jeudi 30 octobre 2008

LA CUADRILLA DEL ARTE

SUR LA ROUTE DU TORO





Il arrive qu’on se la joue cuadrilla de toreros. C'est vrai, à nos âges ce n'est pas trés sérieux. Mais quand on se retrouve, ne pas être sérieux est notre moyen et notre but. Alors ça nous prend soudain, on arme deux Espaces - la voiture - et on part. Cap 180°, direction le sud. On se retrouve toute une escouade de grands ‘’brandinas’’. J'aurais vraiment du mal à expliquer ce qu'est un grand brandinas si ce n'est qu'il désigne un type. De même que ''bedigas'' ou ''tarnagas'' peuvent s'y employer aussi avec d'autres connotations, ce qui ne vous avance guère j'en conviens. N'ayant connu l'expression que par la seule bouche de mon père, je pense qu'il s'agit d'un mot de la Placette, vieux quartier de Nimois pauvres, de gitans sédentarisés et d'immigrés Espagnols. Dans sa bouche donc, un ''grand brandinas'' semblait être un type un peu encombré de membres trop longs. Un dégingandé un peu gauche. De nos jours, on dirait ''mal latéralisé'' ou ''au schéma corporel mal discriminé''. Quelle époque ! Et c’est vrai qu’à cinq passagers plus les bagages, durant mille trois cents quatre vingt un kilomètres, on calcule et on se tortille pour loger tous nos membres sans trop de crampes. On n’est pas du genre Manili faut dire, plutôt du genre Higares, question tamaño, mâtinés de ''Currisme'' abdominal vu qu'au restaurant on ne s'est jamais contenté de sniffer du romarin... Question aptitudes toreras, en comparaison de nos capacités, Los Bomberos Toreros sont de très grands professionnels vu qu’on n’a même jamais songé à citer le miroir. Nous sommes dix, de trente-cinq à soixante-cinq ans. C’est une des particularités de l’aficion a los toros : vos copains peuvent avoir quatorze ans et d’autres nonante. Dans les bagnoles, le toubib et le PDG côtoient le maçon et l’électricien. Certains, tellement largués et naïfs votent à gauche et d’autres tellement désenchantés et cyniques votent à droite. C’est-y pas une République idéale ça, des amis encastés sur leur passion commune mais que les castes sociales n’ont pas séparés ?



Une voiture part de Toulouse, elle est pleine de saucisses, bonbons et -qué peina- de CD de Patrick Sébastien. Le Petit Bonhomme en mousse embarque dans la voiture des ''jeunes''. Ils aiment surtout la fête, l’apéro et l’amitié ne tenant les toros en bonne part que pour leur grande aptitude à conjuguer les trois. Tous les dix kilomètres coup de fil, déconnade généralisée et fous rires… Chez nous, les plus âgés, brandade et croquants Villaret, plus Capullo de Jerez el cantaor mas gitano pour que petit à petit, l’âme andalouse s’installe : ¡ Ay ! que tu amor me duele….


A Narbonne, sur un parking d’hôtel déshumanisé, jonction émue, effusions, abrazos muy fuerte et départ en formation ''caravane''. Normalement les itinéraires donnent presque mille six cents kilomètres pour Nîmes Séville. Mais nous, on est malins. Si. On se fait suer deux heures durant sur une départementale toute droite où circulent un max de semi-remorques longs comme des trains qui ont déjà failli nous tuer quatre fois. Mais c’est la ''route des toreros'', la fameuse qu’ils prenaient tous dans les années où l’autopista ne déroulait pas encore son ruban de réglisse. Et nous on roule en toreros : ça gêne quelqu’un ? Une fois, Jeff conduisait, je dormais à l’arrière ; j’ai ouvert un œil, putain 197 km/h au compteur ! … je l’ai vite refermé … no passa nada… vous savez, les gros chiffres lumineux de Renault… même en dormant, on peut s’inquiéter... d’un seul battement de paupières. Ne le répétez pas aux femmes, on serait vite interdit d’escapade. Le plus dur d’ailleurs, c’est de trouver une bonne raison pour voyager sans elles. De vrais petits garçons… Il est touchant de voir combien nous sommes convaincants… Elles nous plaindraient presque d’avoir tout ce travail d’entretien là-bas, dans la maison-alibi…



Bref, on part après le boulot, vers vingt heures et on voyage jusqu'au bout de la nuit et plus encore. Au début, c’est du billard, grisés qu’on est de ces vacances extra-conjugales dédiées au toro, y’a une de ces ambiances ! Un vrai flash-back d’adolescence. Mais à trois heures du matin… qui, pour se taper la portion tortueuse et pentue de Despenaperros ? Quand tout le monde est éreinté et mutique et qu’il s’agit de se retrouver absolument seul à supporter la douleur de Capullo de Jerez ? Alors là, je dérouille, je vous prie de le croire. Je dors, je le sens, comme tout le monde, je dors, mais je conduis. Vous connaissez la devise des Sévillans : au nord de Despenaperros, on travaille, au sud, on torée. Alors j’essaye d’appeler le duende pour conduire avec art. Je me dis que le volant est un petit oiseau à ne pas lâcher sous peine d’envol et à ne pas serrer sous peine d’étouffement. Je reste souple et relâché de la ceinture scapulaire… et j’ai trouvé une technique : la mémoire visuelle. Quand mon cerveau s’est habitué à templer la vitesse de déplacement, il sait tout des intervalles et enregistre la trajectoire des virages que mes mains vont suivre au moment voulu, au-to-ma-ti-que-ment. Je regarde pendant deux secondes très intensément, en écarquillant les yeux pour que mon cerveau voie mieux et mémorise le trajet. Quand je rouvre un œil, je suis pile-poil à la fin du tronçon prévu… et ainsi de suite… torero, non ? Parait qu’en 2011 y’aura un TGV… Enfin, moi je dis, tant que l’équipe de Toulouse ne m’oblige pas à écouter, volume à fond, grâce a leur portable, ''Pourvu que ça dure''de l'autre blond télévomi, y’a pas à se plaindre. Reprenez tous en choeur : ''tant que t’as de l’eau pour laver ta belette…'' pffff... quelle plaie ce type ! Je n’ai pas, mais alors pas du tout, la culture ''ritournelle d’obédience ovalique'' du Sud-Ouest voyez, mais alors pas du tout. Ca ne me nourrit pas, ça me vide, me lave et me délave, ce genre de refrain. Les autres là, mes copains, c’est comme un signal pour eux, et allez tous en choeur again : ''c’est déjà beaucoup mieux que si c’était moins bien...'' dès la première note ça y est, ils se redressent et ondulent du croupion ! Bonjour l'assassinat de la chanson française ! Sûr que depuis la disparition du moustachu de l'étang de Thau, du simiesque communiste et du truculent Bruxellois il n'y avait plus d'illusion à se faire mais on n'est pas non plus obligé de s'infliger la torture. Bon enfin, peu importe, on va pas passer l’heure sur ce genre de ritournelle populiste crasse, censée représenter l’hymne universel de la franche rigolade sous prétexte que préférer le concerto pour piano n°1 en si bémol majeur opus 23 allegro non troppo e molto maestoso de Piotr Ilitch Tchaïkovsky nous ferait passer pour snobs, si ?
Etant donné qu’on ne les emmène pas, nos femmes nous ont laissés composer nos valises… et nous bien sûr, obsédés par un Sud fantasmé, on est partis en chemisette : Je vous dis pas la ''caillante'' aux ravitaillements d’essence nocturnes !!! A l’aube, on s’imagine être arrivés mais non, on n’en finit plus de rouler. On s’arrête dans un estancot de bord de route pour le premier p’tit dèj castizo en admirant un toro d’Osborne qui nous toise du haut de sa colline : tostadas grillées frottées à l’ail et inondées d’huile d’olive, cafe con leche, bocadillos de jamon (serrano pour les pauvres, iberico pour les riches) y zumo de anananranjahjah enfin un nom comme ça, celui que vous prononcez juste avant de cracher.
Quatorze ou quinze heures de roulage confiné, tête bêche dans une boite de conserve, ne sont pas sans conséquences, on va le voir. Plus on approche de Séville, moins on bavarde. C’est que, je ne vous l’ai pas encore dit, on est attendus par Manolo et ses vaches. On va tienter. Non, pas assister à une tienta, on va tienter, nous ! Oh putainggggg ! Personne dans les bagnoles n’a jamais donné une passe à la moindre escalope de veau. Et Manolo nous a prévenus : c’est bon, je les ai choisis en pointe ! Vous savez combien c’est méchant et rapide, une vache brave de chez Pablo Romero ? Vous savez que des ''maximas figuras'' ont été tuées en tienta ? Vous ne croyez pas qu’on aurait plutôt mérité une bonne douche et un peu de délassement ?
Séville enfin, puis à gauche, direction Huelva, passer devant le bouquet d'arbres où nichent les cigognes et voilà Villamanrique de la Condesa. Ca devient sérieux. Nous sommes venus voir le Cid seul contre six, pour cette San-Miguel mais officieusement, nous avons un peu l’impression de nous jouer la vie à six contre un… Bon, la vérité ? Eh bien, on est une bande de trouillards ordinaires mais pour ne pas mourir mansos, nous avons rendez-vous avec l’émotion suprême, celle que donne à un aficionado, la bête noire… Enfin la bébête en l'occurence parce que Manolo n’est pas fou, juste moqueur…





A suivre…






2 commentaires:

Ludovic Pautier a dit…

ole.
on est dans la voiture puisque qu'on l'a vécu aussi, un jour, et que c'est si bien conté.on cligne des yeux avec toi, on a le goût de l'huile d'olive sur le pain chaud,on a ce gratouillis au ventre quand on passe le frontière et qu'on voit le premier osborne.

ludo

ps : si patrick s. est bien blond télévomi ,el capullo, malgré sa cara de gitano honrao, n'est pas moins payo que patrick s.
su mujer, si, es de raza cale.es familia del guitarrista jesus agarrao "el guardia".

Anonyme a dit…

Vocabulaire
Ils sont touchants de sérieux, ces hommes en goguette sur leur photo de groupe.
Brandinas, c’est sûr, presque tous, et on imagine la souffrance des articulations sorties de « la boîte de conserve ».
En revanche, des bedigas, je n’en compte que deux. Celui qui chevauche un canard et celui qui conduit dans les routes de montagne, la nuit quand les choristes se sont tus.
Et il y a un tarnagas ! si je me rappelle bien l’usage qu’aurait fait ma grand-mère de ce mot, cela ne convient pas à la bête qui dresse sa belle tête cornue, là-haut sur la montagne et qui les attend au tournant. Elle est trop intelligente.