lundi 8 décembre 2008

FRITURE SUR LA LIGNE



Quand on était petits, en vacances au Grau-du-Roi, nous passions tout notre temps à pêcher. Comprenez, à tremper un fil dans l'eau. J'avais une petite canne en mauvais roseau, de jolis bouchons multicolores et si je rêvais de prendre un poisson, je prenais aussi beaucoup de plaisir à ranger les multiples articles de ma boîte de pêche.
Il y avait de tout petits hameçons dorés dans des pochettes de papier cristal, déjà montés, et sur la couverture cartonnée l'indication de la résistance maximum du nylon, par exemple 26/100ième : 2,6 kg avec le dessin d'un gros poisson qui se débattait, préfigurant l'énorme prise espérée. Mais en réalité, les poissons sortis de l'eau n'étaient pas plus grands que les alevins vendus pour la pêche au vif dans l'aquarium fascinant du magasin "Le Hall de la Pêche" où l'on s'attardait dans la file des clients pour le seul plaisir d'entendre les histoires extraordinaires racontées par les adultes qui avaient "failli" prendre un beau spécimen dont ils estimaient la taille du geste d'une main se posant perpendiculairement sur un bras.
Parfois, le patron nous piégeait s'adressant à nous avant notre tour, avant qu'on ait pu filer et alors on lui achetait le plus petit de ses plombs pour économiser le plus possible nos centimes. Il ouvrait de grands tiroirs de bois et les plombs apparaissaient étincelants, magnifiques comme l'argenterie dans un trésor. Il y en avait de toutes les tailles, de toutes les formes, de tous les poids. Des petits ronds pour bas de ligne, des allongés hydrodynamiques pour lester les filets ou pour la traîne, des olives plus mobiles pour animer l'appât dans les courants, des "plombs-fusées" aérodynamiques pour la pêche au lancer, des "plombs-montres" pour mieux tenir le fond et peut-être aider à la patience, des "plombs-grappins" avec des branches en laiton à déplier pour qu'ils s'ancrent dans le sable... Chaque plomb brillant nous racontait une histoire, nous promettait un combat fabuleux avec une créature des grands fonds. On le rangerait précieusement dans le compartiment plomb de la boîte à pêche.
On y entreposait aussi des petites bobines de fil nylon, des "mitraillettes" ou train de plumes pour le cas où on aurait su lancer assez loin pour tenter un banc de muges affamés, et enfin, une sorte de gros boulard translucide, un buldo que l'on remplissait à moitié d'eau pour laisser flotter le bas de ligne en surface, les jours de mer d'huile. On pêchait alors en plage, des samottes et des aiguilles au long bec dont on distinguait le frêle sillage à la surface de la mer étale.
Il y avait bien quelques filles énervantes qui tentaient de nous détouner de notre passion, elles voulaient toujours chanter ou danser, écouter de la musique, mais même si Patrick Coutin lui, aimait "regarder les filles qui marchent sur la plage la poitrine gonflée de leur désir de vivre", nous, encore éloignés des affres d'attaques hormonales irrépressibles, nous nous contentions de les poursuivre en agitant des vers du Havre sortis de leur gangue d'algues brunes emballée de papier journal humide, ce qui leur procurait toujours une peur bleue ponctuée de hurlements suraigus à vous déchirer les tympans. Elles étaient donc vraiment infréquentables et l'on revenait à nos poissons.
On pêchait plutôt dans l'arrière port, le long des quais écrasés de soleil, entre les barques, sous les pontons ou sur le môle où les pêcheurs reprisaient les filets à même le sol. Ces petits poissons-là devaient être insensibles au mazout pour vivre entre les moteurs de bateaux. On donnait beaucoup de fond à nos lignes car les profondeurs insondables alimentaient nos fantasmes halieutiques, sans comprendre pourquoi on n'en prenait jamais tandis qu'on les apercevait par bancs entiers gober en surface... Les "Gobbis" on les appelait au Grau-du-roi... Je croyais qu'on les nommaient ainsi parce qu'ils avançaient en ligne serrée ratissant la surface de l'eau de leurs gobages continuels ou encore parce qu'une fois pêchés on pouvait les gober d'une seul coup comme le faisait mon père, en friture. Les yeux, les nageoires, la queue, tout ! Bèèèè... dégueulasse ! Mais non, si les gobies s'appellent ainsi c'est parce que gobio est leur nom latin. Mais pour tous les enfants, par extension, si on peut se permettre l'expression, vu la taille desdits poissons, tout ce qui était petit était "Gobbi".
On disait même :
- Et où qu'il est Félix ?
- Derrière le platane, il a sorti son "Gobbi" pour y pisser dessus !
Après des heures de parfaite immobilité il était proprement fascinant de voir le bouchon s'animer de ce toque si tonique créant la même onde circulaire que le lancer d'un petit caillou. Quand enfin on en prenait un, on le plongeait dans un seau de plage pour le regarder nager tout notre saoûl jusqu'à ce que l'eau se réchauffe et qu'il offre son ventre blanc à nos regards effarés.
Alors l'autre matin, quand je suis passé devant l'étal de Carmen aux halles, où trône toujours le panneau "En provenance de la criée du Grau-du-roi" je lui en ai acheté des "Gobbis"... tandis qu'à l'instant où j'écris cette ligne il me revient que les pêcheurs graulens les appelaient "Jols". Gobies ou jols, c'est en friture que les enfants les trouvent dégueulasses parce qu'on leur mange aussi les yeux. Louise à son tour, n'a pas manqué de m'en faire la remarque. Les sécher, les fariner, les poêler, se régaler de la nostalgie de l'enfance où l'on n'avait pas d'autre souci que de ranger sa boîte de pêche.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est mimi ,des ronds dans l'eau

Anonyme a dit…

Existe-t-il une personne qui, à l’évocation de ces séances de pêche ne retrouve des moments semblables, passés, délicieux, vécus dans l’attente et l’espoir d’ un cadeau de Mère nature, vivant et frétillant au bout d’un fil ?
Gina