mardi 21 octobre 2008

POURQUOI ALLEZ-VOUS VOIR LES CORRIDAS ?


Se Souvenir sans Vieillir

François Toursiat-Pellegrin








- « Mata lo ! … »
D'un bond mon grand père s'était dressé, laissant tomber son cigare. Du haut de mes six ans, je voyais mon Papé, pour la première fois se lever pendant le déroulement d'une lidia, et chose plus surprenante encore, proférer un son et faire de grands gestes. Pourtant, j'avais compris que cette injonction s'adressait au maestro, le priant d'en finir avec cette bête qui ne cherchait plus à combattre, mais cherchait l'homme, derrière le tissu rouge. Puis plus jamais… Papé est redevenu lui-même, ne disant rien, n'applaudissant jamais.
Je sus plus tard, par ma mère, qu'il attendit longtemps, lui guère patient, le maestro à son hôtel, pour lui offrir ce porte-cigarette, qu'il n'oubliait jamais d'emporter avant chaque course.
Papé m'a emmené dans toutes les arènes ou il allait, sauf celles des mois d'août et septembre à cause des vendanges et celle de Pamplona ou il n'allait que seul ou mal accompagné. De ses nombreux petits enfants, j'avais cette qualité, de ne rien dire, de ne pas bouger d'un pouce en présence du toro, et de n'avoir besoin de rien, et surtout de personne à qui parler. Ni chaud, ni froid, ni faim, ni soif, ni pipi et cela continue aujourd'hui, tant je suis hypnotisé. Ne quittant pas des yeux le taureau, une seule seconde, jusqu'à ce que la danseuse en rouge remonte au bras de l'homme vêtu d'or, laissant pantois, immobile, figé, et vaincu, ce fauve de Dieu, envoyé du ciel, servir mes souvenirs.
Et je regarde l'homme, grimaçant, l'épaule tendue au menton, le coude bien relevé, et je m'entends dire au tréfonds de moi : Là, tout doux, laisse toi faire, sois calme, laisse le triomphe t'emporter… Seule cette épée m'importe. L'autre ou les autres ne seront que supplice pour l'homme d'or et le fauve de Dieu. Il s'en va. Je hais et j'ai envie de tuer les sifflets qui quelquefois s'adressent à une dépouille tirée par des chevaux. Les trophées, les récompenses n'ont jamais eu de signification pour moi, mais je suis là, debout comme les autres, les jambes tremblantes, applaudissant à tout rompre, ou assis regardant mes souliers.
Caché depuis le midi dans les couloirs de l'édifice de pierres, attendant l'heure du paseo, me faufilant prestement entre les grilles du porche, ou présentant tranquillement mon billet à l'entrée, ce moment et tous les autres qui vont suivre sont magiques, m'obligeant à me souvenir et m'empêchant de vieillir.
A Toi Papé, qui côtoie maintenant tous les fauves de Dieu, je voudrai te dire une chose qui va certainement te faire rigoler : il y en a même à la télé…
Ton petit fils Fanfan.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Une corrida, pour moi qui ne suis pas devenue "aficionada", ça se rattache à un merveilleux moment d'enfance.Habitant près des arènes, mes parents me disaient « tu as été sage, c’est ton tour » ; en réalité la politique familiale prévoyait des tours de rôle entre ma soeur et moi.
Les marches de l’amphithéâtre étaient bien hautes et l’attente fort longue avant le début du spectacle car il fallait arriver tôt.
Et après, je vivais en osmose avec la foule qui scandait son impatience, des pieds, des mains ou de la voix, qui se taisait ou s’excitait, se dressait, se penchait vers la lointaine piste, applaudissait ou sifflait.
Et je me rappelle ces capes pourpres qui n’en finissaient pas d’onduler devant le pauvre taureau perplexe, qui s’était précipité tout fou, guilleret et naïf dans l’ovale de la piste pour s’en retourner plus tard, à fond de train, ensanglanté, deux pattes en l’air dans son nuage de poussière vers les mystérieuses entrailles du cirque romain.
Les arènes vomissaient ensuite, avec une désespérante lenteur, leur flot continu et bruyant de spectateurs dans les rues encombrées de voitures qui klaxonnaient.
Pourtant, je m’en revenais heureuse et fière, j’étais allée à « la corrida ».
Une anonyme