lundi 22 décembre 2008

AUTO-PUB...

- Mais pourquoi il meurt Jaime ?
- Euh ... qui ? ...
- Jaime, ben Jaiiiime quoi, pourquoi tu l'as tué ?
- Jaime ? Mais qui c'est ce "Jaime" ?
- L'amoureux de Maria-Luisa dans "l'état de grâce" tu sais bien, pourquoi tu le fais mourir à la fin ???
- "L'état de grâce" ? Mais qu'est-ce que...
- Oh, maaais dans ta nouvelle làààà... de Fantasmachins-làààà ho! Pourquoi tu le tues à la fin ???? Alors qu'ils allaient enfin pouvoir s'aimer !!!
- Aaaaaah... Ouiiiii... Fantasmatadors... Euh...ben... Tu sais, ça fais longtemps que je l'ai écrite celle-là... Je ne m'en souviens plus très bien... Peut-être parce-que justement, comme tu dis, ils allaient enfin pouvoir s'aimer... donc j'ai pu trouver que cela était trop convenu qu'ils le vivent... ?
- ........?????..........!!!!!
- Ou bien parce que je suis un très mauvais écrivain et que le type qui meurt à la fin c'est l'erreur de débutant à ne pas commettre tu vois, la fin de neuf nouvelles sur dix chez les scribouillards... et moi... bing ! je tombe dans le panneau de la dramatisation ridicule et téléphonnée... je sais pas quoi te dire... faudrait que je la relise maintenant, cinq ans après, pour savoir quoi en penser...
- Non, parce que tu vois c'est trop con, il arrive en se jouant la vie à épargner la sienne, à faire indulter ce toro qu'elle avait élevé petit, qu'elle aime d'amour et tout et tout, et donc au moment où l'on croit que tout va bien se terminer, qu'elle va pouvoir garder son toro chéri et Jaime son amoureux, eh ben toi, à ce moment-là, -j'y crois pas- tu le tues pendant son simulacre d'entrée à matar !!!
- Ben, je m'excuse... pardon... je ne me serais pas douté que cela te contrarierait tant... En même temps, tu vois, c'est un peu la règle de la nouvelle : il faut une fin inouïe, une chute improbable, un coup de théâtre, un rebondissement auquel le texte ne t'a pas préparé. Cela peut même être un jeu avec le lecteur aguerri, que de lui dissimuler du mieux qu'on peut cette fin. Moi je sais que lorsque j'en lis, je m'attache à deviner la construction de l'auteur, à éventer sa fin et s'il réussit à me tromper, à m'étonner vraiment, je jubile encore plus !
- ... Ouais...ben...en attendant...Maria-Luisa...elle se retrouve seule...
Ce jour-là, j'ai compris qu'un fan-club si riquiqui soit-il (elles sont trois ou quatre, plus petit on peut pas...) cela se gérait. "Et pourquoi tu ferais pas faire une critique de ton livre à Gina sur ton blog ?" a déjà fusé, pensez... elle sont malines ! Donc voilà, évacuons le problème vu qu'il ne doit plus y en avoir sur les étagères des libraires et que les invendus sont pilonnés, on peut y aller, cette "auto-pub" ne sera pas d'une grande indélicatesse. Gina ? Vous plaisantez... avec sa manie d'être bienveillante envers son prochain, elle m'aurait fait rougir autant que la une de couverture (c'est comme qui dirait la présidente du riquiqui fan club) Alors je profite qu'elle est en vacances pour vous soumettre la lecture d'une de ces nouvelles. Une que j'aime. Et votre opinion, c'est vous qui vous la ferez.
Rêves Partis

Il Defonso, c’est son drame, est comique. Il en souffre véritablement et serait bien incapable, ce qui est plus cruel encore, d’en déterminer les raisons. Mais c’est immanquable : dés qu’il entre en piste, il entend les gradins se réjouir. Il en ressent une déchirure qui le mine. Lui, ce qu’il voudrait inspirer aux gradins, car il torée toujours malgré la soixantaine bien sonnée, ce serait la profondeur de son âme. Ce serait que l’on soupçonne la douleur de sa condition de mortel au travers d’une sensibilité qui se révélerait jusqu’à imprégner les plis de sa muleta rapiécée qui en suinterait d’art. Ce serait que les spectateurs accèdent à l’essence de cette nostalgie qui l’habite tout entier. On le croit comédien, il se sent tragédien.

Il le sait bien lui, dans le secret de son intimité, que le taraud de sa douleur le vrille avec l’application d’une mauvaise pique, au point que peut parfois surgir une indicible émotion dans son toreo. Personne alors pour rire, mais personne non plus, ou si peu, pour y assister. Car Il Defonso est le champion toutes catégories des rendez-vous manqués et des arènes peu fréquentées. Il n’a jamais pu se présenter que dans des arènes de catégorie disons… dont la catégorie était justement de ne pas en avoir. Il a certes pu laisser le souvenir de quelques détails savoureux à Chinchilla de Monte Aragon comme à Caravaca de la Cruz ou encore Villasequilla de Yepes. Des succès d’estime dont l’impact médiatique s’était répandu jusqu’à la coopérative agricole en passant par le bistrot du coin. Autant dire, un événement. Tout ceci ne l’a jamais véritablement motivé aussi pense-t-il qu'on l'a trop peu connu pour l’avoir apprécié. En même temps, lorsqu’il a eu l’opportunité de se produire à Madrid, par deux fois, il n’a rien justifié. Encore n’a-t-il jamais su qu’il les devait ces deux fois-là, à l’agilité des cuisses de sa sœur dont le jeu de jambes avait subjugué qui de droit pour l’obtention desdits cartels. Ce qui aurait achevé de le détruire.

Pourtant il est indéniable, qu’en de trop rares occurrences nous sommes d’accord, il a été capable d’émouvoir le plus racorni des aficionados. La dernière fois que ça lui est arrivé, c’était au campo. Dans un redondel de bric et de broc. D’ailleurs bien plus de broc que de briques. Des vieilles planches arrêtées par quelques piquets rouillés à travers lesquels passaient parfois en force les toros pour rejoindre leur pré. C’est ce qu’il avait personnellement vécu ce dimanche-là où il avait fallu poursuivre l’animal en pleine nature. Cela avait donc commencé par le plus comique des tableaux. Imaginez quelques dizaines d’aficionados hilares courant après un torero, lui-même sprintant d’urgence après son bestiau afin de lui couper la route du troupeau…
Ainsi les apparences peuvent être ce que l’on en dit. Quand Il Defonso avait pu se rapprocher suffisamment pour inspirer une volte face à la bête et un plongeon aux spectateurs dans l’herbe rare comme s’ils eussent soudainement voulu éviter le vol rasant d’un Mirage IV à l’attaque, il s’en était suivi un moment inoubliable. Etait-ce le cadre même qui avait conditionné la belle rencontre ? Les collines mauves en fond de tableau, l’herbe tendre, les fleurs d’amandiers à peine écloses ? Toujours est-il que la faena qui s’en était suivie, n’avait pas ensorcelé que ce grand toro. Une prestation sans déchet, une faena d’école comme en rêvent les assidus de toreo de salon qui n’ont que le miroir pour adversaire. Une faena comme on n’en voyait plus faire par les figuras ! En substitution du miroir et sur arrière plan d’olivette bleutée saupoudrée de l’argent des petites feuilles animées par la brise chaude de l’après-midi, un toro de six ans à l’encornure longue comme une hospitalisation douloureuse. Même le troupeau au loin, s’était arrêté de paître pour regarder.

Il Defonso connaissait bien cet état rarement atteint mais qui laissait une impression inoubliable. Si seulement cela avait pu lui arriver à Las Ventas de Madrid… Il sentait, il savait que là, maintenant, pour seulement dix minutes, ça allait marcher. Il était invulnérable, inspiré, mu par une force céleste qui guidait spontanément les trajectoires pures. Tout était utile, dominateur et esthétique. Tout s’enchaînait logiquement, s’imbriquait avec constance et limpidité. Distance, cadence, enchaînements, liaisons, changements de main, toques, remates, rien à jeter. Du grand art, à couper le souffle, à se demander si l’on ne rêvait pas. Des naturelles profondes, admirablement circonférenciées, le corps comme descendu dans ses pieds enracinés en terre. Des trincheras hiératiques, ajustées et méprisantes, récupérant le retour du fauve en derechazos amples sans améliorer le terrain, avant de terminer la série d’une passe escamotée dans le dos laissant le toro hagard, essoufflé, médusé, comme vaincu par la conjonction des forces de la nature diffusées par ce bras, véritable paratonnerre à l’envers déchargeant des passes de grand pouvoir.

Ubaldo, Yago et Zacarias, ses peones tapis dans les touffes de salicornes, se lançaient de drôles de regards. Il Defonso mit un genou au sol, jeta l’épée et la muleta, offrit sa poitrine à l’aigu de la terrifiante corne gauche. Zacarias, de dépit, prit sa tête dans ses mains pensant aux conséquences pour eux tous, d'une faena aussi surnaturelle dans une arène déterminante; Yago secoua la sienne de désapprobation, tandis que Ubaldo laissait le mégot de sa Ducados lui brûler les lèvres pour donner un alibi à ses larmes. Le toro dominé ne broncha pas. Il était vaincu et demandait à mourir. Il Defonso ne ramassa que l’épée, avec lenteur, rayant de sa pointe la croûte de cette terre qui les avait vu naître tous les deux, ce toro et lui. Quand elle quitta le sol, il était déjà profilé, la main gauche en avant. Il en écarta légèrement les doigts, vit que le toro la fixait de son regard mauvais. Court et droit, selon les canons du genre pour une estocade à la volée, il s’élança fort de son sentiment de perfection. Il y eût une fraction de seconde où l’épée hésita à s’enfoncer mais Il Defonso aussi roide dans sa détermination que l’acier de son arme, poussait toujours et l’a fit pénétrer. Le grand toro fut foudroyé, moelle épinière tranchée. Ses quatre pattes quittèrent le sol en un repli simultané et il s’abattit dans un grand bruit mat dont l’onde de choc fut ressentie à trente mètres de là par le ventre des spectateurs tapis, sidérés par le spectacle.

Il Defonso le regard sur l’horizon, les traits tirés et brillants de sueur, une étrange lueur dans l’œil, traversa leurs rangs l’épée dégoulinante de sang à la main et la muleta repliée très élégamment sur la hanche gauche, grommelant quelque chose au passage. Au regard interrogateur de Yago et Zacarias, Ubaldo répondit qu’il avait cru entendre :

« Maintenant vous pouvez rire »

1 commentaire:

Marc Delon a dit…

à la "quinqua non aigrie" qui m'avait laissé un commentaire : j'ai du faire une fausse manoeuvre et l'éliminer (acte inconscient?) or je voulais le passer. Si vous voulez bien le remettre, je publierai.