jeudi 1 avril 2010

Pourquoi allez-vous voir les corridas ?



APPRENTISSAGE



Mon grand initiateur ce fut Manolete et le soleil. Pas n’importe quel soleil, non, le soleil qui signe les destins.
Sans le soleil, je n’aurais pas su, dix sept ans avant Pampelune, au milieu de ma nuit, que Manolete était mort. Dix sept ans pendant lesquels parce que je me savais toro, à chaque corrida je voyais mes rêves immortels, mon âme s’envoler au ciel, à chaque mort de toro avec la régularité désarmante de l’envol des couronnes de feu après les toros de fuego.
Le soleil c’est à dire la mort, a brûlé mon âme un jour d’août 1947, au moment où entre les persiennes à demi fermées de la chambre de mes oncles et tantes à Biarritz, il balaya la table au centre de la pièce sur laquelle un journal du soir affichait avec un grand titre, comme un crachat sur un visage pur, le drame de Linarès. Un jour d’août, comme tous les mois d’août qui avait ramené son lot de corridas et m’avait comme à l’accoutumée persuadé que le toro que je devais faire mourir en moi était le mal.
J’avais oublié quelque chose dans la chambre de mon oncle. Il devait être la fin du jour, cette fin de journée là. La fenêtre ouvrait sur la mer à l’Ouest, le soleil se couchait. Ce soir-là comme les autres soirs, les volets avaient été fermés, crochetés, à peine entrouverts pour garantir la fraîcheur. C’est par cette petite ouverture que la vérité est entrée en moi toute grande…
Quand je poussai la porte de la chambre, je ne distinguai d’abord rien, et puis peu à peu mes yeux s’habituèrent. Alors parce que dans l’obscurité les rayons du soleil déjà bas sur l’horizon mirent en pleine lumière le journal posé sur la table au centre de la pièce, je lus et ce fut une blessure violente, qu’Islero avait tué Manolete. J’avais dix sept ans et c’était pour un moment bref. Manolete venait d’en avoir trente et c’était pour toujours…! Je compris en un éclair que je ne verrais jamais toréer Manolete. Que je ne saurais jamais ce que c’était que d’être torero. Et ce fut un grand vide…
Mais je compris aussi, par ce regard, que les toros pouvaient devenir immortels parce qu’ils avaient l’immense pouvoir de transformer les toreros en mythes. ‘’Islero‘’ de Miura venait de l’accomplir, et ce fut une immense chaleur.
''Islero'' a fait la gloire de Manolete, Manolete la gloire de Linarès, la grandeur des cinq heures du soir. Dès lors, j’ai su qu’à chaque combat le toro engendre le torero, le torero enfante le public.


Paul-André TUFFAL

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Il y avait le Soleil d’Austerlitz, maintenant celui de Linares. Ce n’est pas aussi grandiloquent, c’est émouvant, très émouvant, très beau, tellement bien choisi en ce moment.