Je sais, vous avez peut-être déjà lu ce message sur camposyruedos à qui j'avais donné la primeur. Mais comme dans tout déménagement, je rapatrie quelques affaires ne serait-ce que pour les quelques amis que la tauromachie indiffére et qui viennent seulement ici par curiosité.
Il est des êtres touchés par une grâce singulière et qui font tout avec art. Je me rappelle cette femme qui m'avait confié être tombée amoureuse de Michel Piccoli quand elle l'avait vu manger des oeufs coques. Sa façon d'en détourer l'extrémité à petits coups de cuillère à café précis, d'en gober délicatement le jaune d'un poignet délié, d'y tremper avec distinction ses mouillettes élégamment beurrées avant de les mettre en bouche... Eh oui, on ne se douterait pas toujours des raisons improbables qui font que des femmes tombent raide amoureuses de nous, enfin... surtout de lui et des autres quoi... Mais jusqu'à ce jour où je pénétrais dans cette librairie, j'ignorais encore qu'il y avait eu des expert en putasserie. Allez savoir pourquoi au milieu de ces milliers d'exemplaires qui tapissaient les murs et jonchaient les tables, mon oeil fut accroché par un tout petit livre au titre suggestif : ''L'Art des Putains'' de Nicolas Fernandez de Moratin aux éditions Dilecta, 13 euros. J'étais pressé, je m'en allais, et, le retournant j'ai juste entrevu en quatrième de couverture les mots "Madrid", "corridas", "putains", "beauté des femmes" qui ont suffi à me convaincre de l'emporter. Je ne le regrette pas ! Tout d'abord parce que ce poème en vers hendécasyllabiques subdivisé en quatre chants est accompagné d'une très intéressante préface de jean M. Goulemot qui y avoue au risque de contrarier le traducteur frédéric Prot qu'il lui aurait préféré le titre de "El arte de putear". Nous aussi. Il s'agit ni plus ni moins du premier (1750 si j'ai bien compris) guide de la prostitution s'exerçant à Madrid, un guide pratique recensant les "artistes" et leur spécialités, données GPS (j'exagère...) comprises ! :
<< à la Puerta del Sol, ou bien encore dans la rue de la Montera, la piquante cochère retrousse sa jupe au son des fouets qui claquent aux voitures. De peur de crotter tant et plus sa basquine elle se la met à l'envers! La Margot te pèse les testicules de cette main et dans la plus grande discrétion. A te voir ainsi absorbé la pine bien raide, la voilà qui glisse son autre à la bourse et te friponne si de tes mains tu ne presses pas bien vite les siennes et ses tétons >>
Un guide mais pas seulement, une façon aussi de n'en point concevoir de culpabilité tant l'auteur y voit la nature de l'homme seulement montré du doigt par le Législateur inique, mais aussi la façon pour "le torero grand fouteur" de ne s'y ruiner ni la bourse ni la santé ! Les justifications de l'art de putaner y sont savoureuses :
" A-t-on jamais rien inventé de plus avantageux que la putasserie ? Que chacun l'envisage à part soi. Le sang tout échauffé fermente chez le jeune homme robuste et plein d'ardeur, chez le vieillard, chez le clerc ou le moine. Après avoir purgé les reins de leur crasse, il file vers le bas par de tout fins canaux et s'en va enfler les couilles ballantes. Les muscles souples s'en dilatent et l'instrument viril, tumescent, se dresse, gonflé, jusq'au nombril. L'abondante semence qui le gorge brûle de jaillir : aussi bien est-elle un toxique avéré tant qu'on la retient, si l'on en croit le docteur Hippocrate"
Je ne déflorerais pas plus ce texte comportant des passages encore bien plus crus ou savoureux et que l'excellent préfacier trouve profondément original parce que "composite, disparate, carnavalesque, parodique et burlesque... surprenant par l'emploi simultané d'un vocabulaire cru, jugé bas, peu habituel dans la poésie amoureuse et l'envolée lyrique ou épique parfaitement dominée pour décrire le commerce sexuel''. Ajoutons à l'agréable tableau les notes savantes du traducteur et les gravures de Thomas Verny ce qui en fait assurément un petit livre à acquérir. Après, ir de putas ou non, que chacun s'arrange avec sa conscience, son désir, ses inhibitions, ses fantasmes et son reliquat d'éducation judéo-chrétienne !
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Pour en savoir plus sur ce livre : www.artdesputains.com
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