Après une longue route la cuadrilla est enfin arrivée dans la placita de tienta où un torero va se révèler craquant. (lire d'abord le premier épisode)
Serge fut le héros de cette journée. Vous le connaissez peut-être : il s’agit d’un exemplaire gaillard, un costaud des Cévennes, Serge-le-maçon , un gentil, une pâte même, mais à qui je n’aimerais pas me frotter en cas de conflit impérieux… Habitué au travail, de l’aube au crépuscule -les trente cinq heures en deux jours- de la fournaise de l’été jusqu’au givre de l’hiver, à jeun de revendications cégétistes, laborieux jamais fatigué, il a épuisé plus d’un jeune compagnon présomptueux qui pensait suivre son rythme. Le genre de poignet qui vous gâche une brouette de mortier alors que vous en êtes encore à remplir la bétonnière… Il a beaucoup ri quand la médecine du travail a imposé les sacs de ciment de trente-cinq kilos à la place des traditionnels de cinquante qu'il transportait par deux. Vous vous rappelez du poignet indéfectible du Cordobes ? Le Cordobes qui se serait fait happer tout entier plutôt que de lâcher sa cape… non ? Ca ne vous dit rien ? C’était du poignet de chochotte en comparaison de celui de Serge. Pardon ? Vous êtes trop jeune pour avoir vu le Cordobes ? Hé, oh, ça va hein… Y’a pas de quoi être fier, vous avez aussi raté Ordonnez donc, et puis le Viti, Antonete, Camino, Puerta, Paquirri, Robles, etc … vous avez tout raté quoi… Serge lui, a les pieds sur terre et le sens des valeurs. Après quinze heures de route à confire dans l’habitacle de l'Espace, il a déployé sa carcasse pour fouler le sable mythique de la placita de la finca de Partido de Resina. Pour une première, vous conviendrez de l'importance du lieu. Un lieu chargé d’histoire où les plus grands des maestros craignaient, il fut un temps, de venir se frotter aux vaches retorses. Lui non, craint rien. Et ce jour-là, l’arène nous a révélé qui était vraiment Serge-le-maçon… Lui, le râblé, le trapu, le bréviligne musclé, l’homme des fondations, des ancrages terre à terre, des gâchées de mortier, des soulevés de poutres, le forçat de la truelle, l’Attila des brouettes, que dis-je, le Gengis Khan des rochers excavés s’est soudain mué en danseur délicat et aérien. Regardez-le sur la première photo, quelle grâce ! Avec quelle voluptueuse légèreté il esquive la brute épaisse. Il n’est plus maçon, il ne bétonne plus, ahanant à quatre pattes sur d’ingrats parvis, il torée avec art pardi ! Serge-le-rustaud s’est mué en elfe, en génie de l’air près de qui Serge Lifar n’aurait été qu’un danseur étoile pataud et brandinas (en occitan : grand échalas dégingandé). Et pourtant, voyez comme le fauve était vicieux : même à l’abri de la talenquère, on n’était pas à l’abri ! On en giclait comme les lapins d’un terrier visité par le furet. Serge-le-gracieux a inscrit cinq minutes durant, les plus harmonieux muletazos qu’il ait été donné de voir au sud du Guadalquivir depuis la retraite du Curro statufié. Hélas, sans que personne ne puisse en donner une explication rationnelle, l’ensemble alluré s’est brusquement désuni et Sergio Biscottos a réapparu. D’abord, il n’aime pas prêter ses affaires, elle est à lui, sa moulleta. Voyez comment il l’arrache des redoutables cornes (ouais ben eux au moins ne sont pas afeités...) accaparantes ! Et puis est survenue cette tentative éhontée d’émasculation caractérisée et alors... ça a mis un terme au relâchement quasi sacrificiel qu’il avait imposé à son corps musculeux et à l’urbaine collaboration entamée entre les espèces. Les bourses ou la vie, Serge a voulu choisir. Alors il a commencé à toréer long, de fond de ruedo, sans plus monter au filet, comme une brute de tennisman argentin : tout en revers liftés, des beignes de grizzly, et coups droits assassins de bûcheron de Patagonie, à la Guillermo Vilas pour ceux qui s'en souviennent. Et c’est là qu’il a résonné dans toute la placita pétrifiant les spectateurs que nous étions : Craaac ! qu’il a fait… le toubib et moi on s’est regardés d’un air entendu, y’a pas trente-six tendons capables d'un tel bruit. Des tribunes du stade jean Bouin on avait entendu claquer celui de Ian Pircalab l’espiègle ailier Roumain du Nimes Olympique. Plus de ressort, plus d’impulsion, boitant bas, Serge a quitté le Louis d’or du sable de l’arène et a rejoint le dispensaire de Sanlucar La Mayor… Le diagnostic est tombé aussi méprisant qu’une trinchera : el tendon d’aquilles esta roto !
- Et ce sera long ? Qu’il a demandé Sergio, les yeux pleins d’espoir.
- Non, une petite opération d’abord, puis six semaines de plâtre et enfin six semaines de rééducation.
Serge-le-maçon a blêmi jusqu’à une température de couleur que la correction colorimétrique de photoshop n’a pas encore envisagée, puis a rétorqué :
- Alors là, c’est pas possible : la salle de bain de Maurice doit être finie mardi.
si je peux me permettre Serge : la prochaine fois, l'église du Rocio d'abord, la tienta après...
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