusqu'aux tempes, frangés de longs cils bruns, ont un effet de blanc et de noir inconnu en France. Lorsqu'une femme ou jeune fille passe près de vous, elle abaisse lentement ses paupières, puis elle les relève subitement, vous décoche en face un regard d'un éclat insoutenable, fait un tour de prunelle et baisse de nouveau les cils. La bayadère de Amany, lorsqu'elle dansait le pas de Colombes, peut seule donner une idée de ces oeillades incendiaires que l'Orient a léguées à l'Espagne ; nous n'avons pas de termes pour exprimer ce manège de prunelles ; ojear manque à notre vocabulaire. Ces coups d'oeil d'une lumière si vive et si brusque, qui embarrassent presque les étrangers, n'ont cependant rien de précisément significatif, et se portent indifféremment sur le premier objet venu : une jeune Andalouse regardera avec ces yeux passionnés une charrette qui passe, un chien qui court après sa queue, des enfants qui jouent au taureau. Les yeux des peuples du Nord sont éteints et vides à côté de ceux-là ; le soleil n'y a jamais laissé son reflet.

mercredi 10 juin 2009

SI JE VEUX...


Si je veux, j'oublie tous les principes photographiques de base, j'oublie les conseils des photo-clubs, j'ignore les attentes iconographiques des touristes de la corrida qui veulent y reconnaitre la fête et celles des aficionados friands du classicisme, de l'éternel parfum de la tauromachie dans sa statuaire beauté. Si je veux, je recadre sauvagement, je m'invente le téléobjectif de 800mm que je n'ai pas, si je veux...
Si je veux je ne tiens plus compte que d'une règle : couper le sujet ou, pour le moins, le cadrer à bouts touchants de tous les côtés. Close-up shots with close-up lens. Ca vous plait ou ça vous déroute ? C'est pas un principe employé en photographie taurine, mmm ? C'est bon alors, ça y est, j'ai un style ! Naaaan, je plaisante... Mais s'il y a un endroit où on peut ne pas s'en priver c'est bien sur le web parce qu'en sorties papier bonjour les dégâts avec ce rapport d'agrandissement. Et une bonne optique qui ferait l'équivalent sans avoir à bousiller le fichier ça doit coûter... à la louche, 20 000 euros. Eh oui. Celles que je préfère ? "Coche de Cuadrilla" et "Cul, Queue, Corne et Couilles". Pardon Mesdames. Pourquoi ? Peut-être parce que la photo du coche serait un bon point de départ pour un texte, non ? Et le gros plan postérieur parce que j'aime tous les angles du toro sous lesquels on n'est pas très habitué à le voir.



























mardi 9 juin 2009

GOOD MORNING ENGLAND !



ENJOY !

Je sors de la salle obscure transporté d’allégresse. Comme seuls une très bonne nouvelle, une grande faena ou un sentiment amoureux peuvent la provoquer et vous rattacher intensément à la vie. Je veux étaler mon enthousiasme ce soir même avant qu’il ne s’étiole, l’étaler jusqu’au ridicule, me livrer, trahir impudiquement mon ''moi'' mon ''ça'' et mon ''je'' en emmerdant le ''surmoi''. J’étais immergé dans l’âge d’or de la pop britannique, je nageais dans l’euphorie des sixties, une décennie tellement excitante où l’on ne doutait pas de l’avenir car tous les espoirs naissaient -moi le premier... enfin presque-, j’étais replongé dans ma passion adolescente de la musique, quand j’emmenais mon premier amour sur le banc intime des cabines d’arrière-salle de ''Music Center'' disquaire sur le boulevard Victor-Hugo. Authentique anglais à qui on sifflait vaguement un air entendu à la radio avant qu’il nous le déniche avec son accent en VO puis nous surveille par la vitre de la cabine pour qu’on ne vole pas trop de baisers à sa petite amie. Milliardaire, il aurait fini, si on lui avait acheté tout ce qu’on écoutait. En sortant, il fallait faire la moue et trouver une réserve pour démotiver l’investissement dans ces vinyles géniaux. Pas de ronds. On écoutait David Bowie, les Who, Crosby Stills Nash and Young, Deep Purple, Pete Townshend, les Stones, Cat Stevens, Elton John et tout ce qui venait de là-bas ou d’ailleurs, Gilberto Gil aussi et the girl from Ipanema que les musicos appelaient la pute d’Ipanema tellement ce standard était joué et puis Vinicius de Moraes qui disait que maria Bethânia chantait comme un jeune arbre en train de brûler. Jimmy Hendricks, Santana, les Doors, Jeff Beck (il est au théâtre de la mer à Sète le 13 juillet, courez-y si c’est pas déjà trop tard…) d’autres, plus pop, plus anglais. Le printemps venu on reformait le groupe, investissait les caves sordides de nos parents, de l’une à l’autre en fonction de la tolérance des voisins et des parents, et puis l’été, on tournait comme les vrais, oh, pas bien loin… le Grau du Roi, Port Camargue, le camping de l’Espiguette, la Grande-Motte, pour quelques sous et un sandwich, chargeant et déchargeant le break Rambler jusqu’à la gueule, d’instruments bas de gamme. Ce vieux break qu’il a fallu souvent pousser, où l’on s’entassait à cinq avec des instruments et des amplis dépassant parfois par les fenêtres, un break interminable, blanc, américain, dont on était si fier parce qu’ils nous donnait ce look de musicos des States… et auprès des beach girls le prestige corollaire parfaitement usurpé sur la valeur absolue de nos talents. L'aventure ''petit bras'' peut-être vu le rayon d'action, mais authentique quand même. Pardon pour la réminiscence due au flot ininterrompu de musique durant deux heures quinze car Good Morning England est d'abord un auditorium puis l’histoire de l’avènement des radios pirates, au travers de la plus talentueuse d’entre elles, émettant depuis un bateau sur la mer du Nord.

Carl, un jeune homme confié à son parrain Quentin, ''punition'' décrétée par sa mère – dont on ne tarde pas à apprendre quelle bombe sexuelle libérée elle avait été en son temps - va découvrir cette communauté et l’engouement qu’elle génère, mais aussi les premiers émois de l’amour et la révélation de son vrai père. Cette radio pirate qui émet de la pop 24 h sur 24 pour 25 millions d’Anglais à une époque où la BBC en diffusait moins de 45 minutes par jour. Carl va découvrir l’amitié et le talent de ses DJ marginaux tous conscients de partager une aventure extraordinaire, de vrais fêlés de musique avec une vraie culture, Mark le Noctambule, ‘’Midnight Mark’’ séducteur taiseux, le Comte, américain exubérant dieu des ondes, Dave gros décomplexé plein d’humour, Gavin Kavanagh the star specially coming back from the US au retour adulé par les fans, On-the-Hour john le chroniqueur, Angus the Nut, Thick Kevin à l’intelligence la plus microscopique au monde, Simon-cherche-l’amour qu’une garce ne lui fera pas trouver, Wee Small Hours Bob pour le créneau de potron minet et enfin leur patron fin stratège Quentin, dans une fantastique interprétation originale et racée so British. La musique sonne et l’ambiance donne, le frisson se communique à nos membres soudain agités de tant de plaisir musical et de complicité humoristique. Rien ne manque, pas même la cargaison de filles hebdomadaire pour DJ en rut avec son lot de surprise, notamment une tordante tentative de dépucelage, des garces vous dis-je ! Rajoutez les scènes de naufrage d’un hallucinant réalisme, une fin heureuse pour cette comédie jubilatoire et vous comprendrez qu’au générique, lorsque David Bowie entonne Let’s Dance, j’ai du me cramponner aux accoudoirs pour ne pas me lever et jerker comme un possédé devant tout le monde ! Dans la vie, on n’est pas assez audacieux, car à voir les étoiles briller dans les yeux des spectateurs, tout le monde m’aurait suivi. Que les vieux cons qui désirent le rester, s’abstiennent, que les jeunes bourges qui se croient anti-conformistes se bougent le cul jusqu’au salles obscures pour voir comment leurs ''vieux'' distrayaient le leur, et les accords de Rock seront bien gardés. Un film qui pulse de l’énergie en vous – notez le rythme du compte rendu, pendant que j'écris j'écoute la musique à donf, je suis boosté au max - Un film musical et sexuel, un film donc pour les deux oreilles et la queue ! Inratable. Un film de Richard Curtis, un film quasi Almodovarien dans son enthousiasme, battant celui de Pedro à plate couture sur l'échelle de l'exaltatiomètre. Je cours acheter le CD. A Ver.

PS : j'oubliais : WÂouuuuhw !

dimanche 7 juin 2009

Question de style : Luis Bolivar




Comme vous l'avez peut-être remarqué, la rubrique "Question de style" se propose par quelques photos, trois le plus souvent, d'évoquer le style de tel ou tel torero. C'est assez agréable je trouve quand il s'agit de "second couteau" dont on est pas sur-saturé sur le plan iconographique, un peu comme dans un film où l'on prend plaisir à découvrir de nouvelles têtes d'acteurs. Bien sûr la photographie n'est absolument pas fiable et ne préjuge en rien de la réalité de la valeur du torero. Une très bonne photo peut résulter d'une mauvaise passe, on le sait... Mais on ne se propose pas ici de disséquer, juste de prendre connaissance ou même pour certains de découvrir. Bonne lecture.


LOS ABRAZOS ROTOS de PEDRO ALMODOVAR



Et si la principale étreinte brisée était celle qu'on entretenait avec le génial Pedro Almodovar qui nous avait jusque-là trop gâtés avec quasiment un chef d’œuvre par film ? Je suis sorti insatisfait et déçu de la salle obscure ne retrouvant pas l’intensité par laquelle il me captivait d’ordinaire. Rien de plus accrocheur pourtant que la découverte dans la première scène, des seins en obus d’une jeune lectrice par les mains exploratrices d’un écrivain aveugle… Mais pas de signature musicale forte, apte à vous inscrire dans son monde, pas de scène culte bien que vous ne soyez pas obligés de me croire sur parole vu qu’un coup d’œil sur les avis d’internautes cinéphiles vous confirmera qu’ils en ont repéré. Il s’agit quand même d’un bon film. Sans doute me déçoit-il à hauteur de l’admiration que je lui porte, comme la déception d’un aficionado à Curro Romero pouvait éclore après un fracaso Sévillan.
C’est une sorte d’histoire de l’œil et du regard, porté sur la femme, celle que l’on n’aime plus mais qui reste de confiance, qui vous a tellement aimé qu’elle garde sur vous le regard bienveillant et réprobateur de la femme qui sait, presque d’une mère vous connaissant si bien dans vos qualités et vos excès qu'elle est toujours prompte à être déçue… sans être irréprochable pour autant, qui vous aurait aimé parfait mais qui doit composer avec votre vulnérable humanité ; celle qui enfièvre, celle qui n’est plus, regard mental plein d’acuité du non-voyant, regard voyeur déchiffreur de lèvres, regard de cyclope, cameramen qui n’intègrent plus d’informations que par cette lentille frontale, regard sur le cinéma, son exigence, sa dualité, le prix à payer quand on cède à l’amour plutôt qu’à son œuvre.
Comment ne pas subir le charme de Penelope Cruz (hein…comment ?) craquante à souhait, fragile et sur le fil de toutes les contradictions, si attirante et sincère amoureuse… mais garce et pute occasionnelle aussi… mais si bonne fille dévouée pour ses vieux parents… mais si salope aussi, quand elle avoue que le vieux dégueulasse s’est vautré sur elle quarante-huit heures durant sans qu’elle ne bronche car il faut bien passer par ses désirs quand il est producteur de l’amant dont le film est dépendant : pute vous dis-je. Mais si attachante, que ne concèderait-on pas pour vivre avec une pute si adorable ? Les histoires d’amour terminées il faut vivre quand même, réhabiliter son œuvre, à l’aveugle, regarder enfin la vérité en face, l’apprendre dans ce qu’elle a de bouleversant, grandir quoi.

samedi 6 juin 2009

Espla : L'Espiègle trait d'union



J'ai suivi les recommandations de Campos y Ruedos et suis allé voir le très vivant reportage du blog de Manon d'où je tire ces deux photos qui illustrent parfaitement "sa vie, son oeuvre et ses combats". Ce sourire aux lèvres qui de façon assez incompréhensible au premier abord, s'agrandissait toujours proportionnellement au danger. En réfléchissant un peu, comment ne pas admettre qu'il faut de nos jours beaucoup d'humour et d'autodérision pour accepter de faire carrière face aux toros dans la terrain de "l'esprit Prométhéen de résistance et de défi au destin". Et puis en dessous, malgré le geste auguste de l'empereur victorieux, les yeux fermés de l'humilité qui peinent à contenir l'émotion d'une sortie réussie. Fouillant dans mes souvenirs pour alimenter cet article, j'ai finalement cédé à la facilité en reproduisant ce qu'en écrivait Paco Aguado. Dans ce texte apparait très bien quel trait d'union a incarné Espla qui au XXIè siècle encore nous donne à voir certaines des caractéristiques du toreo du XIXè. Espla un ancien chez les modernes, donc.

Si, une anecdote authentique et savoureuse quand même, avant de reproduire ce texte : un ami en goguette en Andalousie il y a fort longtemps, passablement éméché depuis une semaine, se retrouve encore au comptoir d'un bar au sortir d'une corrida, dans une ruelle autour de l'arène. Il entame la discussion avec un type qui se désaltère aussi et ils commençent tous deux à mener tertulia sur ce qu'ils viennent de voir.

Première Manzanilla (clin d'oeil à Martin...)

Le problème est qu'ils ne sont d'accord sur rien, n'arrivent à se rejoindre sur aucun des détails discutés. Des visions totalement différentes, des points de vue impossibles à rapprocher. Ils s'écoutent à tour de rôle avec force dénégation du bonnet, chacun souriant ironiquement au discours de l'autre qui apparait érroné au plus haut point.

Deuxième Manzanilla.

Fait péter la tournée jesus. Ca marche. Car on n'en est pas moins urbain pour autant et l'on se disputerait presque aussi pour payer plus souvent quà son tour la tournée, comme si cela revêtait le moyen de prouver à l'autre la véracité de l'argutie. Comme la ponctuation du coup de gong marquant la fin d'un round juste après une prise de points acquise par uppercut perfide. Mais l'ami est tombé sur un coriace : les arguments s'enchaînent, logiques et étayés et le gosier encaisse aussi sans broncher les verres de tord-boyau andalou.

Troisième Manzanilla.

C'est la guerre France-Espagne. Oui, on a peut-être omis de signaler que l'ami est français et le type rencontré, ibère. C'est dire qu'il a sa fierté congénitale et qu'il n'entend pas vraiment se faire expliquer sa fiesta brava nationale par le complexe de supériorité français. Un complexe imbibé qui plus est. Remettez-nous ça, Jesus. Ca marche. Bien servi. Esso es.

Kâbrièmeuh Panztamya.

L'ami français est en difficulté : KO debout. Déjà qu'il possède évidemment moins bien la langue de Cerveza, enfin Cer... quichotte là, qui a écrit Sancho Garcia ou Sergent Panza on ne sait plus, ce qui nuit à l'éclairage de son désormais liquéfié postulat, il se rend compte que l'autre aficionado est vachement fortiche en corrida. A la fin, n'y tenant plus, à court d'arguments, il tente le tout pour le tout, l'argument assommant :

- Putain, mais t'étais où, toi, pour avoir vu tout ça de travers, t'étais trop mal placé peut-être..., aux andanadas ?

- Moi ? entre les cornes coño ! j'étais le torero !

Et là, le type lui tend la main : Luis Francisco Espla, encantado !


Surgit de la nuit des temps de Paco Aguado.
Surgit de la nuit des temps, c'est de là que parait avoir surgi ce Luis Francisco Espla habillé comme dans une gravure de la Lidia, avec ses épaulettes larges, ses boutons de passementerie, ses favoris courbés et sa démarche désinvolte. Certains disent non sans un certain mépris, qu'il apprit à lire avec El Cossio, alors qu'en réalité il fit pratiquement ses premiers pas pour esquiver les charges d'une petite becerra, comme le montre un tendre film du NO-DO qui traîne encore par-là. C'est depuis lors que s'est déroulée la longue et lumineuse tauromachie de ce torero d'Alicante polyvalent, intelligent, agile et habile comme un sauteur crétois, maître et seigneur de la scène brûlante des arènes.
Il est possible que cette ancienne toreria formelle qu'il distille soit une philosophie à elle seule, que de cette maîtrise totale de la dialectique du terrain et de l'espace, base de la tauromachie du dix-neuvième siècle, surgisse ce concept qui nous fait rétrocéder dans le temps et dans lequel il se complait. Encyclopédique, connaisseur de l'intrahistoire du toreo et récupérant les suertes et les formes d'antan, Espla contribua clairement, par exemple, à la rénovation du tercio de banderilles en des années où il était quelque peu décadent. Star des cartels des spécialistes, il donna à la suerte des banderilles un sens plus spectaculaire, comme une fin en soi, l'intégrant à ce sens global de la lidia en tant que création continuelle. A la cape, il dépoussiéra aussi des scènes qui avaient été oubliées de longue date, du quite de la "mariposa" aux suertes à deux avec son frère Juan Antonio, même si cela occultait sa maîtrise lors de la lidia dans le premier tercio où il aimait à provoquer le toro, de manière un peu démagogique, comme un metteur en scène. Magicien authentique du quiebro et du toreo de jambes, il n'eut jamais par contre, un grand niveau artistique à l'heure d'utiliser la muleta. Peu profond, mais torero "ancien" dans le sens qu'il utilisait le leurre devenu aujourd'hui fondamental comme un simple instrument de préparation à la mort, instant pour lequel il ressortit des méthodes ancestrales, comme cette manière habituelle de citer "a recibir" à distance.
Précisément par ce manque de modernité à la muleta, qu'il cherche à dissimuler avec des ornements et cette montera anecdotique bien calée, est la preuve de son intelligence, celle qui lui a permis de se maintenir, avec l'étiquette de torero différent, autant d'années qu'il l'a voulu et a un rang plus que digne. Curieux et cultivé, peintre et écrivain, il a été capable de décider de la destinée de sa carrière en des temps de commercialisation, autant lorsqu'il a quitté l'affiche des banderilleros quand elle était exploitée à outrance par les empresas, que pour se réfugier dans les corridas dures en préservant sa rémunération : tel un objecteur de conscience qui aurait offert son aide à la Croix Rouge les jours de grande circulation sur les routes. "Ancien" aussi en cela, jusqu'au point de défendre les autres toreros au détriment de ses propres intérêts.
Je terminerai par la "déclaration de châtiment", sorte de doblone verbal, qu'il infligea aux jounalistes venus à sa sortie d'hopital pour couper court à l'interwiev désirée après qu'il fut très grièvement blessé à Céret, leur coupant les deux oreilles et la queue en quelques mots :
- Je ne suis pas du genre à éclabousser toute l'Espagne du sang de mes blessures.
Si c'est pas torero, ça !
Olé y Olé !

vendredi 5 juin 2009

La plus belle... La plus femme...

Non, rien… Sinon que lorsque je pense à ‘’la’’ femme, la femme en tant que statut presque extra-terrestre de ce que je ne suis pas, en tant que contraire, attirance, complément et fascination du masculin, objet du plus violent et constant des désirs, à la femme en tant que source où s’abreuver et lumière où s’exposer, cœur palpitant et fusionnel où s’irradier de douceur jusqu’à la contamination irréversible, quand je cherche cet être autonome et fragile icône de la féminité appréciée, je ne suis pas loin de penser que Romy Schneider l’incarne au mieux. Je suis toujours surpris et fasciné par la beauté de ce visage, son aptitude à prendre la lumière et à en dispenser. Aussi, le même coup de cœur m’a étreint quand j’ai aperçu cette photographie inconnue et vu que le printemps et la testostérone n’ont fait qu’un bond pour se combiner, je tenais à vous en faire part car il n’y a pas que les toros dans la vie n’est-ce pas ? Il y a… la photographie aussi !
NB : Tout commentaire qui ne serait pas élogieux à l’endroit de Romy Schneider ou de cette photographie sera purement, simplement et quasi-arbitrairement censuré. Même si je préfère les brunes. Toute personne lui ressemblant comme deux gouttes d’eau est priée de se faire connaître : shooting photo en vue…
Photo agence Gamma

Rafaelillo n'est pas grand...



Elle ne passe pas loin, la corne... Vous la voyez ? Yakakliké. Moi ça suffirait à m'expatrier au Swaziland pour élever des Autruches. Lui, ma foi, ça ne l'émeut pas plus que ça : il se libère d'un écart avec pecho salvateur, se retourne et se croise à nouveau. Ce n'est pas si fréquent, vous savez ? Une oreille pour sa première corrida vicoise où il est arrivé à lier des séries à un Escolar Gil de plus de noblesse que ses frères. Du coup, le KiriKou des ruedos sera répété dans le week-end où il récidivera itou pour être finalement élu triomphateur de cette feria 2009. Deux oreilles de poids. Du lourd pas prédécoupé. Rafaelillo n'est pas grand mais il est vaillant. Désolé pour mes références.

Question de style : Sergio Aguilar











jeudi 4 juin 2009

"Le Frère de Perez" d'Antoine Martin

Votre recherche fébrile et sagace l'avait déjà dénichée sur le net ? Oui mais j'ai un métier moi, je ne suis pas toujours disponible et rapide et comme je suis poli, j'ai attendu l'autorisation officielle. Mais je subodore que certains l'attendaient ici, non ? Aqui te espero... Donc je vous la refile vite fait entre une rééducation proprioceptive de la tibio-tarsienne et un pétrissage de latissimus dorsi contournant un pytiriasis versicolor fur-fur. Profitez, pendant que j'y retourne.

Laureat 2009 du PRIX HEMINGWAY


Me llamo Jaime Pérez Pérez, tengo dos
cabras y un hermano guardia civil.
De la tradition orale

Premier pastis

Il y a, dans le voisinage des arènes du Puerto de Santa María, un café qui s’appelle « Aqui Te Espero ». Le bar au comptoir duquel le frère de Pérez se tenait ne s’appelait pas comme ça, dommage. Le bar au comptoir duquel le frère de Pérez se tenait s’appelait autrement, mais il se trouvait aussi à proximité des arènes. Pas celles du Puerto, celles d’un autre endroit. C’était déjà ça. Là, il venait juste d’articuler une phrase qu’il avait peut-être déjà prononcée des milliers de fois :
- Enfin, c’est pas grave, ça sera pour une autre fois. Bon, je vais pisser un coup.
Si la patience est une vertu, le frère de Pérez aurait pu légitimement prétendre au rang de la sainteté. Mettons là, il allait pisser. Après, il se laverait les mains, même avec du savon liquide, s’il y en restait dans le distributeur, il n’était pas le dernier pour l’hygiène non plus. Bon, comme presque tout le monde, mais lui, il serait capable d’attendre sous le sèche-mains électrique que l’air chaud eût avalé jusqu’au dernier atome d’humidité sur le bout de ses doigts. Ce qui, on le reconnaîtra, est humainement à peu près impossible. Beaucoup trop long. N’importe qui de normalement constitué, vous et moi, on finit toujours de s’essuyer sur les jambes du pantalon ou sur les basques de la veste. Mais le frère de Pérez, lui, il avait une patience à l’épreuve des bombes.
Il avait aussi, qui est une qualité presque corollaire à la première, de la suite dans les idées. Ce n’était pas une petite miction vite fait qui allait lui faire perdre le fil.
- Comme je disais, c’est pas grave, ça se représentera. Des fois, ça peut se présenter quand tu t’y attends même pas.
Le bar au comptoir duquel le frère de Pérez attendait, chaque jour de sa vie, ne s’appelait pas « Aqui Te Espero ». Il s’appelait autrement, dommage pour la littérature. Il s’appelait, disons, le « Café des Arènes », ce qui, bien regardé, n’est pas une mauvaise raison sociale non plus.
- En plus, ça tombe trop pas mal, j’ai plein d’autres trucs en train. Pas plus tard qu’hier, on m’a proposé de faire le taureau pour un jeune qui commence. Tous les matins, sauf le dimanche, presque un poste fixe. J’ai pas dit oui, mais j’ai pas dit non. Et comme j’ai pas dit non, c’est comme si j’avais dit oui, non ?
Le frère de Pérez avait une assez bonne réputation de taureau. Et puis, on savait presque toujours où le trouver. C’était commode. Si on avait besoin d’un taureau pour l’entraînement, comme ça, au pied levé, on allait au Café des Arènes.
- Dis, tu nous ferais pas le taureau une paire d’heures, on a une roue du carretón qui s’est pétée.
S’il n’avait pas mieux à faire, le frère de Pérez ne disait pas non. Il avait rarement mieux à faire.
- Moi, ce que les gens apprécient, c’est que je fais le taureau nature. Pas besoin de la charrette ni rien. T’as déjà vu un taureau pousser une brouette dans une corrida ? Bon. Alors moi, c’est pareil, je fais le taureau nature, sauf que moi, après je peux aller boire un coup avec le torero.
Le frère de Pérez ne se faisait pas payer pour faire le taureau, mais si on lui offrait le verre de l’amitié après, il ne disait pas non. Il disait rarement non à quoi que ce soit. Il y avait une chose, en revanche, qu’il répétait souvent :
- C’est pas grave, ça sera pour une autre fois. Remets-moi ça, Jacky.
- Ça marche.

Deuxième pastis

Les gens n’étaient pas unanimes sur les aptitudes physiques et mentales du frère de Pérez. Personne ne contestait sa disponibilité, bien sûr, ni sa bonne volonté, encore moins sa presque angélique patience (qui l’aurait osé ?), mais, pour le reste, les avis était partagés. Certains discutaient parfois, jamais en sa présence, la rectitude de sa charge et l’équilibre de sa raison.
- Réfléchis une chose, faire le taureau nature, ça t’entraîne vachement pour toréer à la naturelle. C’est pour ça que je dis jamais non quand on me demande. L’important, c’est de rester dans l’ambiance et de bien se préparer pour quand ça arrivera. Parce que ça peut arriver n’importe quand, même pendant que tu es en train de faire le taureau pour un jeune qui commence. Réfléchis, toi tu t’y attends pas, tu es en train de faire le taureau pour un jeune qui commence et tu as un directeur d’arène qui passe par là, ou un apoderado un peu fort, ou le président d’un gros club taurin. Il te voit et il se dit : un type qui fait le taureau comme ça, ça doit être un morceau de torero. Et il te fait entrer dans une feria. Après, c’est à toi de faire ce qu’il faut devant le taureau, de montrer que tu es là. C’est pour ça qu’il faut être préparé pour quand ça arrivera.
Il paraît que le grand Joselito a dit un jour : « Celui qui n’a pas vu une corrida au Puerto de Santa María ne sait pas ce qu’est un après-midi de taureaux ». C’était le contraire pour les arènes proches du bar au comptoir duquel le frère de Pérez se tenait : on pouvait se faire une idée tout à fait précise de ce qu’est un après-midi de taureaux sans y avoir jamais mis les pieds. Mais si on était curieux de cette étrangeté qu’on appelle parfois tauromachie de salon, on pouvait trouver moyen d’y apprendre deux ou trois bricoles, chaque matin (sauf le dimanche). Par exemple comment faire le taureau au naturel, sans aucun artifice, sans carretón, sans même une paire de cornes factices, rien, juste avec les bras écartés et le corps plié en avant. Juste ça et un survêtement gris à parements lilas.
- Ce que je dis, c’est que c’est l’afición qui compte. Si tu as l’afición, y a pas de honte à faire le taureau. Au contraire. Si tu réfléchis, combien tu en as, des matadors de première qui on commencé en faisant le taureau ? Fais le compte. Sûrement un bon paquet, non ? Faut bien commencer par un bout.
Pour la question du verbe avoir, le frère de Pérez avait chez lui une femme légitime et une petite flopée de gosses à qui il portait un intérêt plutôt lointain, il avait un téléphone portable qui sonnait l’air du paso-doble Suspiros de España, une Peugeot 504 break, une vieille muleta de fabrication maison et une cape. La cape n’était pas toute neuve non plus, mais elle avait appartenu à un torero qui avait même défilé un jour dans les arènes du Puerto de Santa María. Ce qui donnait au frère de Pérez un motif supplémentaire de ne pas désespérer. Tout pouvait arriver, il suffisait d’attendre, rester dans l’ambiance et se tenir préparé. Et tant qu’on ne lui avait pas démontré a plus b que tout ne pouvait pas arriver, le frère de Pérez ne voyait pas pourquoi il aurait eu à désespérer, malgré les ajournements perpétuels et les faux bonds en cascades.
- Là, on m’avait parlé pour une course, pas un gros gros truc, une capéa dans un bled, mais on sait jamais, si un apoderado un peu fort passe par là. Finalement, on vient de m’appeler, ça va pas se faire. Une histoire avec les vétérinaires qui font des embrouilles avec le bétail ou je sais pas quoi…
Ce que le frère de Pérez n’avait pas, c’était un emploi fixe. D’ailleurs, il n’avait pas le temps, ni l’esprit à prendre un emploi fixe. Un emploi fixe, ça risquait de le sortir de l’ambiance. Pour les contingences du quotidien, il y avait les prestations sociales. Et puis, il grattait par ci par là dans ce qui se présentait, jamais longtemps, un peu dans le bétépé, un peu dans l’agricole, et lâchait aussitôt qu’on lui proposait de faire le taureau pour un jeune qui commençait. Pour pas un rond, juste le verre de l’amitié. Ce que le frère de Pérez n’avait pas non plus, c’était un sens énorme de la tempérance. Et pas une once de bon sens.
- Enfin, c’est pas grave, ça sera pour une autre fois. Remets-moi ça, Jacky.
- Ça marche.

Troisième pastis

Si on voulait contacter le frère de Pérez, on savait comment faire. Le plus simple, c’était d’aller le trouver au comptoir du bar qui, en littérature bien administrée, aurait dû s’appeler « Aqui Te Espero ». Mais s’il n’y était pas, s’il était pris ailleurs, à des affaires de tauromachie de salon dans les arènes voisines ou à se faire un peu de black sur un chantier quelconque, on pouvait le joindre sur son portable. Pas toujours, cependant. Quand il était occupé à faire le taureau, le frère de Pérez ne répondait pas, personne n’a jamais vu un taureau prendre un correspondant en ligne pendant une corrida, mais on pouvait laisser un message. Quand il rallumait son téléphone, il avait toujours un petit frisson. On ne savait jamais, si un apoderado un peu fort avait appelé pour lui proposer de le faire entrer dans une feria. Le portable, c’était le fil au bout duquel pendaient les chimères du frère de Pérez.
- Le problème, c’est que je fais pas les banderilles. Si je faisais les banderilles, peut-être je serais déjà en haut. Une fois, un directeur d’arène voulait me faire entrer dans sa feria. On lui avait parlé de moi. Il m’appelle, il me dit : si tu veux, je te fais entrer dans ma feria, pas un gros gros truc, une non piquée en matinale avec du bétail d’ici, mais on verra ce que tu vaux. Pas de problème, je dis. Après, il me dit : tu fais les banderilles ? Non, je dis, je fais pas les banderilles. Et je suis pas entré dans cette feria. Sûrement, je devrais faire les banderilles, ça leur plait, aux gens, quand on met les banderilles. Mais je sais pas, je le sens pas.
Le frère de Pérez, ça se comprend, ne voulait pas non plus entendre parler des banderilles quand il faisait le taureau. Ceux qui voulaient s’entraîner à la pose des harpons devaient s’arranger sans lui, se débrouiller avec la charrette équipée d’une planche d’aggloméré de sept à la place du garrot et un collègue pour la pousser. Le frère de Pérez, lui, jamais il ne poussait la charrette. Il faisait ça à l’ancienne, en payant cash de sa personne et sans roue de vélo. Il pensait que c’était un accessoire inutile, la charrette, une superfétatoire commodité. C’était d’ailleurs à peu près la même chose qu’il pensait des banderilles, un expédient pour obtenir des applaudissements à bon compte, une fioriture sans vraie valeur tauromachique, une vaine futilité.
- Ce qu’il faut pas oublier, c’est que c’est un combat. Tu te joues la vie, là-dedans. C’est pour ça, le taureau, faut que tu le respectes. Que tu le respectes et que tu t’en méfie. Sinon, il a vite fait de te renvoyer d’où tu viens. Et essaie pas de la lui faire en biais, parce qu’il les aura toujours plus grosses que toi, le taureau. Une fois, j’ai failli en toucher un, un vrai tío, celui-là, si je l’avais touché, bon, je l’aurais respecté, d’accord, mais si je l’avais touché, ils auraient vu. C’était juste le taureau comme il me faudrait pour que ça démarre. Après, ça a pas pu se faire, ils m’ont pas laisser entrer en piste, une merde avec le syndicat parce que j’avais pas la carte où je sais pas quoi.
Quand il parlait de tauromachie, et il traitait rarement d’un autre sujet, le frère de Pérez pouvait parfois rappeler ces mystiques qui, inspirés par le Paraclet, deviennent capables d’émettre à jet continu un galimatias à eux seuls compréhensible. Sauf que son Paraclet à lui dégageait une forte odeur d’anis.
- Enfin, c’est pas grave, ça sera pour une autre fois. Remets-moi ça, Jacky.
- Ça roule.
(Jacky, le patron du Café des Arènes, s’amusait parfois à prendre la clientèle un peu à contrepied.)

Quatrième pastis

Si le frère de Pérez avait une assez bonne réputation de taureau, sa cote pour un certain nombre d’autres activités n’était pas mauvaise non plus. Selon les besoins, il pouvait aussi bien être requis comme colleur d’affiches de corridas économiques, tourneur de méchoui pour les fêtes de clubs taurins, porteur en triomphe éventuel dans les spectacles de seconde classe ou même adjoint à l’aide du valet d’épées d’un jeune qui commençait. Il ne s’en rendait pas compte, bien sûr, mais il agissait comme un cheval de Troie à l’envers. C’était ce qu’il disait toujours, l’important était de rester dans l’ambiance.
- C’est ce que je dis toujours, l’important, c’est de rester dans l’ambiance, de te montrer, de te faire connaître et d’être prêt pour quand ça arrivera.
Le frère de Pérez avait ça de commun avec, mettons comme exemples de persévérance, Bernard Palissy, Vincent Van Gogh ou Mohandas Gandhi, la patience, l’obstination, certains diraient l’entêtement, une certaine forme de résistance vaguement passive face à l’adversité. Et la croyance dure comme le fer de la jambière d’un picador que ça finirait par arriver.
- C’est obligé que ça arrive. Quand tu as l’afición, si tu as quelque chose entre les jambes et que tu respectes le taureau, ça peut pas faire autrement qu’arriver. Et toi, tout ce qui te reste à faire, c’est d’être là au bon moment. Et toujours prêt, toujours bien entraîné.
Pour l’entraînement, bien sûr, il avait quelques lacunes. Ce qu’il aurait été obligé de reconnaître, s’il avait été capable d’examiner les faits d’un œil moyennement objectif. Comme taureau, pas de discussion, il était plus et mieux entraîné que quiconque. Mais pour l’inverse, il avait comme un peu de retard. Oui, pour ce qui était de toréer un novillo, une vache ou même un veau, ça ne s’était pas présenté, jusqu’alors. Des centaines de fois il avait été sur le point. Et au dernier moment, il y avait quelque chose qui merdait à chaque coup. Il se trouvait toujours, sur la route du frère de Pérez, des vétérinaires, des syndicats ou Dieu sait quoi pour faire capoter le truc au dernier moment. Il s’en conformait, en se disant que ce serait pour une prochaine fois. Le frère de Pérez était comme un conquistador immobile, et longuement malchanceux, pour qui l’avenir était toujours derrière la montagne suivante.
Comme taureau, pas de problème, il ne manquait jamais d’amateurs pour se frotter à lui, contre le prix du verre de l’amitié ou non, le frère de Pérez n’obligeait personne, c’était à la discrétion, à la bonne volonté de chacun. Mais pour l’inverse, pour la réciproque, on veut dire, il n’y avait pas un, parmi les toreros aspirants qu’il fréquentait, pour accepter de charger dans sa muleta. Même pas avec le carretón (qui était, selon le frère de Pérez, le pauvre succédané des taureaux pusillanimes). Peut-être pensaient-ils qu’il y avait un risque de déchoir, à faire le taureau pour un type qui était quasiment devenu illustre, dans la spécialité. Ou alors ils avaient peur de lui, peur qu’à la fin d’une série, il leur plante pour de bon l’épée dans le dos. Le fait qu’il ne possédât pas d’épée était un détail très secondaire. Ils disaient entre eux, jamais en sa présence :
- Le frère de Pérez, il est beaucoup trop toréé pour faire un torero comme il faut. Il a pas d’art ni rien. Et puis, avec tout le pastis qu’il s’envoie, tu sais jamais comment il peut réagir. Aussi bien, au dernier moment, il te met une estocade avec une banderille ou le bâton de la muleta, tu vois.
Le frère de Pérez avait fini par s’en faire une raison. Comme torero, il s’arrangeait à s’entraîner tout seul, à embarquer des taureaux imaginaires dans des passes qu’il s’efforçait de faire durer en lenteur. Parfois, il y parvenait sans trop de rugosité. Alors, il se votait un olé pour lui seul, un olé, dirait-on, à usage interne. Il ne doutait pas que, quand le moment serait enfin venu de combattre un véritable adversaire, un vrai taureau en viande et en os, celui-ci chargerait avec autant de constance que la brise du soir ou le vent qu’il avait lui-même dans les voiles. Car, à vue d’œil, c’est vrai, le frère de Pérez pouvait contenir plus de pastis que n’importe qui d’autre au monde. Sans préjudice des autres alcools qu’on voulait bien lui payer. Et si on ne voulait ou ne pouvait pas, il n’en faisait pas une jaunisse. Il avait l’habitude, une habitude presque atroce, de se débrouiller tout seul.
- C’est pas grave, ça sera pour une autre fois. Remets-moi ça, Jacky. Sur mon compte.
- Ça marche.

Cinquième et autres pastis

À mi-chemin entre les arènes du Puerto de Santa María et le café nommé « Aqui Te Espero », on ne sait quelle peña de thanatopracteurs a fait ériger une statue du défunt, tragiquement défunt matador Paquirri, mort par corne de taureau à Pozoblanco, en train de réaliser la passe dite larga afarolada de rodillas, selon toute vraisemblance a porta gayola, puisqu’il faut bien donner un nom à chaque chose, et avec toute la précision possible, aux débits de boissons comme aux passes de capes, aux types qui font le taureau au naturel comme, paraît-il, aux taureaux. Si on ne donne pas un nom à chaque chose, et avec toute la précision possible, on finit pas s’emmêler les pinceaux. Forcément.
Entre les arènes et le bar au comptoir duquel se tient le frère de Pérez, il n’y a de statue de personne. Il y a une petite esplanade, ça oui, un chétif alignement de platanes, peut-être un rectangle de poussière plus ou moins spontané pour jouer aux boules, mais aucun groupe sculptural. Il faut dire aussi que personne n’est jamais mort dans ces arènes (dans celles du Puerto de Santa María, on ne sait pas, on suppose que si), personne, en tout cas, par corne de taureau. Il y a bien eu, une fois, un vieux mort de crise cardiaque. Ça ne vaut pas une statue, même pour le plus vil des thanatopracteurs. Le frère de Pérez n’en est pas encore à espérer d’avoir, le moment venu, sa statue devant ces arènes, pas très loin du bar au comptoir duquel il se tient. Pour l’instant, il n’y pense pas. Il sait que la route sera longue, depuis le jogging taupe à garnitures parme jusqu’à l’habit de lumières céleste et or.
- Ça se fera pas demain, je le sais bien. Tout ce que je demande, c’est qu’on me donne ma chance. Après, à moi de faire mon chemin.
Quant à la statue, si parfois, confusément, il y pense, il n’est pas pressé d’y arriver. Quand tu as ta statue devant les arènes, c’est presque toujours mauvais tabac, c’est que tu as commencé à bouffer les pissenlits par la racine (avec quoi, si on les distille, on peut produire une liqueur qui n’est pas loin de rappeler l’absinthe, en plus fort), que les vers t’ont déjà mis la dent dessus. Non, le frère de Pérez n’est pas pressé d’arriver à ça. Il n’est pressé de rien, il attend. Il attend. Et, en attendant, il fait le taureau pour les autres, le torero pour lui seul, il fait l’apéro pour tromper l’attente et un chantier par-ci par-là, parce qu’il faut bien bouffer.
Le frère de Pérez n’est plus très jeune. Si on veut être franc, on dira qu’il a même passé de bien loin l’âge des grandes espérances. Raisonnablement parlant, ses chances de devenir jamais une vedette de la tauromachie sont infimes. Non moins infimes sont celles de trouver tous les bons numéros du loto. Ça ne l’empêche pas de jouer, quand il a trois ronds d’avance. Un jour ou l’autre, il faudra bien que ça tombe. D’un côté ou de l’autre. Le tout, c’est d’attendre et de se tenir prêt.
On n’est pas devin, mais il est une chose qu’on peut affirmer : à force d’attendre, le frère de Pérez finira par y rester. Ce qu’on ne sait pas avec toute certitude, quoiqu’on ait sa petite idée, c’est si ça sera d’un coup de corne ou d’un cancer du foie. Ce jour-là, au lendemain duquel, selon toute probabilité, aucun thanatopracteur ne proposera de faire tailler une statue en son honneur, on aura une suggestion à faire à Jacky, le patron du Café des Arènes. Ce jour-là, où le frère de Pérez aura fini d’attendre au comptoir, où il commencera à attendre dans la sépulture jusqu’à l’extinction des siècles, on proposera à Jacky, le patron du Café des Arènes, de rebaptiser son établissement « Aqui Te Espero », en mémoire du plus assidu, du plus stable de ses clients. On n’est pas sûr qu’il acceptera.
- C’est pas grave, ça sera pour une autre fois. Remets-nous ça, Jacky.
- Ça marche.

mercredi 3 juin 2009

Pour Oublier le Monopicotazo : CAMARITO

Dans cette série s'exprime toute la puissance de CAMARITO. La formidable poussée des pattes postérieures conjointe à la contraction des muscles du cou pour décoller du sol les quatre sabots du cheval, la violence de l'impact qui décale le piquero lors d'un coup de tête rechargé, l'impressionnante compression subie par le cheval qui de citadelle imprenable passe à chiffonnade informe. Une telle puissance qu'il en ressort d'ailleurs vierge de la moindre piqûre ! J'ai lu quelque part que ce toro était trop gros... Ne pas confondre obésité avec densité musculaire ! Quoi la tâche grise dans le coin inférieur droit ? Ben oui, la chevelure de la voisine de devant qui se redresse d'effroi pour mieux voir : tout le monde n'a pas accés au callejon. On remarquera aussi les deux bras levés du toujours trop zélé Bonijol qui tente depuis celui-ci de retenir l'ascension de son cheval. C'est pas du jeu, attention...! C'est dans le rond que l'on combat. Quatre piques pour ce toro, dont une première qui en valait deux et une dernière en matériel de tienta. Je reste persuadé qu'il aurait pu en prendre d'autres sans se décomposer. Il faut dire que cette année, entre la piste et la présidence c'était compliqué : on a vu la veille un piquero s'en aller sur ordre du torero sans que la présidence l'ait ordonné et aussi pour compléter le tableau de l'autorité une pique supplémentaire sciemment donnée alors que les clarines avaient signifié l'arrêt des hostilités piquantes ! Alguacillilo invisible...