mardi 4 septembre 2012

Photo Légendée

Au bout du paseo là-bas, sur la terrasse écrasée de chaleur du bistrot Basque de la plage de Lekeitio, les jumeaux se sont enfin endormis. Papa est loin, sur la crête des vagues. Il surfe. D'autres jeunes femmes à qui il n'a pas fait de bébés, alanguies sur le sable, regardent son torse mouillé qui scintille dans l'or du couchant. L'écume des vagues et des jours est l'écrin mousseux et immaculé de sa musculature bronzée. Il pompe sur ses quadriceps saillants pour faire avancer sa planche toujours plus vite, dispersant une énergie consacrée au jeu. L'homme est guerrier, nomade sexuel et joueur, c'est comme ça. Dans les premières années de son couple, accord moral tacite de la société et passion amoureuse aidant, il tient bon mais, s'il est vivant et passionné, il restera attractif ce que remarquera une créature désoeuvrée qui saura le convaincre d'abandonner ce rôle de composition de héros infaillible qui lui allait si mal. Parce que ses sens le trahiront, parce que ses émotions crèveront le plancher des refoulements, parce-qu'au bout de tant d'années, toucher les fesses de sa femme lui fait à peu près autant d'effet que s'il touchait les siennes, il ne résistera pas. Parce que rien, dans la nature humaine n'est aussi fort que le désir. Si l'on est vivant, si l'on n'a pas renoncé, abdiqué. On vend même des yaourts nature aussi blancs qu'un bidet, avec.
Maman, elle, se repompe un peu après l'énergie que lui soutirent ses enfants en continu. Elle la leur réserve exclusivement d'ailleurs. Son regard est happé par ces prolongements merveilleux issus de sa matrice. Peu lui chaut désormais que les pectoraux de son surfeur de géniteur s'enflent de désir, qu'il s'ébroue comme un chien en sortant des rouleaux, éclaboussant les cuisses fuselées, planche sous le bras. 
Elle, est programmée au dévouement pour ses bébés, dévolue à leur développement exclusif. Ses seins ne sont plus les jouets de papa, ils sont à eux, à leurs bouches avides, à leurs petites mains roses et pressantes qui supplantèrent bien vite les grosses pattes poilues de papa au dessein moins noble. Elle compulse des magazines futiles admettant avec sagesse le renoncement aux silhouettes que l'on y peut contempler, peut-être comparable à la sienne il y a peu, dès qu'elle tourne la tête vers ses petits, émerveillée de ce pouvoir de vie. Elle est dans le retrait épanoui, dans sa tête et dans son corps, contemplant l'agitation frénétique de la plage. A une table voisine, un papi au ventre rond comme une parturiente à huit mois et demi, s'interroge devant sa bière sur les buts du photographe qui le braque aussi.

Dormez les bébés, Coca-Cola qui a fournit des tables, des parasols et des chaises rouge vif, veille déjà sur votre destin de consommateur. Sur cette envie de sucre, de succion, d'ingestion de plaisir, sur ce désir de plénitude sensuelle finalement, seul sentiment que vous avez déjà en commun avec un monde adulte qui en est éventuellement plus conscient, mais pas moins esclave.     

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Quelle forme pour cette rentrée !
Très beau et tellement vrai
Victorina

Pedroplan a dit…

Ah, mais peut être que le papi enceint ne se pose pas de question sur le photographe. Peut-être qu'il sent lui aussi monter le désir et l'envie de toucher à son tour les fesses négligées de la mère esseulée, plutôt que celles, frippées, et trop connues de mamie qui prépare la zarzuela à la maison. C'est que ça a des pensées impies, certains jours, les papis, même à marée basse...

Anonyme a dit…

Tu as raison, les deux lardons sont cernés par Coca-Cola. Ils sont déjà fichus.
Et je parie qu'ils ne verront jamais de corrida.
JLB

Marc Delon a dit…

Si... ils se jetteront dans l'embouchure du Guadalquivir là-bas, à Sanlucar de Barrameda, nageront jusqu'à la marisma au mépris du courant, rejoindront grelottant la berge et donneront à la pleine lune des passes à un toro isolé et puis tout recommencera.

Bien le bonjour à Victorina y Pedroplan (un manso qui fait semblant de ne pas retrouver sa nouvelle pour que je ne la publie pas ;-)

Anonyme a dit…

Mon pauvre Marc ! Lorsque les deux lardons seront en âge de savoir nager, le Guadalquivir à cause du réchauffement de la planète ne sera plus qu'un filet d'eau dégueulasse serpentant entre les merdes balancées par les chabolistas. Sanlucar-de-Barameda aura été envahi par la mer et Paco Ojeda jouera les Noë depuis sa villa haut-perchée : il naviguera par dessus les toits engloutis à bord de son bateau à moteur baptisé "Nîmes".
Il n'y aura plus de toros isolés parce que les ganaderos rusés auront placé des GPS dans les fundas. Et ceux qui se baladeront la nuit, sous la lune d'Amstrong, au milieu des toros, ne seront que des Roms en quête de bons beefsteaks.
Mon pauvre Marc, il n'y aura plus ni rio, ni toros, ni marisma, ni toreros. Tu seras vieux, gâteux et tu feras le tour des arènes de Nîmes en éructant tes souvenirs, en racontant aux touristes chinois et quataris que tu faisais des photos, que tu caressais les mots et que tu adorais les taureaux. Taureaux Marc, tu as compris ? Plus jamais toros.
JLB

Marc Delon a dit…

Tout ça a déjà été écrit dans "Toros" il y a 80 ans (GPS excepté)

Pedroplan a dit…

Manso, peut-être, mais un manso con sentido.

Anonyme a dit…

Tu ne pouvais pas le dire plus tôt ?
Allez, direction Arles où, samedi, les toros chanteront "En passant par le Loren avec mes sabots".
JLB