vendredi 17 juin 2011

SOINS A DOMICILE

Asuncion Y Francisco




Asuncion vient m’ouvrir et de sa moue entendue me fait signe qu’il est toujours là-bas, en tête à tête avec l'écran. Francisco, quatre vingt-cinq ans, se lève difficilement de son fauteuil TV choisi trop bas et trop profond, comme le sont tous les fauteuils pour vieux, et entame à ma rencontre la traversée de sa salle à manger au sol recouvert de dalles vinyl brillantes et glissantes. Du coup, Francisco, aussi rassuré que s’il traversait la banquise en Tongs, a adopté depuis belle lurette la déambulation ‘’patinette’’ qui lui permet de limiter le risque de chute en contrôlant lui-même l’amplitude du glissement pantouflard. Asuncion n’ayant jamais transigé sur l’utilité du savon noir. La dernière fois qu’il a valdingué ça lui a coûté un coude. Depuis, il est aussi codillero qu’un torero paniqué.




Son meilleur moment est l’arrivée de l’infirmière. Enfin, de Sylvie, car elles sont trois. Il ne cesse de me dire qu’elle est très professionnelle et puis ‘’chantille…’’ aussi, avec de beaux yeux bleus.



- Ouais bien sûr… acquiesce sa femme depuis la cuisine… surtout il l’a trouve jolie avec ses gros seins, oui… dépoétise-t-elle



- Y tu ? No tiennes gros seins peut-être ? Et est-ce que je te trouve chantille ?



- Parce que moi quand je dois me lever pour te nettoyer à trois heures du matin, quand tu m’appelles en beuglant comme un veau, je ne suis pas « chantille » peut-être ???



Francisco lève les yeux au ciel et me chuchote un conseil de sage :



- Tou dira ce ke tou voudra, tou n’auras zamais lé dernier mot avec oun femme, tou lé sé ça ? Vivre et laisser dire… cé ma devise…



- Heu … c’est pas « Vivre et laisser vivre » le proverbe ?



- Si tou veux… mé ça reviens au mèm…

L’appartement est typé Espana grand teint : des chaises à dossier haut, revêtues de skaï rouge sang de toro après bajonazo, en bois tourné marron foncé, table assortie. Soupière verte hideuse sur napperon central crocheté au club du troisième âge. TVE diffuse non-stop, dans le coin, là-bas, meublant les silences des vieux compagnons et prévenant quelques disputes aussi. Malgré la vitesse du phrasé, je reconnais quelques mots familiers dont « torero », « jesulin de Ubrique », « Ortega Cano »

- Tou è un bon kiné… !



- Ah oui… ? Pourquoi ?



- Tou travaille toi au moins… à l’hôpital j’en ai ou tres… ils m’ont rien fé ! Ils me disaient tou fé ça, tou fé ci, et ils partaient…. : Alors au débout zé faisais n’importe quoi y al final plou rien ! Ils s’en foutent ! Tou lé fé ou tou lé fé pas, c’est pareil…



- Mais c’est pour vous, c’est vous qui devez travailler une fois qu’il vous a montré



- Si pero yé né soui pas oun kiné moi, y despues la hombro esta bloquada…



- Aaaah hombro… ‘’salir a hombros…’’



- Si…. !



- Et ça, l’omoplate ?



- La paletilla !



- Et ça...



- La munequa !



- Mano, munequa, ante-brasso, codillo, brasso, hombro y paletilla



- Muy bien… y la picha, conoce la picha ?



- Non, c’est quoi… ?



- Cuando, hay una mujer muy guapa, vamos … a salir la picha… !

- Mais qu’est-ce que tu lui racontes au Kiné ??? tonne Asuncion

- Rien zé loui donnn oun pétit curso de lengua espagnola… !

- Ah bon… la picha ça s’appelle ? Je croyais la polla… !

Francisco s’étouffe de rire tandis qu’Asuncion me gronde :

- ouh... muy malo mésié Délon, muy malo… la polla c’est pas joli como la picha… pas du tout… una picha cé zoli… pero una polla…

- C'est-à-dire ? exactement, ça veut dire quoi… ?

- Ouuuuh c’est pas zoli, zé né sé pa como lo traducir la polla , c’est vulguèr…

- Euh, peut-être l’équivalent de la … bite ?

- Esso es !

Rigole Francisco sous l’œil réprobateur d’Asuncion tandis qu’elle décide subitement de se venger en l’attaquant justement là où ça fait mal :

- Cé matin zé soui zallé au primeur y sé concumbres y z’étaient pas zolis-zolis… zé croyé que zété sola y zé loui di : son tou ratatinados, ces concumbres, on diré mon mari ! Pero derrière moi y’avé d’autres femmes et on a ri, on a ri…

Francisco me regarde, un rictus de consternation à la bouche en secouant doucement la tête. Je maintiens sa hombro en abduction lui pousse le codillo en extension maximale y la munequa tambien étirant toute la chaîne musculaire du membre supérieur, et je maintiens. Soufflez ! Tout est à bloc, il déguste. Les yeux dans les yeux je lis son désarroi. Il ne le dit pas mais j’entends :

Tou té rends compte como mi mujer parle de moi maintenant ? Oun concumbre ratatinado… et elle en rit avec d’autres femmes, surtout…

Mais en fait, ce qu’il dit Francisco, c’est :



- hay oun bueno cerebro, tu è oun bon kiné… mé tu vois la madre dé jesulin de Ubrique... elle a frodé la sécou de doze mil euros é portant èl é riche… y Ortega Cano il a toué oun type sur la route, il allé trè vite… mé cé loui kon plaint, parce qu’il était torero… moi yé soui como l’otro type : yé soui rien et déjà mort.

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Il est là le Mac Delon que j'aime...
♥ ♥ ♥ tu sais, la réalité qui existe...
T'as pas besoin d'écrire de toros au fond... ni de participer à des concours à la con!

isa du moun

Anonyme a dit…

me suis trompé de page de commentaire
je l'ai mis dans l'aficion des femmes

Maja Lola a dit…

Olé !
Finalement il y en a qui écrivent des carnets de route en avalant des kilomètres et en se mettant en danger.
Alors que toi, tes carnets de route tu nous les écris en allant chez les vrais gens et en nous offrant des textes aussi savoureux ... Cela ferait une jolie petite série de sketches.

nadege vidal a dit…

Très bon texte et très taurin...

Anonyme a dit…

Que les observations détaillées toute en finesse, en tendresse, en humour se rassemblent un jour et s'organisent en un roman inédit, j'y crois encore...
Gina

Marc Delon a dit…

Merci Nadège. Finaliste aussi, cette année ? A nous deux on doit tenir le record, non ?

El Jipe a dit…

Merci pour ce voyage en plein coeur de la vie ! Être ému et rire en même temps, c'est tout de même du bonheur.
El Jipe.