mercredi 15 juin 2011

Carnets de route

Vendredi 10 Juin au soir, je pars. Sept fois finaliste du prix Hemingway et je ne l'ai toujours pas gagné. A dix j'arrête. Faudrait pas pousser le ridicule trop loin ; le côté "toujours placé, jamais gagnant" commence à me fatiguer. Je me la pète grave, quoi... Avant, au début, j'étais gentil et modeste, je considérais qu'être finaliste était ma victoire ; maintenant, je préfèrerais être débarrassé tout de suite de ce suspens : pas finaliste et puis on n'en parle plus. je te l'ai déjà expliqué lecteur, être finaliste c'est sentir la main du jury t'écraser les roustons. Pardon mesdames. Je n'ai pas su gagner quand on était trente-sept, pourquoi y arriverai-je maintenant qu'on va être deux cents ? Cadors inclus. Faut pas déconner. C'est juste que ce prix est dérangeant parce qu'il est pile-poil fait pour toi ; et quand je dis ''toi'' reconnaissez-vous, tous les candidats. C'est vrai quoi, tu admires Hemingway, tu aimes les toros, tu écris des nouvelles, et mélangeant tous ces ingrédients tu te "pessugues" à écrire de toros, une double joie pour toi, et il y a juste ce ressentiment qui flotte au-dessus de toi, candidat, que tant que tu ne le gagneras pas, tu ne te sentiras pas vraiment entier ou d'aplomb. Bon tu remarqueras qu'il n'y a que moi pour en parler, je sers de catharsis à tout le monde, j'ai pas peur du ridicule. Alentour, personne ne moufte... bon sauf ceux qui écrivent pour se plaindre, genre Castella après une faena de Séville : "ils n'ont pas compris..." Donc à dix "finales" j'abdique, j'assume l'échec et je repars pêcher la dorade en Surf-Casting aux Aresquiers... Merde, je n'y avais pas pensé : ça fait un remake cheap et ringard du "Vieil homme et la mer". La mer... du bord... avec dans le rôle du monstre la Dorade Royale portion. Trois-cents cinquante grammes toute mouillée, déjà salée.

C'est à tout cela que je pensais quand j'ai engagé le mufle agressif de la .... Polo, sur le long ruban d'asphalte (le genre de lieu commun à éviter pour l'Hemingway... mais bon, pour les tartignolles qui lisent ce blog ça fera toujours son petit effet poétique) et puis, je ne sais pas ce qui s'est passé mais arrivé à hauteur de Lunel à peu près à mi-chemin entre Nîmes et Montpellier, j'ai commencé à bailler... mais bailler..., à m'en décrocher la mâchoire (Tit ! 'vois pas pourquoi mon GPS m'avertirait des radars et que je ne vous signalerais pas, les lieux communs) J'avais sommeil... je baillais... un truc de fou (Tôot ! Tic de langage...) était-ce possible que... la tension de l'attente du délibéré du prix me prenne à ce point le chou (Bûp ! argot...) et qu'une fois le vainqueur désigné ait lieu un lâchage généralisé massif ??? P'têt bien qu'oui ! ( Pôôôn ! familier) Atone, mou d'partout, voilà comment j'étais. Mais le problème, c'est que le Sud-Ouest ne vienpatatoi et que c'était moi qui devait alléralui ! ( Zou ! grand n'importe quoi) c'est loin... jamais on arrive... je pense avoir fait une grosse partie du trajet en somnolent dans des vapeurs obscures et négatives. J'ai voyagé pas mal de temps dans mes idées noires, au jugé, faisant des embardées dans ma déception, ouvrant une route à coups de macheteo mental dans la jungle hostile de mon ego blessé, essayant de dépasser ma rancoeur, négociant tant bien que mal les virages de ma prétention imbécile de gagner un jour ce prix. Elle n'est pas bien filée ma métaphore peut-être, lecteur ? Et à 130 Km/h, s'il te plait.


Et puis j'ai eu faim en apercevant le panneau de l'aire de Port-Lauragais où ils font un fameux cassoulet. Je me suis dis que pour le soir ce serait léger et calerait ma frustration jusqu'au lendemain. Le genre de plat que vous n'auriez pas pris si votre moitié vous avait accompagné et conseillé. La Dînée me l'a servi et je l'ai avalé aussi sec. Rien devant, rien derrière, un verre de tinto, deux cafés. Vingt-deux euros et deux minutes d'attente avant d'être servi, pour infos. Je suis reparti peut-être quinze minutes après avoir posé mon cul sur la chaise, avant ceux qui étaient déjà installés et mâchouillaient encore leur salade. Des sexagénaires qui n'avaient apparemment plus rien à dire à leur moitié, sinon l'interdiction du cassoulet pour le soir mes bien chers frères, me dévisageaient. J'ai horreur de ça : qu'à chaque fois que vous levez les yeux de votre assiette, quelqu'un vous reluque avec insistance. J'ai pouffé abondamment en la braquant du regard, avec un air d'Echerria coli et elle a baissé précipitamment les yeux. Rejoignez la Dînée sur Facebook, on ne veut pas leur renouveler la concession. Quand je suis ressorti, le beau temps n'était qu'une promesse de Gascon. Il pleuvait finement. Je n'ai pas accéléré le pas pour rejoindre la voiture que j'avais garée loin, là-bas, sous les arbres. Elle m'attendait comme une panthère noire, tapie dans l'obscurité des fourrés.


Je suis reparti sur l'autoroute, cinq minutes après la pluie s'est arrêtée, mieux, la lumière est revenue, j'avais dépassé le bas et lourd front nuageux anthracite qui m'avait accompagné jusque là. Un belle lumière résiduelle, soleil couché. j'ai allumé la radio. Fun radio. Je suis tombé sur le top 10 de la Dancefloor. Le type a lancé : "laisse tombéééé tes problem' , vien danséééé avec nous". J'ai pecho le potar de volume (Bûp!) que j'ai poussé dans ses retranchements et filé une puya (Pôôôn!) maximale à l'accélérateur... Je n'avais plus sommeil du tout, la lumière était belle, j'avais quitté la cohue de l'A9, et j'avais envie de faire un truc pas raisonnable. Je me suis dit que s'il y avait des radars eh ben y'aurait des radars, et j'essaierais de sourire... Vaillante petite Polo... on n'était plus à 130 km/h là... Seul un Mad Max avec son gros coupé BMW noir m'a doublé sur ledit tronçon. Il devait être à deux point trois. Un psycho-rigide qui avait un problème non résolu de suprêmatie bitumineuse. Ou alors c'était le vainqueur du prix qu'était tellement content... mais sur le moment ça ne m'a pas effleuré. La Dancefloor est montée crescendo et ma vitesse avec, on a fini en beauté avec "Don't stop the party" des Black Eyed Peas... putain la défonce... comme un fou j'étais, la Polo ne me reconnaissait plus... et si mes patients m'avaient aperçu, ils auraient arrêtés leurs soins... mes forces vitales étaient revenues... j'avais digéré, et le cassoulet, et le prix Hemingway. Je quittai les mondanités pour la ruralité, le monopicotazo pour l'assassinat puyesque, le ballet pour le combat, la brandade pour le foie gras, la branchitude pour la convivialité.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci, Monsieur Delon, d’avoir couché avec talent sur le papier ce que j’ai vécu également ce vendredi en tant que finaliste du Prix. A deux différences ; je repartais vers le Sud-Est et j’ai sauté l’étape cassoulet… Le pas-faim de la déception… Amicalement. Jean-Philippe Combe - Il y avait du sable et puis de la chaleur.

Marc Delon a dit…

Une petite bouillabaisse dans les calanques peut-être, pour conjurer le mauvais sort...
Je n'ai pas encore lu les nouvelles mais concernant les titres, le vôtre était celui qui me plaisait, me parlait le plus.
Sympa, d'être venu dire bonjour.

Marc Delon a dit…

Au fait, mr Combe, s'il existe la possibilité de me la confier pour que je la publie ici, c'est avec plaisir et interêt qu'elle sera lue.

Anonyme a dit…

Cher Monsieur Delon, ce serait un honneur de vous la faire parvenir. d'autant plus que - et n'y voyez pas la moindre démagogie, je vous le jure - j'ai adoré vos Fantasmatadors qui sont en bonne place dans ma bibliothèque taurine. Dites-moi comment procéder. Très amicalement.

Marc Delon a dit…

il faudrait me l'envoyer en fichier Word sur un autre email vu mes petits problèmes de PC :

delon.bonnet@wanadoo.fr

mais je vous recommande de vous renseigner d'abord auprès du Diable Vauvert au cas où elle ferait partie de la sélection du recueil : acceptent-ils de la voir être divulguée avant ?
Ce qui me fait penser que je n'ai pas demandée pour la mienne...

Merci pour votre appréciation sur ceux qui auraient bien voulu et n'ont point pu ! Fantasmécrivain, c'est ça que je dois être...