lundi 24 janvier 2011

Grand écart



Samedi soir dernier, ultimes représentations du « Nîmes Flamenco Festival »


Au théâtre à vingt heures, Tres de Belen Maya ou le retour aux fondamentaux.


Tres, guitare, cante, baile, Tres. Y nada mas. C’est même en robe de ville qu’elle approche à quatre pattes d’une robe volantée icône de la danseuse flamenca, qui jonche le sol, histoire de nous rappeler peut-être qu’avant le costume dont il se revêt, il y a l’être, nu, devant ses émotions. C’est donc en robe de ménagère qu’elle dansera d’abord puis en étreignant la robe comme un partenaire, puis enfin, l’enfilant au sommet de cette progression devenant ‘’la’’ danseuse assumée. Une danseuse au style dépouillé, au répertoire court, classique, sans audaces contemporaines si chères à beaucoup, se recentrant dans l’essentiel, l’émotion pure, l’épure émotive, la source, l’essence.


Compris ? Parce que j’en ai pas d’autres…



Que faut-il pour un tel spectacle ? Trois chaises, trois, espagnoles, avec leur fameux dossier, une table, une loupiote jaune, trois types habillés en noir : un chanteur, un guitariste et un palmitos – ah non, ça c’est de Belin, la biscuiterie…- un palmaire ? un empaumé ? un Palma de Majorque ? Enfin, pas un amputé bilatéral des manitas, quoi… avec un tantinet de synchronisation pour les rapprocher l’une de l’autre, en rythme. Et une danseuse ad hoc, de là-bas, avec des remous de Guadalquivir dans les veines et des cristaux de soufre dans les tendons, et d’autres indignations que Hessel, plein le cœur. Pas des indignations de ''meilleur que son prochain'' ou de cathos - ça faisait longtemps - qui tendent l’autre joue quand on leur a déjà frappé la première, non, des indignations de race brave, des indignations racées, de Targuis, de Masaïs, d’hommes debout, pures, logiques, essentielles. Comme ces quatre mille habitants d’un village andalou qui sortirent spontanément dans la rue hurler leur indignation après le viol et le meurtre d’une jeune fille alors que quatre mille Français seraient restés scotchés à leur télé, se téléphonant peut-être toute la nuit pour constituer une association chargée d’examiner les conditions de confort carcéral du meurtrier.



Vingt-deux heures trente, à l’Odéon : Navarita Platea et son chanteur dandy. Un ringard gominé qui vous aurait plu, mesdemoiselles, avec son petit foulard à pois. Latin lover de la Costa-Brava post soixante-huitard, il serait un peu au flamenco ce que Javier Conde est à la tauromachie : un singulier, original et atypique ''maestro''. Il a le traje de luces, les mèches de jais, il fait des passes, estoque par le pont d’Avignon mais quand sort un toro, s’évanouit. Mais en même temps, son plaisir d’être là est si évident, il a tellement envie de communiquer… Comment lui en vouloir ? De la variété, ni plus ni moins, du balloche, très bien pour un samedi soir D’jeun. Deux groupies, deux, se sont même levées pour agiter leur silhouette en pôle position d’une salle ''assis-debout''. Je n’ai jamais su , dans ce cas de figure, s’il y avait vraiment urgence à ''move le body'' devant une assemblée : envie irrépressible ou volonté exhibitionniste de se chauffer à ''faire sa belle''… ?



Sur la musique ‘’d’Antonio Ringardo’’, en tout cas, c’est piégeux : tantôt il s’égosille tandis que les musicos l’ont planté, tantôt il miaule comme les matous en rut qui investissent mon jardin la nuit au printemps, tantôt le batteur entame un solo et elles se retrouvent alors toujours, au mitan de grands moments de solitude au cœur de cette musique déroutante, syncopée, sans mélodie, à hésiter d'une gestuelle gauche dont on comprend bien l’embarras mais qui jamais ne peut les conduire à renoncer, vu que le retour piteux à leur chaise sonnerait comme l’annonce publique et sonorisée d’un gigantesque :



« C’est moi qu’avais l’air con quand j’essayais de bouger mon corps d’envoûtante façon avant que le gominé ne choisisse de déstructurer son morceau pour me planter là, ridicule et désynchronisée de son projet »



Pas vraiment grave. Déjà beau d’avoir pris le risque. Et puis le gominé miauleur est parti changer de chemise, revenant servir la soupe aux minettes.

2 commentaires:

ludo a dit…

plusieurs réflexions :
tu t'es échappé de l'Odéon pour écrire ta reseña qui , sans que j'en entrevois personnellement la nécessité - tu l'avais assaisonné pour sa prestation et son opus et là je te suis- en remet une couche sur Hessel. lui il s'est juste échappé de Buchenwald, mais c'était il y a longtemps, ça ne compte plus.tout ça pour te dire que tu aurais pu te passer de le coucher sur la liste des hommes pas debouts.c'est limite.
ensuite, tes 4000 pékins ils habiteraient pas El Ejido ? si c'est le cas j'aurais choisi un autre modèle de soulèvement populaire et empreint de dignité.
si ce n'est pas là, c'est où.
et enfin c'est navajita platea(petite lame argentée ).navarita ça fait navarraise qui manque d'air.
quant à Belen Maya, tu as tout saisi. mais je crois juste qu'elle plus proche de la recherche contemoraine qu'il n'y paraît. c'est certainement elle qui l'a la mieux intégrée. d'où ce retour vers la forme primitive.ce qu'on pourrait reprocher à Rafaela Carrasco : il est où le cante, pas le chant, le cante, ce fluide existenciel qi n'a besoin de rien d'autre que d'être assis au bord d'une chaise qui te scie les arrière-cuisses ?
ludo

ludo

Marc Delon a dit…

Ludo, vu commpe ça, ok (buchenwald)mais je parlais plus de la nature de ses indignations.

El ejido no se. C'était il y a quelques années pendant que j'étais en Espagne, un reportage du JT. Pas retenu l'endroit. leur réaction m'avait paru saine.