jeudi 29 avril 2010

Un peu de médecine...

José Tomas absent des ruedos les sept prochains mois ? Les sept prochaines années, peut-être, nous ne savons rien de l'impact de cette blessure sur son psychisme. Mais pourquoi ne serait-il pas entre les cornes dans sept semaines alors qu'il courra, jouera au football avec les gamins d'Estepona ? Fonctionnellement, il pourrait.
Mais cette réparation vasculaire a vraisemblablement causé des dégâts tels que des prothèses artérielles et veineuses ont été nécessaires. Et ces tronçons de tuyauterie artificielle, tant qu'ils ne sont pas revitalisés naturellement par la constitution d'une tunique interne, présentent des risques d'apparition de caillots avec les conséquences gravissimes que l'on sait en cas d'embolie. Donc le patient est placé sous anticoagulants. Et qu'arriverait-il, sous anticoagulants en cas de nouvelle blessure hémorragique, mmm ? Voilà, vous avec compris pourquoi les revendeurs de billets au marché noir s'arrachent les cheveux....
Je voulais écrire quelque chose sur ce que m'inspirait cette blessure, José Tomas, sa future absence, l'attente et la frustration suscitée et puis j'ai lu le papier d'André Viard. Et je me suis dit que ce n'était plus la peine. Si on ne peut recommander ses éditos tous les jours - déjà parce qu'on ne le lit pas si souvent - quand il touche juste, pourquoi pas. Son "Esthétique de l'Effroi" est parfois trop ampoulé à mon goût, mais j'ai trouvé très juste le sens profond, en tout cas la traduction juste de ce que Tomas m'inspire quand il torée. Donc merci dédé (putain on aura tout lu...). C'est là :
http://www.terrestaurines.com/forum/actus/01-04-10/26-04-102.php
Ah bon ? 'l'aviez d'ja lu ? Bon... Et alors ? ça vous avait plu ?

mercredi 28 avril 2010

Campos y Ruedos 01




De quel poids négligeable auraient pesé mes arguments en faveur de ce livre : tout le monde sait le copinage qui nous lie. Alors j'ai demandé à Maja Lola dont j'avais remarqué les commentaires sagaces, de bien vouloir s'en charger. Elle a dit "oui"... Je la remercie et vous livre donc ses impressions sur ce volume de littérature taurine collectif. Moi, je dirais simplement que la tauromachie vue de la lorgnette de ceux qui l'aiment et la défendent sans autre intérêt que de vivre les émotions, le plaisir et l'écho intime qu'elle renvoie, c'est forcément rafraîchissant. Logique, non ? De plus, aimer écrire au sujet d'une passion ne pouvait que potentialiser le plaisir, et des auteurs et des lecteurs.


Résumer ce livre me semble un exercice périlleux et délicat, voire impossible. C'est vouloir décrire des vécus, des sensations, des rêves, des folies, des instants de grâce, des ressentiments, des haines, de la compassion, très divers dans leur expression et leur forme.
C'est donc par coups de cœur, par auteur, que je fais mon miel car je crois être une "gentille" mais pas toujours "consensuelle" ...
Tous les thèmes sur le TORO sont abordés (lieux, élevages, toreros ...) entraînés aussitôt que nous sommes dans une tasca madrilène où l'on savoure goûts, odeurs, bruits, mais aussi échanges aficionados avisés et fougueux (La Venencia. J. Durand)
Un séjour à Salamanca nous laisse pantois avec un inventaire à la Prévert échevelé et évocateur (333. Ph. Marchi).
Point sensible. L'incommunicabilité entre les pro et l’anti-corrida qui nous mène à la question : pourquoi chercher à convaincre ? Pourquoi justifier des choix ? Les vivre ou les affirmer en les revendiquant devrait suffire (Aux armes ! J. Pradet).
TOROS !
Force, puissance et caste de 6 toros Raso de Portillo indomptés qui auraient supporté avec bravoure un travail plus exigeant, plus adapté à leur valeur (Et la terre a tremblé. J. Pradet)
Comment ne pas se rappeler les 7 piques de Montenegro (Yonnet) puis un seul cri "indulto !" resté sans effet ... (Yonnet. F. Bruschet)
D'autres évocations de toros bravos viennent rappeler que tout n'est pas perdu. La fin du sobradero Oreganer nous fait vibrer : l'attente pleine de lyrisme du sorteo, "l'épée libératrice du matador (...) sous une chape de silence trouée par d'ignorants et malheureux pitos" (Le grand voyage. Ph. Marchi).
Et que dire de Clavel Blanco (Arles) bête de 610 kg qui ressemble à un vulgaire corralero et qui aguanta 5 piques et 20 minutes plus tard face à un torero minus ? (Clavel Blanco. F. Bruschet)
De Diano, bête courageuse et redoutable et autres Saltillo (Les souris et les gnomes. H. Angulo), Toro Lunar à la robe si singulière (L. Larrieu).
De Confitero, toro bravo qui avait tout à partager et qui a été "expédié" alors qu'un toro digne doit pouvoir recevoir 3 piques bien maîtrisées et mesurées ? (L'énigme du toro de lidia. Th. Thurriès).
Quant aux élevages, une fin annoncée des encastes glorieux fait ressortir la sublimation des toros de Dolores Aguirre qui conservent encore force et valeur (En réponse aux abolitionnistes. F. Bruschet)
De même qu'un plaidoyer pour la liberté de choix et la diversité rappelle que les critères de choix et d'appréciation de l'esthétique d'un toro ne sont pas explicables. Aucune vérité en ce sens (cornes, poids, ...) Il faut accepter l'effet de surprise d'une corrida, spectacle éphémère et imprévisible. Humilité devant ce mystère (Plaidoyer pour la liberté de choix. Y. Olivier).
Puis Marchi nous entraîne avec fraîcheur et simplicité dans la finca de Angel Nieves Garcia ou comment plonger dans un campo profundo parmi des êtres taiseux, simples et généreux (Voyage au bout de l'Aficion. Ph. Marchi).
Beaucoup d'émotion et d'élégance du patriarche PALHA, hombre de otras edades (Fernando Palha. L. Larrieu).
Enfin, une découverte de Mirandilla où le marquis de Albaserrada nous rappelle le novillo Laborioso, seul toro indultado en la Maestranza. Notre gardois Fabrice Torrito officie en ce lieu, chargé d'un "agrotourisme intelligent". Mon voyage en Andalousie me les firent connaître tous deux au cours d'une visite au campo ensoleillé dont je garde un beau souvenir (Mirandilla. Y. Olivier).
Et que dire des Toreros ?
D'un César Rincon touchant (Le jour le plus spécial de sa vie. F. Bruschet) à un José Tomas négligeant toute qualité artistique pour se crucifier dans une folie suicidaire aux prises de risques gratuites (José Tomas. F. Bruschet)
D'un Nimeno II capturé et immortalisé par l'objectif de Putterman et dont le regard triste semble déjà dans l'au delà à un Espla pris par un Valverde avec la complicité d'un vent traître et sournois (Luis Francisco Espla. F. Bruschet).
De l'émotion aussi avec l'évocation de "Tomatito". Ode à ses racines, au destin de son peuple d'Egypte en Andalousie, où la douleur du chant et de la musique devient à la fois profonde et délicieuse (Las seis hermanas de "Tomate" J. Pradet)
Avec la photo de Bastonito "qui lit le cartel". Vie exceptionnelle de César Rincon où douleur, drame et réussite font la légende du maestro (Regarde. C'est un peu d'Amérique L. Larrieu)
L'humour n'est pas en reste en évoquant une tienta dans la finca El Collado où il est question d'une faena dédiée à la com' et dont le marketing "youtubesque" n'a rien à envier à notre Clooney qui nous fait tant fantasmer (nous, les hembras !) (Something else. L. Larrieu)
Le tourisme gastronomique menant à tout, est mis en évidence le combat chevaleresque que mène José Tomas pour sauver la crevette ibérique. Cela vaut bien l'abandon d'arènes majeures pour se consacrer à une tournée dans des arènes "costadelsoliennes" : la relance de la crevette passe par là !
Idem pour des arènes françaises "people" (Dax) ou "temple planétaire de la tauromachie » (Nîmes by Simon) (Il faut sauver la crevette espagnole. L Larrieu)
Restons dans la gastronomie avec ces truculences gargantuesques et autres bacchanales sur les gradins de Pamplona. La glacière de Maria, puits sans fond, vaut le détour ! (Dancing King. L. Larrieu)

Le dernier chapitre, la Rentrée, est désopilant. C'est du Pagnol du Sud-Ouest, voire .... du Sud tout court ! Dialogues vivants, "avé l'assent" qui sent bon Nîmèssss (dixit un ami lozérien). Cette saynète mériterait une mise en scène, autour d'un fino, pour clôturer une soirée de fête
Maja Lola

lundi 26 avril 2010

Amours Vaches de la Crau




Ce baiser renversant, fut donné à Alberto Aguilar par "Vinatero" un Prieto de la Cal colorado bragado de cinq ans et demi sorti en deuxième position qui mobilisa une extrême vigilance en piste de tous les toreros à la suite d'une grosse erreur d'appréciation d'un torero qui ne le fit pas assez piquer. Sans doute par démagogie, devant les manifestations d'une foule qui rouspétait qu'il aille une cinquième fois au cheval - et alors ? - en de brèves rencontres spontanément abrégées. Une ration double aurait peut-être commencé à l'essouffler un peu. Vinatero, un costaud de 570 kg, méchant comme un toro qui combat pour ne pas mourir doit l'être, n'était certes pas un brave mais en terme d'agressivité il était là et bien là ! Cela faisait plaisir à voir. Du moins, à l'abri. Il sortit comme stimulé et régénéré du tercio de pique et prit son torero aux banderilles et à la muleta, et bouscula aussi Lescarret venu au quite. Sans mal. Mais panique en el ruedo sur les écrans. Aguilar, ce tout petit torero, d'emblée, se centra crânement entre les cornes mais le volume de la bête et la race de sa colère le firent vite dégager (photo). Il fit preuve de vaillance et de pundonor ce qui lui valut le prix du meilleur torero du jour. Il coupa une oreille à un second plus léger, sans doute "pour l'ensemble de son oeuvre".
Julien Lescarret ne sut jamais s'imposer avec le calme qui le caractérise souvent, tandis que Savalli ne composa rien de vraiment marquant à l'exception des trois paires de banderilles à son second. A signaler un tercio de pique donné très proprement par gaben Rehabi malgré une deuxième trop en arrière. Il saluera en piste avec Aguilar à l'issue de la course.

dimanche 25 avril 2010

Pas de miracle a Saint Martin de Crau



Non, pas de miracle, la sacro-sainte religion de l'indulto consternant a encore été célébrée hier, dans la plaine de la Crau. Morne plaine donc pour ce qui n'était qu'un novillo à l'encornure mal implantée, ne révélant rien de remarquable sous la pique. De l'allant, avec une belle amplitude de charge, ça oui, j'avais remarqué, mais ne pas être invalide ne justifie en rien de passer à la postérité.


Que quelques couillons - c'est pas un crime d'être couillon - beuglent dans les gradins pour un indulto passe encore, une foule est ce qu'elle est. Encore que l'on puisse vraiment se demander si les premières revendications ne seraient pas de la dérision... du moins on en conserve l'espoir ! Mais que le refrain soit repris dans le callejon par ce mundillo rigolard de la bonne farce qui semble prendre, est affligeant. Vous, vous pensez : c'est incroyable que les parties prenantes du spectacle se tirent ainsi une balle dans le pied ? Eux semblent penser : Vé, comme il est con ce public, plus tu les entubes, plus il se régale ! Encore faut-il trouver un président qui accepte de sortir le mouchoir ad'hoc, fallait oser.



Tout ça, rend particulièrement écoeurante la lecture de la portada de mundotoro où ce non-évènement cotoie le don total d'un homme qui, parce qu'il ne triche pas, engage son pronostic vital à chaque course. Indécent. Imposteurs de tout bord, vampires imbus de trophées indus, buvez à votre succès les huit litres de sang tranfusés dans les veines de José Tomas. A la bonne vôtre.

Gravissime Cornada pour José Tomas



Gravissime cornada donnée à Aguascalientes par un toro de Pepe Garfias dans le triangle de Scarpa ayant nécessité trois heures d'intervention et huit litres de transfusion sanguine. D'après l'information que l'on m'a donnée, le torero aurait été sauvé de justesse.
http://www.mundotoro.com/

jeudi 22 avril 2010

Manolete, le Calife Foudroyé



Manolete, Le Calife foudroyé.

Anne Plantagenet dresse un portrait de Manolete, retrace les grands moments de sa vie, et les petits, ceux de l’homme et ceux du torero, et ceux de l'Espagnol des années 1917 à 1947. Elle réfléchit à tout ce qui le définit, elle nous offre de lui une image exacte et non tronquée en exploitant largement les archives et les témoignages après avoir traqué elle-même sur place les faits les plus significatifs.

Le livre commence au 27 août 1947 quand Manolete se rend de Madrid à Linares pour y toréer le lendemain, et se structure en chapitres correspondant au déroulement d'une corrida.

Paseillo présente les personnages avec leur identité et leurs états d'âme. Manolete d'abord, songeur, déçu par le public, triste, pressé de prendre sa retraite en Amérique. Trois hommes l'accompagnent, trois amis : outre le journaliste Bellon, il y a Guillermo, de six ans l'aîné du Nino, qui a partagé avec lui la pauvreté, les privations, les jeux taurins puis plus tard, en 1936, le front d'artillerie, et les rêves de gloire. Il est devenu son chauffeur, valet d'épée, conseiller, confident, ami intime, dévoué et possessif jusqu'à la mort. Camara, depuis 1936 est l'homme d'affaire, austère, intransigeant, autoritaire qui discute contrat, choix des taureaux et revenus à la place de Manolete dont il a reçu les pleins pouvoirs. Il a accepté un changement dans le choix des taureaux pour Manolete, demain. Il aura des miuras – c'est déjà arrivé sept fois - afin de lui défendre sa réputation. Gitanillo de Triana. et Don José Miguel Dominguin à qui il avait confirmé l'alternative, très sûr de lui, toréeront avec lui.
On est peu bavards dans la buick : l'ambiance est crispée. On critique les moeurs de Manolete, ses amours impossibles.

Piques s'attache à décrire l'ascendance du héros, ses père, grand-père, oncle qui furent toreros, sa très catholique et pieuse mère, Angustias qui perdit ses deux maris toreros et pousse aux études son nino pour qu'il ne cède pas à l'envie de les imiter. Dernier et unique fils restant à Angutias, au milieu de cinq filles, le nino, Manolete, a six ans quand son père meurt. Calme, introverti, aimant lire et dessiner, sensible, - parfois excessivement -, capable de rancune et d'orgueil, très croyant et très madrero, il se soumet le plus souvent à la volonté des adultes et de sa mère, mais s'obstine et persévère dans son idée d' abandonner ses études à onze ans et demi pour toréer et rapporter de l'argent à sa famille trop pauvre. On assiste à la naissance de sa vocation, à sa première blessure quand il joue et s'entraîne avec ses camarades de la Merced, à Cordoue, sa ville.

Banderilles consolide la formation du nino, qui commence à toréer, surprendre, s'offrir sa première bicyclette d'occasion, à figurer en Manolete (1931) à l'affiche d'une novillada. Il s'engage dans la troupe des Califes en 1933 et pour la première fois de sa vie, il entre dans les arènes de Linarès, puis il se rendra à Arles et Nîmes en Juin 1934 pour affronter des taureaux dont il doit se contenter de simuler la mise à mort. Peu à peu, il torée, étonne, réussit.
Il porte son premier habit de matador et triomphe à Madrid en 1935.
Il obtient trois gros succès ensuite, dans les arènes de Cordoue et comme il continue de toréer malgré la guerre civile, il obtient son alternative en juillet 1939 à Séville. À 22 ans, il est triomphalement confirmé matador de taureaux à Madrid, le 12 octobre. C'est le point de départ de ses nombreux contrats.

Faena expose dès 1940, ses grands triomphes, sa richesse, son grand succès à Madrid. C'est là qu'une belle actrice divorcée, Antonia Bronchalo soit Lupe Sino remarquera que « c'est un grand torero, mais dur et sec comme un manche à balai ». Pendant ce temps, Lui, devient Le Monstre, en tête des matadors de taureaux. Il s'amuse enfin, sort, fume, boit, aime le flamenco, et tombe fou amoureux de la petite Lupe en 1943. Les succès continuent. Le 6 juillet 1944, à Madrid, il rentre dans l'Histoire, Lupe à ses côtés, puis il est célébré à Cordoue, Valence. Le 8 mai 1945, la tête de son taureau, marquée du V de la victoire est discrètement envoyée à Churchill. On lui oppose des toreros célèbres comme Arruza, un Mexicain qui deviendra son ami et Luis Miguel Dominguin.
C'est aussi sa période des grands voyages entre Madrid, Lisbonne, Mexico, New-York...
Partout, on aime sa façon de toréer très près du taureau, il danse avec lui sans regarder ses cornes et les fixe, eux, les spectateurs comme procéda avant lui Bienvenida,.. L'union qu'il crée avec son taureau est parfaite … C'est une véritable star qui ne se déplace jamais dans les rues sans une troupe de gosses excités autour de lui, ses lunettes fumées sur le nez et se prête aimablement au jeu des photographies : hommes d'église, bonnes soeurs, célébrités en tout genre, tout le monde veut figurer à ses côtés. Toréer avec lui est un honneur et un défi, pensent ses concurrents : Manolete sort tout son répertoire. Le classique et même l'ornemental, naturelles pures et manoletinas spectaculaires, derechazos et les désormais célèbres passes, regard tourné vers le public qu'il ne trahit jamais, pas plus que ses impresarios. Alors, le sable se couvre de chapeaux, de fleurs, de foulards, d'éventails...le lyrisme s'épanouit comme la gangrène.
Les intellectuels font ses éloges dans la presse, composent des poèmes. On pense que Manolete est le meilleur, l'unique, qui a « millimétré la tauromachie, bouleversé toutes les règles de l'art de toréer » ; des dîners sont organisés pour lui, en son honneur, à Cordoue, pendant l' hiver 1944-1945, à Madrid aussi, avec de grands et nombreux écrivains en queue de pie et noeud papillon, tandis que Manolete est dans son costume andalou, fort intimidé. Il est très sollicité, recherché... par des associations caritatives, aussi. Albert Gance lui propose de jouer dans un film qui le célèbrerait. Autre paella géante en mai 1945, à Valence où les deux rivaux, Manoleto et Arruzo, l'alcool aidant, vont devenir de grands amis. Il reçoit de nombreux visiteurs dans sa chambre d'hôpital après une grave blessure en juin 1945, on lui consacre une biographie, il pose pour les photographes ...Au cours de ses voyages, en Amérique où il croit s'évader, libéré de toutes ses chaînes, il est démasqué, interviewé, célébré, à Curaçao en novembre1945, puis à Cuba, puis à Mexico, incapable qu'il est de retrouver hors d'Espagne, un peu d'anonymat. Seul Hemingway vexé d'avoir à l'attendre partira sans le saluer !

La mise à mort. Nous sommes de retour à Linarès, les 27, 29 août 1947 où nous l'avions vu se rendre au tout début de cette biographie. Opposé à Gitanillo et Luis Miguel Dominguin, la mise à mort, nous le savons, sera la sienne et celle du taureau, Islero.

Arrastre
. L'après-vie, les funérailles. Les hommages mondiaux, qu'on ne saurait énumérer ici affluent à Cordoue. Churchill écrira une lettre émouvante. Franco ne se dérangera pas pour les obsèques.


Très vite dans cette glorieuse vie, Anne Plantagenet n'a pas manqué de relever les signes avant-coureurs de difficultés croissant au rythme des succès... Manolete, on le juge laid « jambes cagneuses, yeux globuleux, pomme d'Adam et nez proéminents, le grand garçon maigre est si différent de l'ensemble de ses compagnons qu'il produit sur le public catalan une très forte impression ».
Il est en mauvaise santé depuis l'enfance, après une pneumonie ; sa maigreur accentuée par les privations faillit lui interdire la tauromachie ou le service militaire. Il souffre de maux d'estomac, exagère avec le tabac, l'alcool, puis la cocaïne que ses amis de Madrid et Lupe lui ont appris à consommer.

Il collectionne les blessures, dès ses premières tientas... Peu à peu, son corps est couturé de partout...il a encaissé dix-huit coups de corne graves, cuisses, aine, ventre, clavicules, mains, épaules, plus diverses blessures au genou, commotions cérébrales, fractures qui l'ont immobilisé parfois pendant plusieurs semaines...et cette cicatrice qui lui mange à jamais la joue gauche..
Ne parlons pas de son accident de voiture sur la route de Pampelune en Juillet 44, de son doigt cassé qui l'obligea à toréer de la main droite bandée et à s'armer de deux épées, une factice légère qui sera troquée ensuite contre la vraie et dont l'usage fut dès lors, lancé. Des combats faillirent être annulés à cause de sa faiblesse, Le jour de sa présentation, à Mexico en novembre 45, ou quand il inaugure les arènes de Mexico le 5 février1946, il est si mal en point que Camara décide de tout annuler, mais il torée quand même. Le rosaire auquel se cramponnaient constamment les doigts fébriles de sa mère n'empêchaient pas que des injections de cortisone et des fortifiants soient nécessaires pour le soutenir.
Et c'est moralement, qu'il n'en peut plus. D'un côté, s'opposer à sa mère qu'il vénère, aide, couvre de cadeaux, vautre dans le confort quand elle exige qu'il repousse Lupe, qu'il ne l'épouse pas, et de l'autre, aimer Lupe, avec les interdictions, les doutes, leurs colères, les jalousies, la rupture, c'est atroce.. S'ajoute à cela, la désapprobation de ses sévères hommes de main, du public qui critique ses moeurs, traite Lupe, de Serpent, de Pute, et éveillent en lui de douloureuses suspicions.
Dans l'exercice de son métier, le manque de taureaux abattus pour nourrir le peuple affamé l'empêche de toréer de 1937 à 1938 , ou alors, ensuite, ils ne font pas le poids.
Par chance en tant que torero connu, pendant sa vie militaire des faveurs lui seront accordées pour qu'il s'entraîne et torée. Par chance aussi, en tant que Cordouan, même s'il appartient à la région nationaliste, il ne prend parti pour aucun clan, ne perd pas son temps en haines politiques. Il rencontrera des socialistes au Mexique, gagnera leur amitié d' Espagnols exilés, sera le lien entre eux et leur patrie, entre les continents européen et américain. Seul Franco qui n'aime ni la tauromachie, ni les amours scandaleuses de Manolete, ni sa rencontre avec les socialistes du Mexique, ne se fatiguera, pas plus que lui d'ailleurs, en fausses démonstrations d'amitié.
Mais, si sa neutralité politique convient à l'exercice de sa passion, d'autres conflits épuisent le torero. Sa suprématie indéniable augmente le nombre de ses détracteurs. Le public le tue à petit feu, le hait pour l'arrogance de sa richesse et feint d'ignorer sa générosité. On ne lui pardonne ni ses voitures, américaines et rutilantes, ni ses maisons ni ses lunettes noires qui en font un étranger. Il déserte trop l'Espagne et Cordoue (qui rivalise avec Séville à cause de lui et des exigences financières de Camara). On critique sa maigreur, sa laideur, sa gravité, son arrogance, son style toujours le même, ses taureaux qu'il choisit « comme des veaux », sans doute drogués avec des cornes élimées. Il fut injustement conspué à Saragosse, Barcelone. Même à Mexico, après son succès à la Monumental, la critique espagnole influence la critique mexicaine et des détracteurs trouvent qu'il coûte trop cher, inventent qu'il voulait le retrait du drapeau tricolore républicain (or il n'y avait pas de drapeau). Et puis, quand il torée, il perturbe toute la vie sociale, urbaine, un décret demande de ne pas dépasser le nombre de corridas prévu.
Souvent, on le siffle, on lui assène des injures, on lui oppose des toreros de plus en plus difficiles : Arruza, le maestro mexicain que sa beauté et « sa tauromachie solaire » exaltée ont déjà converti en légende vivante, Luis Miguel Dominguin, avec ses cheveux gominés, plus présentable que lui, gracieux, plus entouré, ...vingt ans, les dents les plus longues de la profession, une arrogance à faire trembler un arbre, un goût prononcé pour la provocation et l'exhibition sans scrupule...nouveau venu, il n'a qu'un but et il l'a exprimé clairement, détrôner le « Monstre ». A. Pantagenet sait bien nous dire les fluctuations des états d'âme du public, ses cruautés et ses manoeuvres, la rumeur tueuse, perverse, incontrôlée.

Aussi, à Linarès, ce 28 août 1947, la souffrance est à son paroxysme. Le trajet a été exténuant et se cristallisent sur Manolete tous les avatars habituels : la fatigue extrême, les maux d'estomac, plus une mauvaise nuit dans une chambre inhabituelle, bruyante, la pensée de Lupe, l'envie d'en finir. Et les taureaux. Camara n'a pas dit que les deux miuras sont très spéciaux, qu'ils se sont agités et battus toute la nuit. Son premier est bizarre, "une véritable horreur... se retourne très vite" ; il ne peut rien en tirer malgré des passes spectaculaires...que des sifflets! L'autre, Islero, ne collabore pas, s'avère très dangereux, cherche à attraper l'homme. Manolete, déjà enragé par le succès que vient de remporter Dominguin, s'entête quand Guillermo et Camara lui font signe d'en finir très vite. Non. Il se lance dans des derechazos impressionnantes puis tire de somptueuses passes, puis ses manoletinas, puis, il s'agenouille devant la bête, pour la première fois ! Pour impressionner, supplanter l'autre, il prolonge plus que jamais avec une majestueuse lenteur... Comme il lui donne la mort, l'animal plante sa corne dans l'artère fémorale. Et on connaît la suite. Il n'a pas de chirurgien attitré comme Angustias le lui avait conseillé.

On est bouleversé par la lecture, écrasé d'informations et pourtant on ne ressent jamais de lassitude. Le texte n'est pas une biographie de dictionnaire délivré dans un ordre chronologique, mais un beau récit littéraire, élégant, vivant, plein d'anecdotes, de suspense, aéré de courts dialogues ; il donne à voir, à s'émouvoir et craindre à mesure que le temps s'écoule et que les coups du destin, on le sait, vont frapper comme un glas, à des heures de plus en plus précisées.
L'ensemble est une métaphore de la corrida, comme la vie du héros, comme toutes les vies, pourrait-on dire, se terminant par une mise à mort. Outre que Anne Plantagenet exprime une profonde connaissance de l'Espagne et du sujet tauromachique, elle possède une grande empathie pour décrire les lieux et s'identifier aux personnages : sa finesse lui donne l 'intelligence des situations, elle sait lire de l'intérieur à travers les secrets, les rancoeurs, les doutes des personnages et du héros, complexe et fascinant. Tout est supérieurement articulé, la lumière s'immisce silencieusement entre les failles de l'histoire pour en accroître, la vie, la vérité, le plaisir.
Au fond, ce qui plaît ce n'est pas l'issue des événements, puisqu'elle nous est donnée dès le premier chapitre, même si au fil de la lecture, on se laisse prendre au jeu et on l'oublie, mais c'est la manière dont les choses se passent, le dessous des cartes et les zones d'ombre de l'histoire, où l'imagination s'épanouit pour mieux rejoindre la vérité historique, le respect des dates, des lieux, des témoignages. On fait partie de ce public d'arène, on se promène dans les petites rues, on roule au milieu des champs calcinés, on entend, ceux qui, du pas de leur porte, affalés sur leurs chaises pliantes bavardent à la fraîche... sur les places des villes surchauffées. On y est dans ce public quand à Madrid, le 6 juillet 1944, il fait encore chaud sur les gradins. Les dames ont mal au poignet à force de s'éventer... les nouvelles arènes de la capitale sont si hautes qu'on se croirait dans un entonnoir. Une étuve...
On pense avec la mère qui s'inquiète, avec le fils qui doute, il se dit que Lupe, n'est pas une femme pour lui, il se surprend à la détester, elle n'en veut qu'à sa fortune, rit de lui dans son dos et le trompe avec tout ce qui bouge... Mais dès qu'elle est là devant lui, contre lui, tout s'estompe et ne subsiste qu'une certitude …..
On imagine, à la suite de l'auteure, Manoleto dans l'arène, à Mexico, livide, malade comme un chien, Manuel Rodriguez s'avance sur le sable mexicain, la montera à la main. Quelques vingt-cinq années après son père. C'est une angoisse sans nom. A ce moment-là, juste avant d'affronter son premier adversaire, il voudrait disparaître sous terre, s'enfuir à grandes enjambées. Pourquoi n'est-il pas devenu maçon? Se surprend-il à penser. Dans une poignée de minutes, il sera peut-être mort... Quand on l'applaudit, après de suaves véroniques, les spectateurs crient au miracle. Lui ne songe plus à rien, concentré.

En plus, Anne Plantagenet respecte le lecteur, facilite sa lecture, soulage sa mémoire par des reprises, des raccourcis qui résument ce qui vient d'être lu. On s'y retrouve toujours. Grâce aux notes renvoyées en bas de page, le récit n'est jamais interrompu, il garde sa cohérence et sa vivacité.
On a beaucoup appris. Sans s'ennuyer sur l'Espagne et l'univers tauromachique qui aujourd'hui, semble-t-il, n'a rien inventé.

Il n'est pas étonnant que Anne Plantagenet ait reçu un prix du récit biographique en 2005. C'était bien un ouvrage tout indiqué pour le Diable Vauvert au moment de la sortie du film de Menno Meyjes.
Gina


mardi 20 avril 2010

Antoine Martin emprisonné

Nous apprenons avec regret qu'Antoine Martin déclaré coupable d'avoir gagné le prix Hemingway en 2009, se verra contraint à l'univers carcéral, ses avocats du diable lui ayant mitonné un stage en prison. Accompagné d'Eddie Pons quand même, pour adoucir la peine, ils réaliseront derrière les barreaux, des ateliers croisés écriture/dessin du 5 au 9 juillet pendant qu'on lèvera nos verres à Céret et Pamplona. Chacun son destin. Le diable nous apprend en outre que le prochain lauréat sera lui aussi incarcéré le temps d'une rencontre-lecture. Ah merde... je suis encore en course pour cette perspective... au fait les diablotins, quand connaitra-t-on la "short-list" des "finalist" ?
On apprend aussi dans ce communiqué :
Tous ces travaux pourraient être prolongés par l’édition et la diffusion des écrits réalisés, l’exposition des dessins croqués et des textes sur l’univers tauromachique. Les Avocats du Diable et Le Mobile Homme Théâtre à Nîmes réfléchissent au principe de mise en lecture de certaines des futures réalisations, intra et extra-muros, dans le cadre d’un partenariat. C’est par le truchement de Peuple et Culture du Gard que Les Avocats du Diable commencent à intervenir en milieu carcéral, parce qu’ils sont attachés à cet axe qui répond à l’une de leurs missions : celle de favoriser le développement de la littérature, du livre, de la lecture et de l’écriture en veillant au brassage culturel et à la mixité des publics de toutes origines. Aller par l’apport culturel à la rencontre des publics contraints, exclus et privés de liberté reste indispensable et fondamental car cet accès est un droit essentiel et citoyen et qu’il permet de reconquérir son droit de parole. Ces animations en milieu carcéral font l’objet d’un financement tripartite du Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) du Gard et de la Lozère représenté par son très actif directeur Jean-Pierre Sanson, de la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) du Languedoc-Roussillon et des Avocats du Diable. L’ensemble en partenariat avec la maison d’arrêt de Nîmes et en relation avec sa directrice Christine Charbonnier.

Bon ben, voilà, c'est dit. Pour ma part ça fait un petit moment que je réfléchis à commettre un gentil petit délit, style "voler un riche" par ruse, afin de passer un mois ou deux en taule pour enfin pouvoir écrire, n'avoir rien d'autre à faire qu'écrire, arrêter d'écrire ce putain de blog qui m'empêche d'écrire et enfin écrire pour de bon...


Saint Martin de Crau : pour ma fête...

J'ai dit à la Unica, la pena organisatrice à Saint Martin de Crau, que le 25 Avril c'était ma fête, la Saint Marc, vous savez. Alors ils m'ont concocté un truc sympa avec des beaux novillos camarguais et des gros toros de Prieto de la Cal, photogéniques, aux robes variées, que je compte mitrailler depuis l'arène toute neuve. Y'a de l'aficion dans le coin et les pâturages sont là, tout près. Et pas seulement pour des moutons blancs. Alors si vous n'avez pas d'engagements impératifs ailleurs, c'est là qu'il faut être ce week-end. Sans aucun doute, il y a souvent de bonnes surprises.
Ici les détails et les photos :
http://www.feriadelacrau.fr/index.html

dimanche 18 avril 2010

Portfolio "Camargue"

Bon, mettons... vous habitez la capitale, le bleu n'est pas la couleur qui vous éblouit le plus souvent, le silence n'est pas ce qui vous assaille au quotidien et les grands espaces n'existent que dans vos souvenirs. Quand au soleil, mieux vaut avoir la pudeur de ne pas l'évoquer. Non, vous, vous êtes la victime des décibels agressifs, des espaces pollués confinés, de la grisaille, du stress et du fast. La lenteur, l'espace, la lumière, la chaleur ne sont que des onguents cérébraux repassés aléatoirement une fois les yeux fermés, dans l'intimité de votre couche quand les voisins se sont enfin calmés. En plus, supposons, vous aimez bien les bêtes à cornes... Alors-là, oui, peut-être avez-vous intérêt à aller voir le nouveau portfolio téléchargé sur Darqroom. Pour patienter.
http://marcdelon.darqroom.fr/gallery

Evocation, acte manqué, lapsus, etc...

Découvrant à l'instant l'affiche choisie pour Orthez, je voudrais dire l'association d'idée qui m'est parvenue instantanément à sa vue. Puissent les amis Klein et Larrieu ne pas m'en vouloir de cette franchise. Je n'ai pas vu les autres projets mais sachant leur souci de valoriser le toro de combat et le tercio de pique, je trouve que cette affiche, belle au demeurant, évoque l'inverse du message subliminal vraisemblablement recherché. En effet quelle redoutable forteresse hippomontée ! Bouchant l'horizon et ne laissant planer aucun doute quant à la domination du piqueur sur le piqué... Une muraille imprenable que ne renieraient pas ceux qui négligent le toro et n'ont de cesse de gommer ses aspérités. Cher peintre inconnu, le parti pris contraire, aux proportions inversées, aurait plus stimulé mon imaginaire et donné à la mission du piquero ses lettres de noblesse et de courage : un cheval arrivant au niveau de la ligne du frontal de cette ombre de toro, avec un piquero regardant en l'air et brandissant sa pique à 45° vers le sommet de l'ombre inquiétante d'un morrillo hypertophié surmontant le groupe équestre aurait sans doute mieux atteint sa cible. Subliminalement, veux-je dire...

Portraits Malgaches




Après J. Laurent photographe de SM La Reina, c'est, plus près de nous, le Chulo (nom d'artiste) qui nous offre ces portraits glanés sur la grande île pour nous dépayser un peu vu que, les avions craignent la poussière. Merci à lui.


vendredi 16 avril 2010

Trombines d'inconnus célèbres

Francisco Arjona Herrera "Cuchares"

Né le 20 mai 1818 à Madrid, mais considéré "torero sévillan" par ses origines familiales. Mort le 4 décembre 1868 à la Havane, Cuba

Photo de J. Laurent vers 1857



Bruno Hazanas

Piquero vers 1860. Photo de J. Laurent


Cayetano Sanz
Premier torero madrilène important.

Photo de J. Laurent vers 1860. Tirage Albuminé



Rafael Molina Sanchez "Lagartijo" (petit lézard) né à Cordoue le 27 Novembre 1841, mort à Cordoue le 1er Août 1900.

Photo originale de J. Laurent photographe de Sa Majesté La Reine. 1865





lundi 12 avril 2010

Le Divan de Raoul, 2ème séance



Un mois s’est écoulé… Malgré les soins intensifs, me voici encore face à ma psychose taurine et en proie au doute paranoïaque :

- C’est grave docteur ?

- Allongez-vous et dites-moi ce qui vous vient à l’esprit…

- Voilà Docteur, j’ai fait un rêve, c’était dans une plaza , une plaza austère, comme seuls la Castilla Vieja, l’Aragon, le pays Basque et Alès (Gard) savent en bâtir. De ces plazas aux murs d’appareil cyclopéen dont le porche d’entrée semble avoir été dessiné par Vauban et dont les déambulatoires ressemblent à des couloirs de prison. Les spectateurs avaient des visages uniformément fermés sans l’ébauche d’un sourire comme si on avait cloné trois mille fois, la gueule du père Deibler (*1). Le président est arrivé, petit, ventripotent, avec son calot à pompon, il me rappelait quelqu'un mais la mémoire me fait défaut (*2). Sa garde rapprochée me semblait par contre « bien méritante » .
Les trompes ont résonné, le paseo s’est ébranlé, bizarre le paseo ! Les alguazils en moto, les picadors en tracteur, et l’arrastre en camion benne de chez Nicolin (*3). Seule la cuadrilla à pied était en traje de luce ; mon voisin me souffla :

- Ce sont les conservateurs qui l’ont imposé…

- Comment ça ?

- Ah, vous ne savez pas ? On a modernisé le règlement depuis Janvier 2015… il fallait dépoussiérer tout çà, réduire tout ce folklore, on leur a laissé le costume, mais à la prochaine révision en 2018… Avouez que le Jean serait bien plus commode.

- Et les types avec les sifflets ?

- Ce sont les arbitres, ils remplacent les assesseurs, ils sont là pour sanctionner les dépassements de ligne ; on peut suspendre un piquero pour plusieurs corridas en cas de récidive, il y en avait assez de ces espagnolades ! Ce qu’on veut nous, c’est des couilles sur le sable ! Et des cornes à faire pâlir d’envie les cocus.

Je risquai un timide :

- Et l’art dans tout ça ?

La riposte fut terrible :

- Les arènes c’est pas pour les gonzesses ! S’ils veulent de la musique et des danseuses z’ont qu’à aller à l’opéra d’Avignon, (*4) on y joue le lac des cygnes !

J’arrêtai là, la polémique, comme dirait mon ami Victor (*5)

Un nouveau coup de trompe, voici le fauve, impressionnant, je remonte de trois rangs dans les gradins, six cents kilos et plus, de muscles totalement construits en « Toutaliment massif » et une armure à rendre jaloux un cerf, les arbitres ont sauté dans les « bourladeros » et les deux tracteurs ont failli couler une bielle !
Les trois piques réglementaires ont été dispensées, l’une s’est même soldée par un pneu crevé malgré le caparaçon du tracteur, dans la poussée on pouvait lire sur le muscle tendu l’estampille « N.F » qui rassura mon voisin :

- L’an prochain on les exigera Bio me dit-il

La faena, après le brindis conventionnel, se déroula suivant la norme de qualité ISO 15958, comme me le précisa mon voisin. Il s’agit de six derechazos, six naturelles, trois pechos et éventuellement une ou deux molinetes avant l’entrée à matar. A l’analyse des résultats, l’ordinateur de la présidence accorda une oreille et la vuelta s’effectua dans l’indifférence générale.

Ici je me suis réveillé tout moite, en sueur et je ne sais pourquoi, moi qui ne vais jamais au stade, m’est venue l’idée de prendre une carte de supporter de l’O.M… C’est grave Docteur ?

- Disons que c’est sérieux… Cette répulsion semble s’apparenter à une tendance paranoïaque quelque peu hallucinatoire, doublée d’un refus systématique de céder à l’idéologie dominante, vous avez raison devenez supporter, mais vous allez en chier !

Raul




(*1) Grande famille Française spécialisée dans le raccourci historique
(*2) Encore l’Allemand !
(*3) Notable Montpelliérain spécialisé dans la poubelle et la Bouvine
(*4) Ville sans intérêt taurin…ni lyrique d’ailleurs !
(*5) Il s’agit de Paul Emique Victor, bien sûr !

samedi 10 avril 2010

Ceux que j'ai vus là-bas...



L'Oeil qui riait
A Ghardaia, les femmes Mozabites n'ont pas de burqa ou de niqâb, ni même de hijab. Elles n'ont que oualou, un petit trou, tout petit trou pistrou sans frou-frou car une fois mariées, personne ne doit les reconnaître. Et pis c'est tout ! Un petit trou en face d'un oeil donc, seule fenêtre sur le monde extérieur et pour éviter quand même tout cassage de pipe prématuré au saut d'un caniveau... Au bureau des guides, un petit monsieur au calot gris nous emmène en visite. Il nous prévient : vous pouvez photographier les enfants mais surtout pas les femmes. C'est sans compter sur l'Européen chiant de base, moi, qui lui demande innocemment :
- Et pourquoi ne peut-on pas les photographier ?
- Parce que, c'est leur droit le plus strict... si elles ne veulent pas...
- Mais... elles ne veulent pas... toutes ? Comment on le sait ? On peut le leur demander individuellement quand même ?
- Ah non, il ne faut pas leur parler !
- Alors... comment savoir, si d'aventure il n'y en aurait pas une qui, sans vous avertir, aurait changé d'avis ?
Non, parce que le petit guide là, il commence à peser avec son autoritarisme de macho... et moi je suis en vacances, tout détendu pour le pousser dans ses retranchements exigus...
- Non, non... croyez moi, c'est pas possible... (il boude déjà...)
- Sinon ? Son mari serait très méchant ? La société la considèrerait mal ? Pourtant comme c'est anodin une photo, hein, pas de contact charnel, rien...
Là, il ne répond plus, me décoche seulement son oeil noir, alors je renchéris :
- Surtout qu'en plus, recouvertes comme elles le sont... il n'y a aucune crainte de révéler quoi que ce soit ou même de les reconnaître ! On ne vole même pas leur image ! Ce ne sont que des formes blanches... Ah non, je sais... ce sont les maris qui, tétanisés par la peur qu'un autre les trouve jolies, ont inventé cette règle camouflante, pas vrai ? Mais pour se reconnaître entre elles ? Comment font-elles ? N'ont pas non plus le droit de papoter avec une amie rencontrée ?
- Alors là vous avez la mosquée à gauche... (il fulmine... je le mine...)
- N'empêche, fait Elsa qui termine sa médecine dans six mois, elles ont intérêt à changer d'oeil à chaque sortie parce qu'il y en a un qui travaillerait toujours et intensément, tandis que l'autre...
- Ouais puis t'as pas le relief, fait Nicolas son copain bientôt chirurgien transplanteur de foie, tu ne sais pas à quelle distance est ce que tu vois, essaye tu verras, enfin... ou pas...
Il déprime, doit maudire ces Européens qui ne s'intéressent qu'à ce dont il ne veut pas nous parler. Du coup à chaque fois que je croise une femme drapée jusqu'au scalp, je la salue bien bas très aimablement et ostensiblement, rien que pour faire chier notre guide qui ne voudrait pas que les choses, les gens, les goûts et les couleurs se mélangeassent. Et bien sûr, je les photographie, les Mozabites, car je n'en verrai pas tous les jours. Faut voir comme mon salut les effraie, elle fusent, giclent hors de ma vue, rasant les murs, tête tournée. Alors moi, j'exagère, je les rasete, je les recorte, les oblige au quiebro et Nicolas me dit que je suis le "Ghostbuster" de Ghardaïa avec mon zoom violeur d'identité. Ouais ! Je suis le violeur de Mozabites ! Lui est armé aussi d'un reflex mais il est jeune, sage, respectueux, bien élevé... Tout moi à son âge... Pfff... comme on évolue...
Ah ! il y en a encore une qui se pointe, je me prépare, j'oblique, la salue bien à l'avance, bonjour madame... touriste français... et là, surprise, elle ne se détourne pas, je la fixe dans le "trou-pistrou riquiqui du neunoeil", il est plissé, avec une lueur amicale : elle me sourit ! Eh ben voilà ! Je n'en demande pas plus à la femme Mozabite, moi, je suis heureux, y'a eu un semblant d'échange humain malgré les cultures éloignées ! On se dépasse, puis on se retourne en même temps, à dix mètres l'un de l'autre. Machinalement, je tends mon pouce pour lui signifier d'un geste : Super ! C'était pas grand chose, mais j'ai apprécié votre attitude dont je suis bien content qu'elle vienne contredire la psycho-rigidité du Mozaguide-là, le minimoy qui croit tout savoir sur la nature humaine...
Et dans son tour complet, fait sans interrompre sa déambulation, elle me décoche un hochement de tête, comme pour me dire : je t'ai reconnu, je sais qui tu es, je comprends ton style, tu m'aurais plu comme ami, j'aurais bien aimé discuter avec toi un moment. Si, j'en suis sûr. Non, je n'affabule pas - et j'imagine c'que je veux, surtout quand ça me fait plaisir - Et c'est pas parce qu'on a fumé un narguileh de tabac à la pomme juste avant, que je délire. Non. La Mozabite sympathique, ça existe. Je l'ai rencontrée. Et, non, je ne ferai pas de jeu de mots douteux avec son suffixe, même si vous l'attendez depuis la première ligne. Ne comptez pas sur moi.
Alors évidemment, il aurait fallu que je mette la photo d'une de ces femmes en haut de cet article, mais pour les raisons que l'on sait, j'ai trouvé le portrait de cet homme forcément plus expressif ! Mais ici dans "Portraits d'Algérie" deuxième série de mon voyage, vous les apercevrez :
http://marcdelon.darqroom.fr/gallery
Maintenant pour en savoir plus, vous cultiver quoi, cliquez là :
http://www.magharebia.com/cocoon/awi/xhtml1/fr/features/awi/reportage/2006/09/29/reportage-01

dimanche 4 avril 2010

Ce que j'ai vu là-bas...

De ce que j'ai vu là-bas, de cette symphonie de roses, d'orange et de beiges, certains, j'en suis sûr, n'ont vu que du bleu. Celui de leur carrosserie, et aussi l'anthracite de leur moteur avec lequel ils sont affectivement reliés. Parfois, cela parlait tellement bielles, pistons et amortisseurs, que je me demandais s'ils se rendaient vraiment compte du lieu où ils étaient. La plupart, avaient toujours le nez sous le capot ou dans le coffre, où l'on venait comparer l'agencement astucieux des rangements et l'efficacité des équipements installés. Sûr, ça donne des idées et des astuces. Mais j'avais parfois envie de leur crier :
Oh ! Vous avez vu où on est ? Comme c'est beau ? Incroyable ? Quasi magique ? Là... regardez, sous vos yeux, cette lumière irréelle... levez votre nez du système intégré de chauffage de l'eau pour la douche et regardez cette lumière à couper le souffle avant que le soleil passe le sommet de la dune, vite ! Mais, non... heureux le nez dans le moteur... respect... du baroudeur pur sucre... Je ne voudrais pas tenter de me faire passer pour le poète de service, seul doué d'une sensibilité apte à cerner toutes les magies d'une telle expérience, non... je ne voudrais pas... mais pour certains j'ai des doutes profonds, quand même. Ils l'assumeraient, d'ailleurs, je suis sûr. Ils confirmeraient que le désert a pour eux, unique vocation de terrain de jeux, leur bac à sable à eux, seul capable de procurer du plaisir de pilotage en liberté avec petits copains ; qu'il ne réveille aucun imaginaire littéraire à la con style quête de soi, écoute du Moi, épanouissement du... enfin, tous ces trucs de tafioles, là. Ben pourquoi pas ?!
Pour l'amateur d'images, du moins celui que la photographie a assez motivé pour fréquenter cette cohorte de mécanos-bricolos ne voulant pas se mouler dans l'ambiance qu'insuffle le désert mais au contraire y transporter bières, blagues grasses et mode de vie européen, ces raids 4x4 sont à la fois bénis et maudits...
Bénis, car, s'ils n'y étaient pas ces bricoleurs passionnés, eh bien cela ne serait même pas la peine de projeter d'y aller. Ils y sont efficaces et on a sacrément plus besoin d'eux, qu'un handicapé de la clé à pipe de douze comme moi, qui sillonne les dunes un peu hagard, en bon contemplatif distrait par tous les détails à ne pas rater.
Maudits pour le photographe, car imaginez-vous être au milieu d'un extraordinaire matériau à immortaliser que vous traversez secoué comme une boule de loto dans un mélangeur, ratant une multitude d'occasions de shooter de dantesques paysages que vous ne reverrez plus de votre vie ! Il m'est aussi arrivé d'être bloqué trois heures dans un endroit sans intérêt - aucune photo à faire - pour attendre un groupe qui réparait une casse et puis, un kilomètre plus loin, de traverser à toute allure un paysage de rêve pour rattraper le retard : vous réalisez la frustration ? Elle est intense, je vous l'assure...
Parfois il faudrait pouvoir prendre son temps, sortir le trépied, composer son image avec soin, penser ses réglages, photographier, quoi... et horreur, on shoote à la volée en mode "P" alors que ce serait tellement mieux si on avait pu peaufiner la profondeur de champ !
Bon, enfin... c'est fait, c'est fait, allez voir, c'est par là. On fait défiler les noms des portfolios et quand on voit "Algérie" on clique dessus ! Et ensuite sur le symbole des quatre flèches en haut à droite pour le mode plein écran : Rhââââ... c BÔ...
http://marcdelon.darqroom.fr/gallery

Samedi terne, terna triste




Journée décevante hier, sous les nuages noirs arlésiens qui eurent quand même le bon goût d'attendre la nuit pour s'épancher. Que t'est-il arrivé, Juan del Alamo depuis la belle surprise de ta révélation l'année passée ? Est-il possible que le circuit t'ait si vite dévoyé ? Où, quand, as-tu perdu ton émouvante singularité ? Ce filon de pépites sur lequel on était tombés, ébahis par tant d'art, semble pillé, tari, gagné par les recettes des vélociraptors de trophées indus. Certes, ton costume était plus flamboyant, lourdement orné des ors du triomphe, mais quid de ta lumière intérieure ? De silencieux tu es devenu gueulard, de classique, tape à l'oeil, d'inspiré et pénétré tu es devenu pueblerino, de profond, te voilà superficiel, usant toi aussi des artifices, des sempiternelles circulaires désormais obligées, acmé de toute faena, que tes compagnons répétaient inlassablement, scolairement, péniblement, comme une suite de trois adverbes dans une phrase, pour aller chercher le mouchoir blanc dégoulinant de "sensibilité" d'une présidence d'une rare incompétence. Déjà enseveli par le monton des stéréotypes, Juan ? Allez, réagis vite, retrouve ta voie originelle avant d'être définitivement gaché par le système. Tu semblais tellement à contre-emploi que tu n'arrivais à rien, désuni, désarmé, en panne. Quel gâchis par rapport aux promesses entrevues ! Parfois, pourtant, par éclats fugaces, on sentait bien que tu peux avoir quelque chose de différent que tes froids compagnons. Cela tient en trois lettres : art. Rattrape-le vite et cultive-le avant qu'il ne te soit devenu étranger ! Déploie à nouveau tes ailes. Les trophées gagnés aujourd'hui ne sont rien dans la construction du torero en devenir si émouvant que tu étais il y a peu.
Pour la corrida concours de l'après-midi, même nostalgie : en se rappelant celle de 2009 et en précisant que tous les prix furent cette fois-ci desiertos, on aura une bonne idée de ce qui n'a pas eu lieu.

vendredi 2 avril 2010

Brèves

Bon alors que faire ces jours-ci ?
Tiens au fait, il y a corrida à Arles cet après-midi. Moi je travaille, mais si vous n'avez pas plus à faire, profitez, il fait beau aujourd'hui. A la sortie, allez donc entendre le premier Slam taurin écrit par jacques olivier Liby et dit par Catherine le Guellaut libraire-écrivain de la rue réattu. C'est à vingt heures à l'auberge espagnole rue du 4 septembre à côté de la boutique des passionnés où il faudra revenir demain 14h30 pour saluer les amis de CyR qui signeront à tour de bras leur numéro "01". je me chargerai des tendinites. Et puis les auteurs du recueil du prix Hemingway y seront aussi. Et la journée taurine a de l'intérêt : rappelez-vous mon impression concernant Juan del Alamo qui est répété le matin. Je suis impatient de le revoir. Et l'après-midi,corrida-concours avec, on l'espère, un ou des exemplaires à remarquer.
Sinon j'ai commandé une vieille revue de 1947 : ''Noir et Blanc'' c'est le titre et il y aurait un reportage consacré à cette question : Pourquoi est mort Manolete ? On va voir si cela nous apporte quelque chose d'intéressant. Il y a des photos mais savoir si ce sont celles de la fameuse course ?

jeudi 1 avril 2010

Pourquoi allez-vous voir les corridas ?



APPRENTISSAGE



Mon grand initiateur ce fut Manolete et le soleil. Pas n’importe quel soleil, non, le soleil qui signe les destins.
Sans le soleil, je n’aurais pas su, dix sept ans avant Pampelune, au milieu de ma nuit, que Manolete était mort. Dix sept ans pendant lesquels parce que je me savais toro, à chaque corrida je voyais mes rêves immortels, mon âme s’envoler au ciel, à chaque mort de toro avec la régularité désarmante de l’envol des couronnes de feu après les toros de fuego.
Le soleil c’est à dire la mort, a brûlé mon âme un jour d’août 1947, au moment où entre les persiennes à demi fermées de la chambre de mes oncles et tantes à Biarritz, il balaya la table au centre de la pièce sur laquelle un journal du soir affichait avec un grand titre, comme un crachat sur un visage pur, le drame de Linarès. Un jour d’août, comme tous les mois d’août qui avait ramené son lot de corridas et m’avait comme à l’accoutumée persuadé que le toro que je devais faire mourir en moi était le mal.
J’avais oublié quelque chose dans la chambre de mon oncle. Il devait être la fin du jour, cette fin de journée là. La fenêtre ouvrait sur la mer à l’Ouest, le soleil se couchait. Ce soir-là comme les autres soirs, les volets avaient été fermés, crochetés, à peine entrouverts pour garantir la fraîcheur. C’est par cette petite ouverture que la vérité est entrée en moi toute grande…
Quand je poussai la porte de la chambre, je ne distinguai d’abord rien, et puis peu à peu mes yeux s’habituèrent. Alors parce que dans l’obscurité les rayons du soleil déjà bas sur l’horizon mirent en pleine lumière le journal posé sur la table au centre de la pièce, je lus et ce fut une blessure violente, qu’Islero avait tué Manolete. J’avais dix sept ans et c’était pour un moment bref. Manolete venait d’en avoir trente et c’était pour toujours…! Je compris en un éclair que je ne verrais jamais toréer Manolete. Que je ne saurais jamais ce que c’était que d’être torero. Et ce fut un grand vide…
Mais je compris aussi, par ce regard, que les toros pouvaient devenir immortels parce qu’ils avaient l’immense pouvoir de transformer les toreros en mythes. ‘’Islero‘’ de Miura venait de l’accomplir, et ce fut une immense chaleur.
''Islero'' a fait la gloire de Manolete, Manolete la gloire de Linarès, la grandeur des cinq heures du soir. Dès lors, j’ai su qu’à chaque combat le toro engendre le torero, le torero enfante le public.


Paul-André TUFFAL

Calife, Monstre, Symbole et... incolore, inodore.




On ne devrait pas toucher aux mythes pour en ignorer délibérément la quintessence. De la terrible personnalité du calife de Cordoue épanouissant son art au cœur de cette si cruelle époque de l’Espagne, cristallisant sur ses seules épaules les passions d’un peuple jusqu’à s’ériger en symbole, il y avait un formidable matériau cinématographique à exploiter. Hélas, au grand film qu’il aurait pu faire pour une élite certes, Manno Meyjes a préféré le petit film à base large pour midinettes énamourées. Pas couillu. Aficionados mes frères, ce film ne vous est pas destiné. Il n’évoquera pas grand-chose à la peuplade de barbares raffinés que nous sommes. On nous avait prévenus pourtant : c’est une fiction romancée. Oui, mais qui tient compte du réel. Un nouveau genre ? Peut-être aurait-il alors mieux valu l’appeler ''Minulato’’, et s’affranchir complètement du réel et de ses contraintes… de toute référence encombrante. Car ici, quelles que soient les lunettes que l’on chausse, cela ne marche pas.
Même si l'on peut aisément concevoir que l'avis de l’aficionado n'est pas déterminant, celui-ci ne peut que sourire aux images du novillo surmonté de bananes censé figurer les terrorrifiques Miuras de 1947, ainsi qu’à la peinture d’un jeune Dominguin hilare, niais ou contrit… à la limite de la débilité : bravo Espartaco pour l'efficience et la véracité du consulting...
Le cinéphile ne peut que trouver définitivement lourde et puérile la scène finale préparant à ''l’empalement bananier’’ de Manolete, un fait historique connu, qu’il n’est pas besoin d’annoncer à grands renforts de mimiques puériles d’inquiétude sur-jouée qui vous font instantanément déconnecter.
Le bibliophile averti sera écoeuré de cet énième parallèle éculé eros/thanatos, avec cette imbrication de scène d’amour et de toreo ne reculant devant rien, même pas devant la lenteur de cette main flattant la croupe du toro avec la même volupté que s’il se fût agi du fessier rebondi de Penelope : aucun cliché ne sera épargné au spectateur prisonnier de son siège et pris la main dans le sac de pop-cornes. Mais les élégantes trouveront les couleurs saturées du capote magnifiques et les jeunes aimeront le viol sonore en dolby THX s'il vous plait par lequel on est censé vivre les bruits du toro. Une bonne idée au demeurant, sauf qu'en fermant les yeux on est plutôt dans un vaisseau spatial renfermant un alien éructeur, mais bon...

Alors, je me suis mis en mode GHâââââ… - ceux qui n’ont pas lu les BD de Gotlieb ne peuvent savoir de quoi je parle - Je me suis dit que passer une heure et demie en compagnie de Melle Cruz, n’était pas le pire des supplices et que j’allais l’admirer goulûment. Elle est toujours belle Penelope. Somptueuse, dans sa robe-fourreau rouge, mais aussi quand on l’aime comme je l’aime, plus émouvante encore, (légèrement) bouffie au réveil, décoiffée par une dispute, ou maculée de mascara dégoulinant. Le mode GHâaaââ... permet de bien admirer : la babine avachie, voire incontinente d’un filet de bave, l’œil torve du psychopathe en rut chimiquement castré, le corps en vrac par atonie subséquente à perf de neurolept' afin de ne pas tenter de forniquer avec l’écran du ciné devant tout le monde ce qui n’est pas convenable, le tout mâtiné par cette rancœur persistante de la frustration que jamais au grand jamais, vous n’éprouverez la douceur de ses seins à l’os de votre grill costal, ni ne sentirez l’odeur de son scalp en posant votre bouche là, sur ses belles boucles brunes d’Espagnole passionnée. Ca manque. Viscéralement. Intellectuellement. Glacialement.
Le mode GHâaâââa... est alors le seul mode possible, un mode de sauvegarde – urgences seulement - empêchant l’accélération des particules et la fissuration des atomes.
Un mode à l’activation facilitée si on rappelle que l’intérêt du film est dépendant de l’angle choisi et qu’en l’occurrence le temps passe sans que l’on n’apprenne rien sur le contexte ou l’âme du déchirement fratricide de ce peuple, ni l’importance qu’eut (cul?) sa mère Angustia (!) sur le profil de sa personnalité. N’évoquons alors même pas l’apport décisif du ''monstre’’ dans le toreo ce dont everybody se contrefout allègrement…

Il faudra donc se tourner une fois de plus vers les livres et notamment je trouve, vers Miguel Del Castillo ( Dictionnaire amoureux de l’Espagne) qui en peu de lignes en dit beaucoup plus long qu’une heure et demie de ce film :

A la tristesse altière de Manolete, à son immobilité dédaigneuse, à son stoïcisme hautain, s’opposait la flamboyance de son rival Carlos Arruza. Le premier était de Cordoue et chacune de ses passes semblait exprimer la mélancolie pensive de l’antique capitale des Omeyyades ; le second un Mexicain, symbolisait dans les amples mouvements de sa cape et de sa muleta le baroquisme de l’Amérique centrale, son imagination débridée.
Sur les gradins, une foule miséreuse, hâve et famélique suivait avec passion ce corps à corps poignant entre le fauve et Manolete. Qui n’a pas vu le Cordouan enchaîner sans bouger les pieds une série de naturelles de la gauche, son long corps penché dessinant une arabesque parfaite ; qui n’a pas vu son regard attentif et méprisant, celui-là ne comprendra jamais l’intimité violente qui liait Manolete et le public. Plus que de l’admiration, une fusion. Autant qu’une présence singulière, le style est une interprétation. Or, la partition que le Cordouan déchiffrait, c’était celle du désespoir collectif. Son temple, sa cadence, scandait une musique de défaite et de ruine. « Nous tiendrons, nous résisterons au désespoir, nous finirons par l’emporter » disait chaque mouvement de sa muleta. Comment le peuple n’aurait-il pas entendu ce langage ? Deux mots revenaient alors dans les conversations : nada, rien, aguantar, supporter avec fierté. Le toreo de Manolete condensait ce lexique.
Quand il mourut à Linarès, tué par Islero, tout le pays prit le deuil. Ce qui disparaissait avec lui, c’était la période de la plus furieuse répression, une époque de misère et de faim, les longues années du silence et de l’hébètement. En le pleurant, l’Espagne pleurait sur elle-même.
Avec sa silhouette svelte, son élégance détachée, sa beauté patricienne, Luis Miguel Dominguin, lui, était le senorito, le rejeton d’une haute bourgeoisie franquiste qui, dégoûtée par l’abjection de l’acharnement répressif, réussissait cependant à s’accommoder d’un régime somme toute vivable.
Au yeux des étrangers il symbolisait l’Espagne, la noblesse de ses attitudes. Malgré la dictature, l’Espagne vivait, riait, chantait et dansait, semblait dire le toreo allègre de Luis Miguel. Elle était d’autant plus vivante qu’elle sortait de son isolement et rejoignait le camp occidental dans son combat contre le bolchévisme. Comment s’étonner si un grand écrivain américain, auteur de l’un des plus beaux romans sur la guerre civile, Hemingway, adoubait ce torero légendaire ? A la même époque l’ Amérique volait au secours du régime. Certes Hemingway ne se proposait pas de cautionner le franquisme qu’il avait combattu dans sa jeunesse. En célébrant ordonnez et Luis Miguel, il célébrait le pays. C’est tout ce que Franco demandait : la reconnaissance que l’Espagne continuait d’exister. C’était d’ailleurs la réalité.

Pour son style et sa contribution au toreo, Cesar Jalon disait dans ses mémoires qu’

« il est indéniable que Manolete a franchi cet espace, ce demi pas, cet échelon refaçonné par les impondérables propres au génie qui sépare de façon notoire le bon torero, et même le grand artiste, du phénomène… la tauromachie va récolter le savoir-faire de manolete tout comme le miel les arômes des champs »

et José maria de Cossio :

« la longueur de son bras, étendu royalement, devenait le rayon de ce cercle où le toro devrait se livrer uniquement en vertu du toreo… Son courage impassible et son poignet incommensurable lui permettaient de se rendre maître du toro. N’importe quel torero aurait pu essayer de dominer ainsi les toros, mais il est certain qu’il n’y serait même pas parvenu avec la moitié de ceux avec lesquels triomphait Manolete »

Pour Paco Aguado ( Figuras du XXe siècle ) :

« la domination sans démagogies ni ardentes démonstrations de pouvoir, soumettre en toréant, faisant que les toros corrigent d’eux-mêmes leurs défauts ‘’tout simplement’’ en leur faisant suivre sa muleta et en foulant avec une fascinante quiétude un emplacement à haut risque. Manolete fit ainsi de l’exception une norme »

« Comme l’a affirmé à maintes reprises son rival frustré Pepe Luis Vasquez, Manolete s’engagea dans la voie sans issue de la régularité. Et cela ni le public ni la critique ne lui ont jamais pardonné. A chaque triomphe, à chaque coup de corne, à chaque peseta gagnée, Manolete faisait croître les exigences de ce pays d’iconoclastes. La pression devint telle, que Manuel Rodriguez mourut d’épuisement au sommet. Là où la foudre se dirige toujours.

Il manque encore à se procurer les califes, celui de François Zumbiehl et la version ‘’foudroyée’’ de Anne Plantagenet au éditions du Diable Vauvert qui organisait cette avant-première et cette discussion avec l’auteure et un Paul Coulomb qui trouvait que pour le Lituanien moyen ou le citoyen de l’île de Man qui n’avait jamais vu de corrida ce film était très bien… Argument non négligeable à l’heure où les corridas ne sont plus organisées pour les aficionados mais pour les autres, plus nombreux. Il nous révèle donc d’un coup pourquoi ce film ne nous a pas plu (sauf à Gina bien sûr, mais c’est justement la preuve…) et nous excusera de n’avoir pas le même angle de vue. Dans la catégorie surprise, j’ai remarqué la resena assassine du d’ordinaire aimable et consensuel revistero du Midi-Libre pointant dès le titre de son papier, le manque affligeant de caste de ce film !

Alors…. Aller le voir ou pas ? Si l’on voulait établir un parallèle avec la sulfureuse Penelupe Sinocruz qui assène à son Manolete « tu es le plus beau des hommes laids que j’ai jamais vu » , on pourrait peut-être vous recommander de vous rendre au plus mauvais film que se doit de voir un aficionado rompu à l’auto-flagellation par la foultitude de corridas ennuyeuses qu’il ingurgita dans sa vie. Surtout s’il est Penelopo-sensible. Mais plus, je peux pas...