samedi 11 avril 2009

CORRIDA ANNULEE CUITE ASSUREE



Aujourd'hui, j'ai repris la route d'Arles.
Je m'y étais engagé pour me rendre aux signatures du recueil "Arequipa" . Elle m'a doublé à toute allure. Les éclairs métalliques que son gyrophare bleu envoyait dans l'anthracite du ciel n'étaient pas de bon augure. Un peu plus tard, un fourgon sombre m'a doublé aussi sans souci des limitations de vitesse. Sur sa porte arrière, j'ai pu lire "Pompes funèbres de Camargue". Puis une haie de peupliers dans la grande ligne droite, et en face un hélicoptère qui tourne court et se pose à même la route détrempée. Un gendarme nous détourne vers un chemin viscinal bordé d'une roubine que nous longeons doucement sans perdre de vue la route nationale parallèle. C'est irréel, le temps est arrêté autour de quatre ambulances rouge sang qui clignotent l'une derrière l'autre ; des masses de métal informes ne permettent plus d'identifier les voitures ; l'hélicoptère est blanc ; blanc avec un beau trait azur tout au long de son flanc ; Ses pales au ralenti tranchent la grisaille du ciel ; tout semble ralenti ; les gestes ouatés des petites taches jaune fluo qui se déplacent en tout sens. Des gestes automatiques, des mines graves, chacun absorbé par sa tâche, et sur le goudron, des silhouettes. Il faut regarder devant soi, le chemin est étroit, la roubine profonde. Et de temps en temps décocher un regard vers le drame, puis regarder à nouveau devant soi et revenir encore enregistrer une image parcellaire de ce que l'on devine, et puis continuer.
Quand j'entre dans la salle, Nadège Vidal est déjà installée, Zocato aussi, je m'installe à sa gauche ; nous sommes serrés comme des sardines dans une boite d'anchois. La "Drink Team" du Diable à en croire l'haleine de mon voisin. Nous, les dauphins, ne signons que lorsque je souffle à Zocato l'idée de tendre le bouquin à Nadège Vidal au lieu de le rendre à un acheteur qui ne nous calcule pas spécialement : ben quoi, et nous alors ? On n'y a pas droit à la cure d'ego-thérapie, aux sourires amicaux de gens venus dire qu'ils nous aiment un peu ? Ah ! merci Zocato... et on signe tous les trois sans se gêner because on fait une brochette de Zocatos... oui, on est tous les trois gauchers...
Impossible de dire si c'est l'effet du vin, mais Nadège et moi allons être d'un grand secours au vainqueur. La première fois, il s'adresse carrément à l'acheteur venu chercher le livre pour son frère absent :
Il écrit :
Bon, André tu n'es pas là... puis il lève le regard vers le client et lui demande : "n'es", e-s ou e-s-t ?
Le type catégorique : n'es e-s !
-Ok! répond Zocato qui s'en fout, n'es, si tu veux... on se regarde en souriant avec Nadège et on lui suggère "nez"...
- Tiens, c'est qui ton torero préféré ? qu'il demande au suivant...
Mauvaise pioche, le jeune homme est un inhibé chronique. Après un rosissement de circonstance il s'engage dans une puissante et stérile réflexion qui n'a d'autre effet que d'allonger la file derrière lui. Tout le monde est suspendu à sa réponse qui ne sort pas. Je vous confirme qu'en plus, s'il y a vraiment un truc dont on se contrefout, c'est bien de son torero préféré. Les gens derrière lui se sont décalés pour observer si oui ou non il va le cracher. Mais non. A cet instant flotte un insoutenable suspens... les derniers de la file sont sous la pluie... Et au moment ou l'oeil s'illumine et la bouche s'arrondit pour prononcer la première syllabe libératrice, Zocato le coupe et lui propose :
- Ton cartel favori...allez... donne-moi ton cartel favori, tiens !
Oh putain ! Le type doit en trouver trois, la queue qui attend et entend, s'indigne de désespoir...Les secondes s'égrènent à nouveau, lentes... puis les minutes...
- Sébastien Castella !
- Aaaaaaaaaaah....... fait la queue enfin repue quand gicle le premier patronyme.
- Ouiiii....fait Zocato soudain très docte, en notant scupuleusement le premier nom sur la page de garde comme le ferait un chef d'état major des armées en temps de conflit à propos du code présidentiel du premier missile à tête nucléaire à faire péter dans le ciel ennemi.
-Et puiiis ?
Reprise de l'introspection... Le mec derrière, pose le livre et se barre... mais Zocato, l'oeil mi-clos et la tête renversée attend patiemment...
-Denis Loré !
-Aaaaaaaaaaaaaaaaah........ réitère la queue...
- Padilla ! Un cyclone agite une queue qui enfle soudain, s'ébroue de plaisir, heureuse de libérer sa tension avant le prochain "un, deux, trois, soleil !" paralysant. C'est bon, on a les trois. Tout le monde respire, soulagé. C'est alors que le perfide vainqueur du prix Hemingway place l'estocade improbable :
- Et.......................devant quels toros ? interroge-t-il satisfait...
- Cegaga badaud ! réplique le type du tac-au-tac à la surprise générale, arguant que là, c'est facile...
- Très bien... Cebada Gago entérine l'air de rien, le truculent journaliste... c'est original... au fait : appeler : un "p" ou deux "p" Nadège ?
-Deux..., deux... répppète-t-elle...
Mais la contagion gagne : Manrubia à ma gauche questionne aussi, car il a un problème avec les zézettes :
-Cest pour qui ?
-Ginette et Max, dit la dame
-Ginette... avec un "t" ?
-Noooooooon s'offusque la dame, avec deux !
Mais elle est venue avec son amie Lucette et Manrubia insiste :
-Lucette... là, par contre, il n'y a qu'un "t" ?
-Deux !!! Lucette comme sucette !!!
Mais à ma droite l'angoisse reprend :
-à "bientôt" tu mets un accent, Marc ? tu sais le chapeau, là ? Et à "gracié" ? tu mets l'accent ? tu sais la grâce ? gracié ?
-Ben....à bientôt oui, un chapeau chinois, sur le "t", comme d'hab, (il me regarde d'un air louche...) et si la grâce en a, gracié s'en passe... puis ça fait chier tous ces invalides indultés, qu'est-ce que tu lui marques...?
Nadège se marre et moi pour la première fois, je suis bombardé "expert en orthographe". Et puis la locomotive du prix sort fumer avec deux "m", une Craven "A" con el gato negro sobre el paquete. Il revient et montre sa connaissance des arcanes du mundillo :
- Bon : "Corrida annulée, Cuite assurée !" Perera ne pourra pas rester vu que demain il torée à Malaga, il sera bientôt dans son taxi-avionette et demain, ici, on aura juan Bautista...
Ce que l'on nous confirmera un moment après. La séance de dédicaces prend fin, salut, au-revoir, tu vas à Séville ? Oui, Non, la pluie redouble, je passe devant l'arène assiégée par une mer de parapluie qui attend de savoir s'il faut toujours attendre. Dans la rue par laquelle je remonte vers le grand escalier, je sors quand même l'appareil, pour faire cette photo, et je rentre.
La route est libre et dégagée -plus aucune trace- la pluie a déjà tout lavé des vies qu'elle a prises. No passa nada, j'ai dû rêver. Et pourtant...

3 commentaires:

Anonyme a dit…

"il faut regarder devant soi, le chemin est étroit, la roubine profonde. Et de temps en temps décocher un regard vers le drame, puis regarder à nouveau devant soi ...et puis continuer."

Gina

Marc Delon a dit…

le journal nous a appris la suite : deux jeunes femmes décédées, 21 et 34 ans, le mari et les enfants 8 et 10 ans grièvement blessés transportés en hélicoptère ont été sortis de justesse du véhicule en feu par les premiers témoins qui ont été héroïques...
Heureusement, au coeur du drame même, il se trouve des gens pour aider à espérer en l'humanité. Ces images seront malheureusement celles qui resteront de cette édition 2009.

Anonyme a dit…

Il pleuvait encore le mardi matin dans les yeux de la dame qui est venue chercher une musique pour l'enterrement.