mardi 6 mars 2012

Marronnier Photographique

L’expression est ici particulièrement adaptée au travers de sens divers, autant journalistique, du sujet récurrent, que populaire quand le langage se mêle de traumatologie pour évoquer la tuméfaction de l’œil.



Petits, nous nous donnions parfois rendez-vous entre ''ennemis'' plus ou moins jurés, aux Jardins de la Fontaine, que d’aucuns pensaient être un havre de paix pour jeux innocents de chérubins blondinets ou d’amoureux bécoteurs transis. Tandis que de mignons chevaux à pédales divertissaient gentiment les enfants de bonne famille, ces jardins s’avéraient parfois très bien nommés en raison des pleurs déclenchés par les batailles rangées de tirs nourris, de munitions lâchées par les arbres de haute tige : des marrons qui jonchaient le sol en abondance. Jamais nous ne fûmes à court de munitions : plus on s’en ''escampait'' dans la trombine plus on en trouvait dans les allées ou sur la pelouse des massifs… C’était comme les barillets des colts de Clint Eastwood dans ses westerns spaghettis : il ne rechargeait jamais, mais jamais les balles ne lui manquaient. On écrasait les coques vertes hérissées de piquants d’un coup de talon, avant de sortir les beaux marrons luisants avec chaque fois la même satisfaction que lorsque sur les rives d’un lac étale on trouve enfin le galet plat et lisse renfermant les promesses de ricochets défiant la gravité. Sauf que là, c’était sur les caboches de ''l’ennemi'' qu’on rêvait de les faire rebondir. J’étais malheureusement assez adroit. Quand une cible était atteinte et que son œil tuméfié réapparaissait dans la cour de récré, on disait qu’il avait un ''marron''. Ce n’était pas forcément infâmant comme statut, car si l’on avait été touché et donc vaincu, cela prouvait aussi qu’on en était, de ces combattants qui prenaient des risques.

Alors, après cette brillantissime introduction (mais non, lecteur consterné, je me fous de ma propre gueule, capito ? t’es nouveau ici ou quoi ?) et dans l’optique de vous avertir, lecteurs aficionados assez abandonnés en ce moment, que la trombine marronisée de Padilla, va être un obligatoire balisage photographique de la saison 2012. On va en souper de l’œil-crevé-du-borgne-à-moitié-aveugle-qui-n’en-a-plus-qu’un… Déjà que ''Captain la flibuste'' avec ses rouflaquettes du XVIIIe était un pupille de la nation photographique abondamment reproduit, là, j’ai peur de l’indigestion. En tout cas, pour nous autres aficionados barbares et dégénérés qu’on fait rien qu’à être vilain dès qu’on voit du sang couler d’un gentil nanimo, car pour le quidam qui le découvrirait, il faut reconnaître que le vécu du type commence à lui conférer une sacrée tronche qui en fait vraiment une gueule à portrait archétypale - c’est un mot qui fait toujours bien - de combattant de la gent bovine. Et nous voilà tous devenus en conscience, interrogés par cet œil d’une question borgne sur ses exhibitions gratuites – sur le plan philosophique, hé ho ! - tous poursuivis comme Caïn par le voyeurisme ordinaire motivé par une prunelle fantôme. La diplopie guette les arènes : viendra-t-on voir les faenas de Padilla ou comment un handicapé trouve les ressources de se surpasser encore et toujours dans l’adversité pour nous faire croire à l’humain ? T’as vu, lecteur ? C’est là où je voulais en venir et je suis puéril si je veux. Et comme je conçois volontiers que du Delon tout seul ne suffise point à nourrir l’extrême avidité de vos cerveaux en demande permanente et aux neurones gloutons de culture, je vous remets un classique que vous apprîtes fatalement au bahut, de mon copain Victor, qui en l’occurrence m’a titillé l’inspiration de ce post, Ô lecteur matinal voire pluriquotidien compulsif. A moins que ce soit une autre moins existentielle question d’une grande myopie intellectuelle : le cyclone de Jerez a-t-il encore son œil ? Eh non, vous n’avez pas la bévue : je n’ai pas pu m’en empêcher. Vous êtes marron.











La conscience



Lorsque avec ses enfants vêtus de peaux de bêtes,
Echevelé, livide au milieu des tempêtes,
Caïn se fut enfui de devant Jéhovah,
Comme le soir tombait, l'homme sombre arriva
Au bas d'une montagne en une grande plaine ;
Sa femme fatiguée et ses fils hors d'haleine
Lui dirent : « Couchons-nous sur la terre, et dormons. »
Caïn, ne dormant pas, songeait au pied des monts.
Ayant levé la tête, au fond des cieux funèbres,
Il vit un oeil, tout grand ouvert dans les ténèbres,
Et qui le regardait dans l'ombre fixement.
« Je suis trop près », dit-il avec un tremblement.
Il réveilla ses fils dormant, sa femme lasse,
Et se remit à fuir sinistre dans l'espace.
Il marcha trente jours, il marcha trente nuits.
Il allait, muet, pâle et frémissant aux bruits,
Furtif, sans regarder derrière lui, sans trêve,
Sans repos, sans sommeil; il atteignit la grève
Des mers dans le pays qui fut depuis Assur.
« Arrêtons-nous, dit-il, car cet asile est sûr.
Restons-y. Nous avons du monde atteint les bornes. »
Et, comme il s'asseyait, il vit dans les cieux mornes
L'oeil à la même place au fond de l'horizon.
Alors il tressaillit en proie au noir frisson.
« Cachez-moi ! » cria-t-il; et, le doigt sur la bouche,
Tous ses fils regardaient trembler l'aïeul farouche.
Caïn dit à Jabel, père de ceux qui vont
Sous des tentes de poil dans le désert profond :
« Etends de ce côté la toile de la tente. »
Et l'on développa la muraille flottante ;
Et, quand on l'eut fixée avec des poids de plomb :
« Vous ne voyez plus rien ? » dit Tsilla, l'enfant blond,
La fille de ses Fils, douce comme l'aurore ;
Et Caïn répondit : « je vois cet oeil encore ! »
Jubal, père de ceux qui passent dans les bourgs
Soufflant dans des clairons et frappant des tambours,
Cria : « je saurai bien construire une barrière. »
Il fit un mur de bronze et mit Caïn derrière.
Et Caïn dit « Cet oeil me regarde toujours! »
Hénoch dit : « Il faut faire une enceinte de tours
Si terrible, que rien ne puisse approcher d'elle.
Bâtissons une ville avec sa citadelle,
Bâtissons une ville, et nous la fermerons. »
Alors Tubalcaïn, père des forgerons,
Construisit une ville énorme et surhumaine.
Pendant qu'il travaillait, ses frères, dans la plaine,
Chassaient les fils d'Enos et les enfants de Seth ;
Et l'on crevait les yeux à quiconque passait ;
Et, le soir, on lançait des flèches aux étoiles.
Le granit remplaça la tente aux murs de toiles,
On lia chaque bloc avec des noeuds de fer,
Et la ville semblait une ville d'enfer ;
L'ombre des tours faisait la nuit dans les campagnes ;
Ils donnèrent aux murs l'épaisseur des montagnes ;
Sur la porte on grava : « Défense à Dieu d'entrer. »
Quand ils eurent fini de clore et de murer,
On mit l'aïeul au centre en une tour de pierre ;
Et lui restait lugubre et hagard. « Ô mon père !
L'oeil a-t-il disparu ? » dit en tremblant Tsilla.
Et Caïn répondit : " Non, il est toujours là. »
Alors il dit: « je veux habiter sous la terre
Comme dans son sépulcre un homme solitaire ;
Rien ne me verra plus, je ne verrai plus rien. »
On fit donc une fosse, et Caïn dit « C'est bien ! »
Puis il descendit seul sous cette voûte sombre.
Quand il se fut assis sur sa chaise dans l'ombre
Et qu'on eut sur son front fermé le souterrain,
L'oeil était dans la tombe et regardait Caïn.

23 commentaires:

Marc Delon a dit…

Padilla mettant sa montera, padilla répondant au micro, padilla faisant un derechazo, padilla faisant une naturelle, padilla porté en triomphe, padilla signant un autographe...
photos "chouravables" sur le net...

Ludovic Pautier a dit…

tu aurais pu accoler "Hugo Victor" à tes libellés sous le post ou encore "la légende des siècles".Comme ça entre les beaux vers de JP et les immémorielles stances du barde national tu pourrais t'attirer une clientèle férue d'alexandrins non négligeable. aucun sens du commerce pour un libéral bon teint.
pas mal le quartier où tu bosses.
http://www.youtube.com/watch?v=3PZ_oxJ3KN8
on dirait le mien.

abrazo,
ludo.

Anonyme a dit…

A propos du texte de Marc et de la tête de Padilla, on réalise qu'On ne dit plus, « lui donner un marron », et on assiste à une bataille qui aurait plu à Doisneau dans le beau Jardin de la Fontaine. Après il reste à imaginer des batailles de mères quand leurs enfants rentraient avec "un cocard"...puis la Conscience qui allait torturer les coupables.
Gina

Marc Delon a dit…

C pour ça qu'on m'aime : pour un libéral raciste je me conduis pas mal...
Bon, j'y vais alors...

Maja Lola a dit…

Dis-moi, Thierry la Fronde de la Fontaine, quel rapport entre la conscience à laquelle nul n'échappe qui est l'auto-regard sur soi-même (pléonasme ... ?)et notre propre jugement de nos actes et le voyeurisme de l'autre, regard obscène et scrutateur obsédant extérieur qui ne s'arrête qu'à l'image ?

Marc Delon a dit…

L'oeil ! Bécassine du temple de Diane...! J'ten fais un clin, d'ailleurs... LOL comme disent les Djeun's

Anonyme a dit…

Ouh putain trop d'la balle le Victor, c'est un rappeur ou quoi ? quel quartier ? L'a d'jà fé d'la tune ou koa ? Dizy vazy k'j'le convie a mon battle de hip-hop samedi si ça lui dit

Maja Lola a dit…

Fallait y penser, Max la Menace de la Tourmagne ... tout ce chapitre-marronnier d'enfance et le poème de Victor pour ne faire qu'une démonstration autour de ... l'oeil ?

Bel exercice de style .... si tu passais à présent au ...... pied ?

Marc Delon a dit…

le roman de Georges Bataille, "Histoire de l'oeil" ne décrit-il pas la perversité naissante des adolescents ? Tandis que plus tard Anne Malaprade écrivit "l'oeil bande" autour de ça ? On est donc trés proche du pied Héliane de l'épithélium du Castellum... quitte tes Louboutin à semelles rouges et va te chécou maintenant !

Anonyme a dit…

L'anonyme-rappeur qui bouscule mots, rythmes et sons, n'aurait pas déplu à Hugo qui savait bien scander la langue et abandonner l'alexandrin. Il nous a bien écrit Les Djinns, n'est-ce pas, Ludo !

Murs, ville
Et port,
Asile
De mort,
Mer grise
Où brise
La brise
Tout dort.
........


On doute
La nuit...
J'écoute: -
Tout fuit,
Tout passe;
L'espace
Efface
Le bruit. (Hugo)








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Dernière mise à jour : Tue Jun 27 10:32:19 CEST 2006

bien écrit Les Djinns.

Maja Lola a dit…

Houlààààà ... Josh Randall de la Placette. Rengaine ta Winchester.

Bonne démo sur le lien entre l'oeil et le pied. Et tout ça en quatre lignes !

Un conseil d'amie : est-ce bien raisonnable de fantasmer sur des Louboutin à 01:04 ... Mmmmm ?
Camomille ou tilleul, tu trouveras tout ça chez l'herboriste derrière St-Paul ...

Marc Delon a dit…

Josh Randall de la Placette ! je prends, à partir de hoy c'est mon surnom officiel ! Il avait un calibre redoutable et si long qu'il devait le ligoter sur la jambe un peu comme... bon enfin... j'avais le m^me en plastoc qui lançait des fléchettes... les chats du quartier s'en souviendraient... Joséphine de la roubine...

pourquoi, c'est interdit la nuit, de fantasmer ?

Maja Lola a dit…

Hola Ludo !

Tu crois que le Josh Randall de la Placette (je m'entraîne ...) a des visées aussi stratégiques ?

Après tout on peut aussi bien aimer Mozart et Chet Baker, la Zarzuela et Ojos de Brujo ou Amparanoia, Brassens et Julien Clerc, Vinicius de Moraes et Vivaldi .... Idem pour la poésie : tout est question de lieu, de moment, d'état d'esprit et sensibilité au moment de la lecture.

Tiens, je viens d'acheter "Moi, je suis le vent" ... comme support après écoute ...

el Chulo a dit…

sauf le poème qui de mon point de vue n'a rien à voir, je suis très géné par ce battage sur padilla, que de plus j'ai toujours détesté comme torero.
je veux dire, que même si je compatis, pour son oeil et son affreuse blessure, l'exploitation qui en est faite ma dégoûte.
mais on a les héros qu'on peut!

Pedroplan a dit…

A vue d'oeil, il a quand même le mauvais oeil (le tout est que celui qu'il ouvre soit le bon)...

Marc Delon a dit…

Hola Chulo, un poème qui ''n'a rien à voir'' et allez... y'a encore un oeil là-dedans... !

Anonyme a dit…

L'oeil de Moscou ?
Et rien que pour Chulo : six clopes !
JLB

Anonyme a dit…

"L'oeil dans le potage
Le cheveu dans la soupe
Le chien dans un jeu de quilles
L'éléphant dans le magasin de porcelaine
L'arabe sur la table du kiné
Le Fandi dans une corrida de bravos
Le poil sur un oeuf
Como el gato en un garbanzal"
JLB - D'hiver poèmes d'Alexandrie pour Alexandra.

el Chulo a dit…

JLB,votre exquise culture d'yeux dans le potage me comble, tout en me rappelant un autre héros de notre civilisation , claude françois.

pour le reste je maintiens qu'il n'y a aucun rapport avec l'oeil de victor, probablement de verre pour se trimbaler dans la tombe, et celui de padilla, pas encore de verre.

il n'est pas non plus le premier à perdre un oeil d'autres ont même laissé des testicules sur le sable.

bon vous me direz que testicules et yeux ne remplissent pas les mêmes fonctions.

je vous souhaite une bonne andalousie, débarrassée si possible des "rojos" si hais pas madame escolar gil, la nouvelle star des vaillants toristas.

Marc Delon a dit…

Bon alors s'il faut vraiment tout expliquer et même à Maja Lolette cette fois, la conscience étant l'oeil dont on ne se débarrasse pas, ira-ton en conscience voir les faenas d'un torero ou comment un phénomène de foire va gérer son handicap et se surpasser devant les toros, ce qui peut devenir pour le public une forme de voyeurisme....?

ON LE VOIT LE RAPPORT Là ? ET PUIS J'ECRIS CE QUE JE VEUX... CAPLLO-TRACTANT AU BESOIN DES RAPPORTS SUBLIMINAUX PAS DETECTABLES FORCEMENT PAR TOUS LES CERVEAUX.
PAR EXEMPLE Y'EN A QUI VOIENT MEME PAS LE RAPPORT ENTRE LE MALAISE D'UNE SOCIETE ET LES AGISSEMENTS DE CERTAINS. BEN çA LES REGARDE... ET HOP : ENCORE UN OEIL !

Pedroplan a dit…

Un clin d'oeil, sans doute ?
Cela dit la question est posée : qui va-t-on aller voir ? Un torero borgne ou un torero tout simplement ?

Anonyme a dit…

"Une conscience noircie par sa honte ou par celle d'autrui trouvera certes ta parole âpre.
Néanmoins, écartant tout mensonge, raconte fidèlement ta vision et laisse les gens se gratter là où ils ont la gale.
Car, si au premier goût ta parole sera importune, elle laissera ensuite une nourriture de vie quand elle aura été digérée".
Dante - "La Divine Comédie" (rencontre au Paradis avec son trisaïeul Cacciaguida).
Encouragements pour Marc, sans aucun sous-entendu.
JLB

Marc Delon a dit…

Bien, JLB, merci.