mardi 23 août 2011

Vaut la Prune


Comme toutes les belles, elle ne se laisse pas conquérir facilement. Il faut y aller de bon matin, les sept kilos du barda photographique sur le dos, avant que la cohorte d'une étrange peuplade en uniforme – tongs, pantacourts, tee-shirt, sac à dos quechua, bob et lunettes de soleil – ne vienne la courtiser vulgairement. Il faut marcher un kilomètre puis crapahuter un peu sur les rochers, ignorer les éboulements du sentier, s'arrêter parfois pour faire une photo, interloqué par la beauté du lieu et surtout, ignorer les interdits. Car, au prétexte du sempiternel principe de précaution à la con, induit par l'action d'une rombière qui porta plainte un jour de promenade pour une entorse de cheville alors qu'elle aurait mieux fait de rester à larmoyer devant les ''Feux de l'amour'' en masturbant son caniche tout en signant son dernier chèque à la SPA, le conseil régional a érigé moult barrières, grillages et panneaux interdisant formellement l'accès à ce qui était la seule motivation touristique de se rendre dans ce village. On ne peut pas dire que l'initiative a remporté un franc succès : les obstacles ne sont plus verticaux mais horizontaux, allègrement piétinés. Imaginez, vous êtes photographe, vous venez de loin pour la voir et là on vous dit qu'il n'y a que le ruisseau d'accessible, ou alors que vous pourrez l'apercevoir depuis un panorama lointain et élevé, autant dire depuis Cuges. Alors vous vous dites que vous ne risquez que la contravention et qu'il est bien dans les us photographiques que toutes les belles se fassent rétribuer pour poser et que si ''prune'' il y a, ce sera toujours moins cher que les émoluments d'une de ses girls qui se la pètent grave, les bras toujours en l'air pour que leurs seins pourtant jeunes ne soient pas comme la cascade, en chute libre. Ben oui, je sais, vous vous marrez mais un peu gênés, ou vous êtes carrément scandalisés ou bien énervés mais c'est de votre faute aussi, personne ne vous empêchait de lire votre bulletin paroissial où on vous annonçait que parallèlement aux obsèques de la bonne madame Chastemoule – paix à son âme et surtout à ses voisins- serait organisée une collecte pour la réfection de la gouttière de l'église ou encore la fanzine du comité de quartier où l'on apprenait que le forage de monsieur Delaverge n'avait à deux cents mètres de profondeur, même pas donné l'eau d'un pastis pour faire passer l'amère pilule d'une facture superfétatoire. Le prochain numéro annonçant la liquidation du sourcier par un mystérieux criminel...

Mais non, il faut que vous n'appliquiez pas le principe de précaution et veniez me lire !

Bon, après cet auto-satisfecit égotomaniaque complètement ridicule je dois dire - mais qui pour se foutre de moi si je ne m'en charge pas moi-même ? - vous êtes tous tellement bien élevés... reprenons la marche vers la cascade. Pour tout vous dire, je ne voulais pas vous en parler... il y a déjà trop de monde là-bas... et si je ne vous disais pas où elle est... ? Mais je vous connais, ça va vous exciter encore plus et les moteurs de recherche vont ronfler... et il y aura toujours une Maja Lola – reviendra commenter dès qu'elle ne sera plus vexée – plus maline que les autres pour l'annoncer à la cantonade... si vous y allez, oubliez les tongs, même si ce n'est pas une grande randonnée, les chaussures de marche s'imposent, en tout cas si vous comptez risquer la prune... Si vous faites comme quatre-vingt dix pour cent des uniformisés tongus qui rebroussent chemin à la vue des panneaux et des barbelés qui traînent, pas la peine, mais ce serait un peu comme manger des gambas de roche sans leur sucer la tête voyez, vous passeriez à côté d'un grand moment.

Alors... j'en étais où, avant de digresser... ? Maja Lola fâchée... monsieur Delaverge liqui-killer... prune de Cuges... gnagnagna... masturber le caniche... ah voilà : ignorer les interdits, cinquième ligne !

J'ai donc progressé malgré tout sur ce ''pas'' escarpé par divers éboulements qui peuvent effectivement jouer de mauvais tours au marcheur distrait, j'ai parcouru ce sentier magique parsemé d'ombres lourdes et d'éclatantes trouées lumineuses à l'heure où le soleil se levait, je me suis engagé sous le surplomb de la falaise de tuf et ses formes tourmentées, le grondement de la cascade enflait mais comme dans un dénouement inouï, il n'était pas possible de la voir. Jusqu'au dernier moment, il est impossible de l'apercevoir, jusqu'au dernier arbre qui bouche le champ de vision, jusqu'aux plus difficiles des rochers qu'il faut d'abord franchir, attention captée, et regard baissé pour les négocier et puis enfin, au contact vibrant d'une chute de quarante-deux mètres dans un lagon émeraude, relever enfin la tête pour le choc de ce moment magique qu'aucune description, qu'aucune photo n'est capable de retranscrire quand vous vous trouvez là, en tête à tête avec un joyau de la nature à la surface duquel viennent scintiller les premiers rayons du soleil. Il m'a fallu de longues minutes avant de m'extraire du choc et sortir enfin l'appareil photo.

Plus tard, c'est un :

- Aaaaaach.... sehr schön.... !

D'un touriste allemand hilare en découvrant la cascade qui rompit le charme et me fit déguerpir. J'avais tellement entendu mon grand-père revenu des camps de travail obligatoire des prisonniers de guerre me dire que tout ce que les Allemands leur répondaient à chaque fois qu'ils voulaient boire ou pisser c'était : Nein, das ist verboten ! Verstanden ? Que j'ai pas résisté : à son ''sehr schön'' amical et ébahi je lui ai répondu avec le meilleur accent possible cet inattendu et peut-être incorrect :

- Ya, aber man kann nicht kommen hier ! Das ist verboten !

Et je suis parti renfrogné comme si j'allais le dénoncer, histoire de lui gâcher son plaisir. Parce que chez lui, ça ne fait aucun doute, il aurait respecté l'interdiction. Verstanden ?


15 commentaires:

el Chulo a dit…

tu m'as contrarié Maja Lola?
pas bien, ça!

Marc Delon a dit…

et encore, s'il n'y avait qu'elle... mais je suis comme ça, je finis toujours par contrarier... je suis trop... enfin pas assez... enfin, pénible quoi...

Maja Lola a dit…

J'ai cru comprendre que l'on me "citait" par ici ....
Contrariée ? Je n'en vois pas la raison. Plutôt respectueuse des souhaits de mon prochain ... correction que l'on m'a enseignée (on ne se refait pas). Plutôt ne transgressant pas l'interdit ... comme le teuton hilare découvreur de cascades. Verstanden ?

Marc Delon a dit…

Ach...yawohl... ich verstehe dich sehr gut... eine kleine bizuuuu

el Chulo a dit…

bon je ne connais pas le teuton, alors que le tréton tout de même un peu, mais je constate que "todo se arreglo!"

bieeeeeeeeeeeennnnnnnnnnnnn!

Anonyme a dit…

Parallèle amusant à faire entre ce post "Vaut la prune" et le dernier post de Laurent Larrieu dans "CamposyRuedos".
Pour les deux :"L'enfer c'est les autres".
Zont bien raison.
Thierry L'Ermite

Marc Delon a dit…

l'enfer c'est les autres... pour tout le monde non ? J'ai une amie qui me dit que si on veut garder son meilleur ami, il ne faut jamais l'inviter plus de trois jours. C'est la tolérance maxi, après surgissent les différents...
C'est pas Sacha Guitry qui rendait un hommage suprême à sa femme en lui disant :
"Chérie je suis avec toi aussi heureux que ce que je pourrais l'être si j'étais tout seul..."

Anonyme a dit…

Peut-on se permettre de dire que la cascade n'est pas sensationnelle et qu'en conséquence le verboten semble difficile à admettre. Si encore la chute d'eau s'accompagnait d'un arc en ciel !

Marc Delon a dit…

Non, on peut pas... elle l'est : 42 mètres sans arc-en-ciel carte postale c'est deux fois la hauteur des arènes de Nîmes.

Maja Lola a dit…

Un arc-en-ciel ? Et pourquoi pas une ondine sortant des eaux vertes du lagon ...

A part ça, c'est vrai que c'est une belle carte postale ; mais sans les indications métriques de l'opérateur, on ne comprend pas en effet où réside le risque (si on exclut, bien sûr, la rombière procédurière chaussée de tongs ou louboutins).

Comme quoi, l'interprétation d'une image est multiple. Et c'est tant mieux !

Marc Delon a dit…

je sais, vous en avez marre de la cascade...

Maja Lola a dit…

Pas vraiment : elle est bien rafraîchissante.
Le problème est qu'elle n'en finit pas de tomber ... (comme dirait l'autre)

el Chulo a dit…

ben!!!!!!!!!!!!!

Elixirman a dit…

Ola todos...!
Ce blog manque un peu d’énergie depuis que je ne fais plus de posts !

Donc, courte étape à Carcassonne pour sa féria d'Août.

Carcassonne , où comment faire croire à une tradition taurine avec des arènes pré-fabriquées ?
Et si l'on utilisait aussi des taureaux "playmobil ou en légo" ?

je vous laisse méditer sur la question?

Quelle charlotade...!

Bientôt à suivre un post sur les ânes et la crise, pour vous donner un peu de nourriture intellectuelle.
Adios.

Olé TORROS

El Jipe a dit…

Bonjour à toutes et à tous ! Nous avons nous aussi quelques lieux magiques par chez nous dans l'arrière-pays Niçois. C'est un plaisir assez indicible que d'aller se baigner dans la Cagne, l'Esteron ou le Loup lorsque cogne un soleil inhumain. A voir en particulier la Cascade de Courmes, trop injustement appelée Saut du Loup. On y voit également des Allemands, des italiens, quelques russes à présent mais malheuresement et de plus en plus, pire des fléaux, des cyclistes...