samedi 10 avril 2010

Ceux que j'ai vus là-bas...



L'Oeil qui riait
A Ghardaia, les femmes Mozabites n'ont pas de burqa ou de niqâb, ni même de hijab. Elles n'ont que oualou, un petit trou, tout petit trou pistrou sans frou-frou car une fois mariées, personne ne doit les reconnaître. Et pis c'est tout ! Un petit trou en face d'un oeil donc, seule fenêtre sur le monde extérieur et pour éviter quand même tout cassage de pipe prématuré au saut d'un caniveau... Au bureau des guides, un petit monsieur au calot gris nous emmène en visite. Il nous prévient : vous pouvez photographier les enfants mais surtout pas les femmes. C'est sans compter sur l'Européen chiant de base, moi, qui lui demande innocemment :
- Et pourquoi ne peut-on pas les photographier ?
- Parce que, c'est leur droit le plus strict... si elles ne veulent pas...
- Mais... elles ne veulent pas... toutes ? Comment on le sait ? On peut le leur demander individuellement quand même ?
- Ah non, il ne faut pas leur parler !
- Alors... comment savoir, si d'aventure il n'y en aurait pas une qui, sans vous avertir, aurait changé d'avis ?
Non, parce que le petit guide là, il commence à peser avec son autoritarisme de macho... et moi je suis en vacances, tout détendu pour le pousser dans ses retranchements exigus...
- Non, non... croyez moi, c'est pas possible... (il boude déjà...)
- Sinon ? Son mari serait très méchant ? La société la considèrerait mal ? Pourtant comme c'est anodin une photo, hein, pas de contact charnel, rien...
Là, il ne répond plus, me décoche seulement son oeil noir, alors je renchéris :
- Surtout qu'en plus, recouvertes comme elles le sont... il n'y a aucune crainte de révéler quoi que ce soit ou même de les reconnaître ! On ne vole même pas leur image ! Ce ne sont que des formes blanches... Ah non, je sais... ce sont les maris qui, tétanisés par la peur qu'un autre les trouve jolies, ont inventé cette règle camouflante, pas vrai ? Mais pour se reconnaître entre elles ? Comment font-elles ? N'ont pas non plus le droit de papoter avec une amie rencontrée ?
- Alors là vous avez la mosquée à gauche... (il fulmine... je le mine...)
- N'empêche, fait Elsa qui termine sa médecine dans six mois, elles ont intérêt à changer d'oeil à chaque sortie parce qu'il y en a un qui travaillerait toujours et intensément, tandis que l'autre...
- Ouais puis t'as pas le relief, fait Nicolas son copain bientôt chirurgien transplanteur de foie, tu ne sais pas à quelle distance est ce que tu vois, essaye tu verras, enfin... ou pas...
Il déprime, doit maudire ces Européens qui ne s'intéressent qu'à ce dont il ne veut pas nous parler. Du coup à chaque fois que je croise une femme drapée jusqu'au scalp, je la salue bien bas très aimablement et ostensiblement, rien que pour faire chier notre guide qui ne voudrait pas que les choses, les gens, les goûts et les couleurs se mélangeassent. Et bien sûr, je les photographie, les Mozabites, car je n'en verrai pas tous les jours. Faut voir comme mon salut les effraie, elle fusent, giclent hors de ma vue, rasant les murs, tête tournée. Alors moi, j'exagère, je les rasete, je les recorte, les oblige au quiebro et Nicolas me dit que je suis le "Ghostbuster" de Ghardaïa avec mon zoom violeur d'identité. Ouais ! Je suis le violeur de Mozabites ! Lui est armé aussi d'un reflex mais il est jeune, sage, respectueux, bien élevé... Tout moi à son âge... Pfff... comme on évolue...
Ah ! il y en a encore une qui se pointe, je me prépare, j'oblique, la salue bien à l'avance, bonjour madame... touriste français... et là, surprise, elle ne se détourne pas, je la fixe dans le "trou-pistrou riquiqui du neunoeil", il est plissé, avec une lueur amicale : elle me sourit ! Eh ben voilà ! Je n'en demande pas plus à la femme Mozabite, moi, je suis heureux, y'a eu un semblant d'échange humain malgré les cultures éloignées ! On se dépasse, puis on se retourne en même temps, à dix mètres l'un de l'autre. Machinalement, je tends mon pouce pour lui signifier d'un geste : Super ! C'était pas grand chose, mais j'ai apprécié votre attitude dont je suis bien content qu'elle vienne contredire la psycho-rigidité du Mozaguide-là, le minimoy qui croit tout savoir sur la nature humaine...
Et dans son tour complet, fait sans interrompre sa déambulation, elle me décoche un hochement de tête, comme pour me dire : je t'ai reconnu, je sais qui tu es, je comprends ton style, tu m'aurais plu comme ami, j'aurais bien aimé discuter avec toi un moment. Si, j'en suis sûr. Non, je n'affabule pas - et j'imagine c'que je veux, surtout quand ça me fait plaisir - Et c'est pas parce qu'on a fumé un narguileh de tabac à la pomme juste avant, que je délire. Non. La Mozabite sympathique, ça existe. Je l'ai rencontrée. Et, non, je ne ferai pas de jeu de mots douteux avec son suffixe, même si vous l'attendez depuis la première ligne. Ne comptez pas sur moi.
Alors évidemment, il aurait fallu que je mette la photo d'une de ces femmes en haut de cet article, mais pour les raisons que l'on sait, j'ai trouvé le portrait de cet homme forcément plus expressif ! Mais ici dans "Portraits d'Algérie" deuxième série de mon voyage, vous les apercevrez :
http://marcdelon.darqroom.fr/gallery
Maintenant pour en savoir plus, vous cultiver quoi, cliquez là :
http://www.magharebia.com/cocoon/awi/xhtml1/fr/features/awi/reportage/2006/09/29/reportage-01

8 commentaires:

ludo a dit…

marc,
à bordeaux ( sud-ouest/france/europe)si en croisant de jeunes et moins jeunes occidentales je me mets, affublé d'un objectif, à les saluer ostensiblement comme tu le narres , je ne suis pas sûr de décrocher un sourire ou un hochement d'approbation avant la dixième ou même plus. la mozabite n'a pas un logiciel (tu vois on peut faire un jeu de mots non classé X , ok, d'accord c'est moins drôle ) )plus complexe ou différent selon les latitudes. mozabite l'attitude, quoi.tu vois, coco ?
sinon ,sur ton darqroom époustouflanres photos. et ça m'a rappelé un truc : je te dois , si si, un texte sur les bois flottés des aresquiers. j' y travaillerai pendant mes vacances.

Maja Lola a dit…

Votre choix de photos (femmes, enfants, vieillards) donne une dimension très humaine dans des situations tellement diverses de vies quotidiennes qu'il semble parfois que nous étions dans vos bagages tant elle nous deviennent familières.
Ces deux femmes de dos qui s'avancent vers leur amie tout sourire, ces portraits d'enfants aux yeux à la fois vifs et interrogateurs, ces hommes au visage buriné dont le regard tout en restant parfois méfiant est démenti par un sourire éclatant, le contraste entre des femmes voilées de sombre et celles aux superpositions d'étoffes colorées.
Très belle photo : celle de cette femme qui tisse un tapis et dont le regard exprime une bonté qui semble vous remercier.
Quant à votre récit "l'oeil qui riait" ... que dire ?
Qu'une fois encore la femme doit subir le poids des croyances et de cultures qui la maintiennent dans une négation sociale effrayante.
L'humour avec lequel vous avez traité ce sujet et la façon dont vous avez déjoué l'attention de votre "rugueux" guide ne font pas, hélas, oublier ce que peut être le quotidien de ces femmes.
Seul le clin d'oeil de cette Mozabite qui vous abandonne cet oeil plissé, certainement par un sourire, dame le pion à la horde de machos bornés et réducteurs qui peuplent certaines contrées.
Maja Lola

Marc Delon a dit…

T'es fou, Ludo, je ne me risquerai pas à me promener avec mon appareil dans une de nos banlieues ! Le dernier qui l'a fait en est mort. C'était un fonctionnaire de l'état qui devait rendre compte de lampadaires de la voie publique. Il a été lynché par une bande de jeunes qui n'a pas supporté qu'on photographie leur quartier. Je me sens bien plus en sécurité en Algérie ou au Maroc.
Sinon ce que j'ai éprouvé à croiser des gens entièrement "recouverts" c'est une grande frustration : c'est comme si elles te disaient "tu ne rentreras pas dans mon monde et je ne veux rien savoir du tien" c'est désespérant, donc...

Tu ne me dois rien mais si mes photos t'inspirent quelque chose je serais bien content de le lire.

S'il le faut Maja Lola, les machos de la vallée du Mzab sont bien toréé à la maison par leurs femmes...

Anonyme a dit…

On cherche, à mesure qu'on savoure l'anecdote, un visage à un trou, on chausse bien ses lunettes tant qu'on n'a pas lu jusqu'à la fin. Ensuite, on est ravis de ce détour culturel, - une excellente idée -, et on a envie d'approfondir, mais, nous qui ne sommes pas partis, qui avons arrêté notre conquête de l'Algérie à Mehemet Ali, la Mitidja, Alger, Oran de nos livres d'histoire, nous aurions aimé une carte, please !
Un grand merci quand même et bravo pour les photos.
Gina

Maja Lola a dit…

Bien sûr Marc, et c'est tant mieux pour celles qui peuvent toréer leur mari (plus plaisir et tutti quanti ...). Maigre consolation tout de même lorsqu'on sait qu'en dehors de leurs murs domestiques elles sont condamnées à être des ombres non identifiables.
Maja Lola

Anonyme a dit…

Ce qui est gênant, c'est l'humour. On a toujours un air condescendant à observer d'autres cultures Heureusement que Marc y va avec tendresse et humanité et que la femme semble répondre de son oeil de connivence.
Mais, comme Maja Lola, je suis indignée. Car, même si dans les chamailleries conjugales qui sont un trait humain universel, elles doivent parfois s'imposer, on les imagine mal attendre cinquante ans de Mondialisation pour se libérer du pouvoir ostentatoire des hommes.
Mais qui sait ce qu'elles pensent de nos cosmétiques et de notre jeunisme !
Gina

el chulo a dit…

mozabite moi j'aime bien, ça fait penser à mozo de espada

Marc Delon a dit…

Oui, j'y avais pensé aussi... je voulais même écrire :
Que tous ceux qui se sentent "valet de leur bite" écrivent leur
"Au bout de ma queue", je publie !