lundi 17 janvier 2011

Gina le retour...



La tante Julia et le scribouillard



de Mario Vargas Llosa,



prix Nobel 2010 pour l'ensemble de son oeuvre







En apparence, c'est une histoire toute simple dans cette Amérique latine d'avant « la télé ». Tante Julia est une Bolivienne trentenaire, divorcée. Elle quitte La Paz pour retrouver sa belle famille à Lima et espérer son aide dans la recherche d'un nouveau mari. On lui en présente de drôles, des impuissants, des très vieux, mais des « bons partis » que son bon sens et son désir de vivre écartent aussitôt.



Peu à peu, c'est le narrateur, neveu par alliance, Varguitos, dix huit ans, étudiant en droit à ses moments perdus, employé dans une radio populaire et obsédé par l'écriture de nouvelles, qui tombe amoureux d'elle. Scandale ! Il n'est pas majeur et les mentalités ont la constance et la persévérance dures. Il faut se cacher longtemps, la « vieille » résiste aux assauts pourtant inoffensifs, - baisers et prises de mains, doigts entrelacés -, du jeune « morveux ». Par chance, une cousine et quelques amis sûrs, un maire corrompu dans un village reculé, des papiers falsifiés aident l'amour à se développer jusqu'au mariage, loin du chagrin familial et des colères et menaces de mort du père.



Un autre personnage important est Camacho, bolivien, employé à la radio comme écrivain et acteur ; il se dit artiste, mène une vie monacale de travailleur acharné, produit des feuilletons au kilo, et finit par s'embrouiller dans les personnages qu'il crée, mélangeant les rôles, les morts et les vivants, avant de se retrouver un temps en asile psychiatrique. On le désigne « scribouillard », toutefois on se demande s'il n'y a pas un auteur en trois scribouillards, une espèce de trinité littéraire dans le roman. Car Varguitos aussi, apprend son métier d'écrivain en scribouillant ses nouvelles qu'il soumet constamment à l'approbation des autres et il s'identifie par sa vie et son écriture à Mario Vargas Llosa lui-même, en fin de roman : même succès, mêmes activités entre l'Europe et le Pérou et si on y regarde de près, son nom Marito Varguitas, semble bien la contraction ironiquement déguisée du nom de l'auteur. On pourrait penser aussi que Vargas Llosas, comme Camacho crée beaucoup de personnages puis semble les oublier.



Or ils réapparaissent tous dans d'autres histoires, en apparence indépendantes de cette grande aventure d'amour fou entre la tante et le neveu. Elles sont toujours racontées par le même narrateur Varguitos (qui abandonne alors le « je » de l'autobiographie). Elles s'intercalent entre les chapitres de l'histoire principale et consciencieusement, l'auteur les mène à leur terme : il termine ses chapitres par des interrogations à suspense soutenant l' intérêt du lecteur, lui évitant de se perdre ; des passerelles fonctionnent habilement pour que le réseau assure une bonne circulation des destins croisés des nombreux personnages toujours décrits en quelques traits précis et suggestifs avec une empathie qui nous les rend très proches. La structure polyphonique du roman reste magistrale et autorise une profonde et fine analyse de l'art d'écrire ; on rencontre cette allusion quasi prémonitoire sur les





« ..enfants du ruisseau qui à force de constance arrivent jusqu'au Nobel, par effort de volonté. ».



De chapitre en chapitre, comme les personnages s'agitent dans des milieux les plus divers, tout en poursuivant ses réflexions littéraires, l'auteur procède à une rigoureuse analyse de leur psychologie, des problèmes familiaux, sociaux, politiques avec une dénonciation ironique, implicite des mécanismes qui gèrent leur monde : les hasards de la naissance, l'importance de l'enfance, la malchance, les accidents, les catastrophes avec leur cohorte de pauvres, de handicapés, les existences bouleversées. On se retrouve chez des riches, dans des favelas, des couvents, des églises, des hôpitaux, des commissariats, les tribunaux, chez les travailleurs, ceux qui aiment l'effort et les autres, dans la foule ( y compris aux arènes) avec ses rumeurs et ses violences. On s'installe dans les familles, on assiste à une noce ( on croirait lire du Flaubert !). On s'interroge sur le mariage et le divorce, le statut de la femme des années cinquante au Pérou, l'inceste, le viol, l'enfant, (belle source



d'ennuis et de dépenses)...L'auteur se méfie des institutions et des grandes utopies sociales, politiques, artistiques et c'est la tyrannie qui le dérange le plus, celle des riches, celle de la famille, du père, de certains officiers de police pas tendres pour les clandestins, des religieux, des catholiques plus satisfaits que charitables, des savants même les plus modestes, psychiatres, guérisseurs...et de tous ceux qui s'octroient le droit de « peser sur les esprits des autres », qui jouent les importants,



« qui pérorent de «leurs hauteurs... »



au nom d'une vérité qu'ils s'attribuent ou que les traditions leur ont attribuée. Cependant on n'observe de la part de Mario Vargas Llosa, aucun parti pris dans ce monde qu'il radiographie au scanner. Son indignation ne s'exprime pas conformément aux clichés des bien pensants, mais plutôt comme il le dit lui-même et comme tout le roman tend à le signifier avec




« cette norme morale qu'il avait faite sienne depuis son jeune âge et selon laquelle il valait mieux



COMPRENDRE que JUGER les hommes. Il ne se sentait ni horrifié ni indigné ni trop surpris.... »



Il use d'ironie sans sarcasme avec une apparente neutralité bienveillante qui nous laisse le temps de sourire sans doute, mais surtout de réfléchir en toute liberté.

Gina

6 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est dur la reconversion pour un torero... le type près du buffle, c'est bien Rincon ?

el chulo a dit…

belle resena gina. j'avoue à ma grande honte n'avoir pas lu llosa. je vais combler ce retard.

en tous cas, félicitations ou enhorabuena!

Maja Lola a dit…

Bravo Gina ! Beau retour avec cette resena qui devrait donner envie de lire VLl, cet écrivain qui, comme quelques frères de plume latino-américains, sait faire combiner une belle littérature avec une truculence foisannante, décomplexée et picaresque.

Anonyme a dit…

J'aimerais bien savoir qui est Gina. J'ai aimé une Gina. Gina Grant. 112-20 72nd drive Forest Hills.Redactrice de revue. Une autre Gina. Americaine. Du Nord. Moi Français. Chaque lecture du mot Gina me fait souffrir. C'est ma corrida à moi.
Bernard

Anonyme a dit…

Vous me faites aussi retrouver des souvenirs de romantiques Bernard, et je revois soudain le sourire, la face poupine et rose de cet Alsacien qui toujours m’appelait Gina.
C’est ainsi que la jeunesse vient nous torturer.
Je voyage souvent aux USA, j’aime la littérature mais je suis française.

Gina

Anonyme a dit…

Bonjour anonyme

Je suis bien Alsacien. Mais je n'ai appelé qu'une seule femme du nom de Gina. New York pendant 6 ans. Forest Hills. Avec la femme de ma vie. Cherchée pendant 29 ans. Retrouvée et perde en 1 nuit à Rome. Hotel près de la gare. Pire des cauchemars. après avoir vu le pape lors de la bénédiction populaire sur la Place St Pierre.
Trop long à expliquer. Mais si vous voyez Gina, dites lui que je suis tojours seul et que j'attendrai qu'elle sorte du cauchemar. Je l'épouse et je l'attendrai encore 27 ans. mais je ne suis pas un chat à 7 vies. Notre dernière partie est entamée.
Muchacha je t'aime
Pablo N