samedi 21 février 2009

ANTIMANUEL DE LITTERATURE



Oui, le petit livre génial c'est bien lui. Un petit livre brillant, documenté, intelligent, spirituel, d'un homme talentueux (rare pour un enseignant, non ? ça va, je provoque...) qui se donne pour ambition avouée de définir la littérature. François Begaudeau l'auteur, est le prof de français, comme dans la vie, du film "Entre les Murs" palme d'or à Cannes dont il a co-écrit le scenario. Il est aussi journaliste et écrivain. Le fait de publier ici trois extraits de ce livre me dispense de facto d'expliquer pourquoi il est génial, n'est-ce pas ? J'y ai soudain vu apparaitre le mot taureau, c'est donc ce dernier extrait que je choisirai pour la route, celle qui vous mènera au libraire pour l'acquérir, bien sûr.

VERS TON RISQUE

Moraliste se réservant la primeur de sa vigilance morale, Michel Leiris s'inquiète de la souveraineté absolue de l'écrivain en son oeuvre et médite de lui donner des contre-pouvoirs. Trop facile sinon. Emerge alors le rêve d'une littérature aussi périlleuse qu'une corrida. Qu'elle aille vers son risque, comme disent, citant rené Char, les traités de management ou François Bayrou. Mais de quel risque parle-t-on quand on ne parle que de phrases, couchées dans l'intimité protectrice d'une chambre, qu'elle soit de bonne ou d'hôte ? Le taureau susceptible d'éviscérer l'écrivain ne sera jamais qu'en papier. Du temps où les Ubu de tous les pays n'avaient pas encore compris qu'un chef gagne toujours à laisser dire, une émoustillante menace de censure, de poursuites ou de mort pesait encore sur le littérateur, et Beaumarchais pouvait à bon droit déployer sa verve pour revendiquer la liberté d'écrire. Aujourd'hui plus un nazi pour brûler en place publique un pamphlet humaniste, presque plus d'associations bigotes pour porter plainte contre une apologie versifiée de la double pénétration.

L'écrivain regrette les siècles prédémocratiques pour cette raison aussi. Il aimerait tant qu'on le punisse d'une activité qu'il aime à croire sulfureuse, c'en serait fini avec sa mauvaise conscience d'intellectuel improductif et limite pédéraste. Or il a beau lancer des dizaines de pavés dans autant de mares, la mare reste d'huile et les canards s'en foutent. Il y aurait, bien sûr, l'admirable témérité de balancer des révélations concernant des personnes susceptibles de prendre la mouche et un revolver. Mais, pour un Alexandre Jardin emmerdé par ses cousins après avoir exhumé des secrets de famille, pour un Pierre Jourde bastonné par les hommes du village dont il avait compté les sourdes mesquineries, combien d'écrivains épargnés par le boomerang ? A la publication de ''Belle du Seigneur'', Ariane ne s'abaissa même pas à poursuivre Solal en justice pour faits de misogynie avérés -qu'il se mange la bite et s'étouffe avec !- se contenta-t-elle de confier à une amie. Peut-être la révélation sur soi est-elle seule susceptible de faire trembler la main qui forme les mots. Ainsi philippe Forest inscrit sa prose dans le plus rien à perdre après la mort de sa petite fille. Mais on le sait bien, l'audace de se montrer sous un jour peu reluisant gomme en partie la honte afférente. Vous dites que vous êtes un salaud, tout de suite vous l'êtes moins. Vous dites j'ai vu Cali en concert, on se fout moins de vous qu'on admire le courage de l'aveu. Vous dites j'ai tué ma soeur, elle vous pardonne. Selon la loi de la faute avouée diminuée de moitié, la littérature sort toujours vainqueur de son combat contre le taureau fumant, même et surtout quand elle se réserve les plus profondes banderilles.

Reste la possibilité de raconter ce combat, en espérant qu'il ébranle, sinon, l'auteur, du moins sa prose soumise au chaos d'une réalité non littéraire. les taureaux d'Hemingway ne sont pas métaphoriques, on le sait. Ni le gros poisson qu'il place au bout de la ligne de son vieil homme seul en mer, gageant qu'il secoue l'embarcation et le livre avec. Ni le monstre à mille têtes de la guerre d'espagne à la rudesse de laquelle il éprouva son courage puis sa plume, préférant la peur du combat à celle de n'être qu'écrivain, d'écrire des livres qui ne soient que des livres.

Importe alors que la littérature s'écrive sous la dictée du non-familier. Qu'elle s'approche de la bête. Qu'elle aille voir de l'autre côté.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Si écrire c'est prendre un risque ...il y a longtemps que je suis mort!!!!!!
feu bruno

Anonyme a dit…

Il faudrait rappeler que la liberté d’expression ne va pas de soi ? Qu’on se rappelle Salman Rushdie et ses versets, et dans nos démocraties,qu'on pense au professeur de philosophie toulousain qui fut menacé de mort, il y a quelques années ; on a eu des histoires de dessins interdits et pas plus tard qu’ hier à New York, grand soulèvement de colère des foulesPour un singe dans le New yorker.
Et puis, l’écrivain qui divertit est-il improductif ? Pas plus que le bon professeur de français, Marc (un peu de ping-pong!), même s’il ne contemple pas comme l’artisan, le résultat bien concret de son travail. Et Bégaudeau quand il écrit « Entre les murs » ne cherche, comme il le dit lui-même (magazine littéraire de janvier 2009), qu’à donner un bon livre, pour lui c’est plus important que de défendre une cause.
Pourtant, sous couvert de neutralité, il a provoqué de nombreuses réactions, de nombreux débats sociétaux. Et je crois que les bons auteurs sont ceux qui font penser. on ne saurait les trouver pas inutiles.
Gina

Anonyme a dit…

Bruno me fait rire, tous les écrivains n'y parviennent pas ; ils cherchent quels problèmes vont réussir à nous indigner et nous faire monter la tension !
Gina

Anonyme a dit…

Cher Marc et chers amsi,

"Combien d'écrivains épargnés par le boomerang?" écrit BEGAUDEAU... Et si on le prenait au mot - inversant sa proposition: et si ceux qui sont ainsi "épargnés" n'étaient au fond tout simplement pas des "écrivains"?... Tout au plus des gens qui écrivent... Car, qu'écrit LEIRIS précisément in "De la littérature considérée comme une tauromachie"? Citation: "Ce qui se passe dans le domaine de la littérature n'est-il pas dénué de valeur si cela reste esthétique, anodin, dépourvu de sanction, s'il n'y a rien, dans le fait d'écrire une oeuvre, qui soit l'équivalent de ce qu'est pour le torero la corne acérée du toro, qui seule - en raison de la menace matérielle qu'elle recèle - confère une réalité humaine à son art, l'empêche d'être autre chose que grâces vaines de ballerine?"... Qu'écrit aussi W.G. SEBALD in "Campo Santo" (Actes Sud - 2009)? "Le souvenir et la transmission de l'information objective que recèle l'entreprise littéraire doivent être délégués à ceux qui sont près à vivre avec le risque de la mémoire. Le risque est que celui en qui continue de vivre le souvenir s'attire la colère des autres, qui ne peuvent continuer à vivre que dans l'oubli"... BEGAUDEAU ferait-il semblant de croire que les mots écrits ne seraient jamais que des "taureaux en papier"?... Alors, il est probable que la postérité - ou les "poubelles de l'histoire" - le rangeraient dans la catégorie des "ballerines aux vaines grâces"...

Bien à vous - Bernard

Marc Delon a dit…

Mais l'écrivain expose-t-il sa tête au boomerang et ses tripes à la corne quand il ne fait que "transmettre de l'information objective" ?
Ne faut-il pas au contraire toute l'impudeur de sa subjectivité ?

A moins que j'ai lu en biais et que le livre qui reste soit l'objet de la transmission objective...

Anonyme a dit…

Marc,

SEBALD plaide pour une littérature faite par des "témoins", ceux qui acceptent, prennent le risque, de conserver la mémoire de ce qui a eu lieu - et dont le rappel provoquera "la colère de ceux qui ne peuvent continuer à vivre que dans l'oubli". Bien sûr alors, ce qui a eu lieu n'est pas très "reluisant"... Cette littérature-là est celle qui - de toujours - s'est fixée de "dialoguer avec le Mal", la part d'ombre sinon la part sombre d'Homo sapiens sapiens. Voir les nombreux écrits de George STEINER par exemple, voir cette phrase de Paul GADENNE (de mémoire): "Désormais, la littérature s'écrit devant le bourreau"... A cette aune de l'exigence sinon l'exclusivité du questionnement du Mal, toute autre littérature n'est dès lors que "grâces vaines de ballerine" (voir - comme exemple archétypal - Philippe SOLLERS...).

A suivre?...

Bien à toi - Bernard