lundi 31 janvier 2011

Dans ses yeux


Il faut l'avouer, je n'ai jamais essuyé de refus, ni même de geste hostile lorsque j'ai braqué mon objectif sur les Cubains. Pas un ne m'a tourné le dos, tous selon leur motivation, ont posé pour moi. Certains en faisaient commerce, se déguisaient pour devenir leur propre caricature et se postaient sur les sites névralgiques, à l'affût du touriste avide d'images. Un peso. Pensant à leurs difficultés et aux jeunes femmes sans talent qui se louent pour cent euros de l'heure chez nous, je leur ai donné volontiers. Le photographe doit assumer son voyeurisme. L'envie est trop forte, la frustration trop grande. Dans ce pays où tout le monde disait "oui" j'allais leur demander l'autorisation avant de les photographier ; dans les pays où ils sont moins compréhensifs, je prenais d'abord la photo puis j'allais la leur montrer et parlementais pour essayer de la conserver. J'ai donné le peso demandé pour des modèles surfaits, un peu trop typiques, qui ne m'intéressaient pas. Mais ce vieil homme m'a accroché de son regard. Il ne chaussait pas d'extravagantes lunettes, ne se parait pas de foulard coloré et de chapeau à larges bords. Il était au milieu de ceux-là, place de la cathédrale, mais dans son jus. Il ne tétait pas un gros cigare factice pour faire couleur locale. Il fumait. Il m'implorait de son regard. Il n'avait aucun succès avec le flot des touristes qui lui préféraient des congénères aux déguisements outranciers. Mais lui était sobre et authentique. Je me suis approché et lui ai demandé si je pouvais... il n'a rien répondu, il a juste hoché la tête, à peine. ll n'était pas un animal curieux. Il ne jouait pas. Il n'a pas souri, n'a pas essayé de faire bonne figure, n'a pas imposé non plus l'immobilité à ses traits, il est resté tel qu'en lui-même. Il ne m'a rien demandé. Mais on s'est arrangé.

La photo originelle est cadrée dans un plan plus large. On voit ses chaussures trop grandes, comme appartenant à un clown triste, des chaussettes roses "torero", il est propre et digne. Au "labo", j'ai recadré serré sur son visage et converti en noir et blanc (enlevée depuis). Son regard est terrible, je n'en ai jamais vu de si morne, il n'y brille plus aucune étincelle de vie, il n'y a dans ses yeux que l'abandon qui le frappe. Dans ses yeux ne luisait plus aucune lueur d'espoir. C'est un bon portrait.

22 commentaires:

Maja Lola a dit…

Oui. C'est un beau portrait.
Se détachant sur ce mur brut et rugueux, visage hâve, peau parcheminée, blouson plus que vieilli et patiné et regard vide et lointain ... je ne peux m'empêcher de penser à ce "barbudo", jeune plein d'idéaux, il y a quelque cinquante ans, sur la Sierra Maestra.
C'est bien que tu insistes encore sur la gentillesse spontanée des cubains.

el Chulo a dit…

si senor! et bon commentaire!

Anonyme a dit…

Heureusement ses idées vagabondent encore dans l'altiplano...

el Chulo a dit…

Au fait, Maja, pendant ton dejeuner avec Gina, ne balancez pas trop sur le Marcos!

bon appetit en tous cas, vous "SES" femmes! et regardez bien ce que vou avez dans vos assiettes, on ne sait jamais!

besos

Marc Delon a dit…

Oh si... ça a dû être terrible ! j'avais des accouphènes entre midi et deux...
et elles sont arrivées à la conclusion suivante : ... seule une sainte, homeotherme qui plus est, peut arriver à me supporter.

Et là elles vont venir expliquer que je n'étais pas leur sujet de discussion... non mais, qu'est-ce que je crois... etc...

Anonyme a dit…

Le déjeuner n’a pas eu lieu. On aurait médit et calomnié, attaqué le « premier sexe », ce sera pour une autre fois.
Que je contemple en attendant le beau portrait de ce Cubain usé et buriné et peut-être fatigué.

Gina

Marc Delon a dit…

Une belle bouche, non ?

Anonyme a dit…

Je lui trouve la bouche amère avec cette lèvre arquée vers le bas et le cigare inerte comme la tétine pacificatrice d’un bébé. Mais vu ainsi sur son trottoir, on comprend qu’il accueille favorablement le photographe, il est plus sympathique que sur le beau portrait. C’est comme un mot dans son contexte qui retrouve du sens.
Gina

Maja Lola a dit…

Oui. Belle, pulpeuse et prometteuse. Le regard l'est moins .... prometteur.
Grand plaisir à découvrir ta galerie de portraits. Pourquoi pas une expo ?

el chulo a dit…

Hé bien tu vois, je n'avais pas osé le dire lors de l'exposition de la première photo, mais quelle que soit sa qualité, elle avait quelque chose d'un peu apprété, peut être le noir et blanc "reconstruit".
je trouve la photo origenelle, beaucoup plus forte y compris dans son cadrage.
je ne dispose pas d'un "labo" photoshop ou autre et je répugne même à corriger des cadrages.

la photo originelle même avec ses défauts me semble avoir toujours quelque chose à dire, d'autant plus évidemment que l'auteur est un vrai photographe, ce qui n'est pas mon cas.

j'aime beaucoup cette photo!

Marc Delon a dit…

ça dépend ce que l'on veut faire passer. Là on n'entre plus dans son psychisme par les yeux, c'est plus une photo de situation.

Gina, je parlais de la bouche de la dame, bien charnue, qui dit que ce serait bon, alors que son regard dit que ce sera diffcile...

Une expo ? j'ai de quoi, effectivement, quel dommage que tu ne sois pas la conseillère municipale à la culture... et que Clary notre bon maire communiste n'y soit plus... parce que là, proposer à Valade de magnifier le régime castriste, j'y crois pas trop....
Quand j'aurais édité mon bouquin photo sur Cuba, j'irais quand même lui poser sur les genoux pour voir...

Anonyme a dit…

Je m'étonne que personne n'ait parlé des mains de cet homme. Sur le plan large, elles apparaissent cependant au premier plan, même légèrement en avant par rapport aux chaussures. Avec, même, le meilleur éclairage. Des mains qui ont du travailler dur, perclues d'arthrose, des mains qui parlent parfois davantage qu'un visage. E. Delacroix disait qu'il était plus difficile de dessiner et de peindre des mains plutôt qu'un visage.
Des vieux comme ça, nous en avons encore dans mon village, au regard noyé dans le souvenir d'une patrie perdue. Je me rappelle les bals d'autrefois, lorsque l'orchestre jouait "El émigrante".
"Y aunque soy un emigrante
Jamàs en la vida
Yo podré olvidarte ".
Et la reprise du saxo embuait leur regard et les femmes sortaient les mouchoirs.
Je regrette que, jeunes couillons à cette époque là, nous n'ayons jamais songé à filmer ou photographier ces moments. En même temps, je trouve qu'il y a une certaine indécence à braquer un objectif sur ces gens. Enfin, moi je ne pourrai pas...
Mes expos, Marc, je me les fait dans ma tête et ainsi je n'ai rien à demander à nos édiles.
JLB

Marc Delon a dit…

C'est la raison pour laquelle il est des situations où il ne faut pas aller photographier en braquant un réflex mais s'incliner humblement devant son sujet dans le viseur d'un Rolleiflex.

Maja Lola a dit…

"Cuando sali de mi tierra
Volvi la cara llorando ..."

Anonyme a dit…

Tant du point de vue tèquenique que taquetique je m'avoue incompétent en matière de Réflex et Rolleiflex.
Moi j'ai, depuis peu de temps, un Lumix Panasonic ZX3, comme plein de blaireaux et j'ai tellement honte de l'élever et de le tendre devant mon pif que je préfère m'abstenir de photographier. Je m'étonne toujours de ces gens qui brandissent leurs portables et leurs appareils minis pour mitrailler à tout va n'importe quoi. Brindis, dans ce geste, à l'informatique bouffeuse d'intelligence et de souvenir : "Ave Numericus, morituri te salutant".
Je suis rassuré que Marc ait un labo photo.
Flex !
Repos !
JLB

Marc Delon a dit…

j'ai expliqué la différence pourtant : avec un réflex tu braques, comme avec une arme à système de visée, avec un Rolleiflex tu t'inclines en avant pour voir une image à hauteur de ton nombril. Cette dernière visée étant bcp mieux vécue par les "sujets" humains...


euh maja Lola... : quand je sors de ma terre, reviens mon visage quoi ?

el chulo a dit…

elle va t'expliquer: "volvI" mon Marcos, preterite de "volvER"!

Maja Lola a dit…

"Lorsque je quittai ma terre
Je tournai mon visage en pleurs .."
Extrait d'une chanson déjà citée plus haut. Mélo anecdotique pour certains, tristesse profonde pour d'autres.
Bisou

Anonyme a dit…

"Porque lo que màs queria
Atras me lo iba dejando"

en pleurant, Marc, en pleurant...
JLB

Anonyme a dit…

Les traductions littérales ne sont pas toujours indispensables. Sauf, bien sûr, à instruire notre Marc :
Llorando = pleurant
En llantos = en pleurs (cette dernière traduction m'inspirant davantage)
Voilà pour le pointillisme de certains traducteurs

el chulo a dit…

Tout à fait d'accord, anonyme, mais faites confiance à Maja, elle a tout pour être et même plus qu'une formidable traductrice.

Anonyme a dit…

Je crois qu'y en a 1 qu'a rien capté. Comme d'hab