dimanche 27 janvier 2013

Vieille Recette

C'est une mamie immigrée de sa Bourgogne natale. J'y vais trois fois par semaine. On ne peut pas dire qu'elle ait de la chance, avec sa collection de pathologies. Les médicaux parlent en pareil cas de « chantier thérapeutique » ; mais bon, elle tient le coup et stabilise de sa présence dotée de bon sens, le reste de la famille qui accumule les conneries. Elle donne ses conseils, que les moins conscients finissent par suivre, souvent trop tard, quand le mal est fait, mais elle donne le ton, indique le cap, malgré les naufrages tout autour d'elle. Elle qui a veillé sur son mari soixante ans durant – ce qui peut aussi constituer un naufrage après tout...- prodigue d'élémentaires règles de base à sa voisine. Enfin essaye, vu que rien ne dit que cela puisse valoir pour une autre mais bon, en l'occurrence, face à l'anarchie totale, au cas où ça pourrait structurer un peu, elle tente.



La voisine, une femme ''seule'' avec quatre enfants, de quatre pères différents avec option ''mariage pour chacun'' à la queue leu leu. Je l'ai croisée tantôt, c'est une femme vulgaire au physique bien dessiné. Saluée à deux reprises, m'a déjà offert d'aller boire le café chez elle. Hospitalière, non ? Ses yeux disaient déjà que d'autres mignardises pouvaient le rendre moins amer. Non merci. Ses maris ? Tous fainéants, parait-il. Au lit jusqu'à midi. Quand y'a un tocard, il est pour moi, qu'elle dit, je les ramasse tous, paresseux, menteurs, lâches, c'est pour moi !



Tous les matins, au prétexte d'aérer sa chatte qu'elle surveille vaguement, elle guette mon arrivée, fumant sa clope sur le gazon devant l'immeuble et ne manque jamais de me sourire. Vieille recette. Un travailleur, pensez, ça la changerait. Felis silvestris catus, sa chatte, hein. A une dent en métal gris. À l'implacable lumière du matin, elle est super ridée, la quadragénaire, avec un teint de tabago-alcoolo, plutôt gris, avec des plaques rouges et les veines du cou saillantes. Elle me lance des vannes de mec bourré, idiotes ou salaces, censées établir une complicité avec moi. Tout ce que je déteste. Parce que ça, je peux le faire mieux qu'elle, moi, or c'est la différence qui m'attire. Homophobe que ça s'appelle, il paraît. Son rire est sarcastique et contraint, grossier. Elle est mal habillée, sexy de supermarché. Je crains le pire : qu'elle se pointe à mon cabinet avec une prescription pour se faire masser le bas du dos en gémissant...



La mamie, le lundi, me demande toujours qu'est-ce que j'ai fait de bon à manger. Elle sait que j'aime cuisiner et comme je n'y connais rien en broderie... Je veux bien qu'elle soit d'un milieu très modeste mais ce qu'elle me dit m'étonne : je croyais la Bourgogne région gastronomique. Si ? Alors elle est sûrement d'un milieu très très modeste. Depuis qu'elle est à Nîmes, elle n'en revient pas de tous ces beaux légumes colorés, ces aromates odoriférants, ces beaux poissons. N'avait jamais vu ça, la mamie.... Ah bon... Elle ne connaît du poisson que les filets congelés de l'Atlantique Nord-Est. Elle s'étonne que je les connaisse si mal : 
 

- Ah ben non, moi je vais chez Carmen, aux halles, acheter des vrais poissons, entiers, sauvages, du poisson, quoi. Je pêche parfois, vous savez, alors les pêcheurs, ils n'achètent pas des trucs carrés sous vide ou avec l'oeil enfoncé et triste... ils mangent du poisson... Mais je sais, ça devient un luxe...

- Oh oui, qu'elle renchérit, l'autre jour j'ai acheté de belles daurades grises, d'élevage, elles sont bonnes, et...

  • Non... elle ne sont pas bonnes... bouffent des granulés... peux pas acheter ça, moi....
  • Ah oui mais moi vous comprenez je ne peux pas me déplacer facilement et...
  • Oui, oui je comprends mais si on parle en ''valeur absolue'' là, comme si par exemple j'allais aux halles et que je vous ramène du poisson, quoi... je ne vous ramènerai pas du surimi, mais un joli poisson...
  • Ah oui mais c'est cher !
  • Pas forcément... tenez, le marbré par exemple, est beaucoup moins cher que la dorade royale et bien supérieur en goût et moins sec aussi, mais a plus d'arêtes alors les gens l'achètent moins... et puis mieux vaut en manger moins et bon, non ?
  • Ben, non, on peut pas toujours...
    -  Ok, pas toujours mais de temps en temps une belle sole ou un loup tout fringant, une lotte, mmm...
     - Ah ben chai pas... j'ai jamais mangé ces poissons-là moi... connais pas
  • - Quoi ? De toute votre vie, vous n'avez jamais mangé un loup ou un turbot, une lotte ???
    - Nooon, connais pas...
    - Mais qu'est-ce que vous achetiez en Bourgogne alors ?
    - Ben... du colin à bouillir, c'est tout...
    - Ouais d'accord, mais à part ça ? Vous n'avez jamais mangé une bourride de beaudroie, un loup en croûte de sel ou  flambé au pastis, un turbot au beurre blanc, chai pas, moi...
    - Connais pas qu'je vous dis...!
    - Ben mince alors... (or elle est obèse...)    

- Quand vous partirez, je vous montrerai ce que je suis en train de faire... ma grand-mère le faisait déjà...

  • D'accord...
  • Mais c'est du travail hein...
  • Pas grave, ce qui m'ennuierait le plus en cuisine ce serait de réchauffer un plat Picard au four... moi c'est le jeu de construction d'une recette, que j'aime
  • Vous êtes comme moi, dorrrrteur...
  • Monsieur...
  • Si vous voulez... alors vous mettez au fond d'un faitout en fonte, des bardes de lard
  • ça commence bien, j'ai justement acheté des bardes de lard gras de la vallée d'Ostriconi...
  • C'est quoi ?
  • En Corse, du bon cochon quoi...
  • Si vous voulez.... vous recouvrez d'une première couche – oh, lecteur, sors ton stylo c'est le moment pour la recette – de fines tranches de pommes de terre, puis d'oignon en rondelle avec du persil ciselé, sel, poivre, gruyère râpé
  • Ah bon ?
  • Oui... et puis en fait vous recommencez jusqu'en haut du faitout, puis vous mettez à très petit feu, couvert, longtemps, longtemps... c'est tout...
  • Combien de temps ?
  • Jusqu'à ce que ce soit cuit !
  • Ben, oui ! Chui bête... et c'est ancien ça ?
  • Oui... j'ai quatre-vingt ans et ma grand-mère me le faisait, alors... ça fait comme un gâteau...
  • Bon, ok, j'essaierais...

Comment ça s'appelle, lecteur ? J'ai oublié... mais je la revois demain... si c'est bon ? Ben, ça cuit là...

12 commentaires:

Anonyme a dit…

Marc, le retour ...ENFIN !!!!!!!!

Victorina

Anonyme a dit…

"Vieille recette" ou "Les CHARMES d'une vie de kiné"!
Gina

el Chulo a dit…

pas mal la recette!

Anonyme a dit…

Et la morue aux quatre lardons, elle est déjà cuite ou confite dans l'alcool ? Mèfi ! Elle aimerait tant que tu passes à sa casserole...
Mais ne la jugeons pas mes frères, car rien ne dit qu'elle est innocente mais rien ne dit non plus qu'elle est coupable. P... de cathos de gauche Y en plus cassez.
JLB

Anonyme a dit…

grand pays de la gastronomie, la bourgogne! on y a inventé la cocotte minute SEB... c'est sur que pour mitonner rapido cette potée nourrissante jusqu'à l’obésité ,faut bien cet outil! tout ça ne vaut pas la cuisine alsacienne et ses cocottes en fonte...
isa

Marc Delon a dit…

Depuis un bail Victorina, déclarée coupable de ne pas se connecter tous les jours !
Pas mal la morue aux lardons...!

Alors la recette se nomme la crapaudine et j'en ai oublié l'élément principal : il faut mettre beaucoup d'ail !
la prochaine fois j'essaye la variante Comté + poitrine fumée intercalée...

Anonyme a dit…

Continuez les belles jambes, je me régale !!!!!

Un aficionado a las piernas de fuego !

Marc Delon a dit…

Ah ok, Victorina j'ai compris... ça compte pas le flamenco, ok ...

Anonyme a dit…

J'ai du temps à perdre alors je vais voir "crapaudine" dans le dico : "mode de préparation des volailles, en particulier du pigeon, consistant à les aplatir avant de les faire rôtir".
Mais c'est de la cuisine hollandaise, ça ! Comment rôtir les patrons-pigeons ! En les aplatissant... tout à fait ça !
Rien à voir avec la cuisine halsssacienne Isa (beau de Bavière).
Et c'est pour ne pas finir en crapaudine que Gégé et les pigeons s'envolent de chez nous.
JLB

Anonyme a dit…

A voir si vous voulez vous marrer. Les commentaires de la mémé qui a filmé la scène sont excellents.
JLB
http://www.abcdesevilla.es/videos-otros/20121210/policias-operarios-basura-puerto-2125603534001.html

Marc Delon a dit…

euh...que faut-il comprendre ? des flics mettent des sacs d'ordures dans leurs bagnoles perso ?

el Chulo a dit…

non Marc, et sous le contrôle de JLB, je pense qu'il s'agit de "marchandises" confisquées et devant être détruites que se partagent éboueurs et policiers.
les comentaires de la dame sont assez marrants en effet!